DIX BRÈVES RENCONTRES AGATHA CHRISTIE

Alice, battit des mains et s’écria :

— Voilà une idée merveilleuse !

Ses yeux brillaient d’enthousiasme mais Jack était beaucoup moins satisfait. En réalité, il avait peur. Toutefois, pour rien au monde il ne l’eut avoué devant la jeune fille. Le médecin paraissait croire que sa proposition était la plus naturelle du monde.

— Quand pourrez-vous apporter le vase ? demanda Alice en se tournant vers Jack.

— Demain, répondit-il sans enthousiasme.

Il lui fallait s’exécuter, mais le souvenir de l’appel qui le hantait chaque matin devait être dominé s’il voulait aboutir. Le lendemain soir il se rendit chez son oncle et prit le vase. En le revoyant, il fut plus convaincu que jamais qu’il avait servi de modèle à l’aquarelle. Toutefois, en l’examinant de plus près, il n’y découvrit aucune cachette.

Il était 11 heures quand Lavington et lui arrivèrent aux Bruyères. Alice les attendait et leur ouvrit sans bruit avant qu’ils aient pu sonner.

— Entrez, murmura-t-elle. Mon père dort là-haut et il ne faut pas l’éveiller. Je vous ai préparé du café ici.

Elle les conduisit dans un petit boudoir où brûlait une lampe à alcool et leur offrit un excellent café.

Jack ôta l’emballage du vase chinois et Alice sursauta.

— Oui ! Oui ! s’écria-t-elle, c’est bien lui. Je le reconnaîtrais entre mille.

Pendant ce temps, Lavington se livrait à divers préparatifs : il ôta tous les bibelots qui occupaient une petite table et les posa au milieu de la pièce. Puis il approcha trois chaises, prit le vase bleu des mains de Jack et l’installa au centre de la table.

— Nous sommes prêts, dit-il. Éteignez les lumières et asseyons-nous autour de la table dans l’obscurité. (Quand ses deux compagnons eurent obéi, il reprit 🙂 Ne pensez à rien, ou à n’importe quoi, mais ne vous forcez pas. Il est possible que l’un de nous ait des dons médiumniques. Dans l’affirmative, il entrera en transe. Soyez tranquilles, vous n’avez rien à craindre. Chassez la peur de vos cœurs et laissez-vous glisser… glisser…

Sa voix s’éteignit et le silence tomba. Puis il devint de plus en plus chargé de significations… Mais Lavington avait beau dire : « Bannissez la crainte », Jack était pris de panique et convaincu que la jeune fille éprouvait la même émotion.

Elle dit soudain :

— Il va se produire quelque chose de terrible, je le sens…

— Bannissez la crainte, répondit Lavington, et ne combattez pas cette influence…

L’obscurité parut devenir plus profonde et le silence plus saisissant tandis que la menace approchait… Jack étouffait, le mauvais esprit était là… Puis la menace s’éloigna et il se sentit glisser dans l’eau…

Ses paupières se fermèrent, la paix et l’obscurité l’envahirent…

Jack remua un peu, sa tête lui semblait lourde comme du plomb. Où était-il ? Du soleil, des oiseaux… Étendu à terre, il regardait le ciel…

Soudain la mémoire lui revint… la séance, la petite pièce. Alice et le médecin… Que s’était-il passé ?

Il s’assit, la tête bourdonnante, et regarda autour de lui… Il était couché dans un petit taillis non loin du cottage, et il était seul. Il regarda sa montre et, à sa profonde surprise, constata qu’il était midi et demi.

Jack fit un effort pour se lever et courut aussi vite que possible vers la maison. Sans doute ses habitants s’étaient-ils effrayés de sa syncope et l’avaient-ils transporté au grand air. Arrivé au cottage, il frappa fortement à la porte, mais on ne répondit pas et il ne constata aucun signe de vie aux alentours. Était-on allé chercher du secours ? Soudain, Harington fut envahi par la frayeur… Que s’était-il passé la veille au soir ? Il se dirigea vers son hôtel aussi rapidement que possible et s’apprêtait à demander des explications au bureau quand il reçut dans les côtes un coup de poing qui lui fit presque perdre l’équilibre. Il se retour na, indigné, et aperçut un vieux monsieur à cheveux blancs qui riait gaiement.

— Tu ne m’attendais pas, mon garçon ?

— Comment ! c’est vous, oncle George ? Je vous croyais bien loin d’ici, quelque part en Italie…

— Je n’y étais pas. J’ai débarqué à Douvres hier soir, j’ai décidé de rentrer à Londres en auto et de m’arrêter ici pour te voir. Et je ne t’ai pas trouvé, c’est du joli !

— Mon oncle, s’écria Jack, j’ai la plus extraordinaire histoire à vous raconter et je crains que vous n’y ajoutiez pas foi !

— C’est fort possible, répondit le vieillard en riant, je t’écoute.

— Il faut d’abord que je mange car je suis affamé.

Jack conduisit son oncle dans la salle à manger et, tout en engloutissant un copieux repas, raconta son histoire qu’il acheva par ces mots : « Dieu seul sait ce qu’ils sont devenus… »

L’oncle paraissait près de l’apoplexie quand il balbutia :

— Le vase bleu, lui…, qu’est-il devenu ?

Jack le dévisagea mais commença à comprendre quand le vieillard le submergea sous un torrent d’imprécations :

— Un Ming… unique au monde. La perle de ma collection… valant au bas mot dix mille livres sterling… Hoggenheimer, un millionnaire américain, me les offrait… Seule pièce semblable au monde… Damnation ! qu’as-tu fait de mon vase bleu ?

Jack bondit de la pièce. Il lui fallait trouver Lavington. L’employée de la réception le dévisagea froidement :

— Le Dr Lavington est parti cette nuit en auto. Il a laissé un mot pour vous.

Jack ouvrit le pli :

Mon jeune ami.

L’ère du surnaturel est-elle révolue ? Pas tout à fait, surtout quand elle est traduite en langage scientifique moderne.

Meilleurs souvenirs d’Alice, de son père infirme et de moi-même. Nous avons douze heures d’avance, ce qui doit nous suffire.

Bien à vous.

Ambroise Lavington, médecin de l’âme

(Traduction de Claire Durivaux)

La métamorphose d’Edward Robinson

(The manhood of Edward Robinson)

D’un seul mouvement de ses bras puissants, Bill la souleva de terre et la serra sur sa poitrine. Elle gémit doucement et lui donna ses lèvres dans un baiser incandescent.

Edward Robinson poussa un soupir, reposa Quand l’amour est roi, et regarda le métro qui passait devant sa fenêtre. Ce Bill, c’était un homme ! Edward Robinson lui enviait ses muscles, son charme brutal et ses élans volcaniques. Il reprit le livre, lut la description de la fière marchesa Bianca – celle qui embrassait si bien. Sa beauté était si dévastatrice, sa séduction si brûlante que, éperdus d’amour, les hommes les plus forts tombaient à ses pieds, désarmés.

« Évidemment, se dit Edward, tout ça, c’est des blagues. Mais quand même, je me demande… »

Son regard pétillait d’envie. Existait-il, quelque part, un monde d’aventures romanesques peuplé de femmes à la beauté ravageuse ? L’amour qui vous dévore comme une flamme s’y rencontrait-il ?

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