Les Mystères du peuple – Tome II

Chapitre 5

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Sylvest est conduit dans les souterrainsdu cirque d’Orange. – Conseils paternels du guichetier et desbestiaires à l’endroit des lions, des tigres, des éléphants et descrocodiles. – Le jour de la fête arrive. – Gladiateurs à cheval etgladiateurs esclaves. – Les Mercures. – Les Plutons. – Les buveursde sang. – Les femmes gladiateurs. – Faustine et Siomara. –Mont-Liban et Bibrix. – Diavole et ses amis. – Esclaves livrés auxbêtes féroces. – Dernier chant des Enfant du Gui. – Letemple du canal. – Fuite.

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Sylvest, conduit au cirque par les soldats,fut chargé de chaînes et enfermé seul dans une cellulesouterraine&|160;; les esclaves destinés aux bêtes féroces étaientemprisonnés séparément, de peur qu’ils ne s’étranglassent les unsles autres, afin d’échapper à une mort horrible par sa longueagonie.

De son cachot, il entendait les rugissementsdes animaux auxquels il devait être livré le soir du troisième jouraprès son emprisonnement, les combats de gladiateurs et de bêtesféroces se donnant aux flambeaux.

Tel avait été le trouble de l’esprit deSylvest à la fin de cette nuit passée dans la maison de Siomara,surtout lorsque celle-ci lui eut offert de l’associer à sessortilèges, qu’oubliant Loyse, il avait, en outrageant et frappantson maître, cherché une mort qu’il ne pouvait pas se donner, ayanteu les mains liées au moment de son arrestation chez la courtisane.Son esprit se raffermissant dans la solitude du cachot, l’esclavese souvint de sa femme, et, par la pensée, lui adressa ses adieux,songeant, non sans regrets – il avoue cette faiblesse – que, lesoir même où il serait livré aux bêtes féroces, Loyse devait, ainsiqu’ils en étaient tous deux convenus lors de leur dernièreentrevue, tenter de venir l’attendre à tout hasard dans le parc deFaustine. Il regrettait aussi de n’avoir pas, un mois auparavant,accepté l’offre de Loyse, qui lui proposait de fuir.

Pour certains esclaves domestiques, defabrique ou de labour, la fuite était parfois possible&|160;; maisil fallait se réfugier dans des solitudes profondes, loin de tousles lieux habités&|160;; alors souvent l’on mourait par la faim.C’est à une pareille mort qu’il n’avait pas voulu exposer sa femme,déjà mère&|160;; mais ce moment venu, où le seul espoir de Sylvestétait d’être étranglé au premier coup de dent par un lion ou par untigre de l’amphithéâtre, et d’échapper ainsi à une lente agonie, ilregrettait de n’avoir pas voulu braver avec Loyse les redoutableschances d’une évasion. Sans le souvenir de sa femme, l’esclaveaurait d’ailleurs attendu le jour de son supplice avecindifférence&|160;: la Gaule asservie ne devait peut-être pas desitôt briser ses fers par la révolte des Enfants du Gui,et il serait allé rejoindre ses aïeux dans les mondes inconnus…

Cependant, une seule crainte faisait parfoisfrémir Sylvest et alors il regardait avec angoisse la voûte épaisseet les dalles de pierre de son cachot&|160;: Siomara étaitmagicienne&|160;; il redoutait à chaque instant de la voir luiapparaître, et d’être emporté par elle, grâce à la puissance de sessortilèges. Enfin, un chagrin pesait sur le cœur de Sylvest&|160;:il avait, selon son usage, replacé dans la forte et épaisseceinture de ses braies la petite faucille d’or et laclochette d’airain provenant d’Hêna et de son pèreGuilhern, ainsi que les minces rouleaux de peau tannée contenantles récits de sa famille. Se voyant inévitablement destiné àmourir, il pensait avec tristesse que ces pieuses reliques seraientbientôt dispersées sur le sable ensanglanté de l’arène, au lieud’être transmises à sa descendance, selon l’espoir de son aïeulJoel, le brenn de la tribu de Karnak…

Le guichetier qui, une fois par jour,apportait à Sylvest sa pitance, était un soldat invalide, ancienarcher crétois, aussi bavard qu’un Gaulois, eût dit le bonJoel. Ce guichetier, vieil habitué des combats du cirque et endurcià ce spectacle, entretenait toujours Sylvest, durant son repas, etcela sans méchante intention, du nombre et de la férocité desanimaux dont son ami et compagnon le bestiaire en chefavait la surveillance. La veille de la fête sanglante, il dit àl’esclave d’un ton paternel&|160;:

–&|160;Ah&|160;! mon fils, il vient de nousarriver juste à point pour demain un superbe couple de lionsd’Afrique&|160;; j’ai songé à toi, car mon bon ami le bestiaire enchef n’a jamais vu de bêtes plus farouches. À quatre lieues d’ici,dans un repos, et après s’être pourtant bien repus de viande, ceslions ont, par pure malice, mis en morceaux leur gardien arabe,auquel ils étaient depuis longtemps accoutumés et qui ne se défiaitaucunement d’eux. Que sera-ce demain soir, lorsqu’ils auront étéprivés de nourriture pendant tout un jour&|160;? Aussi, mon fils,je te souhaite de tomber sous la griffe d’un de ces compères&|160;;il ne te fera pas languir… Et surtout, je t’en conjure, car tajeunesse m’intéresse, surtout rappelle-toi ceci… N’imite pas cesmalavisés qui, une fois les bêtes féroces lâchées dansl’amphithéâtre, se jettent maladroitement la face contre terre etprésentent le dos au lieu du ventre… Maladroits&|160;! leur agonie,leur supplice durent cent fois davantage&|160;; tu vas comprendrepourquoi&|160;: aucune des parties nobles du corps n’étant tout desuite attaquée, la mort est beaucoup plus lente… tandis qu’aucontraire on en finit vite en se mettant, n’oublie pas ceci, monfils, en se mettant à genoux face à face avec le lion ou le tigre,la gorge et la poitrine franchement à portée de leurs dents&|160;;l’on a du moins la bonne chance d’être étranglé ou éventré dupremier coup…

–&|160;Le conseil est bon, je m’ensouviendrai.

–&|160;Mais rappelle-toi, mon fils, ques’agenouiller ainsi face à face de la bête ne convient qu’àl’encontre des tigres ou des lions… A-t-on affaire à un éléphant,c’est une manœuvre contraire.

–&|160;Il y aura donc des éléphants à cettefête romaine&|160;? Je ne croyais pas qu’il y eût à Orange de cesanimaux&|160;?

–&|160;Les édiles, voulant rendre le spectaclede demain non pareil dans la Gaule romaine, se sont mis en grandsfrais&|160;: ils ont acheté l’éléphant de combat du cirque deNîmes&|160;; on le dit féroce&|160;; il est arrivé depuis plusieursjours. Et ce n’est pas tout, car, par Jupiter&|160;! nos vénérablesédiles font impérialement les choses&|160;: il y aura encore uncombat extraordinaire, que je n’ai vu, moi, que deux fois en mavie, une fois à Rome, l’autre à Alexandrie, en Égypte.

–&|160;Et ce combat extraordinaire, quelest-il&|160;?

–&|160;Avant de t’en parler, mon fils,laisse-moi te donner un précepte excellent. Quant à l’éléphant, tule vois venir à toi furieux, n’est-ce pas&|160;?

–&|160;Oui…

–&|160;Tâche de ne pas te laisser enlacer dansles replis de sa trompe&|160;; jette-toi à plat ventre, glisse-toisous lui, et cramponne-toi à l’une de ses jambes de derrière…Aussitôt il te piétinera pour se débarrasser de ton étreinte&|160;;or, en un instant, il t’aura brisé les os et aplati aussifacilement que tu aplatirais sous ton soulier un escargot dans sacoquille…

–&|160;Je tâcherai donc de m’adresser depréférence aux éléphants&|160;; avec eux, il y a plus de chance demourir vite…

–&|160;Certes&|160;! mais il te faudra êtrepreste et leste pour arriver l’un des premiers à la portée del’éléphant&|160;; il sera très-couru, et, dès son apparition dansl’arène, tu verras tous les esclaves condamnés aux bêtes seprécipiter vers lui.

–&|160;Et ce combat extraordinaire dont vousparlez, offrirait-il une chance de mort plus prompte&|160;?

–&|160;Non, non&|160;! aussi, parHercule&|160;! je ne te souhaite pas d’avoir à affronter cesmonstrueux animaux. J’ai vu à Rome trois esclaves avoir en uninstant les cuisses et les bras aussi nettement tranchés par lesdents de scie du crocodile[69] que parune hache…

–&|160;Je le vois… cette fête romaine seracomplète… Ours, tigres, lions, éléphants, monstres marins… Yaura-t-il seulement assez d’esclaves pour le régal de tantd’hôtes&|160;?

–&|160;Sans compter ceux que leurs maîtresoffriront sans doute encore généreusement d’ici à demain pour lespectacle, vous êtes déjà près de quatre-vingt… c’est fortsuffisant.

–&|160;Oui, il y a là de quoi divertir lesennuyés… Mais ce crocodile ne pourra combattre sur le sable del’amphithéâtre&|160;?

–&|160;Non&|160;; aussi lui a-t-on creusé unbassin au milieu du cirque, à fleur de terre&|160;; de sorte queles esclaves, en fuyant de ci de là les bêtes féroces, ne pourrontmanquer d’y tomber. Ce bassin aura cent pas de tour et deux coudéesde profondeur. Le crocodile vient de Rome, par mer, dans une galèredisposée exprès pour lui…

–&|160;Ainsi qu’un proconsul ou un riche etnoble seigneur&|160;?

–&|160;Oui, mon fils. Et, tiens, ce quim’intéresse encore à toi, c’est le ferme courage que tu montres… Dequel pays es-tu donc&|160;!

–&|160;Je suis né dans la Gaulebretonne&|160;!

–&|160;Par le vaillant dieu Mars&|160;!c’étaient de rudes épées que ces Bretons&|160;!… Je lesconnais&|160;: le bras qui me manque, je l’ai perdu d’un coup dehache sous les yeux de César, du grand César&|160;! à la bataillede Vannes… Terrible combat où César a failli être prisonnier.

–&|160;Oui, mon père l’emportait tout armé surson cheval…

–&|160;Tu dis vrai&|160;: j’étais là lorsqueles cavaliers numides sont accourus au secours de César, qu’uneespèce de géant gaulois emportait sur son cheval… Comment, ceBreton, c’était ton père&|160;?

–&|160;Le seul de ma famille qui ait survécu àla bataille de Vannes… Mais, reprit Sylvest, de crainte que ceRomain ne crût qu’il le voulait apitoyer en lui parlant de labravoure gauloise, mais nous voici loin du crocodile venu de Romedans sa galère, ainsi qu’un proconsul ou un riche et nobleseigneur&|160;! Où a-t-il débarqué&|160;?

–&|160;À Narbonne, et de Narbonne ici, il estvenu dans une immense cuve remplie d’eau et traînée par vingtcouples de bœufs. Ce matin, on a donné à ce monstre une génissevivante… Ah&|160;! mon fils, il lui a broyé les os aussi facilementqu’un chat croque une souris.

–&|160;Les esclaves qui lui seront livréspourront, il me semble, se noyer avant d’être dévorés… C’est unebonne chance…

–&|160;Non, ils ne pourront pas se noyer… l’ona prévu ceci… Le bassin du cirque sera rempli d’une coudée delimon, puis d’un peu d’eau par-dessus, de sorte que les esclavesauront les épaules et la tête hors de la vase… Quant à la manièred’aller à l’encontre du crocodile, mon fils, je ne peux rien teconseiller, n’ayant pas d’expérience à leur sujet… Du reste, commeles esclaves ne sont livrés aux bêtes qu’à la fin… tu attendras tonheure en assistant à l’un des plus fameux combats de gladiateursqu’on ait vus&|160;: il y en aura huit couples à cheval etvingt-cinq couples à pied… Et l’on dit même, cela n’est pas encorecertain, mais la fête serait complète, qu’à l’instar de la nouvellemode de Rome, plusieurs de nos grandes dames combattront entreelles[70].

–&|160;Des femmes&|160;? de noblesdames&|160;?

–&|160;Certes, et des plus nobles&|160;; legardien qui a amené le crocodile d’Italie nous disait tantôt avoirvu, dans le cirque de Rome, cinq couples de femmes, épouses desénateurs et de chevaliers, se battre, soit entre elles, soitcontre des femmes esclaves, avec une furie incroyable&|160;; demême que souvent des seigneurs et des chevaliers combattent engladiateurs contre des esclaves, désarmés, bien entendu… On n’armeles esclaves que pour qu’ils combattent entre eux jusqu’à la mort,ainsi que les gladiateurs de profession, tels que le célèbreMont-Liban de ce pays et autres batteurs d’épée, luttent entre eux…Oh&|160;! la soirée sera bonne… Aussi, ajouta le guichetier enriant, grâce à la nouvelle méthode des médecins, les servants ducirque, et je suis du nombre, auront demain d’excellents profits,les compères.

–&|160;Quels profits&|160;?

–&|160;Ignores-tu les merveilleux effets que,pour la guérison de certaines maladies, l’on retire maintenant dufoie de gladiateur fraîchement tué&|160;?… Les médecins sont là,tout prêts à s’abattre, comme une nuée de vautours, sur les corpsdes gladiateurs encore chauds… Car il faut que le foie soit retiréchaud des entrailles pour conserver toute sa vertu… et cette ventede foies, sans compter les générosités des vieillards et desépileptiques qui viennent aussi là chercher la vie dans la mort…(tu verras comment), constitue nos petits profits. Mais, parPluton&|160;! tout n’est pas plaisir pour nous&|160;; car, une foisla fête terminée, les flambeaux éteints, l’amphithéâtre désert etnoir comme la nuit… Ah&|160;! mon fils&|160;!…

–&|160;Qu’avez-vous à frissonner ainsi&|160;?Que se passe-t-il lorsque l’amphithéâtre est désert et noir commela nuit&|160;!

