Dom Juan
Il est vrai que te voilà bien, et je ne sais où tu as été déterrer cet attirail ridicule.
Sganarelle
Oui ? C’est l’habit d’un vieux médecin, qui a été laissé en gage au lieu où je l’ai pris, et il m’en a coûté de
l’argent pour l’avoir. Mais savez-vous, Monsieur, que cet habit me met déjà en considération, que je suis
salué des gens que je rencontre, et que l’on me vient consulter ainsi qu’un habile homme ?
Dom Juan
Comment donc ?
Sganarelle
Cinq ou six paysans et paysannes, en me voyant passer, me sont venus demander mon avis sur différentes maladies.
Dom Juan
Tu leur as répondu que tu n’y entendois rien ?
Sganarelle
Moi ? Point du tout. J’ai voulu soutenir l’honneur de mon habit : j’ai raisonné sur le mal, et leur ai fait des ordonnances à chacun.
Dom Juan
Et quels remèdes encore leur as-tu ordonnés ?
Sganarelle
Ma foi ! Monsieur, j’en ai pris par où j’en ai pu attraper ; j’ai fait mes ordonnances à l’aventure, et ce seroit une chose plaisante si les malades guérissoient, et qu’on m’en vînt remercier.
Dom Juan
Et pourquoi non ? Par quelle raison n’aurois-tu pas les mêmes privilèges qu’ont tous les autres médecins ? Ils n’ont pas plus de part que toi aux guérisons des malades, et tout leur art est pure grimace. Ils ne font rien que recevoir la gloire des heureux succès, et tu peux profiter comme eux du bonheur du malade, et voir attribuer à tes remèdes tout ce qui peut venir des faveurs du hasard et des forces de la nature.
Sganarelle
Comment, Monsieur, vous êtes aussi impie en médecine ?
Dom Juan
C’est une des grandes erreurs qui soit parmi les hommes.
Sganarelle
Quoi ? vous ne croyez pas au séné, ni à la casse, ni au vin émétique ?
Dom Juan
Et pourquoi veux-tu que j’y croie ?
Sganarelle
Vous avez l’âme bien mécréante. Cependant vous voyez, depuis un temps, que le vin émétique fait bruire ses fuseaux. Ses miracles ont converti les plus incrédules esprits, et il n’y a pas trois semaines que j’en ai vu, moi qui vous parle, un effet merveilleux.
Dom Juan
Et quel ?
Sganarelle
Il y avoit un homme qui, depuis six jours, étoit à l’agonie ; on ne savoit plus que lui ordonner, et tous les remèdes ne faisoient rien ; on s’avisa à la fin de lui donner de l’émétique.
Dom Juan
Il réchappa, n’est-ce pas ?
Sganarelle
Non, il mourut.
Dom Juan
L’effet est admirable.
Sganarelle
Comment ? il y avoit six jours entiers qu’il ne pouvoit mourir, et cela le fit mourir tout d’un coup. Voulez-vous rien de plus efficace ?
Dom Juan
Tu as raison.
Sganarelle
Mais laissons là la médecine, où vous ne croyez point, et parlons des autres choses, car cet habit me donne de l’esprit, et je me sens en humeur de disputer contre vous : vous savez bien que vous me permettez les disputes, et que vous ne me défendez que les remontrances.
Dom Juan
Eh bien ?
Sganarelle
Je veux savoir un peu vos pensées à fond. Est-il possible que vous ne croyiez point du tout au Ciel ?
Dom Juan
Laissons cela.
Sganarelle
C’est à dire que non. Et à l’Enfer ?
Dom Juan
Eh !
Sganarelle
Tout de même. Et au diable, s’il vous plaît ?
Dom Juan
Oui, oui.
Sganarelle
Aussi peu. Ne croyez-vous point l’autre vie ?
Dom Juan
Ah ! ah ! ah !
Sganarelle
Voilà un homme que j’aurai bien de la peine à convertir. Et dites-moi un peu, le Moine bourru, qu’en croyez-vous, eh !
Dom Juan
La peste soit du fat !
Sganarelle
Et voilà ce que je ne puis souffrir, car il n’y a rien de plus vrai que le Moine bourru, et je me ferais pendre pour celui-là. Mais] encore faut-il croire quelque chose [dans le monde] : qu’est-ce [donc] que vous croyez ?
