Arsène Lupin, Gentleman-Cambrioleur

ARSÈNE LUPIN EN PRISON

Il n’est point de touriste digne de ce nom qui ne connaisse lesbords de la Seine, et qui n’ait remarqué, en allant des ruines deJumièges aux ruines de Saint-Wandrille, l’étrange petit châteauféodal du Malaquis, si fièrement campé sur sa roche, en pleinerivière. L’arche d’un pont le relie à la route. La base de sestourelles sombres se confond avec le granit qui le supporte, blocénorme détaché d’on ne sait quelle montagne et jeté là par quelqueformidable convulsion. Tout autour, l’eau calme du grand fleuvejoue parmi les roseaux, et des bergeronnettes tremblent sur lacrête humide des cailloux.

L’histoire du Malaquis est rude comme son nom, revêche comme sasilhouette. Ce ne fut que combats, sièges, assauts, rapines etmassacres. Aux veillées du pays de Caux, on évoque en frissonnantles crimes qui s’y commirent. On raconte de mystérieuses légendes.On parle du fameux souterrain qui conduisait jadis à l’abbaye deJumièges et au manoir d’Agnès Sorel, la belle amie de CharlesVII.

Dans cet ancien repaire de héros et de brigands, habite le baronNathan Cahorn, le baron Satan, comme on l’appelait jadis à laBourse où il s’est enrichi un peu trop brusquement. Les seigneursdu Malaquis, ruinés, ont dû lui vendre, pour un morceau de pain, lademeure de leurs ancêtres. Il y a installé ses admirablescollections de meubles et de tableaux, de faïences et de boissculptés. Il y vit seul, avec trois vieux domestiques. Nul n’ypénètre jamais. Nul n’a jamais contemplé dans le décor de cessalles antiques les trois Rubens qu’il possède, ses deux Watteau,sa chaire de Jean Goujon, et tant d’autres merveilles arrachées àcoups de billets de banque aux plus riches habitués des ventespubliques.

Le baron Satan a peur. Il a peur non point pour lui, mais pourles trésors accumulés avec une passion si tenace et la perspicacitéd’un amateur que les plus madrés des marchands ne peuvent se vanterd’avoir induit en erreur. Il les aime, ses bibelots. Il les aimeâprement, comme un avare; jalousement, comme un amoureux.

Chaque jour, au coucher du soleil, les quatre portes bardées defer qui commandent les deux extrémités du pont et l’entrée de lacour d’honneur, sont fermées et verrouillées. Au moindre choc, dessonneries électriques vibreraient dans le silence. Du côté de laSeine, rien à craindre: le roc s’y dresse à pic.

Or, un vendredi de septembre, le facteur se présenta commed’ordinaire à la tête-de-pont. Et, selon la règle quotidienne, cefut le baron qui entrebâilla le lourd battant.

Il examina l’homme aussi minutieusement que s’il ne connaissaitpas déjà, depuis des années, cette bonne face réjouie et ces yeuxnarquois de paysan, et l’homme lui dit en riant:

—C’est toujours moi, monsieur le baron. Je ne suis pas un autrequi aurait pris ma blouse et ma casquette.

—Sait-on jamais? murmura Cahorn.

Le facteur lui remit une pile de journaux. Puis il ajouta:

—Et maintenant, monsieur le baron, il y a du nouveau.

—Du nouveau?

—Une lettre… et recommandée, encore.

Isolé, sans ami ni personne qui s’intéressât à lui, jamais lebaron ne recevait de lettre, et tout de suite cela lui parut unévénement de mauvais augure dont il y avait lieu de s’inquiéter.Quel était ce mystérieux correspondant qui venait le relancer danssa retraite?

—Il faut signer, monsieur le baron.

Il signa en maugréant. Puis il prit la lettre, attendit que lefacteur eût disparu au tournant de la route, et après avoir faitquelques pas de long en large, il s’appuya contre le parapet dupont et déchira l’enveloppe. Elle portait une feuille de papierquadrillé avec cet en-tête manuscrit: Prison de la Santé, Paris. Ilregarda la signature: Arsène Lupin. Stupéfait, il lut:

«Monsieur le baron,

«Il y a, dans la galerie qui réunit vos deux salons, un tableaude Philippe de Champaigne d’excellente facture et qui me plaîtinfiniment. Vos Rubens sont aussi de mon goût, ainsi que votre pluspetit Watteau. Dans le salon de droite, je note la crédence LouisXIII, les tapisseries de Beauvais, le guéridon Empire signé Jacobet le bahut Renaissance. Dans celui de gauche, toute la vitrine desbijoux et des miniatures.

«Pour cette fois, je me contenterai de ces objets qui seront, jecrois, d’un écoulement facile. Je vous prie donc de les faireemballer convenablement et de les expédier à mon nom (port payé),en gare des Batignolles, avant huit jours… faute de quoi, je feraiprocéder moi-même à leur déménagement dans la nuit du mercredi 27au jeudi 28 septembre. Et, comme de juste, je ne me contenterai pasdes objets sus-indiqués.