–&|160;Alors… vient l’heure dessorcières&|160;!…

–&|160;Des sorcières&|160;! dit Sylvest entressaillant à son tour. Et que viennent-elles faire au cirque… àcette heure de la nuit&|160;?

–&|160;Oh&|160;! c’est l’heure où, prenant laforme d’hyènes, de louves, de couleuvres, d’oiseaux de proie oud’animaux inconnus plus effrayants encore, les magiciennes, seglissant dans les ténèbres, viennent se disputer, pour leurssortilèges, les débris humains dont est jonché le sable ensanglantéde l’arène… Ah&|160;! que de fois, frémissant dans ma logette, moi,vieux soldat pourtant, j’ai entendu au loin les cris, lesgrondements effrayants des sorcières s’arrachant ces lambeaux dechair à demi-dévorés, ces têtes arrachées du tronc labourées ettrouées par l’ongle et la dent des bêtes féroces&|160;!… Ah&|160;!mon fils&|160;! la sueur me vient au front en songeant aux bruitsmystérieux, formidables, que j’entendrai encore dans la nuit dedemain, après la fête…

Et le guichetier laissa Sylvest dans denouvelles angoisses… Peut-être Siomara, sous la forme d’une louve,viendrait-elle, dans la nuit du lendemain, disputer les débris ducorps de son frère aux autres magiciennes.

Sylvest passa la dernière nuit dans sa prisonpresque sans sommeil, craignant toujours de voir apparaîtreSiomara… Grâce aux Dieux, elle ne lui apparut pas… Sans douteaussi, fidèle à sa promesse de ne pas s’adresser au seigneurDiavole, afin d’acheter, à un prix infâme, la liberté de Sylvest,avant de l’avoir revu, elle l’attendait, ignorant qu’il étaitcondamné à mourir dans l’arène.

La soirée consacrée à la fête romainearriva&|160;; deux heures auparavant, le vieil invalide crétois, leguichetier, au lieu d’apporter à Sylvest sa pitance habituelle, luidit&|160;:

–&|160;Mon fils… tu as aujourd’hui lerepas libre[71].

–&|160;Qu’est-ce qu’un repas libre&|160;?

–&|160;Tu peux demander à manger tout ce quetu voudras, jusqu’à la valeur d’un demi-sou d’or… Les quatre-vingtesclaves destinés comme toi aux bêtes ont la même liberté… pourleur dernier repas… C’est un ancien et généreux usage…

–&|160;Oui… les édiles tiennent sans doute àce que lions, tigres et crocodiles aient pour festin des esclavesdélicatement nourris pendant leur dernier jour… Quant à moi, jen’offrirai pas ce régal à ces nobles animaux&|160;; je ne mangerairien aujourd’hui&|160;; ils me prendront tel que m’a fait le régimede la prison.

–&|160;Voilà qui est singulier, reprit leguichetier en réfléchissant et regardant Sylvest. Vous êtes ici àpeu près une trentaine d’esclaves gaulois condamnés aux bêtes, etvous êtes fermes comme des rocs&|160;; tandis que les autresesclaves romains, espagnols, allemands, arabes, hébreux, tous… non,pas tous… les esclaves hébreux se montrent aussi d’un grandcourage… ils se soucient assez peu de mourir, disant que leurvéritable messie viendra un jour.

–&|160;Qu’est-ce que leur messie&|160;?…

–&|160;Je n’en sais rien, mon fils… Un homme,disent-ils, qui, plus heureux que les nombreux messies qui se sontproduits naguère, affranchira leur peuple du joug des Romains, carRome domine le pays des Hébreux comme le reste du monde… Maisenfin, ces Hébreux aussi sont très-fermes devant la mort, tandisque les autres, sauf vous, Gaulois, ont vu arriver le soir de cejour-ci avec une terreur croissante ou un désespoir farouche&|160;;vous autres, au contraire, vous ne sourcillez point&|160;;plusieurs même font, comme toi, les plaisants. Mon fils, d’où vientcela&|160;? par Hercule&|160;!

–&|160;C’est que nos Dieux et leurs druidesnous ont appris que l’on ne meurt jamais.

–&|160;Toujours plaisant, mon fils&|160;!…Comment, lorsque, dans quelques heures, tes os craqueront sous ladent des bêtes féroces… lorsque ton corps sera déchiré en lambeaux,tu ne mourras pas&|160;?

–&|160;Le corps meurt-il parce que lesvêtements dont on le couvre s’usent et se remplacent&|160;?Non&|160;: les vêtements passent, le corps reste… Il en est ainside notre vie… elle est éternelle… et change d’enveloppe comme nouschangeons de vêtements… À peine, ce soir, le dernier lambeau de monvêtement de chair sera-t-il déchiré par les bêtes féroces, que,prenant un corps nouveau, comme l’on prend un vêtement nouveau,j’irai continuer de vivre dans des mondes inconnus, où jeretrouverai ceux que j’ai aimés ici.

L’invalide regarda Sylvest d’un air surpris,hocha la tête et dit&|160;:

–&|160;Si vous croyez cela, vous autresGaulois, le courage vous est facile&|160;: je ne m’étonne plus quevous soyez des enragés à la bataille… Ainsi, tu ne veux pas fairehonneur au repas libre&|160;?

–&|160;Non…

–&|160;Tu as tort… J’ai toujours ouï dire quel’agonie d’un homme à ventre vide dure plus longtemps que celled’un homme à ventre plein… Mais, fais à ta guise… Au soleil couché,je te viendrai chercher&|160;; tu pourras, du moins, te vanterd’avoir assisté à l’un des plus beaux spectacles du monde&|160;:d’abord, combat de huit couples de gladiateurs à cheval,gladiateurs de métier, ceux-là&|160;; puis vingt-cinq couples degladiateurs esclaves, forcés de combattre jusqu’à la mort&|160;;ensuite, le jeune et riche seigneur Norbiac paraîtra dans lecirque.

–&|160;Pour se battre… le seigneurNorbiac&|160;?… Et contre qui&|160;?…

–&|160;Pure comédie&|160;; mais c’est la mode…Il se battra, lui, armé jusqu’aux dents, contre un esclave arméà blanc[72], comme on dit au cirque,c’est-à-dire nu et armé d’un sabre de fer-blanc sans pointe nitranchant&|160;; nos jeunes seigneurs se donnent cesdivertissements… Ensuite viendra le combat de femmes dont je t’aiparlé, car décidément il aura lieu.

–&|160;Entre qui&|160;?

–&|160;Entre deux des plus belles femmesd’Orange… une grande dame et une célèbre courtisane affranchie…

–&|160;Leur nom&|160;? demanda Sylvest avecanxiété&|160;; oh&|160;! leur nom… le sais-tu&|160;?

–&|160;La grande dame est Faustine,patricienne de cette ville… La courtisane affranchie est depuis peuà Orange&|160;: elle se nomme la belle Gauloise… Ensuite, nousaurons un combat à mort entre le fameux Mont-Liban et Bibrix, leplus célèbre gladiateur de Nîmes. Enfin, pour terminer la fête, lesesclaves seront livrés aux bêtes… et, à ce propos, mon fils,n’oublie pas mes conseils selon l’encontre d’un lion, d’un tigre oud’un éléphant&|160;; quant au crocodile, je ne peux te donnerd’avis.

Sylvest resta seul&|160;; il venaitd’apprendre avec surprise l’annonce du combat de Siomara et deFaustine. Pour quelle cause ces deux femmes devaient-elles sebattre&|160;? Mont-Liban était-il l’objet de cette rivalité&|160;?Sylvest hésitait à le croire&|160;: il se rappelait avec queldédain Siomara avait traité le gladiateur, quoiqu’elle l’eûtcongédié en lui adressant quelques douces paroles… Mais, depuiscette nuit-là, trois jours s’étaient passés&|160;: Siomara avaitpeut-être pris Mont-Liban pour amant, par haine contre Faustineplutôt que par amour pour ce gladiateur stupide et brutal&|160;;car Sylvest se souvenait des aveux de Siomara se jetant dans lessortilèges par satiété de débauche… il se souvenait enfin enfrémissant et sans vouloir y croire, de l’horrible révélation del’eunuque au sujet de Belphégor… D’ailleurs, il ne s’étonnait pasde voir la noble Faustine franchir, pour ce combat, la distance quila séparait de la courtisane affranchie… À Rome, les plus grandesdames combattaient, soit entre elles, soit contre des femmesesclaves, et une courtisane affranchie rentrait à peu près dans lacondition d’une esclave. Ce dont il était surpris, c’est queSiomara eût accepté cette lutte meurtrière&|160;; peut-être, pouren sortir victorieuse, elle comptait sur la puissance de sessortilèges…

Ces pensées occupèrent Sylvest jusqu’à la findu jour…

Au soleil couché, le guichetier vint chercherl’esclave pour la fête romaine.

–&|160;Serai-je donc livré aux bêtes lesmenottes aux mains et la chaîne aux pieds&|160;? demanda-t-il àl’invalide. N’allez-vous donc pas me déferrer&|160;?

–&|160;Non, mon fils. Vous allez être conduitstous ensemble sous une voûte grillée communiquant de plain-piedavec l’arène, et, comme vous resterez enfermés là jusqu’au momentoù vous serez livrés aux bêtes, on craindrait qu’en attendant vousne vous tuiez les uns les autres. Quelques instants avant votreentrée dans le cirque, vous serez déferrés… Allons, mon fils,suis-moi&|160;: bonne et surtout prompte chance je te souhaite.

En sortant de son cachot, Sylvest se trouvadans une longue galerie souterraine, de chaque côté de laquelles’ouvraient les portes de cellules, d’où étaient sans doute sortisavant lui un grand nombre de ses pareils, aussi condamnés. Àl’extrémité de ce souterrain, vers laquelle se dirigeaient lesesclaves, poussés par les guichetiers et les gardiens armés, onapercevait, à travers d’épais barreaux de fer, une éclatantelumière produite par l’éclairage de l’amphithéâtre. Sylvest, pleind’angoisses en songeant au combat de sa sœur et de Faustine, voulutarriver l’un des premiers à la grille de cet immense soupirail,d’où il pouvait voir le spectacle, et fendit la foule de sescompagnons, moins hâtés que lui. Il arriva l’un des premiers prèsdes barreaux de fer, entendant de plus en plus distinctement lemurmure et le tumulte d’une foule immense, car l’amphithéâtred’Orange, comme ceux d’Arles, de Nîmes et autres villes de la Gauleromaine, contenait vingt-cinq mille spectateurs…

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(Ô mon pauvre enfant&|160;! le fils de maLoyse&|160;! toi pour qui j’écris ce récit, tu sauras, par ladescription que je veux te faire d’un des amphithéâtres construitspar les Romains dans notre vieille Gaule[73], à quelsexcès de prodigalité insensée nos oppresseurs, enrichis par letravail de leurs esclaves, en étaient venus pour se donner ledivertissement de massacres humains.)

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L’arène du cirque d’Orange, destinée auxcombats et aux supplices, était de forme ovale, longue de centcinquante pas, large de cent, et entourée d’une muraille assezmassive pour que l’on ait pu prendre dans son épaisseur la voûtesous laquelle se tenaient les victimes destinées aux bêtes. Cetteconstruction, d’une telle hauteur que les éléphants ne pouvaient dubout de leur trompe atteindre le rebord de la plate-forme qui lasurmontait, était intérieurement décorée de pilastres, séparant desniches ornées de statues de marbre, entourant l’arène de touscôtés, et offrait ainsi à sa parti supérieure, une sorte deterrasse où se trouvaient les places de première galerie.De crainte des bonds des bêtes féroces, et malgré son élévationau-dessus du lieu des combats, l’on avait encore défendu cettegalerie par une forte balustrade de bronze doré. Ces places,régnant autour de l’amphithéâtre, étaient réservées aux femmes etaux hommes les plus riches, les plus nobles ou les plusconsidérables de la ville. On y voyait aussi, se faisant face l’unà l’autre, le trône d’Auguste, empereur de Rome et des Gaules, etla tribune des édiles, magistrats ordonnateurs de la fête.

Derrière cette galerie, et suivant comme ellela forme ovale de l’arène, s’élevaient une innombrable quantité degradins de marbres superposés les uns aux autres&|160;; l’on yarrivait du dehors par plusieurs étages de galeries extérieurescontournant le cirque et communiquant entre elles par de nombreuxescaliers. En temps de pluie ou de soleil trop ardent, l’onabritait les spectateurs sous un velarium&|160;; mais cestoiles immenses n’avaient pas été tendues ce soir-là&|160;: la nuitétait si sereine, l’air si calme, que pas un souffle de ventn’agitait la flamme des milliers de gros flambeaux de cire placésdans des torchères de bronze doré fixées autour de l’arène, où l’onavait accès par quatre passages voûtés pratiques sous les gradinset dans l’épaisseur de la muraille d’enceinte. Les deux entrées dunord et du midi étaient réservées aux gladiateurs à pied et àcheval. À l’orient et à l’occident, se faisant face, se voyaientdeux voûtes grillées&|160;: l’une destinée aux bêtes féroces,l’autre aux esclaves condamnés à être dévorés. Sous cette voûteavaient été conduits Sylvest et ses compagnons&|160;: debout lelong des barreaux de fer, il examinait avec une curiosité tristetout ce qu’il pouvait apercevoir au dehors.

Le sol de l’arène, couvert d’une épaissecouche de sable coloré en rouge, afin que les traces du sangparussent moins, était semé d’une foule de petites parcellesbrillantes qui, à la lueur des flambeaux, étincelaient comme desmillions de paillettes d’argent[74]. Uncertain espace n’avait pas été sablé, mais recouvert d’un plancherà claire-voie&|160;; au-dessous se trouvait le bassin où lecrocodile attendait ses victimes. Ce plancher mobile devait êtreenlevé au moment où les animaux seraient lâchés dans le cirque. Deloin en loin, montés sur des estrades appuyées au mur d’enceinte del’arène, Sylvest remarqua des hommes vêtus comme leMercure des païens, coiffés d’un casque d’acier arrondi etorné de deux ailes dorées&|160;; ces hommes portaient pour toutvêtement un caleçon rouge, et au talon de leurs sandales étaientattachées de petites ailes. Chacun de ces Mercures avaient devantlui un réchaud de bronze rempli de braise où chauffaient de longuestiges d’airain&|160;; ainsi rougies au feu, elles servaient às’assurer si les gladiateurs esclaves, qui, gravement blessés,feignaient parfois d’être morts pour ne plus combattre, avaientréellement cessé de vivre&|160;: le Mercure acquérait cettecertitude en sillonnant les plaies des blessés avec sa tigebrûlante, car, sous cette affreuse douleur, il était impossible desimuler l’insensibilité de la mort. Ces tiges d’airain servaientencore à ramener au combat les esclaves qui lâchaient pied devantleur adversaire[75].

