Les Cinq Filles de Mrs Bennet (Orgueil et Préjugés)

XX

Mr. Collins ne resta pas longtemps seul àméditer sur le succès de sa déclaration. Mrs. Bennet, qui rôdaitdans le vestibule en attendant la fin de l’entretien, n’eut pasplus tôt vu sa fille ouvrir la porte et gagner rapidementl’escalier qu’elle entra dans la salle à manger et félicita Mr.Collins avec chaleur en lui exprimant la joie que lui causait laperspective de leur alliance prochaine. Mr. Collins reçut cesfélicitations et y répondit avec autant de plaisir, après quoi ilse mit à relater les détails d’une entrevue dont il avait tout lieud’être satisfait puisque le refus que sa cousine lui avaitobstinément opposé n’avait d’autre cause que sa modestie etl’extrême délicatesse de ses sentiments.

Ce récit cependant causa quelque trouble àMrs. Bennet. Elle eût bien voulu partager cette belle assurance etcroire que sa fille, en repoussant Mr. Collins, avait eul’intention de l’encourager. Mais la chose lui paraissait peuvraisemblable et elle ne put s’empêcher de le dire.

– Soyez sûr, Mr. Collins, que Lizzyfinira par entendre raison. C’est une fille sotte et entêtée qui neconnaît point son intérêt ; mais je me charge de le lui fairecomprendre.

– Permettez, madame : si votre filleest réellement sotte et entêtée comme vous le dites, je me demandesi elle est la femme qui me convient. Un homme dans ma situationdésire naturellement trouver le bonheur dans l’état conjugal et sima cousine persiste à rejeter ma demande, peut-être vaudrait-ilmieux ne pas essayer de la lui faire agréer de force ; sujetteà de tels défauts de caractère, elle ne me paraît pas faite pourassurer ma félicité.

– Monsieur, vous interprétez mal mesparoles, s’écria Mrs. Bennet alarmée. Lizzy ne montre d’entêtementque dans des questions de ce genre. Autrement c’est la meilleurenature qu’on puisse rencontrer. Je vais de ce pas trouver Mr.Bennet et nous aurons tôt fait, à nous deux, de régler cetteaffaire avec elle.

Et, sans lui donner le temps de répondre, ellese précipita dans la bibliothèque où se trouvait son mari.

– Ah ! Mr. Bennet, s’exclama-t-elleen entrant, j’ai besoin de vous tout de suite. Venez vite obligerLizzy à accepter Mr. Collins. Elle jure ses grands dieux qu’elle neveut pas de lui. Si vous ne vous hâtez pas, il va changer d’avis,et c’est lui qui ne voudra plus d’elle !

Mr. Bennet avait levé les yeux de son livre àl’entrée de sa femme et la fixait avec une indifférence tranquilleque l’émotion de celle-ci n’arriva pas à troubler.

– Je n’ai pas l’avantage de vouscomprendre, dit-il quand elle eut fini. De quoi parlez-vousdonc ?

– Mais de Lizzy et de Mr. Collins !Lizzy dit qu’elle ne veut pas de Mr. Collins et Mr. Collinscommence à dire qu’il ne veut plus de Lizzy.

– Et que puis-je faire à ce propos ?Le cas me semble plutôt désespéré.

– Parlez à Lizzy. Dites-lui que voustenez à ce mariage.

– Faites-la appeler. Je vais lui dire ceque j’en pense.

Mrs. Bennet sonna et donna l’ordre d’avertirmiss Elizabeth qu’on la demandait dans la bibliothèque.

– Arrivez ici, mademoiselle, lui cria sonpère dès qu’elle parut. Je vous ai envoyé chercher pour une affaired’importance. Mr. Collins, me dit-on, vous aurait demandée enmariage. Est-ce exact ?

– Très exact, répondit Elizabeth.

– Vous avez repoussé cettedemande ?

– Oui, mon père.

– Fort bien. Votre mère insiste pour quevous l’acceptiez. C’est bien cela, Mrs. Bennet ?

– Parfaitement ; si elle s’obstinedans son refus, je ne la reverrai de ma vie.

– Ma pauvre enfant, vous voilà dans unecruelle alternative. À partir de ce jour, vous allez devenirétrangère à l’un de nous deux. Votre mère refuse de vous revoir sivous n’épousez pas Mr. Collins, et je vous défends de reparaîtredevant moi si vous l’épousez.

Elizabeth ne put s’empêcher de sourire à cetteconclusion inattendue ; mais Mrs. Bennet, qui avait supposéque son mari partageait son sentiment, fut excessivementdésappointée.

– Mr. Bennet ! À quoi pensez-vous deparler ainsi ? Vous m’aviez promis d’amener votre fille à laraison !

– Ma chère amie, répliqua son mari,veuillez m’accorder deux faveurs : la première, c’est de mepermettre en cette affaire le libre usage de mon jugement, et laseconde de me laisser celui de ma bibliothèque. Je serais heureuxde m’y retrouver seul le plus tôt possible.