«Veuillez excuser le petit dérangement que je vous cause, etaccepter l’expression de mes sentiments de respectueuseconsidération.

«ARSÈNE LUPIN.»

«P.-S.—Surtout ne pas m’envoyer le plus grand des Watteau.Quoique vous l’ayez payé trente mille francs à l’Hôtel des Ventes,ce n’est qu’une copie, l’original ayant été brûlé, sous leDirectoire, par Barras, un soir d’orgie. Consulter lesMémoires inédits de Garat.

«Je ne tiens pas non plus à la châtelaine Louis XV dontl’authenticité me semble douteuse.»

Cette lettre bouleversa le baron Cahorn. Signée de tout autre,elle l’eût déjà considérablement alarmé, mais signée d’ArsèneLupin!

Lecteur assidu des journaux, au courant de tout ce qui sepassait dans le monde en fait de vol et de crime, il n’ignoraitrien des exploits de l’infernal cambrioleur. Certes, il savait queLupin, arrêté en Amérique par son ennemi Ganimard, était bel etbien incarcéré, que l’on instruisait son procès—avec quellepeine!—

Mais il savait aussi que l’on pouvait s’attendre à tout de sapart. D’ailleurs, cette connaissance exacte du château, de ladisposition des tableaux et des meubles, était un indice des plusredoutables. Qui l’avait renseigné sur des choses que nul n’avaitvues?

Le baron leva les yeux et contempla la silhouette farouche duMalaquis, son piédestal abrupt, l’eau profonde qui l’entoure, ethaussa les épaules. Non, décidément, il n’y avait point de danger.Personne au monde ne pouvait pénétrer jusqu’au sanctuaireinviolable de ses collections.

Personne, soit, mais Arsène Lupin? Pour Arsène Lupin, est-cequ’il existe des portes, des ponts-levis, des murailles? À quoiservent les obstacles les mieux imaginés, les précautions les plushabiles, si Arsène Lupin a décidé d’atteindre tel but?

Le soir même, il écrivit au procureur de la République à Rouen.Il envoyait la lettre de menaces et réclamait aide etprotection.

La réponse ne tarda point: le nommé Arsène Lupin étantactuellement détenu à la Santé, surveillé de près, et dansl’impossibilité d’écrire, la lettre ne pouvait être que l’œuvred’un mystificateur. Tout le démontrait, la logique et le bon sens,comme la réalité des faits. Toutefois, et par excès de prudence, onavait commis un expert à l’examen de l’écriture, et, l’expertdéclarait que, malgré certaines analogies, cette écriture n’étaitpas celle du détenu.

«Malgré certaines analogies» le baron ne retint que ces troismots effarants, où il voyait l’aveu d’un doute qui, à lui seul,aurait dû suffire pour que la justice intervînt. Ses craintess’exaspérèrent. Il ne cessait de relire la lettre. «Je feraiprocéder moi-même au déménagement.» Et cette date précise: la nuitdu mercredi 27 au jeudi 28 septembre!…

Soupçonneux et taciturne, il n’avait pas osé se confier à sesdomestiques, dont le dévouement ne lui paraissait pas à l’abri detoute épreuve. Cependant, pour la première fois depuis des années,il éprouvait le besoin de parler, de prendre conseil. Abandonné parla justice de son pays, il n’espérait plus se défendre avec sespropres ressources, et il fut sur le point d’aller jusqu’à Paris etd’implorer l’assistance de quelque ancien policier.

Deux jours s’écoulèrent. Le troisième, en lisant ses journaux,il tressaillit de joie. Le Réveil de Caudebec publiait cetentrefilet:

«Nous avons le plaisir de posséder dans nos murs, voilà bientôttrois semaines, l’inspecteur principal Ganimard, un des vétérans duservice de la Sûreté. M. Ganimard, à qui l’arrestation d’ArsèneLupin, sa dernière prouesse, a valu une réputation européenne, serepose de ses longues fatigues en taquinant le goujon etl’ablette.»

Ganimard! voilà bien l’auxiliaire que cherchait le baron Cahorn!Qui mieux que le retors et patient Ganimard saurait déjouer lesprojets de Lupin?

Le baron n’hésita pas. Six kilomètres séparent le château de lapetite ville de Caudebec. Il les franchit d’un pas allègre, enhomme que surexcite l’espoir du salut.

Après plusieurs tentatives infructueuses pour connaîtrel’adresse de l’inspecteur principal, il se dirigea vers les bureauxdu Réveil, situés au milieu du quai. Il y trouva lerédacteur de l’entrefilet qui, s’approchant de la fenêtre,s’écria:

—Ganimard? mais vous êtes sûr de le rencontrer le long du quai,la ligne à la main. C’est là que nous avons lié connaissance, etque j’ai lu par hasard son nom gravé sur sa canne à pêche. Tenez,le petit vieux que l’on aperçoit là-bas, sous les arbres de lapromenade.

—En redingote et en chapeau de paille?

—Justement! Ah! un drôle de type, pas causeur et plutôtbourru.