Sylvest remarqua aussi, autour du murd’enceinte de l’arène, immobiles comme les statues des niches quile décoraient, des hommes à longue barbe, d’une taille gigantesque,vêtus comme Pluton, le dieu de l’enfer des païens&|160;; coiffésd’une couronne de cuivre à dents aiguës, drapés dans leurs togesnoires semées d’étoiles d’argent, ils s’appuyaient sur le longmanche de leurs gros marteaux de forgeron&|160;: on les nommait lesPlutons&|160;; ils avaient pour office de traîner lescadavres hors du cirque et d’achever à coups de marteau lesvictimes qui respiraient encore.

Enfin, près des deux entrées des gladiateurs,se tenaient les hérauts d’armes, la tête ceinte d’unebandelette écarlate, ayant à la main une verge d’ivoire et vêtus dechlamydes blanches. À côté de ces hérauts étaient lesbuccinateurs, portant des justaucorps verts brodésd’argent&|160;; leurs chausses, de même couleur, disparaissaientsous la tige de leurs grandes bottes de cuir qui leur montaientjusqu’au milieu des cuisses&|160;; ils avaient à la main, prêt àles emboucher, leurs énormes buccins recourbés à la manière destrompes de chasse.

On attendait l’arrivée des édiles pourcommencer la fête, bien que l’amphithéâtre regorgeât de monde. Lescris, les sifflets témoignaient de l’impatience de la multitude.L’éclairage du cirque donnait à ce spectacle une apparence étrange,sinistre&|160;; les innombrables flambeaux placés autour de l’arènel’inondaient de clarté ainsi que les spectateurs de la premièregalerie et des gradins rapprochés de ce foyer de lumière qui,ensuite, allait toujours décroissant d’intensité vers les gradinssupérieurs, de sorte qu’à ces lueurs rougeâtres, presquecrépusculaires, les milliers de figures humaines placées aux rangsles plus élevés de l’amphithéâtre ressemblaient à de pâles fantômesà peine distincts des ténèbres au-dessus desquelles brillaient lesétoiles du firmament.

Soudain, il se fit grand tapage à la premièregalerie, où plusieurs places avaient été réservées jusqu’alors.Sylvest les vit bientôt occupées par son maître Diavole et parplusieurs jeunes seigneurs de ses amis, vêtus, comme lui, avecmagnificence, et, comme lui, sortant d’un festin prolongé, car ilsportaient à la main de gros bouquets de roses. L’entrée bruyante deces jeunes gens, leurs éclats de voix, leurs rires prolongés,l’animation de leurs traits, annonçaient leur demi-ivresse. Leseigneur Diavole, penché sur la balustrade, examina longtempsl’aspect de l’amphithéâtre, saluant de côté et d’autre&|160;; puis,comme il se trouvait placé juste en face de l’endroit où setenaient les condamnés aux bêtes, et que Sylvest était deboutderrière les barreaux de la voûte, Diavole ayant par hasard jetéles yeux de ce côté, reconnut son esclave, le désigna du geste àses amis, et redoubla d’éclats de rire en lui montrant lepoing.

Il est au ciel des Dieux vengeurs&|160;! Aumoment où Diavole insultait ainsi au sort de son esclave, celui-cientendit prononcer son nom derrière lui parmi ses compagnons&|160;;il prêta l’oreille&|160;: une voix disait en languegauloise&|160;:

–&|160;Il doit y avoir parmi nous un camaradedu nom de Sylvest… comment ne répond-il pas&|160;? Voici plusieursfois que je l’appelle… Est-il sourd&|160;?… Sylvest&|160;!…Sylvest&|160;!…

–&|160;Je suis là, reprit l’esclave&|160;; jesuis auprès de la grille&|160;; je ne veux pas quitter maplace&|160;; viens à moi si tu veux me parler…

Il vit, au bout de quelques instants,s’approcher de lui un des condamnés, marqué au front comme fugitifet jeune encore, qui lui dit à voix basse en languegauloise&|160;:

–&|160;Tu te nommes Sylvest&|160;?

–&|160;Oui.

–&|160;Esclave chez Diavole, tu avais pourcompagnon un cuisinier surnommé Quatre-Épices&|160;?

–&|160;Oui.

–&|160;Quatre-Épices m’a chargé pour toi d’unebonne nouvelle&|160;; je l’ai rencontré avant-hier au marché&|160;;je le connais depuis longtemps&|160;: c’est un compagnon ferme etsûr&|160;; je lui ai dit&|160;: «&|160;Dans deux jours, je serailibre au fond des bois ou condamné aux bêtes lors du prochainspectacle&|160;; car, cette nuit, j’essaye de me sauver, et monmaître m’a menacé, si je tentais encore de fuir et qu’il pût merattraper, de m’envoyer au cirque… Veux-tu tenter de fuir avec moicette nuit&|160;?… Une évasion à deux offre plus de ressource. –Non, m’a répondu Quatre-Épices&|160;; je ne peux t’accompagnercette nuit. Mais, si tu es rattrapé, ramené à ton maître et conduitau cirque, tu trouveras parmi les condamnés un Gaulois nomméSylvest, esclave de Diavole&|160;; tu lui diras ceci, afin de luirendre la mort douce&|160;: Notre maître a convié bon nombre dejeunes seigneurs de ses amis à un splendide festin, qui doit avoirlieu demain et précéder le spectacle du cirque, où ils se rendrontaprès le repas. J’attends depuis longtemps l’heure de mevenger&|160;; Sylvest m’avait fait ajourner mon projet enm’assurant qu’au prochain départ de l’armée romaine les esclaves sesoulèveraient en armes… Vain espoir&|160;! hier, on affirmait chezmon maître que l’armée romaine restait en Gaule.&|160;»

–&|160;Que dis-tu&|160;? s’écria Sylvest pleind’anxiété. Cette nouvelle serait vraie&|160;?…

–&|160;Oui&|160;; car les logements préparésdans les faubourgs d’Orange pour l’avant-garde, qui devait yarriver demain, ont été décommandés hier… je le sais.

–&|160;Malheur&|160;! malheur&|160;! ditSylvest désolé. Quand viendra maintenant, le jour de ladélivrance&|160;?

«&|160;– La révolte devenue impossible, aajouté Quatre-Épices, j’ai hâte de venger moi et Sylvest du mêmecoup. J’ai acheté d’une sorcière un poison sûr et d’un effetlent&|160;; je l’ai essayé sur un chien&|160;: le poison n’a agiqu’au bout de quelques heures, mais avec une violence terrible. Aufestin de demain, les plats d’honneur les plus exquis, que l’on nesert qu’à la fin du repas, seront empoisonnés par moi ainsi que lesdernières amphores que l’on videra. D’après mon expérience sur lechien, Diavole et ses amis doivent expirer vers le milieu de lafête… Dis ceci à Sylvest si tu vas le rejoindre au cirque. S’ildoit mourir avant d’avoir vu expirer Diavole et sa bande, il s’enira du moins certain d’être bientôt suivi par notre maître et sesdignes amis. Le coup fait, je tâcherai de fuir. Si je suis repris,j’ai fait d’avance le sacrifice de ma vie.&|160;» Et, là-dessus,Quatre-Épices m’a quitté. Moi, j’ai tenté mon évasion&|160;; monmaître m’épiait&|160;: il m’a surpris au moment où j’escaladais unmur… Trois heures après, j’étais amené au cirque… et, depuis quenous sommes rassemblés ici, je t’appelle afin de remplir mapromesse faite à Quatre-Épices… À cette heure, il a sans douteabandonné la maison de son maître… Fasse que le poison soit sûr etque ces Romains maudits crèvent comme des ratsempoisonnés&|160;!

–&|160;Vois-tu, dit Sylvest à l’autrecondamné, vois-tu à la galerie, au-dessus de la voûte aux bêtesféroces, ce jeune seigneur couronné de pampres, vêtu d’une chlamydede soie bleue brodée d’argent et aspirant le parfum de ce bouquetde roses qu’il tient à la main&|160;?

–&|160;Oui, je le vois.

–&|160;C’est le seigneur Diavole.

–&|160;Ah&|160;! par tout le sang qui vacouler&|160;! s’est écrié l’esclave avec une joie farouche, nousaurons donc aussi notre fête, nous&|160;?… Riez, riez, jeunesseigneurs avinés, lancez des œillades amoureuses aux courtisanes…ce soir, le marbre de la brillante galerie aura ses morts commel’arène ensanglantée aura les siens&|160;!… Regardons-nous donc unpeu en face, mes joyeux et beaux seigneurs&|160;! mes fiersconquérants romains&|160;! vous, du haut de votre balcon doré… toutparfumé de fleurs… éblouissant de lumière… nous, Gaulois conquis,nous, vos esclaves, du fond de notre soupirail funèbre… Oui,regardons-nous donc en face&|160;! et saluons-nous, condamnés quenous sommes, vous et nous, à mourir ce soir&|160;!… nous, sousl’ongle et la dent des bêtes féroces… vous, tordus par lepoison…

L’esclave ayant, dans son exaltationcroissante, assez élevé la voix pour être entendu des autresGaulois, il leur raconta, afin de leur rendre aussi la mort plusdouce, la vengeance de Quatre-Épices. À ces mots, presque tous lesesclaves, qui, jusqu’alors sombres et taciturnes, mais résignés àleur sort, s’étaient tenus assis ou couchés sur la dalle, dansl’ombre de la voûte, se précipitèrent aux barreaux pour contempleravec une joie farouche ces jeunes seigneurs romains si gaiementavinés, et portant dans leur sein une mort terrible etprochaine.

Cette joie farouche, Sylvest la partagead’abord&|160;; puis il se la reprocha, se souvenant que son oncleAlbinik le marin, pilotant les galères romaines la veille de labataille de Vannes, avait regardé comme une lâcheté indigne de lavaleur et de la loyauté gauloises de traîtreusement engloutir aufond de la mer des milliers de soldats romains confiants dans samanœuvre. Si excusable qu’elle fût par la férocité de Diavole, lavengeance de Quatre-Épices fit horreur à Sylvest… tandis qu’il eûtdonné des premiers le signal d’une révolte armée pour briser lesfers de l’esclavage, exterminer les Romains et reconquérir laliberté de la Gaule&|160;; mais l’heure de cette révolte, quandsonnerait-elle&|160;?… S’il n’eût pas été ferme devant la mort, lanouvelle qu’il venait d’apprendre au sujet du maintien de l’arméeromaine en Gaule lui eût ôté tout regret de quitter la vie.

–&|160;Heureusement, pensa Sylvest, si leshommes meurent, les réunions des Enfants du Gui sesuccéderont d’âge en âge, grâce aux druides, jusqu’au jour de lajustice et de la délivrance…

Le bruit éclatant des fanfares tira Sylvest desa rêverie&|160;; les buccinateurs, soufflant dans leurs buccins,annonçaient l’arrivée des édiles. Ces magistrats prirent place dansla tribune&|160;; les hérauts d’armes donnèrent le signal ducombat. Les buccinateurs firent de nouveau résonner leursinstruments de cuivre. Un profond silence se fit dans cette fouleimmense, et quatre couples de gladiateurs à cheval (gladiateurs deprofession) se présentèrent dans l’arène par l’entrée du nord,quatre couples par l’entrée du midi. Les premiers montaient deschevaux blancs harnachés de vert&|160;; les seconds, des chevauxnoirs harnachés de rouge. Chaque gladiateur à cheval était arméd’une lance légère, d’un bouclier peint et doré&|160;; leur casquede bronze, à visière baissée, seulement ouverte à la hauteur desyeux par deux trous ronds, leur cachait le visage&|160;; unbrassard et un gantelet de fer couvraient leur bras droit&|160;; lereste de leur corps était nu, car ils ne portaient que leur tablierde gladiateur, attaché aux hanches par une ceinture d’airain àlaquelle pendait leur longue épée&|160;; des sandales ferréeschaussaient leurs pieds. Ces cavaliers, gladiateurs de profession,étaient libres&|160;; du moins ils se combattaient volontairement,en hommes braves, ainsi que s’étaient souvent battus les aïeux deSylvest, par seule outre-vaillance, mais non comme de malheureuxesclaves forcés de s’entr’égorger sans raison pour ledivertissement de leurs maîtres. Glorieuse et digne est la luttequand elle est volontaire&|160;! Grâce au faible du Gaulois pour labravoure, Sylvest et plusieurs de ses compagnons, collés auxbarreaux du souterrain, oublièrent leur mort prochaine, intéressésmalgré eux à ce valeureux combat, applaudissant de la voix et dugeste l’adresse et l’audace. Un grand nombre de ces cavaliersfurent tués ainsi que leurs chevaux, et pas un gladiateur ne quittal’arène sans blessure. Le combat des gladiateurs à cheval terminé,les cadavres emportés hors de l’arène par les Plutons et leschevaux morts entraînés par des mules richement caparaçonnées quel’on attelait après eux, il y eut un moment de repos.

