Han d’Islande de Victor Hugo

XII

… L’homme qui est en ce moment assis près de lui, qui rompt avec lui son pain et boit à sa
santé la coupe qu’ils ont partagée ensemble, sera le premier à l’assassiner.

SHAKESPEARE, Timon d’Athènes.

Que le lecteur se transporte maintenant sur la route de Drontheim à Skongen, route étroite et pierreuse qui côtoie le golfe de Drontheim jusqu’au hameau de Vygla, il ne tardera pas à entendre les pas de deux voyageurs qui sont sortis de la porte dite de Skongen à la chute du jour, et montent assez rapidement les collines étagées sur lesquelles serpente le chemin de Vygla.

Tous deux sont enveloppés de manteaux. L’un marche d’un pas jeune et ferme, le corps droit et la tête levée; l’extrémité d’un sabre dépasse le bord de son manteau, et, malgré l’obscurité de la nuit, on peut voir une plume se balancer au souffle du vent sur sa toque. L’autre est un peu plus grand que son compagnon, mais légèrement voûté; on voit sur son dos une bosse, formée sans doute par une besace que cache un grand manteau noir dont les bords profondément dentelés annoncent les bons et loyaux services. Il n’a d’autre arme qu’un long bâton dont il aide sa marche inégale et précipitée.

Si la nuit empêche le lecteur de distinguer les traits des deux voyageurs, il les reconnaîtra peut−être à la conversation que l’un d’eux entame après une heure de route silencieuse, et par conséquent ennuyeuse.

—Maître! mon jeune maître! nous sommes au point d’où l’on aperçoit à la fois la tour de Vygla et les clochers de Drontheim. Devant nous, à l’horizon, cette masse noire, c’est la tour; derrière nous; voici la cathédrale, dont les arcs−boutants, plus sombres encore que le ciel, se dessinent comme les côtes de la carcasse d’un mammouth.

—Vygla est−il loin de Skongen? demanda l’autre piéton.

—Nous avons l’Ordals à traverser, seigneur; nous ne serons pas à Skongen avant trois heures du matin.

—Quelle est l’heure qui sonne en ce moment?

—Juste Dieu, maître! vous me faites trembler. Oui, c’est la cloche de Drontheim, dont le vent nous apporte les sons. Cela annonce l’orage. Le souffle du nord−ouest amène les nuages.

—Les étoiles, en effet, ont toutes disparu derrière nous.

—Doublons le pas, mon noble seigneur, de grâce. L’orage arrive, et peut−être s’est−on déjà aperçu à la ville de la mutilation du cadavre de Gill et de ma fuite. Doublons le pas.

—Volontiers. Vieillard, votre fardeau paraît lourd; cédez−le−moi, je suis jeune et plus vigoureux que vous.

—Non, en vérité, noble maître; ce n’est point à l’aigle à porter l’écaille de la tortue. Je suis trop indigne que vous vous chargiez de ma besace.

—Mais, vieillard, si elle vous fatigue? Elle paraît pesante. Que contient−elle donc? Tout à l’heure vous avez bronché, cela a résonné comme du fer.

Le vieillard s’écarta brusquement du jeune homme.

—Cela a résonné, maître! oh non! vous vous êtes trompé. Elle ne contient rien… que des vivres, des habits. Non, elle ne me fatigue pas, seigneur.

La proposition bienveillante du jeune homme paraissait avoir causé à son vieux compagnon un effroi qu’il s’efforçait de dissimuler.

—Eh bien, répondit le jeune homme sans s’en apercevoir, si ce fardeau ne vous fatigue pas, gardez−le.

Le vieillard, tranquillisé, se hâta néanmoins de changer la conversation.

—Il est triste de suivre, la nuit, en fugitifs, une route qu’il serait si agréable, seigneur, de parcourir le jour en observateurs. On trouve sur les bords du golfe, à notre gauche, une profusion de pierres runiques, sur lesquelles on peut étudier des caractères tracés, suivant les traditions, par les dieux et les géants. À notre droite, derrière les rochers qui bordent le chemin, s’étend le marais salé de Sciold, qui communique sans doute avec la mer par quelque canal souterrain, puisque l’on y pêche le lombric marin, ce poisson singulier qui, d’après les découvertes de votre serviteur et guide, mange du sable. C’est dans la tour de Vygla, dont nous approchons, que le roi païen Vermond fit rôtir les mamelles de sainte Étheldera, cette glorieuse martyre, avec du bois de la vraie croix, apporté à Copenhague par Olaüs III, et conquis par le roi de Norvège. On dit que depuis on a essayé inutilement de faire une chapelle de cette tour maudite; toutes les croix qu’on y a placées successivement ont été consumées par le feu du ciel.

En ce moment un immense éclair couvrit le golfe, la colline, les rochers, la tour, et disparut avant que l’oeil des deux voyageurs eût pu discerner aucun de ces objets. Ils s’arrêtèrent spontanément, et l’éclair fut suivi presque immédiatement d’un coup de tonnerre violent, dont l’écho se prolongea de nuage en nuage dans le ciel, et de rocher en rocher sur la terre.

