De Paris, le 8 de la lune de Saphar, 1717.
LETTRE C
Rica à Rhédi
Je te parlai l’autre jour de l’inconstance prodigieuse des Français sur leurs
modes. Cependant il est inconcevable à quel point ils en sont entêtés ; ils y
rappellent tout : c’est la règle avec laquelle ils jugent de tout ce qui se fait
chez les autres nations ; ce qui est étranger leur paraît toujours ridicule. Je
t’avoue que je ne saurais guère ajuster cette fureur pour leurs coutumes avec
l’inconstance avec laquelle ils en changent tous les jours.
Quand je te dis qu’ils méprisent tout ce qui est étranger, je ne parle que
des bagatelles ; car sur les choses importantes, ils semblent s’être méfiés
d’eux-mêmes jusqu’à se dégrader. Ils avouent de bon cœur que les autres
peuples sont plus sages, pourvu qu’on convienne qu’ils sont mieux vêtus :
ils veulent bien s’assujettir aux lois d’une nation rivale, pourvu que les
perruquiers français décident en législateurs sur la forme des perruques
étrangères. Rien ne leur paraît si beau que de voir le goût de leurs cuisiniers
régner du septentrion au midi, et les ordonnances de leurs coiffeuses portées
dans toutes les toilettes de l’Europe.
Avec ces nobles avantages, que leur importe que le bon sens leur vienne
d’ailleurs, et qu’ils aient pris de leurs voisins tout ce qui concerne le
gouvernement politique et civil ?
Qui peut penser qu’un royaume, le plus ancien et le plus puissant de
l’Europe, soit gouverné, depuis plus de dix siècles, par des lois qui ne sont
point faites pour lui ? Si les Français avaient été conquis, ceci ne serait pas
difficile à comprendre ; mais ils sont les conquérants.
Ils ont abandonné les lois anciennes, faites par leurs premiers rois dans
les assemblées générales de la nation ; et, ce qu’il y a de singulier, c’est que
les lois romaines, qu’ils ont prises à la place, étaient en partie faites et en
partie rédigées par des empereurs contemporains de leurs législateurs.
Et, afin que l’acquisition fût entière et que tout le bon sens leur vînt
d’ailleurs, ils ont adopté toutes les constitutions des papes, et en ont fait une
nouvelle partie de leur droit : nouveau genre de servitude.
Il est vrai que, dans les derniers temps, on a rédigé par écrit quelques
statuts des villes et des provinces ; mais ils sont presque tous pris du droit
romain.
Cette abondance de lois adoptées, et pour ainsi dire naturalisées, est si
grande qu’elle accable également la justice et les juges. Mais ces volumes
de lois ne sont rien en comparaison de cette armée effroyable de glossateurs,
de commentateurs, de compilateurs, gens aussi faibles par le peu de justesse
de leur esprit, qu’ils sont forts par leur nombre prodigieux.
Ce n’est pas tout : ces lois étrangères ont introduit des formalités dont
l’excès est la honte de la raison humaine. Il serait assez difficile de décider
si la forme s’est rendue plus pernicieuse lorsqu’elle est entrée dans la
jurisprudence, ou lorsqu’elle s’est logée dans la médecine ; si elle a fait plus
de ravages sous la robe d’un jurisconsulte que sous le large chapeau d’un
médecin ; et si dans l’une elle a plus ruiné de gens qu’elle n’en a tué dans
l’autre.
De Paris, le 17 de la lune de Saphar, 1717.
LETTRE CI
Usbek à ***
On parle toujours ici de la constitution. J’entrai l’autre jour dans une
maison où je vis d’abord un gros homme avec un teint vermeil, qui disait
d’une voix forte : J’ai donné mon mandement ; je n’irai point répondre à
tout ce que vous dites ; mais lisez-le, ce mandement, et vous verrez que
j’y ai résolu tous vos doutes. J’ai bien sué pour le faire, dit-il en portant
la main sur le front : j’ai eu besoin de toute ma doctrine ; et il m’a fallu
lire bien des auteurs latins. Je le crois, dit un homme qui se trouva là ; car
c’est un bel ouvrage ; et je défierais bien ce jésuite qui vient si souvent
vous voir d’en faire un meilleur. Lisez-le donc, reprit-il ; et vous serez
plus instruit sur ces matières dans un quart d’heure que si je vous en avais
parlé toute la journée. Voilà comme il évitait d’entrer en conversation et de
commettre sa suffisance. Mais, comme il se vit pressé, il fut obligé de sortir
de ses retranchements, et il commença à dire théologiquement force sottises,
soutenu d’un dervis qui les lui rendait très respectueusement. Quand deux
hommes qui étaient là lui niaient quelque principe, il disait d’abord : Cela
est certain, nous l’avons jugé ainsi, et nous sommes des juges infaillibles. Et
comment, lui dis-je alors, êtes-vous des juges infaillibles ? Ne voyez-vous
pas, reprit-il, que le saint Esprit nous éclaire ? Cela est heureux, lui répondis-
je ; car, de la manière dont vous avez parlé tout aujourd’hui, je reconnais
que vous avez grand besoin d’être éclairé.
De Paris, le 18 de la lune de Rebiab, 1,1717.
LETTRE CII
Usbek à Ibben
À Smyrne
Les plus puissants états de l’Europe sont ceux de l’Empereur, des rois
de France, d’Espagne et d’Angleterre. L’Italie et une grande partie de
l’Allemagne sont partagées en un nombre infini de petits états dont les
princes sont, à proprement parler, les martyrs de la souveraineté. Nos
glorieux sultans ont plus de femmes que quelques-uns de ces princes n’ont
de sujets. Ceux d’Italie, qui ne sont pas si unis, sont plus à plaindre ; leurs
états sont ouverts comme des caravansérails, où ils sont obligés de loger les
premiers qui viennent : il faut donc qu’ils s’attachent aux grands princes, et
leur fassent part de leur frayeur plutôt que de leur amitié.
La plupart des gouvernements d’Europe sont monarchiques, ou plutôt
sont ainsi appelés ; car je ne sais pas s’il y en a jamais eu véritablement de
tels ; au moins est-il difficile qu’ils aient subsisté longtemps dans leur pureté.
C’est un état violent qui dégénère toujours en despotisme ou en république.
La puissance ne peut jamais être également partagée entre le peuple et
le prince ; l’équilibre est trop difficile à garder : il faut que le pouvoir
diminue d’un côté pendant qu’il augmente de l’autre ; mais l’avantage est
ordinairement du côté du prince qui est à la tête des armées.
Aussi le pouvoir des rois d’Europe est-il bien grand, et on peut dire qu’ils
l’ont tel qu’ils le veulent ; mais ils ne l’exercent point avec tant d’étendue
que nos sultans : premièrement, parce qu’ils ne veulent point choquer les
mœurs et la religion des peuples ; secondement, parce qu’il n’est pas de leur
intérêt de le porter si loin.
Rien ne rapproche plus nos princes de la condition de leurs sujets que cet
immense pouvoir qu’ils exercent sur eux ; rien ne les soumet plus aux revers
et aux caprices de la fortune.