Alors de longs rugissements retentirent aufond de la voûte faisant face à celle où se trouvaient les esclavescondamnés, grillée comme la leur, et divisée en trois loges&|160;;bientôt ils virent arriver lentement, et avec de sourdsgrondements, quatre lions dans l’une des loges, trois tigres dansl’autre, et dans celle du milieu, un éléphant si énorme, que sondos touchait presque au cintre. Ces animaux, un moment éblouis parla vive lumière du cirque, n’approchèrent pas d’abord des barreauxdu souterrain&|160;; ils restèrent à demi dans l’ombre, où l’onvoyait luire leurs prunelles. Un frémissement d’effroi couru parmiles esclaves&|160;; les plus faibles, poussant des gémissementslamentables, défaillirent et se laissèrent tomber à terre en secachant la figure&|160;; d’autres éclatèrent en imprécation contreles Romains&|160;; d’autres enfin, mornes, mais résolus,paraissaient insensibles au péril.

Les buccinateurs firent retentir leursclairons&|160;; les hérauts ouvrirent les barrières de l’arène, etl’on vit entrer un grand nombre de couples de gladiateurs esclaves,offerts ou vendus par leurs maîtres pour cette fête sanglante etforcés de combattre jusqu’à la mort[76]… Tousétaient coiffés de casques de différentes formes&|160;: les uns àvisière grillée, d’autres à visière pleine seulement d’un côté outrouée de deux ouvertures&|160;; leur tablier de gladiateur,d’étoffe rouge ou blanche, attaché autour des reins par unceinturon de cuir, laissant leur corps, leurs cuisses ou leursjambes nues. Plusieurs portaient un brassard de fer au bras droitet un jambard de fer à la jambe gauche&|160;; tous avaient l’épée àla main et presque tous le bouclier au bras gauche&|160;;quelques-uns remplaçaient cette arme défensive par un filet frangéde plomb roulé autour de leur bras, et destiné à être lancé surleur adversaire, afin d’empêcher ses mouvements et de le frapperplus facilement.

L’esclavage énerve souvent les courageux etdouble la lâcheté des lâches. La plupart de ces gladiateurs forcés,loin de ressentir aucune haine les uns contre les autres étaientplutôt liés entre eux par la confraternité du malheur&|160;: lesvaleureux se révoltaient à la pensée d’employer leur vaillance audivertissement de maîtres abhorrés, et d’être réduits à lacondition de chiens de combat. Aussi, dès leur entrée dans l’arène,trois esclaves se tuèrent en s’enfonçant leur épée dans la gorgeavant que les couples fussent placés face-à-face par leshérauts&|160;; d’autres, éperdus d’effroi, jetant sabre etbouclier, pleurant à sanglots, se mirent à genoux, les mainsétendues vers les spectateurs, pour demander grâce du combat&|160;;mais ils furent couverts de huées… Parmi eux, un vieillard courutembrasser les pieds d’une des grandes statues de marbre placéesdans les niches de la muraille d’enceinte, et représentant desdivinités païennes&|160;; il semblait se mettre sous sa protection…Mais, à un des signes des édiles, les Mercures, retirant du brasierleurs longues tiges d’airain, en menacèrent le vieillard et lesesclaves agenouillés… Ainsi placés entre la crainte de ceshorribles brûlures et la crainte d’un combat à mort, ils serésignèrent à la lutte… Elle commença&|160;: les uns combattirentavec la furie du désespoir, heureux de trouver dans la mort la finde leurs misères&|160;; d’autres, à la première blessure,s’agenouillèrent et, hâtés d’en finir, tendirent la gorge à leuradversaire, forcé de les tuer (en attendant qu’il fût tuélui-même), aux grands applaudissements du public… Ceux-ci, couvertsde blessures, se traînant à peine, levaient, selon l’usage, lapaume de la main gauche vers les spectateurs, pour demander grâcede la vie, oubliant que les seuls gladiateurs de profession avaientce droit, et que tout esclave entrant dans l’arène n’en sortait quemort, tué par l’épée ou la tête broyée sous le marteau des Plutons.Plusieurs, enfin, grièvement blessés, feignirent d’être morts. L’unde ceux-ci, jeune et vigoureux esclave, avait vaillammentcombattu&|160;: son corps était criblé de blessures&|160;; audernier choc, il tomba non loin des barreaux de la voûte où setrouvait Sylvest. Lui-même crut cet esclave mort&|160;: les membresroidis, la tête couverte de son casque à visière baissée renverséesur le sable, il restait immobile… Un des Mercures l’aperçut,s’approcha de lui armé de sa longue tige d’airain rouge comme uncharbon ardent, et en sillonna une des plaies de l’esclave… Lachair vive grésilla, fuma… le corps resta sans mouvement malgrécette torture… Le Mercure le crut mort&|160;; il s’éloigna… mais,se ravisant, il revint, plongea sa tige d’airain à travers l’un desdeux trous de la visière du casque du gladiateur… Sans doute le ferbrûlant et aigu pénétra dans l’œil, car l’esclave, vaincu cettefois par la douleur, se releva d’un bond en poussant des hurlementsqui n’avaient rien d’humain, fit quelques pas et retomba&|160;;aussitôt deux Plutons accoururent vers lui, et, frappant de leurslourds marteaux sur ce casque comme sur une enclume, ils broyèrenttellement cette tête, que Sylvest vit jaillir, à travers lescassures de la visière, un mélange sans nom de chair, de sang, decervelle et de petits morceaux d’ossements.

À cet horrible spectacle, qui couronnait cetteboucherie, Sylvest ne put se contenir&|160;: d’une voix éclatante,il chanta ce refrain des bardes gaulois à la réunion nocturne desEnfants du Gui&|160;:

–&|160;Oh&|160;!… coule… coule… sang ducaptif&|160;! – Tombe, tombe, rosée sanglante&|160;!… – Germe,grandis, moisson vengeresse&|160;!…

Parmi les condamnés, Sylvest n’était pas leseul Enfant du Gui&|160;; bientôt d’autres voix que lasienne répétèrent avec lui, à la sinistre cadence des chaînessecouées avec fureur&|160;:

–&|160;Oh&|160;!… coule… coule… sang ducaptif&|160;! – Tombe, tombe, rosée sanglante&|160;!… – Germe,grandis, moisson vengeresse&|160;!…

Ces chants de mort furent couverts par ungrand tumulte&|160;: l’arène était jonchée de cadavres et demourants&|160;; pas un des combattants n’était debout. Soudain onentendit crier par les hérauts&|160;:

–&|160;Les malades&|160;!… lesmédecins&|160;!…

Et aussitôt se précipitèrent dans le cirque ungrand nombre de vieillards débiles, richement vêtus, les unssoutenus par des esclaves, d’autres s’appuyant sur des cannes. Il yavait aussi parmi ces malades des hommes mûrs et des jeunesgens&|160;; tous s’agenouillèrent ou s’accroupirent auprès de cesmourants, et chaque malade, appliquant sa bouche avide auxblessures, pompa le sang encore tiède qui s’en échappait&|160;: lesuns cherchaient dans ce sang le ravivement de leurs forcesépuisées, les autres la guérison de l’épilepsie[77]. Çàet là, des médecins, armés d’instruments tranchants, éventraientles morts encore chauds et en retiraient lesfoies[78], dont ils se servaient commeremèdes. Les médecins pourvus, les riches malades rassasiés desang, les Plutons achevèrent à coups de marteau les esclaves encoresurvivants, et, aidés par les Mercures, ils emportèrent lescadavres, pendant que les servants de l’amphithéâtre, au moyen delongs râteaux, mêlaient au sable le sang de l’arène…

À ce moment, les bêtes féroces, de plus enplus animées par la vue de ce long carnage ainsi que par la chaudeet forte odeur du sang, ont redoublé de rugissements, bondissantavec furie dans leurs cages dont elles ébranlaient les barreauxavec leurs pattes énormes. À ces rugissements des animaux dont ilsallaient être la proie, Sylvest et les esclaves gaulois ont répondupar ce refrain des bardes en secouant leurs chaînes&|160;:

–&|160;Coule… coule… sang ducaptif&|160;!– Tombe, tombe, roséesanglante&|160;!… – Germe, grandis, moissonvengeresse&|160;!…

Il y eut alors un entracte à la fêteromaine.

Pendant cette interruption, Sylvest et lesesclaves jetèrent les yeux sur le seigneur Diavole et sur sesamis&|160;; tous continuaient de se montrer joyeux et animés.Diavole avait été l’un des plus obstinés à refuser la vie, même auxgladiateurs libres qui, blessés, demandaient grâce aux spectateursd’un geste suppliant.

Cependant, Sylvest remarqua que, sans doutegrâce aux lents et sûrs effets du poison de Quatre-Épices, la viverougeur du visage de son maître, excité par le vin et par la vue decette fête sanglante, commençait à s’effacer, surtout au front, aunez, au menton, qui devenaient d’un blanc de cire. La mêmealtération s’observait sur les traits des autres jeunesseigneurs&|160;; ceux-ci, d’ailleurs, ne se montraient ni moinsbruyants ni moins gais que Diavole&|160;; car, la comédie ayantpour quelques instants succédé à la tragédie, tous accueillirentavec de grands éclats de rire l’apparition de leur ami Norbiac,qu’un faux pas avait fait trébucher à son entrée dans l’arène.

Ce Gaulois, ridicule et lâche, objet desrailleries de tous par sa suffisance et sa sottise, ayant ouï direqu’à Rome les seigneurs à la mode combattaient parfois engladiateurs, voulait, par vanité, les imiter. Coiffé d’un casqued’acier ayant pour cimier une chimère dorée d’une hauteurdémesurée, sa visière baissée ne laissait pas voir sonvisage&|160;; il s’était prudemment bardé de fer&|160;: haussecol,cuirasse, brassards, gantelets, cuissards, jambards, bottines àécailles de fer&|160;; on aurait dit une tortue dans sacarapace&|160;; ployé sous le poids de cette lourde armure, ilmarchait difficilement, et portait de plus un complet arsenal, sansparler de son bouclier doré ayant pour emblème un lion peint devives couleurs tenant dans sa patte droite une devise où l’onvoyait écrit en grosses lettres le nom de Siomara. N’ayant pasrenoncé à son amour pour la belle Gauloise, il espérait sans doutela toucher en faisant montre de courage dans ce spectacle où elledevait aussi combattre.

Norbiac tenait à la main une longue épée, etavait à sa ceinture, d’un côté un poignard, de l’autre une hached’armes et une masse à pointes aiguës. À peine se fut-il remis del’ébranlement causé par son faux pas, que l’on s’aperçut, àl’embarras et à l’hésitation de sa marche, que les trous de savisière, percés trop bas sans doute, pouvaient à peine lui servir àse conduire, car il essaya deux ou trois fois, mais en vain, derehausser cette visière, au bruit des rires de la foule.

L’esclave destiné à combattre Norbiac étaitentré par l’autre porte de l’arène&|160;: sauf son tablier degladiateur, aucun vêtement, aucune armure ne le couvrait&|160;;pour seule défense, il tenait à la main un large sabre defer-blanc, véritable jouet d’enfant, et paraissait d’ailleursjeune, agile et vigoureux. Le héraut d’armes et les buccinateursdonnèrent le signal de l’attaque… Norbiac, couvrant de son bouclierson corps déjà défendu par son épaisse cuirasse, fit tournoyer salongue épée autour de lui, se tenant sur la défensive. L’esclave,armé d’un glaive inutile, restait hors de portée des coups de sonadversaire, attendant, pour l’étreindre corps à corps, que Norbiac,peu familier au maniement d’une pesante épée, eût le bras lassé. Eneffet, déjà le tournoiement du glaive se ralentissait, et, detoutes parts, surtout des gradins supérieurs, on entendait deshuées, des quolibets&|160;:

–&|160;Ce moulin-à-bras va s’arrêter&|160;!criaient les uns.

–&|160;Il faut que la mécanique qui faitmouvoir ce mannequin de fer soit détraquée, disaient lesautres.

Et les esclaves gaulois, du fond de leursouterrain, applaudissaient aux mépris et aux injures dont onpoursuivait ce lâche parjure… ce stupide imitateur des Romains…Mais les édiles, ne pouvant souffrir qu’un riche seigneur servîtplus longtemps de risée à la foule, firent signe à l’un desMercures de l’arène. Aussitôt celui-ci, retirant de la fournaiseune des tiges d’airain brûlant, en piqua le dos de l’esclave,jusqu’alors toujours hors de portée de l’épée de Norbiac. Lasurprise et la douleur de la brûlure firent faire à l’esclave unbond en avant&|160;; il se jeta malgré lui sur l’épée de sonadversaire, et reçut ainsi à la figure et à la poitrine deux largesblessures. Abandonnant alors son sabre de fer-blanc, il seprécipita sur son adversaire couvert d’acier, le renversa sous lui,arracha de sa ceinture sa masse de fer, et commença de marteler lecasque de Norbiac, qui poussait des cris perçants et appelait àl’aide, au grand contentement de la foule. Mais les forces del’esclave se perdant avec le sang de ses deux larges blessures, ilralentit bientôt ses coups, laissa échapper la masse de fer, élevasa main défaillante pour demander grâce de la vie, et tomba près deNorbiac, dont les cris aigus s’étaient changés en gémissementslamentables, et qui essayait de se relever.

Les spectateurs des gradins supérieurs,quoique l’esclave fût d’avance destiné à périr selon la coutume,crièrent&|160;:

–&|160;La vie à l’esclave&|160;! grâce&|160;!grâce&|160;!…

Mais les spectateurs de la galerie et desgradins voisins, ainsi que Diavole et ses amis, trouvant d’unfâcheux exemple, quoique les premiers ils eussent ri de Norbiac,d’accorder la vie à un esclave qui venait de si rudement martelerson maître, demandèrent la mort, et, sur un signe de l’édile, undes Plutons brisa la tête du blessé. À ce moment, Norbiac,parvenant enfin à se relever, et trouvant des forces dans soneffroi, se mit à courir çà et là devant lui, malgré le poids de sonarmure, étendant les mains au hasard comme quelqu’un dont les yeuxsont bandés. Il tomba ainsi entre les bras d’un des hérauts, qui leconduisit hors de l’arène au milieu des huées universelles…

L’arène restant vide un moment, l’esclave, amide Quatre-Épices, dit à Sylvest et à ses compagnons&|160;:

–&|160;Voyez donc le Diavole et ses amis…comme leur pâleur augmente et devient verdâtre&|160;; on dirait queleurs yeux se renfoncent dans l’ombre de leur orbite, qui vatoujours se creusant&|160;!… Courroux du ciel&|160;!… le poison deQuatre-Épices est d’un effet certain&|160;; mais ces joyeuxseigneurs n’éprouvent encore sans doute aucune douleur&|160;!Cependant, voici l’un d’eux qui porte la main à son front&|160;; satête alourdie semble lui peser…

–&|160;Et cet autre… qui vient de se rasseoiren cachant ses yeux comme s’il était ébloui ou étourdi&|160;?