Cinq minutes après, le baron abordait le célèbre Ganimard, seprésentait et tâchait d’entrer en conversation. N’y parvenantpoint, il aborda franchement la question et exposa son cas.

L’autre écouta, immobile, sans perdre de vue le poisson qu’ilguettait, puis il tourna la tête vers lui, le toisa des pieds à latête d’un air de profonde pitié, et prononça:

—Monsieur, ce n’est guère l’habitude de prévenir les gens quel’on veut dépouiller. Arsène Lupin, en particulier, ne commet pasde pareilles bourdes.

—Cependant…

—Monsieur, si j’avais le moindre doute, croyez bien que leplaisir de fourrer encore dedans ce cher Lupin l’emporterait surtoute autre considération. Par malheur, ce jeune homme est sous lesverrous.

—S’il s’échappe?…

—On ne s’échappe pas de la Santé.

—Mais, lui…

—Lui, pas plus qu’un autre.

—Cependant…

—Eh bien, s’il s’échappe, tant mieux, je le repincerai. Enattendant, dormez sur vos deux oreilles, et n’effarouchez pasdavantage cette ablette.

La conversation était finie. Le baron retourna chez lui, un peurassuré par l’insouciance de Ganimard. Il vérifia les serrures,espionna les domestiques, et quarante-huit heures encore sepassèrent pendant lesquelles il arriva presque à se persuader que,somme toute, ses craintes étaient chimériques. Non, décidément,comme l’avait dit Ganimard, on ne prévient pas les gens que l’onveut dépouiller.

La date approchait. Le matin du mardi, veille du 27, rien departiculier. Mais à trois heures, un gamin sonna. Il apportait unedépêche.

«Aucun colis en gare Batignolles. Préparez tout pour demainsoir.

«ARSÈNE.»

De nouveau, ce fut l’affolement, à tel point qu’il se demandas’il ne céderait pas aux exigences d’Arsène Lupin.

Il courut à Caudebec. Ganimard pêchait à la même place, assissur un pliant. Sans un mot, il lui tendit le télégramme.

—Et après? fit l’inspecteur.

—Après? mais c’est pour demain!

—Quoi?

—Le cambriolage! le pillage de mes collections!

Ganimard déposa sa ligne, se tourna vers lui, et, les deux brascroisés sur sa poitrine, s’écria d’un ton d’impatience:

—Ah! ça, est-ce que vous vous imaginez que je vais m’occuperd’une histoire aussi stupide!

—Quelle indemnité demandez-vous pour passer au château la nuitdu 27 au 28 septembre?

—Pas un sou, fichez-moi la paix.

—Fixez votre prix, je suis riche, extrêmement riche.

La brutalité de l’offre déconcerta Ganimard qui reprit, pluscalme:

—Je suis ici en congé et je n’ai pas le droit de me mêler…

—Personne ne le saura. Je m’engage, quoi qu’il arrive, à garderle silence.

—Oh! il n’arrivera rien.

—Eh bien, voyons, trois mille francs, est-ce assez?

L’inspecteur huma une prise de tabac, réfléchit, et laissatomber:

—Soit. Seulement, je dois vous déclarer loyalement que c’est del’argent jeté par la fenêtre.

—Ça m’est égal.

—En ce cas… Et puis, après tout, est-ce qu’on sait avec cediable de Lupin! Il doit avoir à ses ordres toute une bande…Êtes-vous sûr de vos domestiques?

—Ma foi…

—Alors, ne comptons pas sur eux. Je vais prévenir par dépêchedeux gaillards de mes amis qui nous donneront plus de sécurité… Etmaintenant, filez, qu’on ne nous voie pas ensemble. À demain, versles neuf heures.

* * *

Le lendemain, date fixée par Arsène Lupin, le baron Cahorndécrocha sa panoplie, fourbit ses armes, et se promena auxalentours de Malaquis. Rien d’équivoque ne le frappa.

Le soir, à huit heures et demie, il congédia ses domestiques.Ils habitaient une aile en façade sur la route, mais un peu enretrait, et tout au bout du château. Une fois seul, il ouvritdoucement les quatre portes. Après un moment, il entendit des pasqui s’approchaient.

Ganimard présenta ses deux auxiliaires, grands gars solides, aucou de taureau et aux mains puissantes, puis demanda certainesexplications. S’étant rendu compte de la disposition des lieux, ilferma soigneusement et barricada toutes les issues par où l’onpouvait pénétrer dans les salles menacées. Il inspecta les murs,souleva les tapisseries, puis enfin il installa ses agents dans lagalerie centrale.

—Pas de bêtises, hein? On n’est pas ici pour dormir. À lamoindre alerte, ouvrez les fenêtres de la cour et appelez-moi.Attention aussi du côté de l’eau. Dix mètres de falaise droite, desdiables de leur calibre, ça ne les effraye pas.

Il les enferma, emporta les clefs, et dit au baron:

—Et maintenant, à notre poste.