L’usage où ils sont de faire mourir tous ceux qui leur déplaisent, au
moindre signe qu’ils font, renverse la proportion qui doit être entre les
fautes et les peines, qui est comme l’état et l’harmonie des empires ; et cette
proportion, scrupuleusement gardée par les princes chrétiens, leur donne un
avantage infini sur nos sultans.
Un Persan qui, par imprudence ou par malheur, s’est attiré la disgrâce
du prince, est sûr de mourir ; la moindre faute ou le moindre caprice le met
dans cette nécessité ; mais s’il avait attenté à la vie de son souverain, s’il
avait voulu livrer ses places aux ennemis, il en serait quitte aussi pour perdre
la vie : il ne court donc pas plus de risque dans ce dernier cas que dans le
premier.
Aussi, dans la moindre disgrâce, voyant la mort certaine, et ne voyant
rien de pis, il se porte naturellement à troubler l’état et à conspirer contre le
souverain, seule ressource qui lui reste.
Il n’en est pas de même des grands d’Europe à qui la disgrâce n’ôte rien
que la bienveillance et la faveur. Ils se retirent de la cour, et ne songent qu’à
jouir d’une vie tranquille et des avantages de leur naissance. Comme on
ne les fait guère périr que pour le crime de lèse-majesté, ils craignent d’y
tomber, par la considération de ce qu’ils ont à perdre et du peu qu’ils ont à
gagner ; ce qui fait qu’on voit peu de révoltes, et peu de princes qui périssent
d’une mort violente.
Si, dans cette autorité illimitée qu’ont nos princes, ils n’apportaient pas
tant de précautions pour mettre leur vie en sûreté, ils ne vivraient pas un
jour ; et s’ils n’avaient à leur solde un nombre innombrable de troupes pour
tyranniser le reste de leurs sujets, leur empire ne subsisterait pas un mois.
Il n’y a que quatre ou cinq siècles qu’un roi de France prit des gardes
contre l’usage de ces temps-là, pour se garantir des assassins qu’un petit
prince d’Asie avait envoyés pour le faire périr ; jusque là les rois avaient
vécu tranquilles au milieu de leurs sujets, comme des pères au milieu de
leurs enfants.
Bien loin que les rois de France puissent de leur propre mouvement ôter la
vie à un de leurs sujets, comme nos sultans, ils portent au contraire toujours
avec eux la grâce de tous les criminels : il suffit qu’un homme ait été assez
heureux pour voir l’auguste visage de son prince, pour qu’il cesse d’être
indigne de vivre. Ces monarques sont comme le soleil, qui porte partout la
chaleur et la vie.
Paris, le 8 de la lune de Rebiab, 2,1717.
LETTRE CIII
Usbek à Ibben
Pour suivre l’idée de ma dernière lettre, voici à peu près ce que me disait
l’autre jour un Européen assez sensé :
Le plus mauvais parti que les princes d’Asie aient pu prendre, c’est de
se cacher comme ils font. Ils veulent se rendre plus respectables ; mais ils
font respecter la royauté, et non pas le roi, et attachent l’esprit des sujets à
un certain trône, et non pas à une certaine personne.
Cette puissance invisible qui gouverne est toujours la même pour le
peuple. Quoique dix rois, qu’il ne connaît que de nom, se soient égorgés
l’un après l’autre, il ne sent aucune différence : c’est comme s’il avait été
gouverné successivement par des esprits.
Si le détestable parricide de notre grand roi Henri IV avait porté ce coup
sur un roi des Indes, maître du sceau royal et d’un trésor immense qui aurait
semblé amassé pour lui, il aurait pris tranquillement les rênes de l’empire
sans qu’un seul homme eût pensé à réclamer son roi, sa famille et ses enfants.
On s’étonne de ce qu’il n’y a presque jamais de changement dans le
gouvernement des princes d’Orient : d’où vient cela, si ce n’est de ce qu’il
est tyrannique et affreux ?
Les changements ne peuvent être faits que par le prince ou par le peuple :
mais là les princes n’ont garde d’en faire ; parce que, dans un si haut degré
de puissance, ils ont tout ce qu’ils peuvent avoir : s’ils changeaient quelque
chose, ce ne pourrait être qu’à leur préjudice.
Quant aux sujets, si quelqu’un d’eux forme quelque résolution, il ne
saurait l’exécuter sur l’état ; il faudrait qu’il contrebalançât tout à coup une
puissance redoutable et toujours unique ; le temps lui manque comme les
moyens : mais il n’a qu’à aller à la source de ce pouvoir ; et il ne lui faut
qu’un bras et qu’un instant.
Le meurtrier monte sur le trône pendant que le monarque en descend,
tombe, et va expirer à ses pieds.
Un mécontent en Europe songe à entretenir quelque intelligence secrète,
à se jeter chez les ennemis, à se saisir de quelque place, à exciter quelques
vains murmures parmi les sujets. Un mécontent en Asie va droit au prince,
étonne, frappe, renverse : il en efface jusqu’à l’idée ; dans un instant, esclave
et maître ; dans un instant, usurpateur et légitime.
Malheureux le roi qui n’a qu’une tête ! Il semble ne réunir sur elle toute sa
puissance que pour indiquer au premier ambitieux l’endroit où il la trouvera
tout entière.
De Paris, le 17 de la lune de Rebiab, 2,1717.
LETTRE CIV
Usbek à Ibben
Tous les peuples d’Europe ne sont pas également soumis à leurs princes ;
par exemple, l’humeur impatiente des Anglais ne laisse guère à leur roi
le temps d’appesantir son autorité. La soumission et l’obéissance sont
les vertus dont ils se piquent le moins : ils disent là-dessus des choses
bien extraordinaires. Selon eux, il n’y a qu’un lien qui puisse attacher les
hommes, qui est celui de la gratitude : un mari, une femme, un père et un fils,
ne sont liés entre eux que par l’amour qu’ils se portent ou par les bienfaits
qu’ils se procurent : et ces motifs divers de reconnaissance sont l’origine de
tous les royaumes et de toutes les sociétés.
Mais si un prince, bien loin de faire vivre ses sujets heureux, veut les
accabler et les détruire, le fondement de l’obéissance cesse ; rien ne les
lie, rien ne les attache à lui ; et ils rentrent dans leur liberté naturelle. Ils
soutiennent que tout pouvoir sans bornes ne saurait être légitime, parce qu’il
n’a jamais pu avoir d’origine légitime. Car nous ne pouvons pas, disent-
ils, donner à un autre plus de pouvoir sur nous que nous n’en avons nous-
mêmes : or nous n’avons pas sur nous-mêmes un pouvoir sans bornes ;
par exemple, nous ne pouvons pas nous ôter la vie : personne n’a donc,
concluent-ils, sur la terre un tel pouvoir.
Le crime de lèse-majesté n’est autre chose, selon eux, que le crime que
le plus faible commet contre le plus fort en lui désobéissant, de quelque
manière qu’il lui désobéisse. Aussi le peuple d’Angleterre, qui se trouva le
plus fort contre un de leurs rois, déclara-t-il que c’était un crime de lèse-
majesté à un prince de faire la guerre à ses sujets. Ils ont donc grande raison
quand ils disent que le précepte de leur Alcoran qui ordonne de se soumettre
aux puissances n’est pas bien difficile à suivre, puisqu’il leur est impossible
de ne le pas observer ; d’autant que ce n’est pas au plus vertueux qu’on les
oblige de se soumettre, mais à celui qui est le plus fort.
