DIX BRÈVES RENCONTRES AGATHA CHRISTIE

— Nous ne sommes pas encore perdus. Appelons à l’aide ! Il est impossible qu’on ne nous entende pas…

Ils se mirent à crier tant qu’ils purent, mais sans résultat.

— Inutile, dit tristement l’officier. Nous sommes sous terre et il est probable que les portes sont matelassées. Si l’on avait pu nous entendre, cette brute nous eût bâillonnés.

— Oh ! sanglota Freda, c’est ma faute et je vous ai entraîné à ma suite !

— Ne vous inquiétez pas, mon petit ! C’est à vous que je pense. J’ai souvent couru des dangers et m’en suis tiré. Ne perdez pas courage, nous en sortirons car nous avons le temps. Avant que l’eau ne monte trop, des heures s’écouleront…

— Vous êtes admirable ! Je n’ai jamais rencontré quelqu’un comme vous… sauf dans les romans !

— Allons donc ! C’est une simple question de bon sens. Il faut que je desserre ces maudites cordes.

À force de tirer et de remuer, Wilbraham sentit, au bout d’un quart d’heure, ses liens se relâcher ; il parvint à pencher la tête et à lever les poignets pour attaquer les nœuds avec ses dents. Une fois qu’il eut les mains libres, le reste devint plus simple et, ankylosé mais énergique, il libéra Freda. L’eau ne leur arrivait qu’à la cheville.

— Maintenant, dit le major, sortons d’ici…

La porte du cellier était surélevée de quelques marches. Wilbraham alla l’examiner et déclara :

— Pas de problème, ici le bois est mince et les charnières céderont.

Il appuya ses épaules contre le battant et fit un effort… la porte craqua et sortit de ses gonds. De l’autre côté, il y avait un escalier et une seconde porte, beaucoup plus épaisse, munie de barres de fer.

— Ceci va être plus difficile, dit le major. Oh ! quelle chance ! Elle n’est pas fermée à clef !

Il la poussa, regarda de l’autre côté et fit signe à Freda de le rejoindre dans le couloir qui longeait la cuisine. Un instant après ils étaient sur la route. La jeune fille sanglotait et murmurait :

— C’était épouvantable !

— Pauvre chérie ! (Il la prit dans ses bras en disant 🙂 Vous avez eu un courage admirable ! Freda, voulez-vous… je vous aime… acceptez-vous de m’épouser ?

Au bout de quelques minutes consacrées à la tendresse, Wilbraham déclara fièrement :

— Et nous savons même le secret de la cachette où se trouve l’ivoire !

— Mais on vous a volé le papier !

Il sourit :

— Pas du tout ! J’en ai fait une copie fantaisiste et, avant de venir vous rejoindre ici, j’ai mis l’original dans une lettre destinée à mon tailleur et l’ai jetée à la poste. Ces voleurs n’ont que la copie et je leur souhaite de l’agrément quand ils voudront s’en servir. Savez-vous ce que nous ferons, ma douce ? Nous irons en voyage de noces en Afrique du Sud et nous chercherons la cachette !

Mr Parker Pyne sortit de son bureau et monta deux étages. Arrivé au second, il entra dans une pièce occupée par Mrs Oliver, la romancière bien connue, qui faisait maintenant partie de son équipe. Elle était assise devant une machine à écrire posée sur une table encombrée de carnets, de manuscrits et d’un grand sac rempli de pommes.

— Vous avez créé une situation parfaite, lui dit aimablement Parker Pyne.

— Cela a bien marché ? J’en suis ravie.

— En ce qui concerne l’eau dans la cave, reprit le détective avec quelque embarras, vous ne croyez pas qu’une autre fois… nous pourrions avoir une idée plus originale ?

Mrs Oliver secoua la tête, prit une pomme dans le sac et répondit :

— Je ne suis pas de cet avis. Voyez-vous, le public a l’habitude de lire ce genre de récits : celliers inondés, gaz toxiques, etc., de sorte qu’il est beaucoup plus effrayé quand il en est victime lui-même. Les gens sont très conservateurs et apprécient volontiers les systèmes connus.

— Vous devez le savoir mieux que moi, reconnut son associé qui se souvenait des quarante-six romans à succès de Mrs Oliver, traduits en français, allemand, italien, hongrois, finnois, japonais et autres langues. Quelles dépenses avons-nous engagées ?

La romancière prit une feuille sur son bureau et déclara :

— Plutôt modestes, en somme ; Percy et Jerry, les deux « nègres », ont été très raisonnables. Le jeune acteur a accepté de jouer le rôle de Reed pour cinq guinées. Le petit speech de la cave n’était qu’un enregistrement sur phonographe.

— Whitefriars m’est vraiment utile, dit Parker Pyne. J’ai acheté cette maison pour presque rien et elle m’a déjà servi de décor pour onze scènes dramatiques.

— Oh ! j’oubliais le salaire de Johnny, ajouta Mrs Oliver. Cinq shillings.

— Johnny ?

— Oui : le gamin qui a versé l’eau dans le trou du plafond avec un tuyau.

— C’est vrai. Dites-moi, chère madame, où avez-vous appris le swahili ?

— Nulle part. Je me suis renseignée dans un bureau international. La seule chose qui me tourmente, c’est que nos deux héros ne trouveront pas d’ivoire quand ils iront en Afrique !

— On ne peut tout avoir ! répliqua le détective. Déjà, ils auront une lune de miel.

Mrs Wilbraham était assise sur une chaise longue. Son mari écrivait une lettre.

— Quel jour sommes-nous, Freda ? demanda-t-il ?

— Le 16.

— Le 16 ! Sapristi !

— Qu’y a-t-il, chéri ?

— Rien. Je pensais simplement à un garçon qui s’appelle Jones.

Même quand on est heureux en ménage, il y a des choses qu’on ne raconte pas. Le major Wilbraham pensait :

« J’aurais dû aller me faire rembourser mon argent. »

Puis, comme il était juste, il examina l’autre aspect de l’affaire : « En somme, c’est moi qui ai résilié le contrat. Je suppose que si j’étais allé voir Jones, il se serait produit un événement. Mais si je n’avais pas été en route pour chez lui, je n’aurais pas entendu l’appel de Freda et nous ne nous serions jamais rencontrés. Donc, ce Parker Pyne a indirectement gagné ces cinquante livres. »

De son côté, Mrs Wilbraham pensait :

« J’ai été bien sotte de croire que cette annonce pouvait donner un résultat et de payer trois guinées. Ces gens n’ont rien fait et il ne m’est rien arrivé grâce à eux. Si j’avais pu prévoir ce qui devait se produire ! D’abord, la visite de Mr Reed et ensuite la manière romanesque dont Charlie est entré dans ma vie ! Dire que, sans un hasard extraordinaire, j’aurais pu ne jamais le connaître. »

Elle se tourna et regarda son mari avec adoration.

(Traduction de Miriam Dou)

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