Un grand frémissement se fit alors dans lafoule&|160;; les noms de Faustine et de Siomara, circulant danstoutes les bouches, arrivèrent jusqu’aux oreilles de Sylvest, commes’ils eussent été prononcés par une seule et grande voix composéede ces milliers de voix&|160;!

Hélas&|160;! Siomara lui inspirait autantd’horreur que d’épouvante&|160;; mais, en ce moment, suprême… où ilallait entrevoir sa sœur pour la dernière fois… il oublia lacourtisane, la magicienne, il ne se souvint plus que de l’innocenteenfant d’autrefois, la douce compagne de sa premièrejeunesse&|160;!

Les buccinateurs sonnèrent une fanfare&|160;;tous les spectateurs se levèrent et se penchèrent avidement versl’arène, s’écriant d’une voix palpitante d’impatience et decuriosité&|160;:

–&|160;Les voilà&|160;!… les voilà&|160;!…

Un instant cette attente fut trompée… cettefanfare n’annonçait pas encore l’entrée de Siomara et celle deFaustine, mais Mont-Liban, qui les précédait, non pour se battre àmort avec le célèbre Bibrix, car il était seul, et le combat desdeux gladiateurs ne devait avoir lieu qu’après celui de lacourtisane et de la grande dame… Que venait faire Mont-Liban dansle cirque, lui peut-être la cause de cette rivalité qui allait sedénouer par la mort de l’une de ces deux femmes&|160;? Le géant seprésenta d’un air fanfaron dans l’arène, au milieud’applaudissements et de cris d’enthousiasme. Sauf son tablier degladiateur, un jambard de fer à sa jambe gauche et un brassard defer à son bras droit, son corps, velu comme celui d’un ours,athlétique comme celui de l’Hercule païen, était nu et frottéd’huile&|160;; par un raffinement d’orgueil, ses nombreusescicatrices étaient peintes de vermillon, comme pour rehausser leuréclat aux yeux des spectateurs. Un casque d’acier poli sans visière– il dédaignait cette défense – retenait sa tête énorme. Son poinggauche sur la hanche et tenant de sa main droite deux épéescourtes, il fit le tour de l’arène, jetant des regards effrontéssur les nobles dames de la galerie, pendant que des grandesimpudiques, agitant leurs mouchoirs, criaient avecardeur&|160;:

–&|160;Salut… salut à Mont-Liban&|160;!… salutau vainqueur des vainqueurs&|160;!…

Mais les fanfares des buccinateurs résonnèrentde nouveau… et la foule cria cette fois avec vérité&|160;:

–&|160;Les voilà&|160;! les voilà&|160;!…

C’étaient elles…

C’étaient Faustine et Siomara se présentantdans l’arène, l’une par la porte du nord, l’autre par la porte dumidi…

Hommes, femmes, tous, jusqu’aux édiles, selevèrent de nouveau, et bientôt un profond silence régna dans cettefoule immense…

La noble dame et la courtisane s’avancèrent,calmes, résolues, le front haut, le regard assuré, bravant tous lesyeux&|160;; depuis longtemps elles ne connaissaient plus laretenue, la pudeur ou la honte&|160;!

Faustine portait le casque léger de la Minervepaïenne, orné d’une touffe de légères plumes écarlates&|160;; sacourte visière découvrait son hardi et pâle visage aux yeux noirs,aux lèvres rouges, encadré de deux grosses tresses de cheveuxd’ébène tressés de perles qui se perdaient sous les oreillères ducasque… Elle avait pour cuirasse une simple résille d’or à largesmailles laissant voir le blanc mat de la peau, emprisonnant cecorps souple et nerveux depuis la naissance des bras et du seinjusqu’aux hanches, serrées dans un étroit ceinturon d’or enrichi depierreries, et où se rattachait sa tunique de soie écarlate coupéebien au-dessus du genou, nu comme la jambe. Des bottines formées depetites écailles d’or flexibles montaient jusqu’à sa cheville,emboîtaient le cou-de-pied et ne laissaient voir que l’extrémité desa petite sandale de maroquin, aussi brodée de pierreries.

Si d’horribles débauches et l’expressionhabituelle des plus féroces passions n’eussent pas empreint lestraits de ce monstre d’un caractère révoltant de sanguinaire etlubrique audace, elle eût paru belle d’une beauté sinistre&|160;;car ardent était son regard… et fier était son front au moment dece combat à mort&|160;!

Siomara, par son armure, par sa beautéresplendissante, car ses traits, à la stupeur profonde de Sylvest,conservaient en ce moment, comme toujours, leur sérénité candide,Siomara offrait un contraste frappant avec Faustine.

Son casque grec, d’argent ciselé, orné d’unetouffe de légères plumes bleues, découvrait entièrement son visageenchanteur… Ses cheveux blonds, à demi-coupés depuis peu, tombaienten nombreuses boucles flottantes autour de ses joues et de son coud’ivoire… Son corps de nymphe était, comme celui de Faustine,emprisonné dans une résille à mailles d’argent laissant voir lerose animée de l’épiderme&|160;; son étroite ceinture d’argent, sacourte tunique d’un bleu céleste brodée de perles, ses bottines àécailles d’argent, étaient pareilles pour la forme à celles deFaustine.

L’expression du visage de Siomara n’était pasfière, impudique et sombre comme la physionomie de sa rivale… Non…ses grands yeux, doux comme son sourire, semblaient annoncer uneconfiance tranquille&|160;; aussi, voyant sa sœur d’une beauté siradieuse sous son casque de guerrière, Sylvest se demandait encorepar quel continuel prodige l’enfant élevé par Trimalcion, lacélèbre courtisane, la magicienne empoisonneuse, la hideuse etsacrilège profanatrice des tombeaux, conservait ces dehors ingénuset charmants&|160;?

Les deux femmes avaient lentement traversél’arène pour se joindre à l’endroit où les attendait Mont-Liban,tenant les courtes épées. Le plancher à claire-voie recouvrant lebassin du crocodile, et occupant le milieu du cirque, n’ayant sansdoute pas paru une place propice au combat, le gladiateur avaitchoisi un endroit si voisin de la voûte grillée où les esclavesattendaient la mort que, Faustine et Siomara s’étant rapprochées deMont-Liban, Sylvest était à peine éloigné de sa sœur de quelquespas. Cédant à un mouvement involontaire, il se rejeta dans l’ombrede la voûte, afin d’échapper aux regards de Siomara&|160;; mais unmélange de tendresse, d’épouvante et de curiosité terrible leramena bientôt devant la grille. Une puissance au-dessus de lavolonté le retenait là&|160;; il put ainsi observer attentivementla figure de Mont-Liban. À ses airs de brutalité fanfaronne eteffrontée avait succédé une émotion visible. Pâle, troublé, uneépée dans chaque main, de la gauche il offrait une arme à Faustine,et de la droite une arme à Siomara&|160;; mais ses mainstremblèrent si fort au moment où les deux femmes s’apprêtaient àprendre les épées qu’il leur tendait, que ce tremblement etl’angoisse croissante du gladiateur n’échappèrent pas àFaustine&|160;; elle jeta sur lui un de ses profonds et noirsregards, réfléchit un instant&|160;; puis, écartant du geste l’épéequi lui était offerte, elle voulut prendre l’autre.

–&|160;Non&|160;! dit Mont-Liban en reculantpresque effaré d’un pas en arrière, non… pas celle-ci.

–&|160;Pourquoi non&|160;? demanda Faustined’un air de sombre défiance.

–&|160;Parce que, juge du combat, balbutia legéant, il m’appartient de donner les armes…

Tout-à-coup, Siomara, inattentive à ce débat,car, avant qu’il eût commencé, les yeux tournés vers le souterraindes esclaves, elle y attachait ses regards avec une anxiétécroissante&|160;; tout-à-coup, Siomara reconnut Sylvest, s’élançavers la grille, et saisissant de ses mains les mains de l’esclaveattachées aux barreaux, elle s’écria en gaulois d’une voixtrès-émue et de grosses larmes dans les yeux&|160;:

–&|160;Toi, frère&|160;!… toi condamné&|160;!…toi ici&|160;!…

–&|160;Oui… je vais mourir… Fassent les Dieuxque tu meures aussi&|160;! et, avant ce soir, nous aurons rejointceux des nôtres qui nous ont précédés dans les mondes inconnus…Puissent Hésus et nos parents te pardonner comme je tepardonne&|160;!…

–&|160;Confiante en ta promesse, jet’attendais… Ah&|160;! malheur à moi d’avoir cru ta parole&|160;!…tu serais libre à cette heure&|160;!…

–&|160;C’est pour fuir cette liberté honteuseque j’ai voulu mourir.

Siomara, d’abord émue et effrayée, redevintsouriante, presque joyeuse, et dit à son frère&|160;:

–&|160;Écoute… approche ton oreille…

Il obéit machinalement, et elle lui dit toutbas&|160;:

–&|160;Frère, tu ne mourras pas… Faustine, parun sortilège, va tomber sous mes coups… Diavole est là… il peutd’un mot t’arracher au supplice… Ce mot, il va me dire… après lamort de Faustine… Courage, frère… ce soir nous souperons ensemble,et tu seras libre&|160;!

Puis Siomara, de plus en plus souriante, fitun signe d’intelligence à son frère, lui envoya du bout des doigtsun baiser d’adieu, et courut rejoindre Faustine et Mont-Liban, aubruit d’un murmure de surprise causé dans l’amphithéâtre par cecourt entretien de la belle Gauloise avec un esclave condamné.

Lorsque Siomara revint près de Mont-Liban,celui-ci de plus en plus pâle et troublé, ne tenait plus qu’uneépée à la main&|160;; sa figure stupide peignait à la foisl’embarras, la douleur et l’effroi…

–&|160;Mon épée…, lui dit Siomara.

Le gladiateur parut faire un violent effortsur lui-même, et, malgré un geste de Faustine bref et menaçant, ilrepoussa du geste la main de la Gauloise étendue vers l’épée, etlui dit d’une voix altérée&|160;:

–&|160;Pas cette épée… Non… non… pas cetteépée…

Et, de son œil unique, il tâcha de se fairecomprendre de la courtisane&|160;; mais celle-ci, préoccupée d’uneautre pensée, ne remarqua pas les signes du gladiateur et se tournadu côté de la galerie où se trouvait Diavole. Alors, le saluant dugeste et du regard, elle arracha une des légères plumes bleues deson casque d’argent, la prit entre ses deux doigts, approcha cetteplume de ses lèvres roses, puis d’un souffle gracieux la lança endirection de la galerie, en disant à haute voix&|160;:

–&|160;À toi, beau Diavole&|160;!

Ensuite elle jeta à la dérobée un regard versson frère.

Sylvest comprit alors, en frémissant, que sasœur donnait à Diavole les arrhes d’un marché infâme, dont saliberté, à lui, serait le prix&|160;; car, ainsi que l’avait ditSiomara, tout maître, jusqu’au dernier moment, pouvait arracher sonesclave au supplice… Faustine tuée, la belle courtisane irait,pendant le combat de Mont-Liban et de Bibrix, demander à Diavole laliberté pour Sylvest… Elle obtiendrait cette grâce par une promessehonteuse, et l’on reviendrait retirer du souterrain lecondamné.

Pendant que l’esclave se désespérait à cettepensée – il préférait la mort à une telle délivrance – tous lesregards se tournaient vers Diavole&|160;; un murmure d’envie avaitcirculé parmi les jeunes seigneurs à l’appel provoquant de la belleGauloise, jusqu’alors dédaigneuse de tous les hommages. Diavoleétait devenu, ainsi que la plupart de ses compagnons de table,d’une pâleur verdâtre… Mais, soit qu’il n’éprouvât pas encore lesatteintes du poison, soit qu’enivré d’orgueil par la flatteuseprovocation de la célèbre courtisane, il oubliât les premiersressentiments de la douleur, il se pencha radieux au-dessus de labalustrade, jeta dans l’arène le bouquet de roses qu’il tenait à lamain, après l’avoir passionnément pressé de ses lèvres, ets’écria&|160;:

–&|160;Victoire et amour à la belleGauloise&|160;!

La courtisane ramassa le bouquet, l’approchade ses lèvres à son tour, puis le plaçant au pied d’une desgigantesques statues de marbre qui décoraient les niches profondesdu mur d’enceinte de l’arène, elle jeta un dernier regard à sonfrère, revint auprès de Mont-Liban, et lui ditimpatiemment&|160;:

–&|160;Mon épée… mon épée&|160;!

Le gladiateur, cette fois, ne refusa pasl’arme à la courtisane.

Il lui mit au contraire l’épée dans la mainavec un affreux sourire.

Sylvest devina tout… il avait été témoin desprotestations d’amour de Mont-Liban pour Siomara&|160;: mais, dumoment où, dans l’espoir d’obtenir la liberté de l’esclave, elleeut si impudiquement provoqué Diavole, les traits de Mont-Liban,d’abord aussi troublés qu’attendris, devinrent soudain effrayantsde jalousie et de férocité&|160;; tandis que Faustine, immobilecomme un spectre, son poing gauche sur la hanche, la pointe de sonépée appuyée sur le bout de sa sandale, souriait d’un air detriomphe sinistre…

Plus de doute pour Sylvest&|160;: un des deuxglaives offerts par le gladiateur était enchanté, grâce auxmaléfices de Siomara… D’accord avec elle, Mont-Liban connaissaitl’arme magique… Mais son trouble éclairant Faustine, elle avaitrefusé l’épée qu’il lui offrait, pour prendre l’autre presquemalgré lui. Autant ce choix avait d’abord épouvanté le gladiateurpour Siomara, autant il devait s’en réjouir, à cette heure que sonamour pour la courtisane se changeait en haine furieuse parjalousie de Diavole.