Il avait choisi, pour y passer la nuit, une petite piècepratiquée dans l’épaisseur des murailles d’enceinte, entre les deuxportes principales, et qui était, jadis, le réduit du veilleur. Unjudas s’ouvrait sur le pont, un autre sur la cour. Dans un coin onapercevait comme l’orifice d’un puits.

—Vous m’avez bien dit, monsieur le baron, que ce puits étaitl’unique entrée des souterrains, et que, de mémoire d’homme, elleest bouchée?

—Oui.

—Donc, à moins qu’il n’existe une autre issue ignorée de tous,sauf d’Arsène Lupin, ce qui semble un peu problématique, noussommes tranquilles.

Il aligna trois chaises, s’étendit confortablement, alluma sapipe et soupira:

—Vraiment, monsieur le baron, il faut que j’aie rudement envied’ajouter un étage à la maisonnette où je dois finir mes jours,pour accepter une besogne aussi élémentaire. Je raconterail’histoire à l’ami Lupin, il se tiendra les côtes de rire.

Le baron ne riait pas. L’oreille aux écoutes, il interrogeait lesilence avec une inquiétude croissante. De temps en temps il sepenchait sur le puits et plongeait dans le trou béant un œilanxieux.

Onze heures, minuit, une heure sonnèrent.

Soudain, il saisit le bras de Ganimard qui se réveilla ensursaut.

—Vous entendez?

—Oui.

—Qu’est-ce que c’est?

—C’est moi qui ronfle!

—Mais non, écoutez…

—Ah! parfaitement, c’est la corne d’une automobile.

—Eh bien?

—Eh bien, il est peu probable que Lupin se serve d’uneautomobile comme d’un bélier pour démolir votre château. Aussi,monsieur le baron, à votre place, je dormirais… comme je vais avoirl’honneur de le faire à nouveau. Bonsoir.

Ce fut la seule alerte. Ganimard put reprendre sonsomme interrompu, et le baron n’entendit plus que son ronflementsonore et régulier.

Au petit jour, ils sortirent de leur cellule. Une grande paixsereine, la paix du matin au bord de l’eau fraîche, enveloppait lechâteau. Cahorn radieux de joie, Ganimard toujours paisible, ilsmontèrent l’escalier. Aucun bruit. Rien de suspect.

—Que vous avais-je dit, monsieur le baron? Au fond, je n’auraispas dû accepter… Je suis honteux…

Il prit les clefs et entra dans la galerie.

Sur deux chaises, courbés, les bras ballants, les deux agentsdormaient.

—Tonnerre de nom d’un chien! grogna l’inspecteur.

Au même instant, le baron poussait un cri:

—Les tableaux!… la crédence!…

Il balbutiait, suffoquait, la main tendue vers les places vides,vers les murs dénudés où pointaient les clous, où pendaient lescordes inutiles. Le Watteau, disparu! les Rubens, enlevés! lestapisseries, décrochées! les vitrines, vidées de leurs bijoux!

—Et mes candélabres Louis XVI!… et le chandelier du Régent!… etma Vierge du douzième!…

Il courait d’un endroit à l’autre, effaré, désespéré. Ilrappelait ses prix d’achat, additionnait les pertes subies,accumulait des chiffres, tout cela pêle-mêle, en mots indistincts,en phrases inachevées. Il trépignait, il se convulsait, fou de rageet de douleur. On aurait dit un homme ruiné qui n’a plus qu’à sebrûler la cervelle.

Si quelque chose eût pu le consoler, c’eût été de voir lastupeur de Ganimard. Contrairement au baron, l’inspecteur nebougeait pas lui. Il semblait pétrifié, et d’un œil vague ilexaminait les choses. Les fenêtres? fermées. Les serrures desportes? intactes. Pas de brèche au plafond. Pas de trou auplancher. L’ordre était parfait. Tout cela avait dû s’effectuerméthodiquement, d’après un plan inexorable et logique.

—Arsène Lupin… Arsène Lupin, murmura-t-il, effondré.

Soudain, il bondit sur les deux agents, comme si la colère enfinle secouait, et il les bouscula furieusement et les injuria. Ils nese réveillèrent point!

—Diable, fit-il, est-ce que par hasard?…

Il se pencha sur eux et, tour à tour, les observa avecattention: ils dormaient, mais d’un sommeil qui n’était pasnaturel.

Il dit au baron:

—On les a endormis.

—Mais qui?

—Eh lui, parbleu!… ou sa bande, mais dirigée par lui. C’est uncoup de sa façon. La griffe y est bien.

—En ce cas, je suis perdu, rien à faire.

—Rien à faire.

—Mais c’est abominable, c’est monstrueux.

—Déposez une plainte.

—À quoi bon?

—Dame! essayez toujours… la justice a des ressources…

—La justice! mais vous voyez bien par vous-même… Tenez, en cemoment, où vous pourriez chercher un indice, découvrir quelquechose, vous ne bougez même pas.

—Découvrir quelque chose avec Arsène Lupin! Mais, mon chermonsieur, Arsène Lupin ne laisse jamais rien derrière lui! Il n’y apas de hasard avec Arsène Lupin! J’en suis à me demander si cen’est pas volontairement qu’il s’est fait arrêter par moi, enAmérique!