Ils levèrent les yeux. Toutes les étoiles étaient voilées, de grosses nues roulaient rapidement les unes sur les autres, et la tempête s’amassait comme une avalanche au−dessus de leurs têtes. Le grand vent sous lequel couraient toutes ces masses n’était point encore descendu jusqu’aux arbres, qu’aucun souffle n’agitait, et sur lesquels ne retentissait encore aucune goutte de pluie. On entendait en haut comme une rumeur orageuse qui, jointe à la rumeur du golfe, était le seul bruit qui s’élevât dans l’obscurité de la nuit, redoublée par les ténèbres de la tempête.

Ce tumultueux silence fut soudain interrompu, près des deux voyageurs, par une espèce de rugissement qui fit tressaillir le vieillard.

—Dieu tout−puissant! s’écria−t−il en serrant le bras du jeune homme, c’est le rire du diable dans l’orage, ou la voix de….

Un nouvel éclair, un nouveau coup de tonnerre lui coupèrent la parole. La tempête commença alors avec impétuosité, comme si elle eut attendu ce signal. Les deux voyageurs resserrèrent leurs manteaux pour se garantir à la fois de la pluie qui s’échappait des nuages par torrents, et de la poussière épaisse qu’un vent furieux enlevait par tourbillons à la terre encore sèche.

—Vieillard, dit le jeune homme, un éclair vient de me montrer la tour de Vygla sur notre droite; quittons la route et cherchons−y un abri.

—Un abri dans la Tour−Maudite! s’écria le vieillard, que saint Hospice nous protège! songez, jeune maître, que cette tour est déserte.

—Tant mieux! vieillard, nous n’attendrons pas à la porte.

—Songez quelle abomination l’a souillée!

—Eh bien! qu’elle se purifie en nous abritant. Allons, vieillard, suivez−moi. Je vous déclare qu’en une pareille nuit je tenterais l’hospitalité d’une caverne de voleurs. Alors, malgré les remontrances du vieillard, dont il avait saisi le bras, il se dirigea vers l’édifice, que les fréquentes lueurs des éclairs lui montraient à peu de distance. En approchant, ils aperçurent une lumière à l’une des meurtrières de la tour.

—Vous voyez, dit le jeune homme, que cette tour n’est pas déserte. Vous voilà rassuré, sans doute.

—Dieu! bon Dieu! s’écria le vieillard, où me menez−vous, maître? Ne plaise à saint Hospice que j’entre dans cet oratoire du démon!

Ils étaient au bas de la tour. Le jeune voyageur frappa avec force à la porte neuve de cette ruine redoutée.

—Tranquillisez−vous, vieillard; quelque pieux cénobite sera venu sanctifier cette demeure profanée, en l’habitant.

—Non, disait son compagnon, je n’entrerai pas. Je réponds que nul ermite ne peut vivre ici, à moins qu’il n’ait pour chapelet une des sept chaînes de Belzébuth.

Cependant une lumière était descendue de meurtrière en meurtrière, et vint briller à travers la serrure de la porte.

—Tu viens bien tard, Nychol! cria une voix aigre; on dresse la potence à midi, et il ne faut que six heures pour venir de Skongen à Vygla. Est−ce qu’il y a eu surcroît de besogne?

Cette question tomba au moment où la porte s’ouvrait. La femme qui l’ouvrait, apercevant deux figures étrangères, au lieu de celle qu’elle attendait, poussa un cri d’effroi et de menace, et recula de trois pas. L’aspect de cette femme n’était pas lui−même très rassurant. Elle était grande, son bras élevait au−dessus de sa tête une lampe de fer dont son visage était fortement éclairé. Ses traits livides, sa figure sèche et anguleuse, avaient quelque chose de cadavéreux, et il s’échappait de ses yeux creux des rayons sinistres pareils à ceux d’une torche funèbre. Elle était vêtue depuis la ceinture d’un jupon de serge écarlate, qui ne laissait voir que ses pieds nus, et paraissait souillé de taches d’un autre rouge. Sa poitrine décharnée était à moitié couverte d’une veste d’homme de même couleur, dont les manches étaient coupées au coude. Le vent, entrant par la porte ouverte, agitait au−dessus de sa tête ses longs cheveux gris à peine retenus par une ficelle d’écorce, ce qui rendait plus sauvage encore l’expression de sa farouche physionomie.

—Bonne dame, dit le plus jeune des nouveaux−venus, la pluie tombe à flots, vous avez un toit et nous avons de l’or.

Son vieux compagnon le tirait par son manteau, et s’écriait à voix basse:

—O maître! que dites−vous là? Si ce n’est pas ici la maison du diable, c’est l’habitacle de quelque bandit. Notre or nous perdra, loin de nous protéger.

—Paix! dit le jeune homme; et tirant une bourse de sa veste, il la fit briller aux yeux de l’hôtesse, en répétant sa prière.

Celle−ci, revenue un peu de sa surprise, les considérait alternativement d’un oeil fixe et hagard.

—Étrangers! s’écria−t−elle enfin, comme n’ayant pas entendu leur voix, vos esprits gardiens vous ont−ils abandonnés? que venez−vous chercher parmi les habitants maudits de la Tour−Maudite? Étrangers! ce ne sont point des hommes qui vous ont indiqué ces ruines pour abri, car tous vous auraient dit: Mieux vaut l’éclair de la tempête que le foyer de la tour de Vygla. Le seul vivant qui puisse entrer ici n’entre dans aucune demeure des autres vivants, il ne quitte la solitude que pour la foule, il ne vit que pour la mort. Il n’a de place que dans les malédictions des hommes, il ne sert qu’à leurs vengeances, il n’existe que par leurs crimes. Et le plus vil scélérat, à l’heure du châtiment, se décharge sur lui du mépris universel, et se croit encore en droit d’y ajouter le sien. Étrangers! vous l’êtes, car votre pied n’a pas encore repoussé avec horreur le seuil de cette tour; ne troublez pas plus longtemps la louve et les louveteaux; regagnez le chemin où marchent tous les autres hommes, et, si vous ne voulez pas être fuis de vos frères, ne leur dites pas que votre visage ait été éclairé par la lampe des hôtes de la tour de Vygla.