Les Anglais disent qu’un de leurs rois, ayant vaincu et fait prisonnier un
prince qui lui disputait la couronne, voulut lui reprocher son infidélité et sa
perfidie. Il n’y a qu’un moment, dit le prince infortuné, qu’il vient d’être
décidé lequel de nous deux est le traître.
Un usurpateur déclare rebelles tous ceux qui n’ont point opprimé la patrie
comme lui ; et, croyant qu’il n’y a pas de lois là où il ne voit point de juges, il
fait révérer comme des arrêts du ciel les caprices du hasard et de la fortune.
De Paris, le 20 de la lune de Rebiab, 2,1717.
LETTRE CV
Rhédi à Usbek
À Paris
Tu m’as beaucoup parlé dans une de tes lettres des sciences et des arts
cultivés en Occident. Tu me vas regarder comme un barbare ; mais je ne sais
si l’utilité que l’on en retire dédommage les hommes du mauvais usage que
l’on en fait tous les jours.
J’ai ouï dire que la seule invention des bombes avait ôté la liberté à tous
les peuples de l’Europe. Les princes ne pouvant plus confier la garde des
places aux bourgeois, qui, à la première bombe, se seraient rendus, ont eu
un prétexte pour entretenir de gros corps de troupes réglées avec lesquelles
ils ont dans la suite opprimé leurs sujets.
Tu sais que depuis l’invention de la poudre il n’y a plus de places
imprenables, c’est-à-dire, Usbek, qu’il n’y a plus d’asile sur la terre contre
l’injustice et la violence.
Je tremble toujours qu’on ne parvienne à la fin à découvrir quelque secret
qui fournisse une voie plus abrégée pour faire périr les hommes, détruire les
peuples et les nations entières.
Tu as lu les historiens : fais-y bien attention ; presque toutes les
monarchies n’ont été fondées que sur l’ignorance des arts, et n’ont été
détruites que parce qu’on les a trop cultivés. L’ancien empire de Perse peut
nous en fournir un exemple domestique.
Il n’y a pas longtemps que je suis en Europe ; mais j’ai ouï parler à des
gens sensés des ravages de la chimie. Il semble que ce soit un quatrième fléau
qui ruine les hommes et les détruit en détail, mais continuellement ; tandis
que la guerre, la peste, la famine, les détruisent en gros, mais par intervalles.
Que nous a servi l’invention de la boussole et la découverte de tant de
peuples, qu’à nous communiquer leurs maladies plutôt que leurs richesses ?
L’or et l’argent avaient été établis, par une convention générale, pour être le
prix de toutes les marchandises et un gage de leur valeur, par la raison que
ces métaux étaient rares et inutiles à tout autre usage. Que nous importait-il
donc qu’ils devinssent plus communs, et que, pour marquer la valeur d’une
denrée, nous eussions deux ou trois signes au lieu d’un ? cela n’en était que
plus incommode.
Mais, d’un autre côté, cette invention a été bien pernicieuse aux pays qui
ont été découverts. Les nations entières ont été détruites ; et les hommes qui
ont échappé à la mort ont été réduits à une servitude si rude que le récit en
fait frémir les musulmans.
Heureuse l’ignorance des enfants de Mahomet ! Aimable simplicité si
chérie de notre saint prophète, vous me rappelez toujours la naïveté des
anciens temps et la tranquillité qui régnait dans le cœur de nos premiers
pères !
De Venise, le 5 de la lune de Rahmazan, 1717.
LETTRE CVI
Usbek à Rhédi
À Venise
Ou tu ne penses pas à ce que tu dis, ou bien tu fais mieux que tu ne penses.
Tu as quitté ta patrie pour t’instruire, et tu méprises toute instruction : tu
viens pour te former dans un pays où l’on cultive les beaux arts, et tu les
regardes comme pernicieux. Te le dirai-je, Rhédi ? Je suis plus d’accord avec
toi que tu ne l’es avec toi-même.
As-tu bien réfléchi à l’état barbare et malheureux où nous entraînerait la
perte des arts ? Il n’est pas nécessaire de se l’imaginer, on peut le voir. Il y a
encore des peuples sur la terre chez lesquels un singe passablement instruit
pourrait vivre avec honneur ; il s’y trouverait à peu près à la portée des autres
habitants ; on ne lui trouverait point l’esprit singulier ni le caractère bizarre ;
il passerait tout comme un autre, et serait même distingué par sa gentillesse.
Tu dis que les fondateurs des empires ont presque tous ignoré les arts.
Je ne te nie pas que des peuples barbares n’aient pu, comme des torrents
impétueux, se répandre sur la terre, et couvrir de leurs armées féroces les
royaumes les plus policés : mais, prends-y garde, ils ont appris les arts, ou les
ont fait exercer aux peuples vaincus ; sans cela leur puissance aurait passé
comme le bruit du tonnerre et des tempêtes.
Tu crains, dis-tu, que l’on n’invente quelque manière de destruction plus
cruelle que celle qui est en usage. Non : si une fatale invention venait
à se découvrir, elle serait bientôt prohibée par le droit des gens ; et le
consentement unanime des nations ensevelirait cette découverte. Il n’est
point de l’intérêt des princes de faire des conquêtes par de pareilles voies ;
ils doivent chercher des sujets et non pas des terres.
Tu te plains de l’invention de la poudre et des bombes ; tu trouves étrange
qu’il n’y ait plus de place imprenable ; c’est-à-dire que tu trouves étrange
que les guerres soient aujourd’hui terminées plus tôt qu’elles ne l’étaient
autrefois.
Tu dois avoir remarqué, en lisant les histoires, que, depuis l’invention de
la poudre, les batailles sont beaucoup moins sanglantes qu’elles ne l’étaient
parce qu’il n’y a presque plus de mêlée.
Et quand il se serait trouvé quelque cas particulier où un art aurait été
préjudiciable, doit-on pour cela le rejeter ? Penses-tu, Rhédi, que la religion
que notre saint prophète a apportée du ciel soit pernicieuse parce qu’elle
servira un jour à confondre les perfides chrétiens ?
Tu crois que les arts amollissent les peuples, et par là sont cause de
la chute des empires. Tu parles de la ruine de celui des anciens Perses,
qui fut l’effet de leur mollesse : mais il s’en faut bien que cet exemple
décide, puisque les Grecs qui les vainquirent tant de fois et les subjuguèrent,
cultivaient les arts avec infiniment plus de soin qu’eux.
Quand on dit que les arts rendent les hommes efféminés, on ne parle
pas du moins des gens qui s’y appliquent, puisqu’ils ne sont jamais dans
l’oisiveté, qui de tous les vices est celui qui amollit le plus le courage.
Il n’est donc question que de ceux qui en jouissent. Mais comme dans
un pays policé ceux qui jouissent des commodités d’un art sont obligés d’en
cultiver un autre, à moins de se voir réduits à une pauvreté honteuse, il suit
que l’oisiveté et la mollesse sont incompatibles avec les arts.
Paris est peut-être la ville du monde la plus sensuelle et où l’on raffine le
plus sur les plaisirs ; mais c’est peut-être celle où l’on mène une vie plus dure.