—Alors, je dois renoncer à mes tableaux, à tout! Mais ce sontles perles de ma collection qu’il m’a dérobées. Je donnerais unefortune pour les retrouver. Si on ne peut rien contre lui, qu’ildise son prix!

Ganimard le regarda fixement.

—Ça, c’est une parole sensée. Vous ne la retirez pas?

—Non, non, non. Mais pourquoi?

—Une idée que j’ai.

—Quelle idée?

—Nous en parlerons si l’enquête n’aboutit pas… Seulement, pas unmot de moi, si vous voulez que je réussisse.

Il ajouta entre ses dents:

—Et puis, vrai, je n’ai pas de quoi me vanter.

Les deux agents reprenaient peu à peu connaissance avec cet airhébété de ceux qui sortent du sommeil hypnotique. Ils ouvraient desyeux étonnés, ils cherchaient à comprendre. Quand Ganimard lesinterrogea, ils ne se souvenaient de rien.

—Cependant, vous avez dû voir quelqu’un?

—Non.

—Rappelez-vous?

—Non, non.

—Et vous n’avez pas bu?

Ils réfléchirent, et l’un d’eux répondit:

—Si, moi, j’ai bu un peu d’eau.

—De l’eau de cette carafe?

—Oui.

—Moi aussi, déclara le second.

Ganimard la sentit, la goûta. Elle n’avait aucun goût spécial,aucune odeur.

—Allons, fit-il, nous perdons notre temps. Ce n’est pas en cinqminutes que l’on résoud les problèmes posés par Arsène Lupin. Mais,morbleu! je jure bien que je le repincerai. Il gagne la secondemanche. À moi la belle!

Le jour même, une plainte en vol qualifié était déposée par lebaron de Cahorn contre Arsène Lupin, détenu à la Santé!

* * *

Cette plainte, le baron la regretta souvent quand il vit leMalaquis livré aux gendarmes, au procureur, au juge d’instruction,aux journalistes, à tous les curieux qui s’insinuent partout où ilsne devraient pas être.

L’affaire passionnait déjà l’opinion. Elle se produisait dansdes conditions si particulières, le nom d’Arsène Lupin excitait àtel point les imaginations, que les histoires les plus fantaisistesremplissaient les colonnes des journaux et trouvaient créanceauprès du public.

Mais la lettre initiale d’Arsène Lupin, que publia l’Écho deFrance (et nul ne sut jamais qui en avait communiqué letexte), cette lettre où le baron Cahorn était effrontément prévenude ce qui le menaçait, causa une émotion considérable. Aussitôt desexplications fabuleuses furent proposées. On rappela l’existencedes fameux souterrains. Et le parquet influencé poussa sesrecherches dans ce sens.

On fouilla le château du haut en bas. On questionna chacune despierres. On étudia les boiseries et les cheminées, les cadres desglaces et les poutres des plafonds. À la lueur des torches, onexamina les caves immenses où les seigneurs du Malaquis entassaientjadis leurs munitions et leurs provisions. On sonda les entraillesdu rocher. Ce fut vainement. On ne découvrit pas le moindre vestigede souterrain. Il n’existait point de passage secret.

Soit, répondait-on de tous côtés, mais des meubles et destableaux ne s’évanouissent pas comme des fantômes. Cela s’en va pardes portes et par des fenêtres, et les gens qui s’en emparent,s’introduisent et s’en vont également par des portes et desfenêtres. Quels sont ces gens? Comment se sont-ils introduits? Etcomment s’en sont-ils allés?

Le parquet de Rouen, convaincu de son impuissance, sollicita lesecours d’agents parisiens. M. Dudouis, le chef de la Sûreté,envoya ses meilleurs limiers de la brigade de fer. Lui-même fit unséjour de quarante-huit heures au Malaquis. Il ne réussit pasdavantage.

C’est alors qu’il manda l’inspecteur principal Ganimard dont ilavait eu si souvent l’occasion d’apprécier les services.

Ganimard écouta silencieusement les instructions de sonsupérieur, puis, hochant la tête, il prononça:

—Je crois que l’on fait fausse route en s’obstinant à fouillerle château. La solution est ailleurs.

—Et où donc?

—Auprès d’Arsène Lupin.

—Auprès d’Arsène Lupin! Supposer cela, c’est admettre sonintervention.

—Je l’admets. Bien plus, je la considère comme certaine.

—Voyons, Ganimard, c’est absurde. Arsène Lupin est enprison.

—Arsène Lupin est en prison, soit. Il est surveillé, je vousl’accorde. Mais il aurait les fers aux pieds, des cordes auxpoignets et un bâillon sur la bouche, que je ne changerais pasd’avis.

—Et pourquoi cette obstination?

—Parce que, seul, Arsène Lupin est de taille à combiner unemachine de cette envergure, et de la combiner de telle façonqu’elle réussisse… comme elle a réussi.

—Des mots, Ganimard!

