Les Quarante-cinq – Tome III

XCI – Son altesse monseigneur le duc deGuise

Le dimanche, 10 juin, à onze heures environ,toute la cour était rassemblée dans la chambre qui précédait lecabinet où, depuis sa rencontre avec Diane de Méridor, le ducd’Anjou se mourait lentement et fatalement.

Ni la science des médecins, ni le désespoir desa mère, ni les prières ordonnées par le roi, n’avaient conjurél’événement suprême.

Miron, le matin de ce 10 juin, déclara au roique la maladie était sans remède, et que François d’Anjou nepasserait pas la journée.

Le roi affecta de manifester une grandedouleur, et, se tournant vers les assistants :

– Voilà qui va donner bien des espérancesà mes ennemis, dit-il.

À quoi la reine-mère répondit :

– Notre destinée est dans les mains deDieu, mon fils.

À quoi Chicot, qui se tenait humble et contritprès de Henri III, ajouta tout bas :

– Aidons Dieu quand nous pouvons,sire.

Néanmoins, le malade perdit, vers onze heureset demie, la couleur et la vue ; sa bouche, ouvertejusqu’alors, se ferma ; le flux de sang qui, depuis quelquesjours, avait effrayé tous les assistants comme autrefois la sueurde sang de Charles IX, s’arrêta subitement, et le froid gagnatoutes les extrémités.

Henri était assis au chevet du lit de sonfrère.

Catherine tenait, dans la ruelle, une mainglacée du moribond.

L’évêque de Château-Thierry et le cardinal deJoyeuse disaient les prières des agonisants, que tous lesassistants répétaient, agenouillés et les mains jointes.

Vers midi, le malade ouvrit les yeux ; lesoleil se dégagea d’un nuage et inonda le lit d’une auréoled’or.

François, qui n’avait pu jusque-là remuer unseul doigt, et dont l’intelligence avait été voilée comme ce soleilqui reparaissait, François leva un bras vers le ciel avec le gested’un homme épouvanté.

Il regarda autour de lui, entendit lesprières, sentit son mal et sa faiblesse, devina sa position,peut-être parce qu’il entrevoyait déjà ce monde obscur et sinistreoù vont certaines âmes après qu’elles ont quitté la terre.

Alors il poussa un cri et se frappa le frontavec une force qui fit frémir toute l’assemblée.

Puis fronçant le sourcil comme s’il venait delire en sa pensée un des mystères de sa vie :

– Bussy ! murmura-t-il ;Diane !

Ce dernier mot, nul ne l’entendit queCatherine, tant le moribond l’avait articulé d’une voixaffaiblie.

Avec la dernière syllabe de ce nom, Françoisd’Anjou rendit le dernier soupir.

En ce moment même, par une coïncidenceétrange, le soleil, qui dorait l’écusson de France et les fleurs delis d’or, disparut ; de sorte que ces fleurs de lis, sibrillantes il n’y avait qu’un instant, devinrent aussi sombres quel’azur qu’elles étoilaient naguère d’une constellation presqu’aussiresplendissante que celle que l’œil du rêveur va chercher auciel.

Catherine laissa tomber la main de sonfils.

Henri III frissonna et s’appuya tremblant surl’épaule de Chicot, qui frissonnait aussi, mais à cause du respectque tout chrétien doit aux morts.

Miron approcha une patène d’or des lèvres deFrançois, et après trois secondes, l’ayant examinée :

– Monseigneur est mort, dit-il.

Sur quoi, un long gémissement s’éleva desantichambres, comme accompagnement du psaume que murmurait lecardinal :

Cedant iniquitates meae ad vocemdeprecationis meae.

– Mort ! répéta le roi en se signantdu fond de son fauteuil ; mon frère, mon frère !

– L’unique héritier du trône de France,murmura Catherine, qui, abandonnant la ruelle du mort, était déjàrevenue près du seul fils qui lui restait.

– Oh ! dit Henri, ce trône de Franceest bien large pour un roi sans postérité ; la couronne estbien large pour une tête seule… Pas d’enfants, pasd’héritiers !… Qui me succédera ?

Comme il achevait ces paroles, un grand bruitretentit dans l’escalier et dans les salles.

Nambu se précipita vers la chambre mortuaire,en annonçant :

– Son Altesse monseigneur le duc deGuise !

Frappé de cette réponse à la question qu’ils’adressait, le roi pâlit, se leva et regarda sa mère.

Catherine était plus pâle que son fils. Àl’annonce de cet horrible malheur qu’un hasard présageait à sarace, elle saisit la main du roi et l’étreignit pour luidire :

– Voici le danger… mais ne craignez rien,je suis près de vous !

Le fils et la mère s’étaient compris dans lamême terreur et dans la même menace.

Le duc entra, suivi de ses capitaines. Ilentra le front haut, bien que ses yeux cherchassent ou le roi, oule lit de mort de son frère, avec un certain embarras.

Henri III, debout, avec cette majesté suprêmeque lui seul peut-être trouvait en de certains moments dans sanature si étrangement poétique, Henri III arrêta le duc dans samarche par un geste souverain qui lui montrait le cadavre royal surle lit froissé par l’agonie.

Le duc se courba et tomba lentement àgenoux.

Autour de lui, tout courba la tête et plia lejarret.

Henri III resta seul debout avec sa mère, etson regard brilla une dernière fois d’orgueil.

Chicot surprit ce regard et murmura tout bascet autre verset des Psaumes :

Dejiciet patentes de sede et exaltabithumiles.

(Il renversera le puissant du trône et feramonter celui qui se prosternait.)

FIN

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