À ces mots, indiquant la porte du geste, elle s’avança vers les deux voyageurs. Le vieux tremblait de tous ses membres, et regardait d’un air suppliant le jeune, lequel, n’ayant rien compris aux paroles de la grande femme, à cause de l’extrême volubilité de son débit, la croyait folle, et ne se sentait d’ailleurs nullement disposé à retourner sous la pluie, qui continuait de tomber à grand bruit.

—Par ma foi, notre bonne hôtesse, vous venez de nous peindre un personnage singulier, avec lequel je ne veux pas perdre l’occasion de faire connaissance.

—La connaissance avec lui, jeune homme, est bientôt faite, plus tôt terminée. Si votre démon vous y pousse, allez assassiner un vivant ou profaner un mort.

—Profaner un mort! répéta le vieillard d’une voix tremblante et se cachant dans l’ombre de son compagnon.

—Je ne comprends guère, dit celui−ci, vos moyens, au moins très indirects; il est plus court de rester ici. Il faudrait être fou pour continuer sa route par un pareil temps.

—Mais bien plus fou encore, murmura le vieillard, pour s’abriter contre un pareil temps dans un pareil lieu.

—Malheureux! s’écria la femme, ne frappez pas au seuil de celui qui ne sait ouvrir d’autre porte que celle du sépulcre.

—Dût la porte du sépulcre s’ouvrir en effet pour moi avec la vôtre, femme, il ne sera pas dit que j’aurai reculé devant une parole sinistre. Mon sabre me répond de tout. Allons, fermez la tour, car le vent est froid, et prenez cet or.

—Eh! que me fait votre or! reprit l’hôtesse; précieux dans vos mains, il deviendra dans les miennes plus vil que l’étain. Eh bien, restez donc pour de l’or. Il peut garantir des orages du ciel, il ne sauve pas du mépris des hommes. Restez; vous payez l’hospitalité plus cher qu’on ne paie un meurtre. Attendez−moi un instant ici, et donnez−moi votre or. Oui, c’est la première fois que les mains d’un homme entrent ici chargées d’or sans être souillées de sang.

Alors, après avoir déposé sa lampe et barricadé la porte, elle disparut sous la voûte d’un escalier noir, percé dans le fond de la salle.

Tandis que le vieillard frissonnait, et, invoquant, sous tous ses noms, le glorieux saint Hospice, maudissait de bon coeur, mais à voix basse, l’imprudence de son jeune compagnon, celui−ci prit la lumière, et se mit à parcourir la grande pièce circulaire où ils se trouvaient. Ce qu’il vit en approchant de la muraille le fit tressaillir, et le vieillard, qui l’avait suivi du regard, s’écria:

—Grand Dieu, maître! une potence?

Une grande potence était en effet appuyée au mur, et atteignait au cintre de la voûte haute et humide.

—Oui, dit le jeune homme et voici des scies de bois et de fer, des chaînes, des carcans; voici un chevalet et de grandes tenailles suspendues au−dessus.

—Grands saints du paradis! s’écria le vieillard, où sommes−nous?

Le jeune homme poursuivit froidement son examen.

—Ceci est un rouleau de corde de chanvre; voilà des fourneaux et des chaudières; cette partie de la muraille est tapissée de pinces et de scalpels; voici des fouets de cuir garnis de pointes d’acier, une hache, une masse.

—C’est donc ici le garde−meuble de l’enfer! interrompit le vieillard épouvanté de cette terrible énumération.

—Voici, continua l’autre, des siphons en cuivre, des roues à dents de bronze, une caisse de grands clous, un cric. En vérité, ce sont de sinistres ameublements. Il peut vous sembler fâcheux que mon impatience vous ait amené ici avec moi.

—Vraiment, vous en convenez! Le vieillard était plus mort que vif.
—Ne vous effrayez pas; qu’importe le lieu où vous êtes? j’y suis avec vous.

—Belle défense! murmura le vieillard, chez qui une plus grande terreur affaiblissait la crainte et le respect pour son jeune compagnon; un sabre de trente pouces contre une potence de trente coudées!

La grande femme rouge reparut, et, reprenant la lampe de fer, fit signe aux voyageurs de la suivre. Ils montèrent avec précaution un escalier étroit et dégradé pratiqué dans l’épaisseur du mur de la tour. À chaque meurtrière, une bouffée de vent et de pluie venait menacer la flamme tremblante de la lampe, que l’hôtesse couvrait de ses mains longues et diaphanes. Ce ne fut pas sans avoir plus d’une fois trébuché sur des pierres roulantes, que l’imagination alarmée du vieillard prenait pour des os humains épars sur les degrés, qu’ils arrivèrent au premier étage de l’édifice, dans une salle ronde pareille à la salle inférieure. Au milieu, suivant l’usage gothique, brillait un vaste foyer, dont la fumée s’échappait par une ouverture percée dans le plafond, non sans obscurcir très sensiblement l’atmosphère de la salle, et dont la lumière, jointe à celle de la lampe de fer, avait été aperçue des deux voyageurs sur le chemin. Une broche, chargée de viande encore fraîche, tournait devant le feu. Le vieillard se détourna avec horreur.