Pour qu’un homme vive délicieusement, il faut que cent autres travaillent
sans relâche. Une femme s’est mis dans la tête qu’elle devait paraître à une
assemblée avec une certaine parure ; il faut que dès ce moment cinquante
artisans ne dorment plus, et n’aient plus le loisir de boire et de manger : elle
commande, et elle est obéie plus promptement que ne serait notre monarque,
parce que l’intérêt est le plus grand monarque de la terre.
Cette ardeur pour le travail, cette passion de s’enrichir passe de condition
en condition, depuis les artisans jusqu’aux grands. Personne n’aime à être
plus pauvre que celui qu’il vient de voir immédiatement au-dessous de lui.
Vous voyez à Paris un homme qui a de quoi vivre jusqu’au jour du jugement,
qui travaille sans cesse et court risque d’accourcir ses jours pour amasser,
dit-il, de quoi vivre.
Le même esprit gagne la nation ; on n’y voit que travail et qu’industrie.
Où est donc ce peuple efféminé dont tu parles tant ?
Je suppose, Rhédi, qu’on ne souffrît dans un royaume que les arts
absolument nécessaires à la culture des terres, qui sont pourtant en grand
nombre, et qu’on en bannît tous ceux qui ne servent qu’à la volupté ou à
la fantaisie ; je le soutiens, cet état serait un des plus misérables qu’il y eût
au monde.
Quand les habitants auraient assez de courage pour se passer de tant de
choses qu’ils doivent à leurs besoins, le peuple dépérirait tous les jours ; et
l’état deviendrait si faible qu’il n’y aurait si petite puissance qui ne pût le
conquérir.
Il serait aisé d’entrer dans un long détail, et de te faire voir que les revenus
des particuliers cesseraient presque absolument, et par conséquent ceux du
prince. Il n’y aurait presque plus de relation de facultés entre les citoyens ; on
verrait finir cette circulation de richesses et cette progression de revenus qui
vient de la dépendance où sont les arts les uns des autres ; chaque particulier
vivrait de sa terre, et n’en retirerait que ce qu’il lui faut précisément pour
ne pas mourir de faim. Mais, comme ce n’est pas quelquefois la vingtième
partie des revenus d’un état, il faudrait que le nombre des habitants diminuât
à proportion, et qu’il n’en restât que la vingtième partie.
Fais bien attention jusqu’où vont les revenus de l’industrie. Un fonds ne
produit annuellement à son maître que la vingtième partie de sa valeur ;
mais avec une pistole de couleur un peintre fera un tableau qui lui en vaudra
cinquante. On en peut dire de même des orfèvres, des ouvriers en laine, en
soie, et de toutes sortes d’artisans.
De tout ceci on doit conclure, Rhédi, que, pour qu’un prince soit puissant,
il faut que ses sujets vivent dans les délices : il faut qu’il travaille à
leur procurer toutes sortes de superfluités avec autant d’attention que les
nécessités de la vie.
De Paris, le 14 de la lune de Chalval, 1717.
LETTRE CVII
Rica à Ibben
À Smyrne
J’ai vu le jeune monarque. Sa vie est bien précieuse à ses sujets ; elle ne
l’est pas moins à toute l’Europe par les grands troubles que sa mort pourrait
produire. Mais les rois sont comme les dieux ; et pendant qu’ils vivent on
doit les croire immortels. Sa physionomie est majestueuse, mais charmante :
une belle éducation semble concourir avec un heureux naturel, et promet
déjà un grand prince.
On dit que l’on ne peut jamais connaître le caractère des rois d’Occident
jusqu’à ce qu’ils aient passé par les deux grandes épreuves de leur maîtresse
et de leur confesseur. On verra bientôt l’un et l’autre travailler à se saisir de
l’esprit de celui-ci ; et il se livrera pour cela de grands combats. Car sous
un jeune prince ces deux puissances sont toujours rivales ; mais elles se
concilient et se réunissent sous un vieux. Sous un jeune prince le dervis a un
rôle bien difficile à soutenir ; la force du roi fait sa faiblesse : mais l’autre
triomphe également de sa faiblesse et de sa force.
Lorsque j’arrivai en France je trouvai le feu roi absolument gouverné
par les femmes ; et cependant, dans l’âge où il était, je crois que c’était le
monarque de la terre qui en avait le moins besoin. J’entendis un jour une
femme qui disait : Il faut que l’on fasse quelque chose pour ce jeune colonel ;
sa valeur m’est connue ; j’en parlerai au ministre. Une autre disait : Il est
surprenant que ce jeune abbé ait été oublié ; il faut qu’il soit évêque ; il est
homme de naissance, et je pourrais répondre de ses mœurs. Il ne faut pas
pourtant que tu t’imagines que celles qui tenaient ces discours fussent des
favorites du prince : elles ne lui avaient peut-être pas parlé deux fois en leur
vie ; chose pourtant très facile à faire chez les princes européens : mais c’est
qu’il n’y a personne qui ait quelque emploi à la cour, dans Paris, ou dans les
provinces, qui n’ait une femme par les mains de laquelle passent toutes les
grâces et quelquefois les injustices qu’il peut faire. Ces femmes ont toutes
des relations les unes avec les autres, et forment une espèce de république
dont les membres toujours actifs se secourent et se servent mutuellement ;
c’est comme un nouvel état dans l’état : et celui qui est à la cour, à Paris, et
dans les provinces, qui voit agir des ministres, des magistrats, des prélats,
s’il ne connaît les femmes qui les gouvernent, est comme un homme qui voit
une machine qui joue, mais qui n’en connaît point les ressorts.
Crois-tu, Ibben, qu’une femme s’avise d’être la maîtresse d’un ministre
pour coucher avec lui ? Quelle idée ! c’est pour lui présenter cinq ou
six placets tous les matins : et la bonté de leur naturel paraît dans
l’empressement qu’elles ont de faire du bien à une infinité de gens
malheureux qui leur procurent cent mille livres de rente.
On se plaint en Perse de ce que le royaume est gouverné par deux ou trois
femmes : c’est bien pis en France, où les femmes en général gouvernent,
et non seulement prennent en gros, mais même se partagent en détail toute
l’autorité.
De Paris, le dernier de la lune de Chalval, 1717.
LETTRE CVIII
Usbek à ***
Il y a une espèce de livres que nous ne connaissons point en Perse, et qui
me paraissent ici fort à la mode : ce sont les journaux. La paresse se sent
flattée en les lisant ; on est ravi de pouvoir parcourir trente volumes en un
quart d’heure.
Dans la plupart des livres, l’auteur n’a pas fait les compliments ordinaires
que les lecteurs sont aux abois : il les fait entrer à demi morts dans une
matière noyée au milieu d’une mer de paroles. Celui-ci veut s’immortaliser
par un in-douze, celui-là par un in-quarto ; un autre, qui a de plus belles
inclinations, vise à l’in-folio : il faut donc qu’il étende son sujet à proportion ;
ce qu’il fait sans pitié, comptant pour rien la peine du pauvre lecteur, qui se
tue à réduire ce que l’auteur a pris tant de peine à amplifier.
Je ne sais,***, quel mérite il y a à faire de pareils ouvrages : j’en ferais
bien autant si je voulais ruiner ma santé et un libraire.