Dom Juan
Ce que je crois ?
Sganarelle
Oui.
Dom Juan
Je crois que deux et deux sont quatre, Sganarelle, et que quatre et quatre sont huit.
Sganarelle
La belle croyance [et les beaux articles de foi] que voilà ! Votre religion, à ce que je vois, est donc l’arithmétique ? Il faut avouer qu’il se met d’étranges folies dans la tête des hommes, et que pour avoir bien étudié on est bien moins sage le plus souvent. Pour moi, Monsieur, je n’ai point étudié comme vous. Dieu merci, et personne ne saurait se vanter de m’avoir jamais rien appris ; mais avec mon petit sens, mon petit jugement, je vois les choses mieux que tous les livres, et je comprends fort bien que ce monde que nous voyons n’est pas un champignon, qui soit venu tout seul en une nuit. Je voudrais bien vous demander qui a fait ces arbres-là, ces rochers, cette terre, et ce ciel que voilà là-haut, et si tout cela s’est bâti de lui-même. Vous voilà vous, par exemple, vous êtes là : est-ce que vous vous êtes fait tout seul, et n’a-t-il pas fallu que votre père ait engrossé votre mère pour vous faire ? Pouvez-vous voir toutes les inventions dont la machine de l’homme est composée sans admirer de quelle façon cela est agencé l’un dans l’autre : ces nerfs, ces os, ces veines, ces artères, ces… ce poumon, ce coeur, ce foie, et tous ces autres ingrédients qui sont là, et qui… Oh ! dame, interrompez-moi donc si vous voulez : je ne saurais disputer si l’on ne m’interrompt ; vous vous taisez exprès et me laissez parler par belle malice.
Dom Juan
J’attends que ton raisonnement soit fini.
Sganarelle
Mon raisonnement est qu’il y a quelque chose d’admirable dans l’homme, quoi que vous puissiez dire, que tous les savants ne sauroient expliquer. Cela n’est-il pas merveilleux que me voilà ici, et que j’aie quelque chose dans la tête qui pense cent choses différentes en un moment, et fait de mon corps tout ce qu’elle veut ? Je veux frapper des mains, hausser le bras, lever les yeux au ciel, baisser la tête, remuer les pieds, aller à droit, à gauche, en avant, en arrière, tourner… (Il se laisse tomber en tournant.)
Dom Juan
Bon ! voilà ton raisonnement qui a le nez cassé.
Sganarelle
Morbleu ! je suis bien sot de m’amuser à raisonner avec vous. Croyez ce que vous voudrez : il m’importe bien que vous soyez damné !
Dom Juan
Mais tout en raisonnant, je crois que nous sommes égarés. Appelle un peu cet homme que voilà là-bas, pour lui demander le chemin.
Sganarelle
Holà, ho, l’homme ! ho, mon compère ! ho, l’ami ! un petit mot s’il vous plaît.
Scène II
Dom Juan, Sganarelle, un pauvre
Sganarelle
Enseignez-nous un peu le chemin qui mène à la ville.
Le pauvre.
Vous n’avez qu’à suivre cette route, Messieurs, et détourner à main droite quand vous serez au bout de la forêt. Mais je vous donne avis que vous devez vous tenir sur vos gardes, et que depuis quelque temps il y a des voleurs ici autour.
Dom Juan
Je te suis bien obligé, mon ami, et je te rends grâce de tout mon coeur.
Le pauvre
Si vous vouliez, Monsieur, me secourir de quelque aumône ?
Dom Juan
Ah ! ah ! ton avis est intéressé, à ce que je vois.
Le pauvre
Je suis un pauvre homme, Monsieur, retiré tout seul dans ce bois depuis dix ans, et je ne manquerai pas de prier le Ciel qu’il vous donne toute sorte de biens.
Dom Juan
Eh ! prie-le qu’il te donne un habit, sans te mettre en peine des affaires des autres.
Sganarelle
Vous ne connaissez pas Monsieur, bonhomme ; il ne croit qu’en deux et deux sont quatre et en quatre et quatre sont huit.
Dom Juan
Quelle est ton occupation parmi ces arbres ?