—Qui sont des réalités. Mais voilà, qu’on ne cherche pas desouterrain, de pierres tournant sur un pivot, et autres balivernesde ce calibre. Notre individu n’emploie pas des procédés aussivieux jeu. Il est d’aujourd’hui, ou plutôt de demain.

—Et vous concluez?

—Je conclus en vous demandant nettement l’autorisation de passerune heure avec lui.

—Dans sa cellule?

—Oui. Au retour d’Amérique nous avons entretenu, pendant latraversée, d’excellents rapports, et j’ose dire qu’il a quelquesympathie pour celui qui a su l’arrêter. S’il peut me renseignersans se compromettre, il n’hésitera pas à m’éviter un voyageinutile.

Il était un peu plus de midi lorsque Ganimard futintroduit dans la cellule d’Arsène Lupin. Celui-ci, étendu sur sonlit, leva la tête et poussa un cri de joie.

—Ah! ça, c’est une vraie surprise. Ce cher Ganimard, ici!

—Lui-même.

—Je désirais bien des choses dans la retraite que j’ai choisie…mais aucune plus passionnément que de vous y recevoir.

—Trop aimable.

—Mais non, mais non, je professe pour vous la plus viveestime.

—J’en suis fier.

—Je l’ai toujours prétendu: Ganimard est notre meilleurdétective. Il vaut presque,—vous voyez comme je suis franc!—il vautpresque Sherlock Holmès. Mais, en vérité, je suis désolé de n’avoirà vous offrir que cet escabeau. Et pas un rafraîchissement! pas unverre de bière! Excusez-moi, je suis là de passage.

Ganimard s’assit en souriant, et le prisonnier reprit, heureuxde parler:

—Mon Dieu, que je suis content de reposer mes yeux sur la figured’un honnête homme! J’en ai assez de toutes ces faces d’espions etde mouchards qui passent dix fois par jour la revue de mes pocheset de ma modeste cellule, pour s’assurer que je ne prépare pas uneévasion. Fichtre, ce que le gouvernement tient à moi!…

—Il a raison.

—Mais non! je serais si heureux qu’on me laissât vivre dans monpetit coin!

—Avec les rentes des autres.

—N’est-ce pas? Ce serait si simple! Mais je bavarde, je dis desbêtises, et vous êtes peut-être pressé. Allons au fait, Ganimard!Qu’est-ce qui me vaut l’honneur d’une visite?

—L’affaire Cahorn, déclara Ganimard, sans détour.

—Halte-là! une seconde… C’est que j’en ai tant d’affaires! Queje trouve d’abord dans mon cerveau le dossier de l’affaire Cahorn…Ah! voilà, j’y suis. Affaire Cahorn, château du Malaquis,Seine-Inférieure… Deux Rubens, un Watteau, et quelques menusobjets.

—Menus!

—Oh! ma foi, tout cela est de médiocre importance. Il y a mieux!Mais il suffit que l’affaire vous intéresse… Parlez donc,Ganimard.

—Dois-je vous expliquer où nous en sommes de l’instruction?

—Inutile. J’ai lu les journaux de ce matin. Je me permettraimême de vous dire que vous n’avancez pas vite.

—C’est précisément la raison pour laquelle je m’adresse à votreobligeance.

—Entièrement à vos ordres.

—Tout d’abord ceci: l’affaire a bien été conduite par vous?

—Depuis A jusqu’à Z.

—La lettre d’avis? le télégramme?

—Sont de votre serviteur. Je dois même en avoir quelque part lesrécépissés.

Arsène ouvrit le tiroir d’une petite table en bois blanc quicomposait avec le lit et l’escabeau tout le mobilier de sa cellule,y prit deux chiffons de papier et les tendit à Ganimard.

—Ah! ça mais, s’écria celui-ci, je vous croyais gardé à vue etfouillé pour un oui ou pour un non. Or vous lisez les journaux,vous collectionnez les reçus de la poste…

—Bah! ces gens-là sont si bêtes! Ils décousent la doublure de maveste, ils explorent les semelles de mes bottines, ils auscultentles murs de cette pièce, mais pas un n’aurait l’idée qu’ArsèneLupin soit assez niais pour choisir une cachette aussi facile.C’est bien là-dessus que j’ai compté.

Ganimard, amusé, s’exclama:

—Quel drôle de garçon vous faites! Vous me déconcertez. Allons,racontez-moi l’aventure.

—Oh! oh! comme vous y allez! Vous initier à tous mes secrets…vous dévoiler mes petits trucs… C’est bien grave.

—Ai-je eu tort de compter sur votre complaisance?

—Non, Ganimard, et puisque vous insistez…

Arsène Lupin arpenta deux ou trois fois sa chambre, puiss’arrêtant:

—Que pensez-vous de ma lettre au baron?

—Je pense que vous avez voulu vous divertir, épater un peu lagalerie.

—Ah! voilà, épater la galerie! Eh bien, je vous assure,Ganimard, que je vous croyais plus fort. Est-ce que je m’attarde àces puérilités, moi, Arsène Lupin! Est-ce que j’aurais écrit cettelettre si j’avais pu dévaliser le baron sans lui écrire? Maiscomprenez donc, vous et les autres, que cette lettre est le pointde départ indispensable, le ressort qui a mis toute la machine enbranle. Voyons, procédons par ordre, et préparons ensemble, si vousvoulez, le cambriolage du Malaquis.