—C’est à ce foyer exécrable, dit−il à son compagnon, que la braise de la vraie croix a consumé les membres d’une sainte.

Une table grossière était placée à quelque distance du foyer. La femme invita les voyageurs à s’y asseoir.

—Étrangers, dit−elle en plaçant la lampe devant eux, le souper sera bientôt prêt, et mon mari va sans doute se hâter d’arriver, de peur que l’esprit de minuit ne l’emporte en passant près de la Tour−Maudite.

Alors Ordener—car le lecteur a sans doute déjà deviné que c’était lui et son guide Benignus Spiagudry—put examiner à son aise le déguisement bizarre pour lequel ce dernier avait épuisé toutes les ressources de son imagination fécondée par la peur d’être reconnu et repris. Le pauvre concierge fugitif avait échangé ses habits de cuir de renne contre un vêtement noir complet, laissé jadis dans le Spladgest par un célèbre grammairien de Drontheim, qui s’était noyé du désespoir de n’avoir pu trouver pourquoi Jupiter donnait Jovis au génitif. Ses sabots de coudrier avaient fait place aux bottes fortes d’un postillon écrasé par ses chevaux, dans lesquelles ses jambes fluettes étaient tellement à l’aise qu’il n’aurait pu marcher sans le secours d’une demi−botte de foin. La vaste perruque d’un jeune et élégant voyageur français assassiné par des voleurs aux portes de Drontheim cachait sa calvitie, et flottait sur ses épaules pointues et inégales. L’un de ses yeux était couvert d’un emplâtre, et, grâce à un pot de fard qu’il avait trouvé dans les poches d’une vieille fille morte d’amour, ses joues pâles et creuses s’étaient revêtues d’un vermillon insolite, agrément auquel la pluie avait fait participer jusqu’à son menton. Avant de s’asseoir, il plaça soigneusement sous lui le paquet qu’il portait sur son dos, s’enveloppa de son vieux manteau, et, tandis qu’il absorbait toute l’attention de son compagnon, la sienne paraissait entièrement concentrée sur le rôti que surveillait l’hôtesse, et vers lequel il lançait de temps en temps des regards d’inquiétude et d’horreur. Sa bouche laissait par intervalles échapper des mots entrecoupés:—Chair humaine!… horrendas epulas!…—Anthropophages!…—Souper de Moloch!…—Ne pueras coram populo Medea trucidet…—Où sommes−nous? Atrée…—Druidesse…—Irmensul… Le diable a foudroyé Lycaon….

Enfin il s’écria:

—Juste ciel! Dieu merci! j’aperçois une queue!

Ordener, qui, l’ayant considéré et écouté attentivement, avait à peu près suivi le fil de ses idées, ne put s’empêcher de sourire.

—Cette queue n’a rien de rassurant. C’est peut−être un quartier du diable.

Spiagudry n’entendit pas cette plaisanterie; son regard s’était attaché au fond de la salle. Il tressaillit et se pencha à l’oreille d’Ordener.

—Maître, regardez, là, au fond, sur ce tas de paille, dans l’ombre….

—Eh bien? dit Ordener.

—Trois corps nus et immobiles,—trois cadavres d’enfants!

—On frappe à la porte de la tour, s’écria la femme rouge, accroupie près du foyer.

En effet, un coup suivi de deux autres plus forts s’était fait entendre dans le bruit de l’orage toujours croissant.

—C’est enfin lui! c’est Nychol!

Et, prenant la lampe, l’hôtesse descendit précipitamment.

Les deux voyageurs n’avaient pas encore repris leur conversation quand ils entendirent dans la salle basse un bruit confus de voix, au milieu duquel s’élevèrent enfin ces paroles prononcées avec un accent qui fit tressaillir et trembler Spiagudry:

—Femme, tais−toi, nous resterons. Le tonnerre entre sans qu’on lui ouvre la porte. Spiagudry se serra contre Ordener.
—Maître! maître! dit−il faiblement, malheur à nous!

Un tumulte de pas se fit entendre dans l’escalier, puis deux hommes, revêtus d’habits religieux, entrèrent dans la salle, suivis de l’hôtesse effarée.

L’un de ces hommes était assez grand et portait l’habit noir et la chevelure ronde des ministres luthériens; l’autre, de petite taille, avait une robe d’ermite nouée d’une ceinture de corde. Le capuchon rabattu sur son visage ne laissait apercevoir que sa longue barbe noire, et ses mains étaient entièrement cachées sous les larges manches de sa robe.

À l’aspect de ces deux personnages pacifiques, Spiagudry sentit s’évanouir la terreur que la voix étrange de l’un d’eux lui avait causée.