Le grand tort qu’ont les journalistes, c’est qu’ils ne parlent que des livres
nouveaux ; comme si la vérité était jamais nouvelle ! Il me semble que,
jusqu’à ce qu’un homme ait lu tous les livres anciens, il n’a aucune raison
de leur préférer les nouveaux.
Mais, lorsqu’ils s’imposent la loi de ne parler que des ouvrages encore
tout chauds de la forge, ils s’en imposent une autre, qui est d’être très
ennuyeux. Ils n’ont garde de critiquer les livres dont ils font les extraits,
quelque raison qu’ils en aient : et en effet quel est l’homme assez hardi pour
vouloir se faire dix ou douze ennemis tous les mois ?
La plupart des auteurs ressemblent aux poètes qui souffriront une volée de
coups de bâton sans se plaindre ; mais qui, peu jaloux de leurs épaules, le sont
si fort de leurs ouvrages qu’ils ne sauraient soutenir la moindre critique. Il
faut donc bien se donner de garde de les attaquer par un endroit si sensible ; et
les journalistes le savent bien. Ils font donc tout le contraire : ils commencent
par louer la matière qui est traitée ; première fadeur : de là ils passent aux
louanges de l’auteur ; louanges forcées, car ils ont affaire à des gens qui sont
encore en haleine, tout prêts à se faire faire raison, et à foudroyer à coups
de plume un téméraire journaliste.
De Paris, le 5 de la lune de Zilcadé, 1718.
LETTRE CIX
Rica à ***
L’Université de Paris est la fille aînée des rois de France ; et très aînée,
car elle a plus de neuf cents ans : aussi rêve-t-elle quelquefois.
On m’a conté qu’elle eut, il y a quelque temps, un grand démêlé avec
quelques docteurs à l’occasion de la lettre Q, qu’elle voulait que l’on
prononçât comme un K. La dispute s’échauffa si fort, que quelques-uns
furent dépouillés de leurs biens : il fallut que le parlement terminât le
différent ; et il accorda permission, par un arrêt solennel, à tous les sujets
du roi de France de prononcer cette lettre à leur fantaisie. Il faisait beau voir
les deux corps de l’Europe les plus respectables occupés à décider du sort
d’une lettre de l’alphabet !
Il semble, mon cher ***, que les têtes des plus grands hommes
s’étrécissent lorsqu’elles sont assemblées, et que là où il y a plus de sages,
il y ait aussi moins de sagesse. Les grands corps s’attachent toujours si
fort aux minuties, aux vains usages, que l’essentiel ne va jamais qu’après.
J’ai ouï dire qu’un roi d’Aragon ayant assemblé les états d’Aragon et de
Catalogne, les premières séances s’employèrent à décider en quelle langue
les délibérations seraient conçues : la dispute était vive ; et les états se
seraient rompus mille fois si l’on n’avait imaginé un expédient qui était que
la demande serait faite en langage catalan et la réponse en aragonais.
De Paris, le 25 de la lune de Zilhagé, 1718.
LETTRE CX
Rica à ***
Le rôle d’une jolie femme est beaucoup plus grave que l’on ne pense. Il
n’y a rien de plus sérieux que ce qui se passe le matin à sa toilette au milieu
de ses domestiques : un général d’armée n’emploie pas plus d’attention à
placer sa droite ou son corps de réserve qu’elle en met à poster une mouche,
qui peut manquer, mais dont elle espère ou prévoit le succès.
Quelle gêne d’esprit, quelle attention pour concilier sans cesse les intérêts
de deux rivaux ; pour paraître neutre à tous les deux, pendant qu’elle est
livrée à l’un et à l’autre ; et se rendre médiatrice sur tous les sujets de plainte
qu’elle leur donne !
Quelle occupation pour faire succéder et renaître les parties de plaisir, et
prévenir tous les accidents qui pourraient les rompre !
Avec tout cela, la plus grande peine n’est pas de se divertir, c’est de le
paraître. Ennuyez-les tant que vous voudrez, elles vous le pardonneront,
pourvu que l’on puisse croire qu’elles se sont réjouies.
Je fus il y a quelques jours d’un souper que des femmes firent à la
campagne. Dans le chemin elles disaient sans cesse : Au moins il faudra
bien nous divertir.
Nous nous trouvâmes assez mal assortis, et par conséquent assez sérieux.
Il faut avouer, dit une de ces femmes, que nous nous divertissons bien : il n’y
a pas aujourd’hui dans Paris une partie si gaie que la nôtre. Comme l’ennui
me gagnait, une femme me secoua, et me dit : Eh bien ! ne sommes-nous pas
de bonne humeur ? Oui, lui répondis-je en bâillant : je crois que je crèverai
à force de rire. Cependant la tristesse triomphait toujours des réflexions ;
et, quant à moi, je me sentis conduit de bâillement en bâillement dans un
sommeil léthargique qui finit tous mes plaisirs.
De Paris, le 11 de la lune Maharram, 1718.
LETTRE CXI
Usbek à ***
Le règne du feu roi a été si long que la fin en avait fait oublier
le commencement. C’est aujourd’hui la mode de ne s’occuper que des
événements arrivés dans sa minorité ; et on ne lit plus que les mémoires de
ces temps-là.
Voici le discours qu’un des généraux de la ville de Paris prononça dans
un conseil de guerre ; et j’avoue que je n’y comprends pas grand-chose.
« Messieurs,
Quoique nos troupes aient été repoussées avec perte, je crois qu’il nous
sera facile de réparer cet échec. J’ai six couplets de chanson tout prêts à
mettre au jour, qui, je m’assure, remettront toutes choses dans l’équilibre.
J’ai fait choix de quelques voix très nettes, qui, sortant de la cavité de
certaines poitrines très fortes, émouvront merveilleusement le peuple. Ils
sont sur un air qui a fait jusqu’à présent un effet tout particulier.
Si cela ne suffit pas, nous ferons paraître une estampe qui fera voir
Mazarin pendu.
Par bonheur pour nous, il ne parle pas bien français ; et il l’écorche
tellement qu’il n’est pas possible que ses affaires ne déclinent. Nous ne
manquons pas de faire bien remarquer au peuple le ton ridicule dont il
prononce. Nous relevâmes il y a quelques jours une faute de grammaire si
grossière qu’on en fit des farces par tous les carrefours.
J’espère qu’avant qu’il soit huit jours le peuple fera du nom de Mazarin
un mot générique pour exprimer toutes les bêtes de somme, et celles qui
servent à tirer.
Depuis notre défaite notre musique l’a si furieusement vexé sur le péché
originel que, pour ne pas voir ses partisans réduits à la moitié, il a été obligé
de renvoyer tous ses pages.
Ranimez-vous donc, reprenez courage ; et soyez sûrs que nous lui ferons
repasser les monts à coups de sifflets. »
De Paris, le 4 de la lune de Chahban, 1718.
LETTRE CXII
Rhédi à Usbek
À Paris
Pendant le séjour que je fais en Europe, je lis les historiens anciens et
modernes ; je compare tous les temps ; j’ai du plaisir à les voir passer,
pour ainsi dire, devant moi ; et j’arrête surtout mon esprit à ces grands
changements qui ont rendu les âges si différents des âges, et la terre si peu
semblable à elle-même.