—Je vous écoute.

—Donc, supposons un château rigoureusement fermé, barricadé,comme l’était celui du baron Cahorn. Vais-je abandonner la partieet renoncer à des trésors que je convoite, sous prétexte que lechâteau qui les contient est inaccessible?

—Évidemment non.

—Vais-je tenter l’assaut comme autrefois, à la tête d’une trouped’aventuriers?

—Enfantin!

—Vais-je m’y introduire sournoisement?

—Impossible.

—Reste un moyen, l’unique à mon avis, c’est de me faire inviterpar le propriétaire du dit château.

—Le moyen est original.

—Et combien facile! Supposons qu’un jour, ledit propriétairereçoive une lettre, l’avertissant de ce que trame contre lui unnommé Arsène Lupin, cambrioleur réputé. Que fera-t-il?

—Il enverra la lettre au procureur.

—Qui se moquera de lui, puisque le dit Lupin estactuellement sous les verrous. Donc, affolement du bonhomme,lequel est tout prêt à demander secours au premier venu, n’est-ilpas vrai?

—Cela est hors de doute.

—Et s’il lui arrive de lire dans une feuille de chou qu’unpolicier célèbre est en villégiature dans la localité voisine…

—Il ira s’adresser à ce policier.

—Vous l’avez dit. Mais, d’autre part, admettons qu’en prévisionde cette démarche inévitable, Arsène Lupin ait prié l’un de sesamis les plus habiles de s’installer à Caudebec, d’entrer enrelations avec un rédacteur du Réveil, journal auquelest abonné le baron, de laisser entendre qu’il est un tel, lepolicier célèbre, qu’adviendra-t-il?

—Que le rédacteur annoncera dans le Réveil la présenceà Caudebec du dit policier.

—Parfait, et de deux choses l’une: ou bien le poisson—je veuxdire Cahorn—ne mord pas à l’hameçon, et alors rien ne se passe. Oubien, et c’est l’hypothèse la plus vraisemblable, il accourt, toutfrétillant. Et voilà donc mon Cahorn implorant contre moil’assistance de l’un de mes amis!

—De plus en plus original.

—Bien entendu, le pseudo-policier refuse d’abord son concours.Là-dessus, dépêche d’Arsène Lupin. Épouvante du baron qui suppliede nouveau mon ami, et lui offre tant pour veiller à son salut.Ledit ami accepte, amène deux gaillards de notre bande, qui, lanuit, pendant que Cahorn est gardé à vue par son protecteur,déménagent par la fenêtre un certain nombre d’objets et leslaissent glisser, à l’aide de cordes, dans une bonne petitechaloupe affrétée ad hoc. C’est simple comme Lupin.

—Et c’est tout bêtement merveilleux, s’écria Ganimard, et je nesaurais trop louer la hardiesse de la conception et l’ingéniositédes détails. Mais je ne vois guère de policier assez illustre pourque son nom ait pu attirer, suggestionner le baron à ce point.

—Il y en a un, et il n’y en a qu’un.

—Lequel?

—Celui du plus illustre, de l’ennemi personnel d’Arsène Lupin,bref, de l’inspecteur Ganimard.

—Moi!

—Vous-même, Ganimard. Et voilà ce qu’il y a de délicieux: sivous allez là-bas et que le baron se décide à causer, vous finirezpar découvrir que votre devoir est de vous arrêter vous-même, commevous m’avez arrêté en Amérique. Hein! la revanche est comique: jefais arrêter Ganimard par Ganimard!

Arsène Lupin riait de bon cœur. L’inspecteur, assez vexé, semordait les lèvres. La plaisanterie ne lui semblait pas mériter detels accès de joie.

L’arrivée d’un gardien lui donna le loisir de se remettre.L’homme apportait le repas qu’Arsène Lupin, par faveur spéciale,faisait venir du restaurant voisin. Ayant déposé le plateau sur latable, il se retira. Arsène s’installa, rompit son pain, en mangeadeux ou trois bouchées et reprit:

—Mais, soyez tranquille, mon cher Ganimard, vous n’irez paslà-bas. Je vais vous révéler une chose qui vous stupéfiera:l’affaire Cahorn est sur le point d’être classée.

—Hein!

—Sur le point d’être classée, vous dis-je.

—Allons donc, je quitte à l’instant le chef de la Sûreté.

—Et après? Est-ce que M. Dudouis en sait plus long que moi surce qui me concerne? Vous apprendrez que Ganimard—excusez-moi—que lepseudo-Ganimard est resté en fort bons termes avec le baron.Celui-ci, et c’est la raison principale pour laquelle il n’a rienavoué, l’a chargé de la très délicate mission de négocier avec moiune transaction, et, à l’heure présente, moyennant une certainesomme, il est probable que le baron est rentré en possession de seschers bibelots. En retour de quoi, il retirera sa plainte. Donc,plus de vol. Donc il faudra bien que le parquet abandonne…

Ganimard considéra le détenu d’un air stupéfait.