—Ne vous alarmez pas, chère dame, disait le ministre à l’hôtesse, des prêtres chrétiens se rendent utiles à qui leur nuit; voudraient−ils nuire à qui leur est utile? Nous implorons humblement un abri. Si le révérend docteur qui m’accompagne vous a parlé durement tout à l’heure, il a eu tort d’oublier cette modération de la voix, recommandée par nos voeux; hélas! les plus saints peuvent faillir. J’étais égaré sur la route de Skongen à Drontheim, sans guide dans la nuit, sans asile dans la tempête. Ce révérend frère, que j’ai rencontré, éloigné comme moi de sa demeure, a daigné me permettre de venir avec lui vers la vôtre. Il m’avait vanté votre bonté hospitalière, chère dame; sans doute, il ne s’est pas trompé. Ne nous dites pas comme le mauvais pasteur: Advena, cur intrus? Accueillez−nous, digne hôtesse, et Dieu sauvera vos moissons de l’orage, Dieu donnera dans la tempète un abri à vos troupeaux, comme vous en aurez donné un aux voyageurs égarés!

—Vieillard, interrompit la femme d’une voix farouche, je n’ai ni moissons ni troupeaux.

—Eh bien! si vous êtes pauvres, Dieu bénit le pauvre avant le riche. Vous vieillirez avec votre époux, respectés, non pour vos biens, mais pour vos vertus; vos enfants croîtront, entourés de l’estime des hommes et seront ce qu’aura été leur père.

—Taisez−vous! cria l’hôtesse. C’est en restant ce que nous sommes que nos enfants vieilliront comme nous dans le mépris des hommes, transmis sur notre race de génération en génération. Taisez−vous, vieillard! La bénédiction se tourne en malédiction sur nos têtes.

—O ciel! reprit le ministre, qui donc êtes−vous? dans quels crimes passez−vous votre vie?

—Qu’appelez−vous crimes? qu’appelez−vous vertus? nous jouissons ici d’un privilège; nous ne pouvons avoir de vertus ni commettre de crimes.

—La raison de cette femme est égarée, dit le ministre se tournant vers le petit ermite, qui séchait sa robe de bure devant le foyer.

—Non, prêtre! répliqua la femme, sachez où vous êtes. J’aime mieux faire horreur que pitié. Je ne suis pas une insensée, mais la femme du….

Le retentissement prolongé de la porte de la tour sous un coup violent empêcha d’entendre le reste, au grand désappointement de Spiagudry et d’Ordener qui avaient prêté une attention muette à ce dialogue.

—Maudit soit, dit la femme rouge entre ses dents, le syndic haut−justicier de Skongen, qui nous a assigné pour demeure cette tour voisine de la route! peut−être n’est−ce pas encore Nychol.

Elle prit néanmoins la lampe.

—Après tout, si c’est encore un voyageur, qu’importe? le ruisseau peut couler où le torrent a passé. Les quatre voyageurs restés seuls s’entre−regardaient aux lueurs du foyer. Spiagudry, d’abord épouvanté par la voix de l’ermite, et rassuré ensuite par sa barbe noire, eût peut−être recommencé à trembler s’il eût vu de quel oeil perçant celui−ci l’observait en dessous de son capuchon.

Dans le silence général, le ministre hasarda une question:

—Frère ermite, je présume que vous êtes un des prêtres catholiques échappés à la dernière persécution, et que vous regagniez votre retraite lorsque, pour mon bonheur, je vous ai rencontré; pourriez−vous me dire où nous sommes?

La porte délabrée de l’escalier en ruine se rouvrit avant que le frère ermite eût répondu.

—Femme, vienne un orage, et il y aura foule pour s’asseoir à notre table exécrée et s’abriter sous notre toit maudit.

—Nychol, répondit la femme, je n’ai pu empêcher….

—Et qu’importent tous ces hôtes, pourvu qu’ils paient? l’or est tout aussi bien gagné en hébergeant un voyageur qu’en étranglant un brigand.

Celui qui parlait ainsi s’était arrêté devant la porte, où les quatre étrangers pouvaient le contempler à leur aise. C’était un homme de proportions colossales, vêtu, comme l’hôtesse, de serge rouge. Son énorme tête paraissait immédiatement posée sur ses larges épaules, ce qui contrastait avec le cou long et osseux de sa gracieuse épouse. Il avait le front bas, le nez camard, les sourcils épais; ses yeux, entourés d’une ligne de pourpre, brillaient comme du feu dans du sang. Le bas de son visage, entièrement rasé, laissait voir sa bouche grande et profonde, dont un rire hideux entr’ouvrait les lèvres noires comme les bords d’une plaie incurable. Deux touffes de barbe crépue, pendantes de ses joues sur son cou, donnaient à sa figure, vue de face, une forme carrée. Cet homme était coiffé d’un feutre gris, sur lequel ruisselait la pluie, et dont sa main n’avait seulement pas daigné toucher le bord à l’aspect des quatre voyageurs.

En l’apercevant, Benignus Spiagudry poussa un cri d’épouvante, et le ministre luthérien se détourna frappé de surprise et d’horreur, tandis que le maître du logis, qui l’avait reconnu, lui adressait la parole.

—Comment, vous voilà, seigneur ministre! En vérité, je ne croyais pas avoir l’amusement de revoir aujourd’hui votre air piteux et votre mine effarouchée.

Le prêtre réprima son premier mouvement de répugnance. Ses traits devinrent graves et sereins.

—Et moi, mon fils, je m’applaudis du hasard qui a amené le pasteur vers la brebis égarée, afin, sans doute, que la brebis revînt enfin au pasteur.

—Ah! par le gibet d’Aman, reprit l’autre en éclatant de rire, voilà la première fois que je m’entends comparer à une brebis. Croyez−moi, père, si vous voulez flatter le vautour, ne l’appelez pas pigeon.