Le pauvre
De prier le Ciel tout le jour pour la prospérité des gens de bien qui me donnent quelque chose.
Dom Juan
Il ne se peut donc pas que tu ne sois bien à ton aise ?
Le pauvre
Hélas ! Monsieur, je suis dans la plus grande nécessité du monde.
Dom Juan
Tu te moques : un homme qui prie le Ciel tout le jour ne peut pas manquer d’être bien dans ses affaires.
Le pauvre
Je vous assure, Monsieur, que le plus souvent je n’ai pas un morceau de pain à me mettre sous les dents.
Dom Juan
Voilà qui est étrange, et tu es bien mal reconnu de tes soins. Ah ! ah ! je m’en vais te donner un louis d’or [tout à l’heure, pourvu que tu veuilles jurer.
Le pauvre
Ah ! Monsieur, voudriez-vous que je commisse un tel péché ?
Dom Juan
Tu n’as qu’à voir si tu veux gagner un louis d’or ou non. En voici un que je te donne, si tu jures ; tiens, il faut jurer.
Le pauvre
Monsieur !
Dom Juan
A moins de cela, tu ne l’auras pas.
Sganarelle
Va, va, jure un peu, il n’y a pas de mal.
Dom Juan
Prends, le voilà ; prends, te dis-je, mais jure donc.
Le pauvre !
Non, Monsieur, j’aime mieux mourir de faim.
Dom Juan
Va, va, je te le donne pour l’amour de l’humanité. Mais que vois-je là ? un homme attaqué par trois autres ? La partie est trop inégale, et je ne dois pas souffrir cette lâcheté.
(Il court au lieu du combat.)
Scène III
Dom Juan, Dom Carlos, Sganarelle
Sganarelle
Mon maître est un vrai enragé d’aller se présenter à un péril qui ne le cherche pas ; mais, ma foi ! le secours a servi, et les deux ont fait fuir les trois.
Dom Carlos, l’épée à la main.
On voit, par la fuite de ces voleurs, de quel secours est votre bras. Souffrez, Monsieur, que je vous rende grâce d’une action si généreuse, et que…
Dom Juan, revenant l’épée à la main.
Je n’ai rien fait, Monsieur, que vous n’eussiez fait en ma place. Notre propre honneur est intéressé dans de pareilles aventures, et l’action de ces coquins étoit si lâche que c’eût été y prendre part que de ne s’y pas opposer. Mais par quelle rencontre vous êtes-vous trouvé entre leurs mains ?
Dom Carlos
Je m’étois par hasard égaré d’un frère et de tous ceux de notre suite ; et comme je cherchois à les rejoindre, j’ai fait rencontre de ces voleurs, qui d’abord ont tué mon cheval ; et qui, sans votre valeur, en auroient fait autant de moi.
Dom Juan
Votre dessein est-il d’aller du côté de la ville ?
l’offense que nous cherchons à venger est une soeur séduite et enlevée d’un convent ; et que l’auteur de cette offense est un Dom Juan Tenorio, fils de Dom Louis Tenorio. Nous le cherchons depuis quelques jours, et nous l’avons suivi ce matin sur le rapport d’un valet qui nous a dit qu’il sortoit à cheval, accompagné de quatre ou cinq, et qu’il avoit pris le long de cette côte ; mais tous nos soins ont été inutiles, et nous n’avons pu découvrir ce qu’il est devenu.
Dom Juan
Le connoissez-vous, Monsieur, ce Dom Juan dont vous parlez ?
Dom Carlos
Non, quant à moi. Je ne l’ai jamais vu, et je l’ai seulement ouï dépeindre à mon frère ; mais la renommée n’en dit pas force bien, et c’est un homme dont la vie…
Dom Juan
Arrêtez, Monsieur, s’il vous plaît. Il est un peu de mes amis, et ce seroit à moi une espèce de lâcheté, que d’en ouïr dire du mal.
Dom Carlos
Pour l’amour de vous, Monsieur, je n’en dirai rien du tout, et c’est bien la moindre chose que je vous doive, après m’avoir sauvé la vie, que de me taire devant vous d’une personne que vous connoissez, lorsque je ne puis en parler sans en dire du mal ; mais, quelque ami que vous lui soyez, j’ose espérer que vous n’approuverez pas son action, et ne trouverez pas étrange que nous cherchions d’en prendre la vengeance.