—Et comment savez-vous tout cela?

—Je viens de recevoir la dépêche que j’attendais.

—Vous venez de recevoir une dépêche?

—À l’instant, cher ami. Par politesse, je n’ai pas voulu la lireen votre présence. Mais si vous m’y autorisez…

—Vous vous moquez de moi, Lupin.

—Veuillez, mon cher ami, décapiter doucement cet œuf à la coque.Vous constaterez par vous-même que je ne me moque pas de vous.

Machinalement Ganimard obéit, et cassa l’œuf avec la lame d’uncouteau. Un cri de surprise lui échappa. La coque, vide, contenaitune feuille de papier bleu. Sur la prière d’Arsène, il la déplia.C’était un télégramme, ou plutôt une partie de télégramme auquel onavait arraché les indications de la poste. Il lut:

«Accord conclu. Cent mille balles livrées. Tout va bien.»

—Cent mille balles? fit-il.

—Oui, cent mille francs! C’est peu, mais enfin les temps sontdurs… Et j’ai des frais généraux si lourds! Si vous connaissiez monbudget… un budget de grande ville!

Ganimard se leva. Sa mauvaise humeur s’était dissipée. Ilréfléchit quelques secondes, embrassa d’un coup d’œil toutel’affaire, pour tâcher d’en découvrir le point faible. Puis ilprononça d’un ton où il laissait franchement percer son admirationde connaisseur:

—Par bonheur, il n’en existe pas des douzaines comme vous, sansquoi il n’y aurait plus qu’à fermer boutique.

Arsène Lupin prit un petit air modeste et répondit:

—Bah! il fallait bien se distraire, occuper ses loisirs…d’autant que le coup ne pouvait réussir que si j’étais enprison.

—Comment! s’exclama Ganimard, votre procès, votre défense,l’instruction, tout cela ne vous suffit donc pas pour vousdistraire?

—Non, car j’ai résolu de ne pas assister à mon procès.

—Oh! oh!

Arsène Lupin répéta posément:

—Je n’assisterai pas à mon procès.

—En vérité!

—Ah! ça, mon cher, vous imaginez-vous que je vais pourrir sur lapaille humide? Vous m’outragez. Arsène Lupin ne reste en prison quele temps qu’il lui plaît, et pas une minute de plus.

—Il eût peut-être été plus prudent de commencer par ne pas yentrer, objecta l’inspecteur d’un ton ironique.

—Ah! monsieur raille? monsieur se souvient qu’il a eu l’honneurde procéder à mon arrestation? Sachez, mon respectable ami, quepersonne, pas plus vous qu’un autre, n’eût pu mettre la main surmoi, si un intérêt beaucoup plus considérable ne m’avait sollicitéà ce moment critique.

—Vous m’étonnez.

—Une femme me regardait, Ganimard, et je l’aimais.Comprenez-vous tout ce qu’il y a dans ce fait d’être regardé parune femme que l’on aime? Le reste m’importait peu, je vous jure. Etc’est pourquoi je suis ici.

—Depuis bien longtemps, permettez-moi de le remarquer.

—Je voulais oublier d’abord. Ne riez pas: l’aventure avait étécharmante, et j’en ai gardé encore le souvenir attendri… Et puis,je suis quelque peu neurasthénique! La vie est si fiévreuse de nosjours! Il faut savoir, à certains moments, faire ce que l’onappelle une cure d’isolement. Cet endroit est souverain pour lesrégimes de ce genre. On y pratique la cure de Santé dans toute sarigueur.

—Arsène Lupin, observa Ganimard, vous vous payez ma tête.

—Ganimard, affirma Lupin, nous sommes aujourd’hui vendredi.Mercredi prochain, j’irai fumer mon cigare chez vous, ruePergolèse, à quatre heures de l’après-midi.

—Arsène Lupin, je vous attends.

Ils se serrèrent la main comme deux bons amis qui s’estiment àleur juste valeur, et le vieux policier se dirigea vers laporte.

—Ganimard!

Celui-ci se retourna.

—Qu’y a-t-il?

—Ganimard, vous oubliez votre montre.

—Ma montre?

—Oui, elle s’est égarée dans ma poche.

Il la rendit en s’excusant.

—Pardonne-moi… une mauvaise habitude… Mais ce n’est pas uneraison parce qu’ils m’ont pris la mienne pour que je vous prive dela vôtre. D’autant que j’ai là un chronomètre dont je n’ai pas à meplaindre, et qui satisfait pleinement à mes besoins.

Il sortit du tiroir une large montre en or, épaisse etconfortable, ornée d’une lourde chaîne.

—Et celle-ci, de quelle poche vient-elle? demanda Ganimard.

Arsène Lupin examina négligemment les initiales.

—J. B… Qui diable cela peut-il bien être?… Ah! oui, je mesouviens, Jules Bouvier, mon juge d’instruction, un hommecharmant…

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