—Celui par lequel le vautour devient colombe, console, mon fils, et ne flatte pas. Vous croyez que je vous crains, et je ne fais que vous plaindre.

—Il faut, en vérité, messire, que vous ayez bonne provision de pitié; j’aurais pensé que vous l’aviez épuisée tout entière sur ce pauvre diable, auquel vous montriez aujourd’hui votre croix pour lui cacher ma potence.

—Cet infortuné, répondit le prêtre, était moins à plaindre que vous; car il pleurait, et vous riez. Heureux qui reconnaît, au moment de l’expiation, combien le bras de l’homme est moins puissant que la parole de Dieu!

—Bien dit, père, reprit l’hôte avec une horrible et ironique gaieté. Celui qui pleure! Notre homme d’aujourd’hui, d’ailleurs, n’avait d’autre crime que d’aimer tellement le roi qu’il ne pouvait vivre sans faire le portrait de sa majesté sur des petites médailles de cuivre, qu’il dorait ensuite artistement pour les rendre plus dignes de la royale effigie. Notre gracieux souverain n’a pas été ingrat, et lui a donné en récompense de tant d’amour un beau cordon de chanvre, qui, pour l’instruction de mes dignes hôtes, lui a été conféré ce jour même sur la place publique de Skongen, par moi, grand−chancelier de l’ordre du Gibet, assisté de messire, ici présent, grand−aumônier dudit ordre.

—Malheureux! arrêtez, interrompit le prêtre. Comment celui qui châtie oublie−t−il le châtiment? Écoutez le tonnerre….

—Eh bien! qu’est−ce que le tonnerre? un éclat de rire de Satan.

—Grand Dieu! il vient d’assister à la mort, et il blasphème!

—Trêve aux sermons, vieux insensé, cria l’hôte d’une voix tonnante et presque irritée; sinon vous pourriez maudire l’ange des ténèbres qui nous a réunis deux fois en douze heures sur la même voiture et sous le même toit. Imitez votre camarade l’ermite, qui se tait, car il a bonne envie de retourner dans sa grotte de Lynrass. Je vous remercie, frère ermite, de la bénédiction que tous les matins, à votre passage sur la colline, je vous vois donner à la Tour−Maudite; mais, en vérité, jusqu’ici vous m’aviez semblé de haute taille, et cette barbe si noire m’avait paru blanche. Vous êtes bien cependant l’ermite de Lynrass, le seul ermite du Drontheimhus?

—Je suis en effet le seul, dit l’ermite d’une voix sourde.

—Nous sommes donc, reprit l’hôte, les deux solitaires de la province.—Holà! Bechlie, hâte un peu ce quartier d’agneau, car j’ai faim. J’ai été retardé, au village de Burlock, par ce maudit docteur Manryll, qui ne voulait me donner que douze ascalins du cadavre; on en donne quarante à cet infernal gardien du Spladgest, à Drontheim.—Hé, messire de la perruque, qu’avez−vous donc? vous allez tomber à la renverse.—À propos, Bechlie, as−tu terminé le squelette de l’empoisonneur Orgivius, ce fameux magicien? Il serait temps de l’envoyer au cabinet de curiosités de Berghen. As−tu dépêché l’un de tes petits marcassins au syndic de Loevig pour réclamer ce qu’il me doit? quatre doubles écus pour avoir fait bouillir une sorcière et deux alchimistes, et enlevé plusieurs chaînes des poutres de la salle de son tribunal, qu’elles déparaient; vingt ascalins pour avoir dépendu Ismaël Typhaine, juif dont s’était plaint le révérend évêque; et un écu pour avoir remis un bras de bois neuf à la potence de pierre du bourg?

—Le salaire, répondit la femme d’un voix aigre, est resté dans les mains du syndic, parce que ton fils avait oublié la cuiller de bois pour le recevoir, et qu’aucun valet du juge n’a voulu le lui remettre en main propre.

Le mari fronça le sourcil.

—Que leur cou me tombe entre les mains, ils verront si j’aurai besoin d’une cuiller de bois pour les toucher. Il faut pourtant ménager ce syndic. C’est à lui qu’est renvoyée la requête du voleur Ivar, qui se plaint de ce que la question lui a été donnée, non par un tortionnaire, mais par moi, alléguant que, n’ayant pas encore été jugé, il n’est pas encore infâme.—À propos, femme, empêche donc tes petits de jouer avec mes tenailles et mes pinces;. ils ont dérangé tous mes instruments, si bien que je n’ai pu m’en servir aujourd’hui.—Où sont−ils, ces petits monstres? continua l’hôte en s’approchant du tas de paille où Spiagudry avait cru voir trois cadavres. Les voilà couchés là; ils dorment, malgré le bruit, comme trois dépendus.

À ces paroles, dont l’horreur contrastait avec la tranquillité effrayante et l’atroce gaieté de celui qui les prononçait, le lecteur a peut−etre dèja deviné quel est l’habitant de la tour de Vygla. Spiagudry, qui, dès son apparition, le reconnut pour l’avoir vu figurer souvent dans de sinistres cérémonies sur la place de Drontheim, se sentit près de défaillir d’épouvante, en songeant surtout au motif personnel qu’il avait depuis la veille pour craindre ce terrible fonctionnaire. Il se pencha vers Ordener, et lui dit d’une voix presque inarticulée:

—C’est Nychol Orugix, bourreau du Drontheimbus!