Tu n’as peut-être pas fait attention à une chose qui cause tous les jours
ma surprise. Comment le monde est-il si peu peuplé en comparaison de ce
qu’il était autrefois ? Comment la nature a-t-elle pu perdre cette prodigieuse
fécondité des premiers temps ? Serait-elle déjà dans sa vieillesse ? et
tomberait-elle de langueur ?
J’ai resté plus d’un an en Italie, où je n’ai vu que les débris de cette
ancienne Italie si fameuse autrefois. Quoique tout le monde habite les
villes, elles sont entièrement désertes et dépeuplées ; il semble qu’elles ne
subsistent encore que pour marquer le lieu où étaient ces cités puissantes
dont l’histoire a tant parlé.
Il y a des gens qui prétendent que la seule ville de Rome contenait
autrefois plus de peuple qu’un grand royaume de l’Europe n’en a
aujourd’hui. Il y a eu tel citoyen romain qui avait dix et même vingt mille
esclaves, sans compter ceux qui travaillaient dans les maisons de campagne ;
et, comme on y comptait quatre ou cinq cent mille citoyens, on ne peut fixer
le nombre de ses habitants sans que l’imagination ne se révolte.
Il y avait autrefois dans la Sicile de puissants royaumes et des peuples
nombreux qui en ont disparu depuis : cette île n’a plus rien de considérable
que ses volcans.
La Grèce est si déserte qu’elle ne contient pas la centième partie de ses
anciens habitants.
L’Espagne, autrefois si remplie, ne fait voir aujourd’hui que des
campagnes inhabitées ; et la France n’est rien en comparaison de cette
ancienne Gaule dont parle César.
Les pays du nord sont fort dégarnis ; et il s’en faut bien que les peuples y
soient, comme autrefois, obligés de se partager, et d’envoyer dehors, comme
des essaims, des colonies et des nations entières chercher de nouvelles
demeures.
La Pologne et la Turquie en Europe n’ont presque plus de peuples.
On ne saurait trouver dans l’Amérique la cinquantième partie des
hommes qui y formaient de si grands empires.
L’Asie n’est guère en meilleur état. Cette Asie mineure, qui contenait
tant de puissantes monarchies, et un nombre si prodigieux de grandes villes,
n’en a plus que deux ou trois. Quant à la grande Asie, celle qui est soumise
au Turc n’est pas plus peuplée : pour celle qui est sous la domination de
nos rois, si on la compare à l’état florissant où elle était autrefois, on verra
qu’elle n’a qu’une très petite partie des habitants qui y étaient sans nombre
du temps des Xerxès et des Darius.
Quant aux petits états qui sont autour de ces grands empires, ils sont
réellement déserts : tels sont les royaumes d’Imirette, de Circassie, et de
Guriel. Ces princes, avec de vastes états, comptent à peine cinquante mille
sujets.
L’Égypte n’a pas moins manqué que les autres pays.
Enfin je parcours la terre, et je n’y trouve que des délabrements : je crois
la voir sortir des ravages de la peste et de la famine.
L’Afrique a toujours été si inconnue qu’on ne peut en parler si
précisément que des autres parties du monde : mais, à ne faire attention
qu’aux côtes de la Méditerranée connues de tout temps, on voit qu’elle a
extrêmement déchu de ce qu’elle était sous les Carthaginois et les Romains.
Aujourd’hui ses princes sont si faibles que ce sont les plus petites puissances
du monde.
Après un calcul aussi exact qu’il peut l’être dans ces sortes de choses, j’ai
trouvé qu’il y a à peine sur la terre la dixième partie des hommes qui y étaient
dans les anciens temps. Ce qu’il y a d’étonnant, c’est qu’elle se dépeuple
tous les jours ; et si cela continue, dans dix siècles elle ne sera qu’un désert.
Voilà, mon cher Usbek, la plus terrible catastrophe qui soit jamais arrivée
dans le monde. Mais à peine s’en est-on aperçu, parce qu’elle est arrivée
insensiblement et dans le cours d’un grand nombre de siècles ; ce qui marque
un vice intérieur, un venin secret et caché, une maladie de langueur qui
afflige la nature humaine.
De Venise, le 10 de la lune de Rhégeb, 1718.
LETTRE CXIII
Usbek à Rhédi
À Venise
Le monde, mon cher Rhédi, n’est point incorruptible ; les cieux même ne
le sont pas : les astronomes sont des témoins oculaires de leurs changements,
qui sont des effets bien naturels du mouvement universel de la matière.
La terre est soumise, comme les autres planètes, aux lois des
mouvements ; elle souffre au-dedans d’elle un combat perpétuel de ses
principes : la mer et le continent semblent être dans une guerre éternelle ;
chaque instant produit de nouvelles combinaisons.
Les hommes, dans une demeure si sujette aux changements, sont dans un
état aussi incertain : cent mille causes peuvent agir, capables de les détruire,
et à plus forte raison d’augmenter ou de diminuer leur nombre.
Je ne te parlerai pas de ces catastrophes particulières si communes chez
les historiens, qui ont détruit des villes et des royaumes entiers : il y en a de
générales, qui ont mis bien des fois le genre humain à deux doigts de sa perte.
Les histoires sont pleines de ces pestes universelles qui ont tour à tour
désolé l’univers. Elles parlent d’une, entre autres, qui fut si violente qu’elle
brûla jusqu’à la racine des plantes, et se fit sentir dans tout le monde connu,
jusqu’à l’empire du Catay : un degré de plus de corruption aurait, peut-être
dans un seul jour, détruit toute la nature humaine.
Il n’y a pas deux siècles que la plus honteuse de toutes les maladies se
fit sentir en Europe, en Asie et en Afrique ; elle fit en très peu de temps des
effets prodigieux : c’était fait des hommes si elle avait continué ses progrès
avec la même furie. Accablés de maux dès leur naissance, incapables de
soutenir le poids des charges de la société, ils auraient péri misérablement.
Qu’aurait-ce été si le venin eût été un peu plus exalté ? et il le serait
devenu sans doute si l’on n’avait été assez heureux pour trouver un remède
aussi puissant que celui qu’on a découvert. Peut-être que cette maladie
attaquant les parties de la génération aurait attaqué la génération même.
Mais pourquoi parler de la destruction qui aurait pu arriver au genre
humain ? N’est-elle pas arrivée en effet ? et le déluge ne le réduisit-il pas
à une seule famille ?
Il y a des philosophes qui distinguent deux créations : celle des choses
et celle de l’homme. Ils ne peuvent comprendre que la matière et les choses
créées n’aient que six mille ans ; que Dieu ait différé pendant toute l’éternité
ses ouvrages, et n’ait usé que d’hier de sa puissance créatrice. Serait-ce parce
qu’il ne l’aurait pas pu, ou parce qu’il ne l’aurait pas voulu ? Mais, s’il ne
l’a pas pu dans un temps, il ne l’a pas pu dans l’autre. C’est donc parce qu’il
ne l’a pas voulu. Mais, comme il n’y a point de succession dans Dieu, si
l’on admet qu’il ait voulu quelque chose une fois, il l’a voulu toujours, et
dès le commencement.