À peine Siomora eut-elle pris l’épée, qu’àdemi-voix elle dit à Faustine&|160;:

–&|160;Es-tu prête&|160;?

–&|160;Je suis prête, répondit la grande damequi ajouta à demi-voix, mais assez haut pour que Sylvestl’entendit&|160;:

–&|160;Tu te rappelles nosconditions&|160;?

–&|160;Oui.

–&|160;À moi Mont-Liban si je te tue… À toi situ me tues&|160;!

–&|160;Oui…

–&|160;Morte ou vive, tu m’appartiendras,Siomara, si tu ne peux continuer le combat après une premièreblessure.

–&|160;Et si je te tue, Faustine, nulle autreque moi n’entrera dans ton tombeau pour la veillée demort&|160;?

–&|160;Non… j’en ai donné l’ordre, et je t’airemis les clefs du sépulcre de ma famille.

–&|160;Allons, noble Faustine…

–&|160;Allons, belle Siomara…

Et, sur un signe de Mont-Liban, les deuxjeunes femmes se précipitèrent l’une sur l’autre, l’arme haute,Siomara toujours souriante et comme certaine de son triomphe,Faustine le regard implacable, mais confiante aussi, car au premierchoc des épées, celle de la courtisane se rompit entre ses mains auras de la poignée.

À ce moment, Sylvest ne put retenir uncri&|160;; il vit la grande dame, poussant un éclat de rire féroce,plonger son épée dans le flanc de Siomara en s’écriant&|160;:

–&|160;À toi… la fausse sorcière deThessalie&|160;!

La blessure était grave, mortelle peut-être.La courtisane abandonna la poignée de son arme, tomba sur lesgenoux, jeta un dernier regard vers Sylvest, et cria d’une voixdéfaillante&|160;:

–&|160;Pauvre frère&|160;!

Puis elle roula renversée sur le sable, tandisque son casque, se détachant, laissait nue sa tête blonde, et quele sang, coulant à flots de sa blessure, rougissait les maillesd’argent de la résille qui lui servait de cuirasse.

Faustine, rugissant de joie, se précipita sursa rivale comme une tigresse sur sa proie, et, la fureur, la hainedoublant ses forces, elle l’enlaça de ses bras frêles et nerveux,la souleva de terre, l’emporta comme elle eût emporté un enfant, enjetant d’une voix éclatante ces derniers mots augladiateur&|160;:

–&|160;Mont-Liban, je vais t’attendre autemple du canal&|160;!

Et Faustine disparut avec sa victime dansl’ombre de la voûte du nord, au milieu des acclamations frénétiquesdes spectateurs.

Cela s’était passé si rapidement, que Sylvestse crut le jouet d’un songe&|160;; il éprouva une sorte de vertige,dont il fut tiré par le bruit des chaînes que les guichetiers etdes soldats armés ôtaient à ses compagnons&|160;; l’heure étaitvenue de déferrer les condamnés aux bêtes féroces, dont lesgrondements redoublaient.

Sylvest, immobile auprès de la grille,regardait sans voir. Deux guichetiers le saisirent et firent tomberses chaînes. Alors, pleurant malgré lui la mort de sa sœur,quoiqu’il eût désiré cette mort, il s’assit sur les dalles dusouterrain, sa tête cachée dans ses deux mains, indifférent à cequi se passait dans l’arène, où combattaient alors Bibrix etMont-Liban. De temps à autre, de grandes rumeurs annonçaient lesdifférentes chances du combat.

–&|160;Courage, Mont-Liban&|160;! criaient lesuns, courage&|160;!

–&|160;Courage, Bibrix&|160;! criaient lesautres, courage&|160;!

Puis enfin, au bout d’un assez long temps, uneimmense clameur de&|160;: Victoire à Bibrix&|160;! fittrembler les murailles de l’amphithéâtre.

Mont-Liban venait de succomber dans cettelutte à mort…

Tout-à-coup Sylvest fut violemment heurté etfoulé aux pieds par ses compagnons qui fuyaient pêle-mêle. Serelevant, non sans peine, pour n’être pas écrasé par eux, il vitdans l’ombre, et du fond de la voûte, s’approcher rapidement unesorte de muraille ardente de la hauteur d’un homme, barrant toutela largeur du souterrain.

Cette immense plaque de bronze, rougie au feusur des brasiers roulants, chassait devant elle les condamnés. Lagrille qui les avait jusqu’alors séparés du cirque s’était enfoncéeau-dessous du sol en glissant dans une rainure&|160;; de sorte queces malheureux, refoulés par la plaque ardente, ne pouvaientéchapper à d’horribles brûlures qu’en se précipitant dans l’arèneoù bondissaient les bêtes féroces, et d’où Plutons, Mercures,hérauts et buccinateurs venaient de disparaître, après avoiremporté le cadavre de Mont-Liban, et fermé, au moyen de portesgarnies de barreaux de fer, les deux entrées du nord et dumidi.

Le moment du supplice arrivé, Sylvest résolutde mourir vaillamment avec ses compagnons, et s’écria&|160;:

–&|160;Enfants du Gui&|160;!voulez-vous mourir en dignes fils de la vieille Gaule&|160;?

–&|160;Oui… oui, répondirent de nombreusesvoix.

–&|160;Frères, répétez comme moi en face de lamort&|160;:

–&|160;«&|160;Coule… coule, sangdu captif&|160;!… – Tombe… tombe, roséesanglante&|160;!… – Germe… grandis, moissonvengeresse&|160;!…&|160;»

Et les Enfants du Gui, ainsi que lesautres esclaves gaulois, ayant Sylvest à leur tête, seprécipitèrent dans l’arène en chantant dans leur langue natale etd’une voix retentissante ce refrain du barde…

Ces chants éclatants, l’apparition de cettetroupe d’hommes, étonnèrent d’abord les animaux… Profitant de leurhésitation et se souvenant des conseils du guichetier, Sylvest,voyant à quelques pas de lui l’éléphant acculé à l’une des nichesdu mur d’enceinte ornées de grandes statues de marbre, donna unedernière pensée à sa femme Loyse, et aussi à Siomara, courut droità l’éléphant, et, dans l’espoir d’être bientôt piétiné, écrasé parlui, se jeta à plat ventre, rampa sous l’animal énorme, afind’embrasser de ses deux bras un de ses pieds monstrueux.

À cet instant s’élevèrent, du côté de lagalerie où se tenaient Diavole et ses amis, des cris d’abordvoilés, puis de plus en plus lamentables, parmi lesquels ildistingua la voix de son maître… À ces cris se joignit un tumulteextraordinaire dans l’amphithéâtre&|160;; aussitôt une penséetraversa comme l’éclair l’esprit de Sylvest… pensée lâche, ill’avoue, car il voulait tenter d’échapper au supplice que sescompagnons allaient subir&|160;; mais cette pensée lui venait avecle souvenir de sa femme et de son enfant…

Les yeux de tous les spectateurs, au lieud’être tournés vers l’arène, devaient en ce moment être attachéssur Diavole et ses amis, alors sans doute expirants, par laviolence du poison, aux regards de la foule étonnée&|160;; le corpsimmense de l’éléphant, acculé à l’une des niches du mur, la cachaiten partie&|160;; à tout hasard, et au risque d’être découvert plustard, Sylvest, après s’être glissé sous le ventre de l’éléphant, aulieu de saisir une de ses jambes de derrière, passa entre elles,monta sur le soubassement de la niche, et parvint à se blottirderrière une statue de marbre deux fois haute comme lui, et, parbonheur, représentant une femme amplement drapée…

À peine fut-il caché là, que les rumeurs del’amphithéâtre s’apaisèrent et qu’il entendit ces mots&|160;:

–&|160;Voici les médecins… Emportez cesmourants&|160;; leur agonie interrompt la fête…

Sans doute on transporta hors de la galerieDiavole et ses amis expirants, car peu à peu le silence serétablit, silence bientôt troublé par le rugissement croissant desbêtes féroces, revenues de leur première surprise… Le carnagecommença&|160;: au milieu des grondements des animaux, des cris dedouleur de quelques esclaves déjà tombés sous la dent des tigres etdes lions, des imprécations des victimes non encore atteintes, dontquelques-unes, folles de terreur, demandaient grâce aux animauxfurieux… çà et là retentissait encore la voix éclatante desEnfants du Gui, chantant jusque sous l’ongle des bêtesféroces&|160;:

–&|160;Coule… coule… sang ducaptif&|160;!… – Tombe… tombe, roséesanglante&|160;!… – Germe… grandis, moissonvengeresse&|160;!…

De temps à autre, du fond de sa cachette, quene masquait plus la masse de l’éléphant, alors au milieu del’arène, Sylvest voyait bondir un tigre ou un lion à la poursuited’un esclave, qu’ils abattaient en le saisissant entre leurs pattesdont les griffes faisaient aussitôt jaillir des jets de sang ens’enfonçant dans les chairs&|160;; puis, accroupis ou allongés surleur proie, ils la dévoraient ou la mettaient en lambeaux…

Sylvest vit, entre autres, horriblesouvenir&|160;! un lion énorme, fauve, à crinière presque noire, seprécipiter sur le gaulois ami de Quatre-Épices… Afin de mourir plusvite, ce malheureux s’était jeté à genoux&|160;! seulement, dansson épouvante, il cachait sa figure entre ses deux mains pour nepas voir le monstre… Le lion, d’un coup de patte sur le haut ducrâne, le jeta la face contre terre et l’y contint&|160;; puis, luiplantant les ongles de son autre patte dans les reins, il l’attiratransversalement à lui, et, le maintenant ainsi, il ne se hâta pasde le dévorer… Haletant, essoufflé, il s’étendit de toute salongueur le ventre sur le sable, et appuya pendant un instant surle corps de l’esclave sa tête monstrueuse, dont la gueule béante etla langue pendante ruisselaient d’une écume ensanglantée… Legaulois n’était pas mort&|160;; il poussait des crisinarticulés&|160;; ses bras, ses jambes s’agitaient et battaient lesol&|160;; aux contorsions de tout son corps, on voyait qu’ils’efforçait, mais en vain, d’échapper à une torture atroce… Soudainla crinière du lion se hérissa&|160;; il fouetta le sable à grandscoups de queue&|160;; sa large croupe se releva, quoiqu’il tînttoujours le Gaulois sous ses pattes de devant&|160;; puis, baissantbrusquement la tête, il mordit sa proie au milieu de l’échine, et,tout en la broyant sous ses crocs, il poussa des grondementsirrités… Un tigre moucheté de jaune et de noir, aussi énorme que lelion, venait lui disputer sa victime… Le lion, sans démordre,levant la patte dont les ongles avaient jusqu’alors labouré lecrâne de l’esclave, les enfonça dans le mufle du tigre… Celui-ci,malgré cette blessure, ouvrit la gueule, saisit entre ses dents latête du Gaulois que le lion contenait de son autre patte, et, lacroupe haute, le mufle abaissé, s’arc-boutant sur ses pattes dedevant, le tigre tira violemment cette tête à lui en rugissant,tandis que le lion, ne démordant pas le milieu du corps, oùs’enfonçaient ses crocs, tirait de son côté… Tous deux,d’accroupis, se levèrent pour finir de s’entr’arracher ce corps.L’esclave n’avait pas encore cessé de vivre… Soulevé de terre parles deux bêtes féroces qui se le disputaient, il roidissait encoreconvulsivement de temps à autre ses jambes et ses bras… La masseénorme de l’éléphant vint cacher à Sylvest cet épouvantabledépècement…

L’éléphant furieux tenait enlacé dans lesreplis de sa trompe un jeune esclave, un enfant âgé de quinze ansau plus, qui se tordait dans les airs en poussant des crishorribles. Par deux fois l’éléphant, dans sa rage, battitviolemment de ce pauvre corps meurtri, presque disloqué, lamuraille d’enceinte&|160;; et lorsqu’il eut ainsi brisé ces membrespalpitants, il jeta l’enfant sous ses pieds, tâcha de letranspercer de ses défenses, et finit par le piétiner avecemportement. En s’acharnant ainsi sur ces restes sanglants qui neformaient plus qu’une espèce de boue de chair humaine, il recula etheurta d’une de ses jambes de derrière un esclave fuyant un tigre,et qui, à ce moment, passait entre la croupe de l’éléphant et lebassin du crocodile. Du choc, l’esclave fut, comme d’autresl’avaient été avant lui au milieu de leur fuite éperdue, précipitédans la cuve limoneuse du reptile&|160;; aussitôt Sylvest entenditles hurlements de l’infortuné que coupaient en morceaux les dentsde scie du crocodile.

Ce carnage a duré jusqu’à ce que les esclaveslivrés aux bêtes ne fussent plus que des ossements à demi-rongés oudes débris sans nom et sans forme…

Pendant toute la durée, cette fête romaine futaccompagnée des cris, des acclamations de la foule, devenue ivre àce spectacle de massacre…

Enfin les flambeaux usés, prêts à s’éteindre,ne jetèrent plus que des clartés vacillantes&|160;: lions ettigres, gorgés de chair humaine, alourdis et silencieux, vautraientleurs grands corps sur la boue sanglante de l’arène, bâillaient,soufflaient ou léchaient leurs pattes énormes, qu’ils passaientensuite sur leur mufle rougi.

Sylvest entendit le murmure de plus en pluslointain de la foule quittant le cirque…

Bientôt, par les entrées du nord et du midi, àla lueur des flambeaux expirants, apparurent les esclavesbestiaires, revêtus d’épaisses armures de fer à l’éprouve de lamorsure des animaux&|160;; ils étaient armés de longs tridentssortant rouges de la fournaise. Les animaux, fatigués, repus,habitués à la voix des bestiaires, et surtout effrayés des piqûresdes tridents, furent poussés sous la voûte dans les trois couloirscorrespondant à leurs cages&|160;; puis, au moyen d’une rouetournée par les servants du cirque, les grilles remontèrent de leurrainure souterraine&|160;; la voûte fut close, le plancher mobilereplacé sur le bassin du crocodile. Les flambeaux tout-à-faitéteints, les bestiaires quittèrent précipitamment l’arène en sedisant d’une voix basse et effrayée&|160;:

–&|160;Voici l’heure desmagiciennes&|160;!…

Et le plus profond silence régna dans lesténèbres de l’immense amphithéâtre.