Ordener, d’abord frappé d’horreur, tressaillit et regretta la route et la tempête. Mais bientôt je ne sais quel sentiment de curiosité indéfinissable s’empara de lui, et, tout en plaignant l’embarras et l’épouvante de son vieux guide, il prêtait son attention entière aux paroles et à l’habitude de vie de l’être singulier qu’il avait sous les yeux, comme on écoute avidement le grondement d’une hyène ou le rugissement d’un tigre amené du désert dans nos villes. Le pauvre Benignus était loin d’avoir l’esprit assez libre pour faire de son côté des observations psychologiques. Caché derrière Ordener, il se ramassait dans son manteau, portait une main inquiète à son emplâtre, attirait sur son visage le derrière de sa perruque flottante, et ne respirait que par gros soupirs.

Cependant l’hôtesse avait servi sur un grand plat de terre le quartier d’agneau rôti, pourvu de sa queue rassurante. Le bourreau vint s’asseoir en face d’Ordener et de Spiagudry, entre les deux prêtres; et sa femme, après avoir chargé la table d’une cruche de bière miellée, d’un morceau de rindebrod [Footnote: Pain d’écorce dont se nourrit la classe indigente en Norvège.] et de cinq assiettes de bois, s’assit devant le feu, et s’occupa d’aiguiser les pinces ébréchées de son mari.

—Ça, révérend ministre, dit Orugix en riant, la brebis vous offre de l’agneau. Et vous, seigneur de la perruque, est−ce le vent qui a ainsi ramené votre coiffure sur votre visage?

—Le vent… seigneur, l’orage. balbutia le tremblant Spiagudry.

—Allons, enhardissez−vous, mon vieux. Vous voyez que les seigneurs prêtres et moi nous sommes bons diables. Dites−nous qui vous êtes et quel est votre jeune compagnon le taciturne, et parlez un peu. Faisons connaissance. Si vos discours tiennent tout ce que promet votre vue, vous devez être bien amusant.

—Le maître plaisante, dit le concierge contractant ses lèvres, montrant ses dents et clignant son oeil pour avoir l’air de rire, je ne suis qu’un pauvre vieux.

—Oui, interrompit le jovial bourreau, quelque vieux savant, quelque vieux sorcier.

—Oh! seigneur maître, savant oui, sorcier non.

—Tant pis, un sorcier compléterait notre joyeux sanhédrin.—Seigneurs mes hôtes, buvons pour rendre la parole à ce vieux savant, qui va égayer notre souper. À la santé du pendu d’aujourd’hui, frère prédicateur! Eh bien! père ermite, vous refusez ma bière? L’ermite avait en effet tiré de dessous sa robe une grande gourde pleine d’une eau très claire, dont il remplit son verre.

—Parbleu! ermite de Lynrass, s’écria le bourreau, si vous ne goûtez pas de ma bière, je goûterai de cette eau que vous lui préférez.

—Soit, répondit l’ermite.

—Otez d’abord votre gant, révérend frère, répliqua le bourreau; on ne verse à boire qu’à main nue. L’ermite fit un signe de refus.
—C’est un voeu, dit−il.

—Versez donc toujours, dit le bourreau.

À peine Orugix eut−il porté son verre à ses lèvres, qu’il le repoussa brusquement, tandis que l’ermite vidait le sien d’un trait.

—Par le calice de Jésus, révérend ermite, quelle est cette liqueur infernale? je n’en ai point bu de pareille, depuis le jour où je faillis me noyer dans ma navigation de Copenhague à Drontheim. En vérité, ermite, ce n’est pas de l’eau de la source de Lynrass; c’est de l’eau de mer.

—De l’eau de mer! répéta Spiagudry avec une épouvante qu’augmentait la vue du gant de l’ermite.

—Eh bien! dit le bourreau se tournant vers lui avec un éclat de rire, tout vous alarme donc ici, mon vieux Absalon, jusqu’à la boisson même d’un saint cénobite qui se mortifie?

—Hélas! non, maître. Mais de l’eau de mer…. Il n’y a qu’un homme….

—Allons, vous ne savez que dire, sire docteur; votre trouble parmi nous vient d’une mauvaise conscience ou du mépris.

Ces mots prononcés d’un ton d’humeur ramenèrent Spiagudry à la nécessité de dissimuler sa terreur. Pour amadouer son redoutable hôte, il appela à son secours sa vaste mémoire, et rallia le peu de présence d’esprit qui lui restait.

—Du mépris, moi, du mépris pour vous, seigneur maître! pour vous, dont la présence dans une province donne à cette province le merum imperium [Footnote: Droit de sang, d’avoir un bourreau.] pour vous, maître des hautes−oeuvres, exécuteur de la vindicte séculière, épée de la justice, bouclier de l’innocence! pour vous, qu’Aristote, livre six, chapitre dernier de ses Politiques, classe parmi les magistrats, et dont Paris de Puteo, dans son traité de Syndico, fixe le traitement à cinq écus d’or, comme l’atteste ce passage: Quinque aureos manivolto! pour vous, seigneur, dont les confrères à Cronstadt acquièrent la noblesse après trois cents têtes coupées! pour vous, dont les terribles mais honorables fonctions sont remplies avec orgueil, en Franconie par le plus nouveau marié, à Reutlingue par le plus jeune conseiller, à Stedien par le dernier bourgeois installé! Et ne sais−je pas encore, mon bon maître, que vos confrères ont en France droit de havadium sur chaque malade de Saint−Ladre, sur les pourceaux, et sur les gâteaux de la veille de l’épiphanie! Comment n’aurais−je pas un profond respect pour vous, quand l’abbé de Saint−Germain−des−Prés vous donne chaque année, à la Saint−Vincent, une tête de porc, et vous fait marcher en tête de sa procession!