Cependant tous les historiens nous parlent d’un premier père : ils
nous font voir la nature humaine naissante. N’est-il pas naturel de penser
qu’Adam fut sauvé d’un malheur commun comme Noé le fut du déluge, et
que ces grands événements ont été fréquents sur la terre depuis la création
du monde ?
Mais toutes les destructions ne sont pas violentes. Nous voyons plusieurs
parties de la terre se lasser de fournir à la subsistance des hommes :
que savons-nous si la terre entière n’a pas des causes générales, lentes et
imperceptibles, de lassitude ?
J’ai été bien aise de te donner ces idées générales avant de répondre
plus particulièrement à ta lettre sur la diminution des peuples arrivée
depuis dix-sept à dix-huit siècles. Je te ferai voir dans une lettre suivante
qu’indépendamment des causes physiques il y en a de morales qui ont
produit cet effet.
De Paris, le 8 de la lune de Chahban, 1718.
LETTRE CXIV
Usbek à Rhédi
Tu cherches la raison pourquoi la terre est moins peuplée qu’elle ne l’était
autrefois ; et, si tu y fais bien attention, tu verras que la grande différence
vient de celle qui est arrivée dans les mœurs.
Depuis que la religion chrétienne et la mahométane ont partagé le monde
romain, les choses sont bien changées : il s’en faut de beaucoup que ces deux
religions soient aussi favorables à la propagation de l’espèce que celle de
ces maîtres de l’univers.
Dans cette dernière la polygamie était défendue. et en cela elle avait un
très grand avantage sur la religion mahométane : le divorce y était permis ;
ce qui lui en donnait un autre non moins considérable sur la chrétienne.
Je ne trouve rien de si contradictoire que cette pluralité des femmes
permise par le saint Alcoran, et l’ordre de les satisfaire donné dans le même
livre. Voyez vos femmes, dit le prophète, parce que vous leur êtes nécessaire
comme leurs vêtements, et qu’elles vous sont nécessaires comme vos
vêtements. Voilà un précepte qui rend la vie d’un véritable musulman bien
laborieuse. Celui qui a les quatre femmes établies par la loi, et seulement
autant de concubines ou d’esclaves, ne doit-il pas être accablé de tant de
vêtements ?
Vos femmes sont vos labourages, dit encore le prophète ; approchez-vous
donc de vos labourages : faites du bien pour vos âmes, et vous le trouverez
un jour.
Je regarde un bon musulman comme un athlète destiné à combattre sans
relâche, mais qui, bientôt faible et accablé de ses premières fatigues, languit
dans le champ même de la victoire, et se trouve pour ainsi dire enseveli sous
ses propres triomphes.
La nature agit toujours avec lenteur, et pour ainsi dire avec épargne :
ses opérations ne sont jamais violentes. Jusque dans ses productions elle
veut de la tempérance : elle ne va jamais qu’avec règle et mesure : si on la
précipite, elle tombe bientôt dans la langueur ; elle emploie toute la force
qui lui reste à se conserver, perdant absolument sa vertu productrice et sa
puissance générative.
C’est dans cet état de défaillance que nous met toujours ce grand nombre
de femmes, plus propre à nous épuiser qu’à nous satisfaire. Il est très
ordinaire parmi nous de voir un homme dans un sérail prodigieux avec un
très petit nombre d’enfants ; ces enfants même sont la plupart du temps
faibles et malsains, et se sentent de la langueur de leur père.
Ce n’est pas tout : ces femmes, obligées à une continence forcée, ont
besoin d’avoir des gens pour les garder, qui ne peuvent être que des
eunuques ; la religion, la jalousie et la raison même ne permettent pas d’en
laisser approcher d’autres : ces gardiens doivent être en grand nombre, soit
afin de maintenir la tranquillité au-dedans parmi les guerres que ces femmes
se font sans cesse, soit pour empêcher les entreprises du dehors. Ainsi un
homme qui a dix femmes ou concubines n’a pas trop d’autant d’eunuques
pour les garder. Mais quelle perte pour la société que ce grand nombre
d’hommes morts dès leur naissance ! quelle dépopulation ne doit-il pas
s’ensuivre !
Les filles esclaves qui sont dans le sérail pour servir avec les eunuques ce
grand nombre de femmes y vieillissent presque toujours dans une affligeante
virginité : elles ne peuvent pas se marier pendant qu’elles y restent ; et leurs
maîtresses une fois accoutumées à elles ne s’en défont presque jamais.
Voilà comme un seul homme occupe à ses plaisirs tant de sujets de l’un et
de l’autre sexe, les fait mourir pour l’état, et les rend inutiles à la propagation
de l’espèce.
Constantinople et Ispahan sont les capitales des deux plus grands empires
du monde ; c’est là que tout doit aboutir, et que les peuples, attirés de
mille manières, se rendent de toutes parts. Cependant elles périssent d’elles-
mêmes et elles seraient bientôt détruites, si les souverains n’y faisaient venir
presque à chaque siècle des nations entières pour les repeupler. J’épuiserai
ce sujet dans une autre lettre.
De Paris, le 13 de lune de Chahban, 1718.
LETTRE CXV
Usbek à Rhédi
Les Romains n’avaient pas moins d’esclaves que nous ; ils en avaient
même plus : mais ils en faisaient un meilleur usage.
Bien loin d’empêcher par des voies forcées la multiplication de ces
esclaves, ils la favorisaient au contraire de tout leur pouvoir ; ils les
associaient le plus qu’ils pouvaient par des espèces de mariages : par ce
moyen ils remplissaient leurs maisons de domestiques de tous les sexes, de
tous les âges ; et l’état, d’un peuple innombrable.
Ces enfants, qui faisaient à la longue la richesse d’un maître, naissaient
sans nombre autour de lui : il était seul chargé de leur nourriture et de leur
éducation : les pères, libres de ce fardeau suivaient uniquement le penchant
de la nature, et multipliaient sans craindre une trop nombreuse famille.
Je t’ai dit que parmi nous tous les esclaves sont occupés à garder nos
femmes, et à rien de plus ; qu’ils sont, à l’égard de l’état, dans une perpétuelle
léthargie : de manière qu’il faut restreindre à quelques hommes libres, à
quelques chefs de famille, la culture des arts et des terres, lesquels même
s’y donnent le moins qu’ils peuvent.
Il n’en était pas de même chez les Romains. La république se servait avec
un avantage infini de ce peuple d’esclaves. Chacun d’eux avait son pécule,
qu’il possédait aux conditions que son maître lui imposait : avec ce pécule
il travaillait, et se tournait du côté où le portait son industrie. Celui-ci faisait
la banque : celui-là se donnait au commerce de la mer ; l’un vendait des
marchandises en détail ; l’autre s’appliquait à quelque art mécanique, ou
bien affermait et faisait valoir des terres : mais il n’y en avait aucun qui
ne s’attachât de tout son pouvoir à faire profiter ce pécule qui lui procurait
en même temps l’aisance dans la servitude présente, et l’espérance d’une
liberté future : cela faisait un peuple laborieux, animait les arts et l’industrie.
Ces esclaves, devenus riches par leurs soins et leur travail, se faisaient
affranchir et devenaient citoyens. La république se réparaît sans cesse, et
recevait dans son sein de nouvelles familles, à mesure que les anciennes se
détruisaient.