Dom Juan
Au contraire, je vous y veux servir, et vous épargner des soins inutiles. Je suis ami de Dom Juan, je ne puis pas m’en empêcher ; mais il n’est pas raisonnable qu’il offense impunément des gentilshommes, et je m’engage à vous faire faire raison par lui.
Dom Carlos
Et quelle raison peut-on faire à ces sortes d’injures ?
Dom Juan
Toute celle que votre honneur et souhaiter ; et, sans vous donner la peine de chercher Dom Juan davantage, je m’oblige à le faire trouver au lieu que vous voudrez, et quand il vous plaira.
Dom Carlos
Cet espoir est bien doux, Monsieur, à des coeurs offensés ; mais, après ce que je vous dois, ce me seroit une trop sensible douleur que vous fussiez de la partie.
Dom Juan
Je suis si attaché à Dom Juan qu’il ne sauroit se battre que je ne me batte aussi ; mais enfin j’en réponds comme de moi-même, et vous n’avez qu’à dire quand vous voulez qu’il paroisse et vous donne satisfaction.
Dom Carlos
Que ma destinée est cruelle ! Faut-il que je vous doive la vie, et que Dom Juan soit de vos amis ?
Scène IV
Dom Alonse, et trois Suivants, Dom Carlos, Dom Juan, Sganarelle
Dom Alonse
Faites boire là mes chevaux, et qu’on les amène après nous ; je veux un peu marcher à pied. O Ciel ! que vois-je ici ! Quoi ? mon frère, vous voilà avec notre ennemi mortel ?
Dom Carlos
Notre ennemi mortel ?
Dom Juan ; se reculant de trois pas et mettant fièrement la main sur la garde de son épée.
Oui, je suis Dom Juan moi-même, et l’avantage du nombre ne m’obligea pas à vouloir déguiser mon nom.
Dom Alonse
Ah ! traître, il faut que tu périsses, et…
Dom Carlos
Ah ! mon frère, arrêtez. Je lui suis redevable de la vie ; et sans le secours de son bras, j’aurois été tué par des voleurs que j’ai trouvés !
Dom Alonse
Et voulez-vous que cette considération empêche notre vengeance ? Tous les services que nous rend une main ennemie ne sont d’aucun mérite pour engager notre âme ; et s’il faut mesurer l’obligation à l’injure, votre reconnoissance, mon frère, est ici ridicule ; et comme l’honneur est infiniment plus précieux que la vie, c’est ne devoir rien proprement que d’être redevable de la vie à qui nous a ôté l’honneur.
Dom Carlos
Je sais la différence, mon frère, qu’un gentilhomme doit toujours mettre entre l’un et l’autre, et la reconnoissance de l’obligation n’efface point en moi le ressentiment de l’injure ; mais souffrez que je lui rende ici ce qu’il m’a prêté, que je m’acquitte sur-le-champ de la vie que je lui dois, par un délai de notre vengeance, et lui laisse la liberté de jouir, durant quelques jours, du fruit de son bienfait.
Dom Alonse
Non, non, c’est hasarder notre vengeance que de la reculer et l’occasion de la prendre peut ne plus revenir. Le Ciel nous l’offre ici, c’est à nous d’en profiter. Lorsque l’honneur est blessé mortellement, on ne doit point songer à garder aucunes mesures ; et si vous répugnez à prêter votre bras à cette action, vous n’avez qu’a vous retirer et laisser à ma main la gloire d’un tel sacrifice.
Dom Carlos
De grâce, mon frère…
Dom Alonse
Tous ces discours sont superflus : il faut qu’il meure.
Dom Carlos
Arrêtez-vous, dis-je, mon frère. Je ne souffrirai point du tout qu’on attaque ses jours, et je jure le Ciel que je le défendrai ici contre qui que ce soit, et je saurai lui faire un rempart de cette même vie qu’il a sauvée ; et pour adresser vos coups, il faudra que vous me perciez.
Dom Alonse
Quoi ? vous prenez le parti de notre ennemi contre moi ; et loin d’être saisi à son aspect des mêmes transports que je sens, vous faites voir pour lui des sentiments pleins de douceur ?