Malgré la défection de son mari, Mrs. Bennetne se résigna pas tout de suite à s’avouer battue. Elle entrepritElizabeth à plusieurs reprises, la suppliant et la menaçant tour àtour. Elle essaya aussi de se faire une alliée de Jane, mais, avectoute la douceur possible, celle-ci refusa d’intervenir. Quant àElizabeth, tantôt avec énergie, tantôt avec gaieté, elle repoussatous les assauts, changeant de tactique, mais non dedétermination.

Mr. Collins pendant ce temps méditaitsolitairement sur la situation. La haute opinion qu’il avait delui-même l’empêchait de concevoir les motifs qui avaient poussé sacousine à le refuser et, bien que blessé dans son amour-propre, iln’éprouvait pas un véritable chagrin. Son attachement pourElizabeth était un pur effet d’imagination et la pensée qu’elleméritait peut-être les reproches de sa mère éteignait en lui toutsentiment de regret.

Pendant que toute la famille était ainsi dansle désarroi, Charlotte Lucas vint pour passer la journée avec sesamies. Elle fut accueillie dans le hall par Lydia qui se précipitavers elle en chuchotant :

– Je suis contente que vous soyez venuecar il se passe ici des choses bien drôles. Devinez ce qui estarrivé ce matin : Mr. Collins a offert sa main à Lizzy, etelle l’a refusée !

Charlotte n’avait pas eu le temps de répondrequ’elles étaient rejointes par Kitty, pressée de lui annoncer lamême nouvelle. Enfin, dans la salle à manger, Mrs. Bennet, qu’ellesy trouvèrent seule, reprit le même sujet et réclama l’aide de missLucas en la priant d’user de son influence pour décider son amie àse plier aux vœux de tous les siens.

– Je vous en prie, chère miss Lucas,dit-elle d’une voix plaintive, faites cela pour moi ! Personnen’est de mon côté, personne ne me soutient, personne n’a pitié demes pauvres nerfs.

L’entrée de Jane et d’Elizabeth dispensaCharlotte de répondre.

– Et justement la voici, poursuivit Mrs.Bennet, aussi tranquille, aussi indifférente que s’il s’agissait dushah de Perse ! Tout lui est égal, pourvu qu’elle puisse faireses volontés. Mais, prenez garde, miss Lizzy, si vous vous entêtezà repousser toutes les demandes qui vous sont adressées, vousfinirez par rester vieille fille et je ne sais pas qui vous feravivre lorsque votre père ne sera plus là. Ce n’est pas moi qui lepourrai, je vous en avertis. Je vous ai dit tout à l’heure, dans labibliothèque, que je ne vous parlerais plus ; vous verrez sije ne tiens point parole. Je n’ai aucun plaisir à causer avec unefille si peu soumise. Non que j’en aie beaucoup à causer avecpersonne ; les gens qui souffrent de malaises nerveux commemoi n’ont jamais grand goût pour la conversation. Personne ne saitce que j’endure ! Mais c’est toujours la même chose, on neplaint jamais ceux qui ne se plaignent pas eux-mêmes.

Ses filles écoutaient en silence cettelitanie, sachant que tout effort pour raisonner leur mère ou pourla calmer ne ferait que l’irriter davantage. Enfin les lamentationsde Mrs. Bennet furent interrompues par l’arrivée de Mr. Collins quientrait avec un air plus solennel encore que d’habitude.

Sur un signe, les jeunes filles quittèrent lapièce et Mrs. Bennet commença d’une voix douloureuse :

– Mon cher Mr. Collins…

– Ma chère madame, interrompit celui-ci,ne parlons plus de cette affaire. Je suis bien loin, continua-t-ild’une voix où perçait le mécontentement, de garder rancune à votrefille. La résignation à ce qu’on ne peut empêcher est un devoirpour tous, et plus spécialement pour un homme qui a fait choix del’état ecclésiastique. Ce devoir, je m’y soumets d’autant plusaisément qu’un doute m’est venu sur le bonheur qui m’attendait sima belle cousine m’avait fait l’honneur de m’accorder sa main. Etj’ai souvent remarqué que la résignation n’est jamais si parfaiteque lorsque la faveur refusée commence à perdre à nos yeux quelquechose de sa valeur. J’espère que vous ne considérerez pas comme unmanque de respect envers vous que je retire mes prétentions auxbonnes grâces de votre fille sans vous avoir sollicités, vous etMr. Bennet, d’user de votre autorité en ma faveur. Peut-être ai-jeeu tort d’accepter un refus définitif de la bouche de votre filleplutôt que de la vôtre, mais nous sommes tous sujets à noustromper. J’avais les meilleures intentions : mon unique objetétait de m’assurer une compagne aimable, tout en servant lesintérêts de votre famille. Cependant, si vous voyez dans maconduite quelque chose de répréhensible, je suis tout prêt à m’enexcuser.

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