J’aurai peut-être, dans mes lettres suivantes, occasion de te prouver que
plus il y a d’hommes dans un état, plus le commerce y fleurit : je prouverai
aussi facilement que plus le commerce y fleurit, plus le nombre des hommes
y augmente : ces deux choses s’entraident et se favorisent nécessairement.
Si cela est, combien ce nombre prodigieux d’esclaves toujours laborieux
devait-il s’accroître et s’augmenter ! L’industrie et l’abondance les faisaient
naître ; et eux de leur côté faisaient naître l’abondance et l’industrie.
De Paris, le 16 la de Chahban, 1718.
LETTRE CXVI
Usbek à Rhédi
Nous avons jusqu’ici parlé des pays mahométans, et cherché la raison
pourquoi ils sont moins peuplés que ceux qui étaient soumis à la domination
des Romains : examinons à présent ce qui a produit cet effet chez les
chrétiens.
Le divorce était permis dans la religion païenne, et il fut défendu aux
chrétiens.
Ce changement, qui parut d’abord de si petite conséquence, eut
insensiblement des suites terribles, et telles qu’on peut à peine les croire.
On ôta non seulement toute la douceur du mariage, mais aussi l’on donna
atteinte à sa fin : en voulant resserrer ses nœuds on les relâcha ; et au lieu
d’unir les cœurs, comme on le prétendait, on les sépara pour jamais.
Dans une action si libre et où le cœur doit avoir tant de part on mit la gêne,
la nécessité, et la fatalité du destin même. On compta pour rien les dégoûts,
les caprices, et l’insociabilité des humeurs : on voulut fixer le cœur, c’est-
à-dire ce qu’il y a de plus variable et de plus inconstant dans la nature : on
attacha, sans retour et sans espérance, des gens accablés l’un de l’autre, et
presque toujours mal assortis : et l’on fit comme ces tyrans qui faisaient lier
des hommes vivants à des corps morts.
Rien ne contribuait plus à l’attachement mutuel que la faculté du divorce :
un mari et une femme étaient portés à soutenir patiemment les peines
domestiques, sachant qu’ils étaient maîtres de les faire finir ; et ils gardaient
souvent ce pouvoir en main toute leur vie sans en user, par cette seule
considération qu’ils étaient libres de le faire.
Il n’en est pas de même des chrétiens, que leurs peines présentes
désespèrent pour l’avenir. Ils ne voient dans les désagréments du mariage
que leur durée, et pour ainsi dire leur éternité : de là viennent les dégoûts,
les discordes, les mépris ; et c’est autant de perdu pour la postérité. À peine
a-t-on trois ans de mariage qu’on en néglige l’essentiel ; on passe ensemble
trente ans de froideur : il se forme des séparations intestines aussi fortes, et
peut-être plus pernicieuses que si elles étaient publiques : chacun vit et reste
de son côté, et tout cela au préjudice des races futures. Bientôt un homme,
dégoûté d’une femme éternelle, se livrera aux filles de joie : commerce
honteux et si contraire à la société, lequel, sans remplir l’objet du mariage,
n’en représente tout au plus que les plaisirs.
Si de deux personnes ainsi liées il y en a une qui n’est pas propre au
dessein de la nature et à la propagation de l’espèce, soit par son tempérament,
soit par son âge, elle ensevelit l’autre avec elle, et la rend aussi inutile qu’elle
l’est elle-même.
Il ne faut donc point s’étonner si l’on voit chez les chrétiens tant de
mariages fournir un si petit nombre de citoyens. Le divorce est aboli ; les
mariages mal assortis ne se raccommodent plus : les femmes ne passent plus,
comme chez les Romains, successivement dans les mains de plusieurs maris,
qui en tiraient dans le chemin le meilleur parti qu’il était possible.
J’ose le dire ; si, dans une république comme Lacédémone, où les citoyens
étaient sans cesse gênés par des lois singulières et subtiles, et dans laquelle
il n’y avait qu’une famille, qui était la république, il avait été établi que
les maris changeassent de femmes tous les ans, il en serait né un peuple
innombrable.
Il est assez difficile de faire bien comprendre la raison qui a porté les
chrétiens à abolir le divorce. Le mariage, chez toutes les nations du monde,
est un contrat susceptible de toutes les conventions, et on n’en a dû bannir
que celles qui auraient pu en affaiblir l’objet ; mais les chrétiens ne le
regardent pas dans ce point de vue : aussi ont-ils bien de la peine à dire ce
que c’est. Ils ne le font pas consister dans le plaisir des sens ; au contraire,
comme je te l’ai déjà dit, il semble qu’ils veuillent l’en bannir autant qu’ils
peuvent : mais c’est une image, une figure, et quelque chose de mystérieux,
que je ne comprends point.
De Paris, le 19 de la lune de Chahban, 1718.
LETTRE CXVII
Usbek à Rhédi
La prohibition du divorce n’est pas la seule cause de la dépopulation des
pays chrétiens ; le grand nombre d’eunuques qu’ils ont parmi eux n’en est
pas une moins considérable.
Je parle des prêtres et des dervis de l’un et de l’autre sexe, qui se vouent
à une continence éternelle : c’est chez les chrétiens la vertu par excellence ;
en quoi je ne les comprends pas, ne sachant ce que c’est qu’une vertu dont
il ne résulte rien.
Je trouve que leurs docteurs se contredisent manifestement quand ils
disent que le mariage est saint, et que le célibat, qui lui est opposé, l’est
encore davantage ; sans compter qu’en fait de préceptes et de dogmes
fondamentaux le bien est toujours le mieux.
Le nombre de ces gens faisant profession de célibat est prodigieux. Les
pères y condamnaient autrefois les enfants dès le berceau : aujourd’hui ils
s’y vouent eux-mêmes dès âge de quatorze ans ; ce qui revient à peu près
à la même chose.
Ce métier de continence a anéanti plus d’hommes que les pestes et les
guerres les plus sanglantes n’ont jamais fait. On voit dans chaque maison
religieuse une famille éternelle où il ne naît personne, et qui s’entretient
aux dépens de toutes les autres. Ces maisons sont toujours ouvertes comme
autant de gouffres où s’ensevelissent les races futures.
Cette politique est bien différente de celle des Romains, qui établissaient
des lois pénales contre ceux qui se refusaient aux lois du mariage, et
voulaient jouir d’une liberté si contraire à l’utilité publique.
Je ne te parle ici que des pays catholiques. Dans la religion protestante,
tout le monde est en droit de faire des enfants ; elle ne souffre ni
prêtres ni dervis ; et si, dans l’établissement de cette religion qui ramenait
tout aux premiers temps, ses fondateurs n’avaient été accusés sans cesse
d’intempérance, il ne faut pas douter qu’après avoir rendu la pratique du
mariage universelle, ils n’en eussent encore adouci le joug, et achevé d’ôter
toute la barrière qui sépare en ce point le Nazaréen et Mahomet.
Mais, quoi qu’il en soit, il est certain que la religion donne aux protestants
un avantage infini sur les catholiques.
J’ose le dire ; dans l’état présent où est l’Europe, il n’est pas possible que
la religion catholique y subsiste cinq cents ans.