Dom Carlos
Mon frère, montrons de la modération dans une action légitime, et ne vengeons point notre honneur avec cet emportement que vous témoignez. Ayons du coeur dont nous soyons les maîtres, une valeur qui n’ait rien de farouche, et qui se porte aux choses par une pure délibération de notre raison, et non point par le mouvement d’une aveugle colère. Je ne veux point, mon frère, demeurer redevable à mon ennemi, et je lui ai une obligation dont il faut que je m’acquitte avant toute chose. Notre vengeance, pour être différée, n’en sera pas moins éclatante : au contraire, elle en tirera de l’avantage ; et cette occasion de l’avoir pu prendre la fera paroître plus juste aux yeux de tout le monde.
Dom Alonse
O l’étrange foiblesse, et l’aveuglement effroyable d’hasarder ainsi les intérêts de son honneur pour la ridicule pensée d’une obligation chimérique !
Dom Carlos
Non, mon frère, ne vous mettez pas en peine. Si je fais une faute, je saurai bien la réparer, et je me charge de tout le soin de notre honneur ; je sais à quoi il nous oblige, et cette suspension d’un jour, que ma reconnoissance lui demande, ne fera qu’augmenter l’ardeur que j’ai de le satisfaire. Dom Juan, vous voyez que j’ai soin de vous rendre le bien que j’ai reçu de vous, et vous devez par là juger du reste, croire que je m’acquitte avec même chaleur de ce que je dois, et que je ne serai pas moins exact à vous payer l’injure que le bienfait. Je ne veux point vous obliger ici à expliquer vos sentiments, et je vous donne la liberté de penser à loisir aux résolutions que vous avez à prendre. Vous connoissez assez la grandeur de l’offense que vous nous avez faite, et je vous fais juge vous-même des réparations qu’elle demande. Il est des moyens doux pour nous satisfaire ; il en est de violents et de sanglants ; mais enfin, quelque choix que vous fassiez, vous m’avez donné parole de me faire faire raison par Dom Juan : songez à me la faire, je vous prie, et vous ressouvenez que, hors d’ici, je ne dois plus qu’à mon honneur.
Dom Juan
Je n’ai rien exigé de vous, et vous tiendrai ce que j’ai promis.
Dom Carlos
Allons, mon frère : un moment de douceur ne fait aucune injure à la sévérité de notre devoir.
Scène V
Dom Juan, Sganarelle
Dom Juan.
Holà, hé, Sganarelle !
Sganarelle
Plaît-il ?
Dom Juan
Comment ? coquin, tu fuis quand on m’attaque ?
Sganarelle
Pardonnez-moi, Monsieur ; je viens seulement d’ici près. Je crois que cet habit est purgatif, et que c’est prendre médecine que de le porter.
Dom Juan
Peste soit l’insolent ! Couvre au moins ta poltronnerie d’un voile plus honnête. Sais-tu bien qui est celui à qui j’ai sauvé la vie ?
Sganarelle
Moi ? Non.
Dom Juan
C’est un frère d’Elvire.
Sganarelle
Un…
Dom Juan
Il est assez honnête homme, il en a bien usé, et j’ai regret d’avoir démêlé avec lui.
Sganarelle
Il vous seroit aisé de pacifier toutes choses.
Dom Juan
Oui ; mais ma passion est usée pour Done Elvire, et l’engagement ne compatit point avec mon humeur. J’aime la liberté en amour, tu le sais, et je ne saurois me résoudre à renfermer mon coeur entre quatre murailles. Je te l’ai dit vingt fois, j’ai une pente naturelle à me laisser aller à tout ce qui m’attire. Mon coeur est à toutes les belles, et c’est à elles à le prendre tour à tour et à le garder tant qu’elles le pourront. Mais quel est le superbe édifice que je vois entre ces arbres ?
Sganarelle
Vous ne le savez pas ?
Dom Juan
Non, vraiment.
Sganarelle.
Bon ! c’est le tombeau que le Commandeur faisoit faire lorsque vous le tuâtes.
Dom Juan
Ah ! tu as raison. Je ne savois pas que c’étoit de ce côté-ci qu’il étoit. Tout le monde m’a dit des merveilles de cet ouvrage, aussi bien que de la statue du Commandeur, et j’ai envie de l’aller voir.