Sauvé de la mort par un hasard miraculeux,car, si les cris de Diavole et de ses amis expirants par le poisonn’avaient pas distrait tous les regards de l’arène, il lui eût étéimpossible, quoique à demi-caché par l’éléphant, de gagner sansêtre aperçu la niche où il s’était tenu blotti… Sylvest, ainsisauvé miraculeusement de la mort, remercia Hésus… et comme si lesDieux lui étaient cette nuit-là secourables, il se souvint que safemme Loyse, lors de leur dernière entrevue, lui avait promis devenir l’attendre, à quatre jours de là, dans le parc de Faustine,le soir, à l’extrémité du canal…

Il se souvint aussi de ces dernières parolesde Faustine à Mont-Liban, tandis qu’elle emportait Siomara évanouiedans ses bras&|160;:

–&|160;Mont-Liban, je t’attends au temple ducanal.

Un sinistre pressentiment disait à l’esclaveque la grande dame, tenant Siomara en son pouvoir, et peut-êtrevivante encore, devait lui faire subir toutes les tortures qu’unefemme dépravée, jalouse et féroce, pouvait imaginer en haine d’unerivale… Sans doute le temple du canal était le lieu de cessupplices… Sylvest résolut de gagner en hâte le parc de la villa deFaustine… L’oreille au guet, il sortit enfin de sa cachette… Alorsil éprouva d’étranges frayeurs… Comme il traversait l’arène, ilentendit le vol de grands oiseaux de nuit qui, silencieux,tournoyaient très-près de terre&|160;; deux ou trois fois il sentiten frissonnant le vent de leurs ailes sur son front&|160;; il futplusieurs fois heurté, presque renversé, par des corps velus etrapide qui passaient auprès de lui… C’étaient sans doute lesmagiciennes, venant, sous forme d’animaux inconnus, chercher desdébris sanglants pour leurs sortilèges… Peut-être Siomara, échappéepar magie au pouvoir de Faustine, se trouvait-elle parmi cesmonstres…

L’esclave, ayant marché sur une épéeabandonnée par un gladiateur, la ramassa&|160;; elle était courteet acérée&|160;; il s’en arma, atteignit enfin la sortie du nord,suivit une longue voûte, et se trouva bientôt hors de l’enceinteextérieure de l’amphithéâtre, situé dans le faubourg d’Orange. Iln’avait qu’une demi-heure de trajet pour se rendre chezFaustine&|160;; il précipita sa marche, arriva, escalada le mur duparc, comme d’habitude, à l’aide de sa perche, et courut àl’extrémité du canal, où il osait à peine espérer de rencontrerencore Loyse, la nuit étant déjà très-avancée.

Bonheur des cieux&|160;! le pauvre esclave aaussi ses moments de joie. À peine Sylvest eut-il fait quelques passur la terrasse du canal, qu’il reconnut la voix de sa femmedisant&|160;:

–&|160;Sylvest&|160;! Sylvest&|160;! est-cetoi&|160;?…

L’esclave ne répondit rien… Il se jeta ensanglotant dans les bras de Loyse, sans trouver un mot à lui dire…Il la tint longtemps embrassée, la couvrant de larmes et debaisers…

–&|160;Tu pleures… reprit-elle enfin avecangoisse. Un malheur te menace&|160;?…

–&|160;Non, oh&|160;! non… Loyse… les Dieuxnous sont secourables… mais nous n’avons pas un instant àperdre&|160;: le jour va bientôt paraître… Veux-tu risquer leschances d’une fuite&|160;? Elles sont terribles&|160;! mais nousles braverons ensemble…

–&|160;Sylvest, plus d’une fois je t’aiproposé de fuir… tu as refusé…

–&|160;Oui… mais maintenant j’accepte&|160;:tu sauras pourquoi. Auras-tu la force de m’accompagner, femmebien-aimée&|160;?

–&|160;Mon amour pour toi, pour notre enfant,me donnera cette force… Mais où fuir&|160;? de quelcôté&|160;?…

–&|160;En partant à l’instant, nous pourronsarriver avant le jour dans une vallée sauvage et déserte où setrouve une caverne. Je m’y suis déjà rendu pour des réunionsnocturnes… Nous resterons cachés là… nous prendrons en passant desfruits et des racines dans les jardins qui bordent la route… Untorrent n’est pas loin de la caverne&|160;; nous n’aurons pas àcraindre de manquer d’eau et de nourriture pour quelques jours…Plus tard nous aviserons&|160;: peut-être les Dieux auront-ilspitié de nous…

À ce moment, un cri horrible… un cri prolongéqui n’avait rien d’humain, mais affaibli par la distance, arrivaaux oreilles de Sylvest et de sa femme qui dit, enfrémissant&|160;:

–&|160;Ah&|160;! ces cris… encore cescris&|160;!…

–&|160;Tu les as déjà entendus&|160;?…

–&|160;Plusieurs fois depuis que je suis ici àt’attendre… Tantôt ils cessent… et puis, au bout d’un assez longmoment, ils repartent plus effrayants encore… Faustine suppliciequelque esclave…

–&|160;Faustine&|160;! s’écria Sylvest frappéde stupeur.

Et se souvenant alors seulement deSiomara&|160;:

–&|160;Ces cris viennent du temple ducanal&|160;?

–&|160;Oui… et pourtant on avait dit ce soirque notre maîtresse allait au cirque… mais au moment où je quittaisla fabrique, un affranchi à cheval, venant de l’amphithéâtre, s’estdirigé à toute bride vers le temple, par les jardins, pourannoncer, disait-il, à Faustine, la mort de Mont-Liban.

–&|160;Plus de doute&|160;! s’écria Sylvest,c’est Siomara… On l’aura transportée dans ce temple maudit…Oh&|160;! malheur&|160;!… malheur&|160;!… Viens… viens,Loyse&|160;!…

–&|160;Où vas-tu&|160;? dit la compagne deSylvest en s’attachant à son bras et le voyant courir éperdu.N’entends-tu pas ces cris&|160;?… Faustine est là&|160;!… Approcherdu temple… c’est risquer de nous perdre…

Mais Sylvest n’écoutait plus Loyse… Plus ilapprochait de la rotonde, plus les cris que de temps à autrepoussait la victime devenaient distincts… si distincts… qu’ilreconnut la voix de Siomara, étouffée de temps à autre par leschants et le bruit des lyres, des flûtes et des cymbales.

Loyse, effrayée, suivait son époux, n’essayantplus de le retenir… Tous deux arrivèrent bientôt près du portiquecirculaire dont le temple était entouré… Une vive lumières’échappait des cintres à jour à travers lesquels, quatre nuitsauparavant, Sylvest avait assisté invisible, à de monstrueuxmystères… Soudain un dernier cri, plus affreux encore que lesautres, mais déjà expirant, retentit au milieu du silence de lanuit, et fut suivi de ces mots, suprême appel prononcé d’une voixforte encore, bien que défaillante et haletante dedouleur&|160;:

–&|160;Sylvest&|160;!… ma mère&|160;!… monpère&|160;!…

L’esclave, prenant son épée entre ses dents,s’élança, afin de grimper, ainsi qu’il l’avait fait, le long d’unedes colonnes du portique. Une fois arrivé aux cintres à jour,qu’aurait-il fait&|160;? Il ne le sait&|160;; car, en ce moment, iln’était possédé que d’une passion furieuse, celle d’aller ausecours de Siomara, et de la venger par la mort de Faustine… MaisLoyse, de plus en plus épouvantée de l’exaltation de son époux, secramponna de toutes ses forces à son bras, et l’empêcha de monter àla colonne, en lui disant tout bas avec un accentdéchirant&|160;:

–&|160;Tu nous perds&|160;!… Songe donc ànotre enfant&|160;!…

Sylvest tâchait de se dégager de l’étreinte desa femme, et, sourd à sa prière, il allait poursuivre son projetinsensé, lorsque soudain, après un moment de silence funèbre, ilentendit la voix éclatante de Faustine s’écrier&|160;:

–&|160;Morte&|160;!… déjà morte&|160;!… Tul’avais prédit toi-même, belle magicienne… que Siomara, ma rivale,tomberait en mon pouvoir… et expirerait sous ma main dans destortures inconnues&|160;!… Ta prédiction est accomplie… te voilàmorte… déjà morte&|160;!… Oui, morte… comme Mont-Liban&|160;!… ParHercule&|160;!… ajouta le monstre avec un éclat de rire effrayant,Mont-Liban est mort… vive Bibrix&|160;!… Évohé&|160;! Évohé&|160;!…à moi, tous&|160;!… Évohé&|160;! venez&|160;! du vin, des chants,des fleurs&|160;!… Morte est ma rivale&|160;!… Du vin… des chants…du vin&|160;!… toutes les ivresses&|160;!…

Et les instruments de musiqueretentirent&|160;: les chants obscènes, les cris de l’orgiedevinrent frénétiques, et marquèrent la cadence de cette rondeinfernale dont l’aspect avait déjà failli rendre Sylvest foud’horreur&|160;!…

Siomara était morte… l’esclave n’avait plusqu’à fuir avec Loyse… et ce fut à peine si, haletant, éperdu, ilput reconnaître son chemin à travers let ténèbres pour trouver lamuraille du parc&|160;; il la fit franchir à sa femme au moyen dela perche, et tous deux se dirigèrent en hâte vers la route de lavallée déserte…

**

*

Moi, Fergan, qui écris ceci, je suisfils de Pearon, qui était fils de Sylvest, dont le père senommait Guilhern, fils de Joel, le brenn de la tribu de Karnak, ledernier Gaulois libre de notre famille.

Sylvest, mon grand-père, est mort àquatre-vingt-six ans.

J’étais alors dans ma quinzième année&|160;;ma naissance avait coûté la vie à ma mère. Peu de temps après samort, Pearon, mon père, a été écrasé sous la roue d’un moulin qu’iltournait.

De plusieurs récits sur sa vie que Sylvest,mon aïeul, devait me remettre, deux ont été perdus&|160;; il ne m’atransmis, avec les autres parchemins de notre famille, que le récitprécédent sur les événements de sa vie, alors qu’il était esclavedu seigneur Diavole dans la ville d’Orange, et qu’ayant échappé parprodige à la mort qui l’attendait dans le cirque, il s’était rendudans le jardin de la noble Faustine, où il avait retrouvé monaïeule Loyse et fui avec elle après les derniers cris de l’agoniede Siomara, torturée par la grande dame romaine.

Je me rappelle (et ces souvenirs sont déjàloin de moi), je me rappelle que, dans mon enfance, mon grand-pèrem’a raconté qu’après son évasion il s’était tenu longtemps cachéavec sa femme Loyse, d’abord dans la caverne des Enfants duGui, puis dans une solitude plus profonde encore, vivant defruits et de racines que mon grand-père allait chercher la nuit, etsouvent à de grandes distances, dans les champs cultivés.

La saison était belle et douce&|160;; les deuxpauvres esclaves, au fond de leur retraite, jouissaient avecdélices des seuls jours de liberté qu’ils eussent jamais connus.Cependant, l’été passa, puis l’automne&|160;; l’hiver approchait,et, avec lui, le froid, le manque de fruits et de racines&|160;;enfin le moment venait où mon aïeule allait mettre mon père aumonde&|160;; ses vêtements tombaient en lambeaux, sa santés’affaiblissait de plus en plus… Mon grand-père se résigna denouveau à l’esclavage, plutôt que de voir sa femme mourir de misèreet de faim, mort qu’aurait partagée l’enfant qu’elle portait dansson sein.

Les esclaves fugitifs que l’on arrêtait loindu domicile de leur maître ou qui refusaient de dire le nom de leurpossesseur, lorsque, comme mon grand-père et sa femme, ils étaientparvenus à se débarrasser de leur collier, où se trouvait écrit lenom de leur maître, ces esclaves appartenaient au fisc romain, etétaient, ou vendus à son profit, ou employés, toujours commeesclaves, aux travaux et constructions publics.

Mon aïeul et sa femme, après plusieurs joursde marche dans les montagnes, arrivèrent, presque mourants defatigue et de faim, jusqu’aux faubourgs de la ville deMarseille&|160;; ils demandèrent la demeure de l’agent du fisc,avouèrent qu’ils avaient fui de la maison de leur maître et qu’ilsse rendaient à discrétion.

Les Dieux voulurent que l’agent du fisc fûthumain&|160;; il eut pitié de mon aïeul et de sa femme, et leurpromit qu’au lieu d’être vendus, ils resteraient esclaves du fisc,et seraient employés, mon aïeul aux travaux que l’on exécutait àMarseille, mon aïeule dans la maison de l’agent pour soigner lesenfants&|160;; mais ce Romain ne put épargner à mon grand-père et àsa femme la honte et la douleur d’être, selon la loi, marqués aufront comme esclaves fugitifs.

Pendant de longues années, le sort de monaïeul fut supportable, quoique soumis aux plus durs travaux&|160;;employé d’abord à la construction d’un aqueduc, il transportait,soit sur son dos, soit attelé à un chariot, les pierres destinéesaux bâtisses… Il rentrait le soir brisé de fatigue&|160;; mais, dumoins, au lieu de coucher à l’ergastule, ainsi que ses compagnonsd’esclavage, il revenait auprès de sa femme et de son enfant,faveur que mon aïeule avait, par sa douceur et son zèle, obtenue dela femme de l’agent du fisc.

