Sa femme, fiévreuse, l’attendait. Elle s’écria
en le voyant :
– Tu sais que Laroche est ministre des
Affaires étrangères.
– Oui, je viens même de faire un article sur
l’Algérie à ce sujet.
– Quoi donc ?
– Tu le connais, le premier que nous ayons
écrit ensemble : Les Mémoires d’un chasseur
d’Afrique, revu et corrigé pour la circonstance.
Elle sourit.
– Ah ! oui, mais ça va très bien.
Puis après avoir songé quelques instants :
– J’y pense, cette suite que tu devais faire
alors, et que tu as… laissée en route. Nous
pouvons nous y mettre à présent. Ça nous
donnera une jolie série bien en situation.
Il répondit en s’asseyant devant son potage :
– Parfaitement. Rien ne s’y oppose plus,
maintenant que ce cocu de Forestier est trépassé.
Elle répliqua vivement d’un ton sec, blessé :
– Cette plaisanterie est plus que déplacée, et jete prie d’y mettre un terme. Voilà trop longtemps
qu’elle dure.
Il allait riposter avec ironie ; on lui apporta
une dépêche contenant cette seule phrase, sans
signature :
J’avais perdu la tête. Pardonnez-moi et venez
demain, quatre heures, au parc Monceau.
Il comprit, et, le cœur tout à coup plein de joie,il dit à sa femme, en glissant le papier bleu dans
sa poche :
– Je ne le ferai plus, ma chérie. C’est bête. Je
le reconnais.
Et il recommença à dîner.
Tout en mangeant, il se répétait ces quelques
mots : « J’avais perdu la tête, pardonnez-moi, et
venez demain, quatre heures, au parc Monceau. »
Donc elle cédait. Cela voulait dire : « Je me
rends, je suis à vous, où vous voudrez, quand
vous voudrez. »
Il se mit à rire. Madeleine demanda :– Qu’est-ce que tu as ?
– Pas grand-chose. Je pense à un curé que j’ai
rencontré tantôt, et qui avait une bonne binette.
Du Roy arriva juste à l’heure au rendez-vous
du lendemain. Sur tous les bancs du parc étaient
assis des bourgeois accablés par la chaleur, et des
bonnes nonchalantes qui semblaient rêver
pendant que les enfants se roulaient dans le sable
des chemins.
Il trouva Mme Walter dans la petite ruine
antique où coule une source. Elle faisait le tour
du cirque étroit de colonnettes, d’un air inquiet et
malheureux.
Aussitôt qu’il l’eut saluée :
– Comme il y a du monde dans ce jardin ! dit-
elle.
Il saisit l’occasion :
– Oui, c’est vrai ; voulez-vous venir autre
part ?
– Mais où ?– N’importe où, dans une voiture, par
exemple. Vous baisserez le store de votre côté, et
vous serez bien à l’abri.
– Oui, j’aime mieux ça ; ici je meurs de peur.
– Eh bien ! vous allez me retrouver dans cinq
minutes à la porte qui donne sur le boulevard
extérieur. J’y arriverai avec un fiacre.
Et il partit en courant.
Dès qu’elle l’eut rejoint et qu’elle eut bien
voilé la vitre de son côté, elle demanda :
– Où avez-vous dit au cocher de nous
conduire ?
Georges répondit :
– Ne vous occupez de rien, il est au courant.
Il avait donné à l’homme l’adresse de son
appartement de la rue de Constantinople.
Elle reprit :
– Vous ne vous figurez pas comme je souffre à
cause de vous, comme je suis tourmentée et
torturée. Hier, j’ai été dure, dans l’église, mais je
voulais vous fuir à tout prix. J’ai tellement peur
de me trouver seule avec vous. M’avez-vous
pardonné ?
Il lui serrait les mains :
– Oui, oui. Qu’est-ce que je ne vous
pardonnerais pas, vous aimant comme je vous
aime ?
Elle le regardait d’un air suppliant.
– Écoutez, il faut me promettre de me
respecter… de ne pas… de ne pas… autrement je
ne pourrais plus vous revoir.
Il ne répondit point d’abord ; il avait sous la
moustache ce sourire fin qui troublait les femmes.
Il finit par murmurer :
– Je suis votre esclave.
Alors elle se mit à lui raconter comment elle
s’était aperçue qu’elle l’aimait en apprenant qu’il
allait épouser Madeleine Forestier. Elle donnait
des détails, de petits détails de dates et de choses
intimes.
Soudain elle se tut. La voiture venait de
s’arrêter. Du Roy ouvrit la portière.
– Où sommes-nous ? dit-elle.Il répondit :
– Descendez et entrez dans cette maison. Nous
y serons plus tranquilles.
– Mais où sommes-nous ?
– Chez moi. C’est mon appartement de garçon
que j’ai repris… pour quelques jours… pour avoir
un coin où nous puissions nous voir.
Elle s’était cramponnée au capiton du fiacre,
épouvantée à l’idée de ce tête-à-tête, et elle
balbutiait :
– Non, non, je ne veux pas ! Je ne veux pas !
Il prononça d’une voix énergique :
– Je vous jure de vous respecter. Venez. Vous
voyez bien qu’on nous regarde, qu’on va se
rassembler autour de nous. Dépêchez-vous…
dépêchez-vous… descendez.
Et il répéta :
– Je vous jure de vous respecter.
Un marchand de vin sur sa porte les regardait
d’un air curieux. Elle fut saisie de terreur et
s’élança dans la maison.
Elle allait monter l’escalier. Il la retint par le
bras :
– C’est ici, au rez-de-chaussée.
Et il la poussa dans son logis.
Dès qu’il eut refermé la porte, il la saisit
comme une proie. Elle se débattait, luttait,
bégayait : « Oh ! mon Dieu !… oh ! mon
Dieu !… »
Il lui baisait le cou, les yeux, les lèvres avec
emportement, sans qu’elle pût éviter ses caresses
furieuses ; et tout en le repoussant, tout en fuyant
sa bouche, elle lui rendait, malgré elle, ses
baisers.
Tout d’un coup elle cessa de se débattre, et
vaincue, résignée, se laissa dévêtir par lui. Il
enlevait une à une, adroitement et vite, toutes les
parties de son costume, avec des doigts légers de
femme de chambre.
Elle lui avait arraché des mains son corsage
pour se cacher la figure dedans, et elle demeurait
debout, toute blanche, au milieu de ses robes
abattues à ses pieds.