Les années passèrent ainsi… Mon grand-père,devenu vieux et usé par le travail, incapable de continuer deporter de lourds fardeaux, fut chargé par le Romain du soin decultiver son jardin… Mon aïeule mourut peu de temps avant que monpère fût en âge de se marier, comme se marient les esclaves, et mamère perdit la vie en me donnant le jour… J’avais huit ans, lorsquemon père, resté esclave du fisc et attaché à la culture, fut écrasésous la roue d’un moulin à huile qu’il faisait mouvoir. Le fils del’agent avait succédé à l’emploi de son père&|160;; à sarecommandation, il conserva mon aïeul auprès de lui comme esclavejardinier&|160;: celui-ci, quoique très-vieux, suffisait à cesfonctions.

Après la mort de ma mère, une autre esclavegauloise de la maison m’avait nourri en même temps que sa filleGeneviève, ma sœur de lait et d’esclavage. Dès l’âge de dix ans,nous étions employés tous les deux aux menus travaux de la maison…Mais, peu d’années après, notre maître, chargé, comme son père, dela surveillance des esclaves du fisc, me fit apprendre le métier detisserand, afin de pouvoir retirer un profit de moi en me plaçant àloyer&|160;; Geneviève, ma sœur apprit l’état de lavandière.

J’avais quinze ans lorsque mon grand-père, sesentant de plus en plus affaibli, pressentit sa fin prochaine… Iloccupait une cabane dans le jardin du maître&|160;; de temps àautre, ma journée de travail d’apprenti tisserand terminée, on mepermettait de venir voir mon aïeul. L’un de ces soirs-là, je letrouvai couché dans sa cabane&|160;; il fit un grand effort pour selever, me fit fermer soigneusement la porte, monta sur un escabeau,et prit dans une cachette pratiquée entre deux solives de latoiture une large ceinture de toile épaisse&|160;; puis il tira decette espèce de fourreau de larges bandes de peau tannée, pareillesà celles dont on se sert pour écrire dans notre pays&|160;; cesbandes de peau, larges comme deux fois la paume de la main,couvertes de notre écriture gauloise, fine et serrée, étaientcousues les unes au bout des autres. À ces rouleaux étaient jointsune petite faucille d’or, une clochette d’airain,et un morceau du collier de fer que portait mon aïeul lorsde son évasion du cirque de la ville d’Orange, et qu’il étaitparvenu, avec l’aide de Loyse, sa femme, à limer au moyen de sablemouillé et d’un poignard qu’il avait emporté dans sa fuite. Sur cefragment de collier, on lisait encore, gravés sur le fer, ces motsen langue latine&|160;: Je suis esclave…

–&|160;Mon enfant, me dit mon grand-père, jele sens, la vie s’éteint en moi&|160;; mais avant de mourir je veuxaccomplir un devoir sacré… Quoique bien jeune encore, tu es en âgede sentir la valeur d’une promesse… Promets-moi donc, lorsque tuauras lu ces récits touchant notre famille, d’accomplir la volontésuprême de notre aïeul Joel, le brenn de la tribu de Karnak,volonté que tu trouveras mentionnée dans ces parchemins…Promets-moi aussi, mon enfant, de garder précieusement les reliquesde notre famille, cette petite faucille d’or, cetteclochette d’airain et ce morceau de collier, quej’ai porté pendant les plus cruels jours de mon esclavage. Dumoins, jusqu’ici, mon pauvre enfant, de la servitude tu n’as connuque le pénible labeur et la honte… encore la honte… je nesais&|160;; ton caractère est résigné, timide, craintif&|160;; jene trouve pas en toi cette furie gauloise, comme disentles Romains en parlant de notre race&|160;; cela tient peut-être àce que tu es chétif et frêle… Ah&|160;! mon enfant&|160;! les racesdégénèrent dans l’esclavage, et pour la force du caractère et pourcelle du corps… Mon aïeul Joel et mon père Guilhern avaient tousdeux plus de six pieds romains&|160;; peu d’hommes auraient pu lesvaincre à la lutte&|160;; ma taille n’atteignait pas la leur&|160;;mais avant d’être courbé par le travail et les années, elle étaithaute et robuste… Déjà mon fils, ton pauvre père, atteint pourainsi dire dans les entrailles de sa mère, et par suite des misèresde notre vie errante et fugitive, avait dégénéré de l’antiquevigueur de notre race, et toi, tu es encore plus petit et plusfaible que ton père. Les habitudes sédentaires de ton état detisserand, l’insuffisance de la nourriture accordée aux esclaves,augmentent encore ta débilité corporelle&|160;; puisse toncaractère ne pas s’affaiblir encore&|160;! Puisses-tu retrouverl’énergie de ta race, l’heure de la délivrance et de la justicevenue, si elle vient, hélas&|160;! pendant ta vie&|160;!… Tusauras, du moins, par ces écrits, les maux que tes aïeux ontsoufferts&|160;; cette conscience et cette connaissanceréveilleront peut-être en toi l’ardeur du sang gaulois, et tedonneront le courage et la force de briser le joug odieux que tuportes, toi, de race autrefois libre, et de venger toi et tes aïeuxsur le Romain, notre oppresseur éternel. J’avais joint à ce récit,que tu liras, celui de mon évasion avec Loyse, ma femme, évasiondont je t’ai quelquefois parlé&|160;; j’y avais retracé les doucesjouissances des seuls jours de liberté dont j’aie jamais jouidurant ma longue vie d’esclavage&|160;; j’avais aussi fait le récitde ma rencontre avec un de nos courageux et vénérés druides,esclave comme moi et mes compagnons, lors des travaux de l’aqueducde Marseille&|160;; ces deux récits se sont égarés&|160;: le plusimportant des trois est resté&|160;; c’est celui que je te remets…Jure-moi, mon enfant, de conserver pieusement ce dépôt&|160;; si tune crois pas pouvoir le cacher sûrement quelque part, porte-le surtoi au moyen de cette ceinture, sous tes vêtements, ainsi quesouvent j’ai fait moi-même… Adieu, mon enfant, sois fidèle à tesDieux&|160;; n’aie qu’un espoir, qu’un but&|160;: la délivrance denotre Gaule bien-aimée&|160;! qu’un souvenir, les maux dont ta racea souffert&|160;!…&|160;»

J’ai fait à mon grand-père la promesse qu’ilme demandait&|160;; puis, selon ses conseils, j’ai mis la ceintureautour de moi, sous mes vêtements et, après un dernier embrassementde mon aïeul, je l’ai quitté.

Je ne devais plus le revoir… le lendemain ilexpirait…

J’avais alors quinze ans.

Geneviève, ma sœur de lait, devenue ma femmequelques années plus tard, avait été louée comme lavandière parl’épouse d’un Romain de Marseille nommé le seigneurGrémion, parent du premier maître de mon aïeul, et aussil’un des agents du fisc.

La domination des Romains s’étendait alorsd’un bout à l’autre du monde. La Judée leur était soumise commedépendance de la province de Syrie, gouvernée par un préfet deRome.

Plusieurs vaisseaux de Marseille partaient dece port pour le pays des Israélites… Grémion, parent du procurateurromain en Judée, nommé Ponce-Pilate, fut désigné pouraller remplacer dans ce pays le tribun du trésor chargéd’assurer le recouvrement des impôts, car, partout où s’établissaitla domination romaine, l’exaction des impôts s’établissait en mêmetemps.

Aurélie, épouse de Grémion, avait louéGeneviève, ma femme, comme esclave lavandière&|160;; elle fut sisatisfaite de son zèle et de sa douceur, qu’elle voulut sel’attacher pendant ce long voyage au pays des Israélites, et priason mari d’acheter Geneviève, ce qu’il fit.

Les Dieux nous furent favorables. Aurélieétait du petit nombre de ces dames romaines qui se montraientpitoyables envers leurs esclaves. Jeune, belle, d’un caractère vifet enjoué, Aurélie ne devait pas rendre à ma femme la servitudetrop pénible. Cette pensée rendit pour moi cette séparation moinsamère. J’étais devenu habile dans mon métier de tisserand, et jerapportais au fisc, qui me louait à des maîtres, de bonsbénéfices.

Ma vie était celle de tous les esclavesartisans, ni meilleure, ni pire&|160;; et d’ailleurs, je l’avoue,mon grand-père m’avait bien jugé&|160;: je n’avais pas hérité, tants’en faut, de la furie et de l’outre-vaillance denotre vieille race gauloise et de sa farouche impatience del’esclavage. La servitude me pesait comme elle pèse à tous&|160;;mais (que mes aïeux, et si je dois avoir un fils, que mesdescendants me le pardonnent&|160;!) je n’aurais jamais osé songerà briser mes fers par la violence ou à échapper par la fuite à maservitude&|160;; mon caractère est resté aussi débile que moncorps&|160;; et lorsque je relis parfois les terribles combats desguerriers de ma race et les effrayants périls auxquels mongrand-père Sylvest a échappé, je frissonne d’épouvante, la sueurbaigne mon front, et je me fais à moi-même le serment de ne jamaism’exposer, volontairement du moins, à de pareils dangers, et defaire de mon mieux tourner ma navette pour satisfaire mes maîtres.J’ai gagné à cette résignation d’être un peu moins maltraité quemes compagnons, quoique j’aie fait comme eux connaissance avec lefouet et les verges, malgré ma douceur et mon envie de bienfaire&|160;; mais les maîtres ont leurs caprices et leurs momentsde colère. Regimber contre eux, c’est s’exposer à un pire sort…J’endurais donc le mien, me contentant de me frotter les épaulesquand elles me cuisaient… Malgré l’exemple de mon aïeul et lessollicitations de quelques-uns de mes compagnons, qui me croyaientd’une grande énergie, comme étant de la race de Joel, le brenn dela tribu de Karnak, je ne voulus jamais faire partie des réunionssecrètes des Enfants du Gui qui s’étaient perpétuées enGaule… Le supplice des esclaves crucifiés pour rébellionm’inspirait trop d’effroi, et je frémissais, moi, chétif, à laseule pensée d’une révolte armée.

D’ailleurs, ces entreprises me semblaientinsensées… En effet, vers le commencement du règne de Tibère,successeur d’Auguste, les sociétés secrètes des Enfants duGui et d’autres conjurés gaulois, après avoir longtempsattendu le moment opportun pour la révolte, se décidèrent, d’aprèsles avis des druides, à tenter un soulèvement général.

SACROVIR, Gaulois du Nivernais, fut l’âme decette insurrection, parcourant les conciliabules secrets, envoyantdes émissaires de concert avec les druides, montrant l’Italieelle-même subissant avec impatience le joug de Tibère&|160;; ilcroyait le moment venu, ou jamais, de recouvrer la liberté desGaules[79]. Une grande conjurations’organisa&|160;; Sacrovir en fut le chef et la dirigea avec uneextrême circonspection. Il ne fallait, selon lui, rien brusquer, etattendre que toutes les cités conjurées fussent en mesure d’agir.Malheureusement, les Gaulois d’Anjou et de Touraine s’insurgèrenttrop tôt&|160;; ce commencement de révolte, n’étant pas appuyé, futaussitôt comprimé&|160;: les riches Gaulois ralliés aux Romains sejoignirent à eux pour châtier, disaient-ils, l’ingratitude desrebelles qui avaient l’audace de se soulever contre l’augusteempereur Tibère, le protecteur des Gaulois. Sacrovir avait toujourscombattu au premier rang, sans casque et la poitrine découverte.Mais ses partisans, écrasés par le nombre, se débandèrent&|160;;entraîné par la fuite de ceux qu’il avait soulevés, il se réfugiadans Autun, tenta d’insurger cette ville contre lesRomains… Le peuple et les magistrats, découragés et craignant lesvengeances de Tibère, menacèrent Sacrovir de le livrer aux Romains…Alors il se rendit avec plusieurs de ses amis dans sa maison decampagne, voisine de la ville&|160;; ils y mirent le feu par enbas&|160;; puis, montant sur la terrasse qui la surmontait, ilss’attablèrent, vidèrent une dernière coupe à la délivrance de laGaule, dont ils ne désespéraient pas, et lorsque l’incendiecommença d’envahir la terrasse où buvaient Sacrovir et ses amis,tous se poignardèrent et s’abîmèrent dans les flammes, offrant,comme nos aïeux, leur sang en holocauste à Hésus.

Gaulois, je déplorai la mort de cesvaillants&|160;; mais je me dis avec découragement (que mes aïeuxme le pardonnent encore&|160;!)&|160;: «&|160;C’en est fait àjamais de la liberté de notre pauvre pays, puisque depuis lechef des cent vallées, l’hôte de mon aïeul Joel, tant dehéros ont en vain sacrifié leur sang généreux&|160;!…&|160;»

Ma femme Geneviève est une guerrière auprès demoi, et digne, par le courage et la vertu, d’entrer dans notrefamille, qui compte parmi ses aïeules&|160;: HÊNA, la vierge del’île de Sên&|160;; MÉROË, la femme du marin, et MARGARID, lamatrone gauloise… J’ai fait lire à Geneviève les parchemins que m’alaissés mon grand-père&|160;: ces récits l’ont exaltée… Combien defois elle m’a tendrement reproché ma tiédeur, mon découragement, ens’écriant&|160;:

–&|160;Ah&|160;! si j’étais homme&|160;! si jedescendais du brenn de la tribu de Karnak&|160;! cette race fécondeen vaillants et en vaillantes&|160;! au premier soulèvement desGaulois j’irais me faire tuer…

–&|160;J’aime mieux vivre tranquillement prèsde toi, Geneviève, lui disais-je, prendre en patience les maux queje ne peux empêcher, et dévider de mon mieux ma navette au profitde mon maître.

**

*

Ce fut donc vers la quinzième année du règnede Tibère que ma femme partit de Marseille avec Aurélie, samaîtresse, pour se rendre eu Judée.

Les faits suivants ont été écrits parGeneviève il y a un an, à son retour de voyage… Ma vie a étéjusqu’ici tellement monotone et insignifiante, qu’elle figureraitmal parmi les récits de ma famille. Celui de Geneviève, bien qu’ilraconte quelques aventures sans grande importance qui se sontpassées dans le pays des Hébreux, alors qu’elle habitait Jérusalem,aura du moins l’attrait de curiosité qu’inspire tout événement dontun pays très-lointain et très-peu connu est le théâtre…

&|160;

FIN DU VOLUME II.

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