Ici la verve érudite du concierge fut brusquement interrompue par le bourreau.

—C’est par ma foi la première nouvelle que j’en ai! Le docte abbé dont vous parlez, révérend, m’a jusqu’à présent fraudé de tous ces beaux droits que vous peignez d’une façon si séduisante.—Sires étrangers, poursuivit Orugix, sans m’arrêter à toutes les extravagances de ce vieux fou, il est vrai que j’ai manqué ma carrière. Je ne suis aujourd’hui que le pauvre bourreau d’une pauvre province. Eh bien! j’aurais dû certes faire un plus beau chemin que Stillison Dickoy, ce fameux bourreau de Moscovie. Croiriez−vous que je suis le même qui fut désigné, il y a vingt−quatre ans, pour l’exécution de Schumacker?

—De Schumacker, du comte de Griffenfeld! s’écria Ordener.

—Cela vous étonne, seigneur le muet. Eh bien! oui, de ce même Schumacker qu’un singulier hasard replace encore sous ma main, dans le cas où il plairait au roi de lever le sursis.—Vidons cette cruche, messieurs, et je vais vous conter comment il se fait qu’après avoir débuté avec tant d’éclat, je finisse si misérablement.

—J’étais, en 1676, valet de Rhum Stuald, bourreau royal de Copenhague. Lors de la condamnation du comte de Griffenfeld, mon maître étant tombé malade, je fus, grâce à mes protections, choisi pour le remplacer dans cette honorable exécution. Le 5 juin—je n’oublierai jamais ce jour,—dès cinq heures du matin, aidé du maître des basses oeuvres [Footnote: Charpentier des échafauds], je dressai sur la place de la citadelle un grand échafaud que nous tendîmes de noir, par respect pour le condamné. À huit heures la garde−noble entoural’échafaud, et les hulans de Slesvig continrent la foule qui se pressait sur la place. Quel autre à ma place n’eût été enivré! Debout, et sabre en main, j’attendais sur l’estrade. Tous les regards étaient fixés sur moi; j’étais en ce moment le personnage le plus important des deux royaumes. Ma fortune, disais−je, est faite, car que pourraient sans moi tous ces grands seigneurs qui ont juré la perte du chancelier? Je me voyais déjà exécuteur royal en titre de la capitale; j’avais des valets, des privilèges… Écoutez! L’horloge du fort sonne dix heures. Le condamné sort de sa prison, traverse la place, monte à l’échafaud d’un pas ferme et d’un air tranquille. Je veux lui lier les cheveux; il me repousse, et se rend à lui−même ce dernier service.—Il y avait longtemps, dit−il en souriant au prieur de Saint−André, que je ne m’étais coiffé moi−même. Je lui offre le bandeau noir, il l’éloigné de ses yeux avec dédain, mais sans me marquer de mépris.—Mon ami, me dit−il, voilà peut−être la première fois qu’un espace de quelques pieds rassemble les deux officiers extrêmes de l’ordre judiciaire, le chancelier et le bourreau. Ces paroles sont restées gravées dans ma tête. Il refuse encore le coussin noir que je voulais mettre sous ses genoux, embrasse le prêtre, et s’agenouille, après avoir dit d’une voix forte qu’il mourait innocent. Alors je brisai d’un coup de masse l’écusson de ses armoiries, en criant, comme de coutume:

—Cela ne se fait pas sans une juste cause! Cet affront ébranla la fermeté du comte; il pâlit; mais il se hâta de dire:—Le roi me les a données, le roi peut me les ôter. Il appuya sa tête sur le billot, les yeux tournés vers l’est, et moi, je levai mon sabre des deux mains… Écoutez bien!—En ce moment un cri arrive jusqu’à moi:—Grâce, au nom du roi! grâce pour Schumacker! Je me retourne. C’était un aide de camp qui galopait vers l’échafaud en agitant un parchemin. Le comte se relève d’un air, non joyeux, mais seulement satisfait. Le parchemin lui est remis.—Juste Dieu! s’écrie−t−il, la prison perpétuelle! leur grâce est plus dure que la mort.—Il descend, abattu comme un voleur, de l’échafaud où il était monté serein. Pour moi, cela m’était égal. Je ne me doutais guère que le salut de cet homme était ma perte. Après avoir démoli l’échafaud, je rentre chez mon maître, encore plein d’espérances, quoiqu’un peu désappointé d’avoir perdu l’écu d’or, prix de la chute de la tête. Ce n’était pas tout. Le lendemain je reçois un ordre de départ et un diplôme d’exécuteur provincial pour le Drontheimhus! Bourreau de province, et de la dernière province de Norvège! Or sachez, messires, comment de petites causes amènent de grands effets. Les ennemis du comte, afin de se donner un air de clémence, avaient tout disposé pour que la grâce arrivât un moment après l’exécution. Il s’en fallut d’une minute; on s’en prit à ma lenteur, comme s’il eût été décent d’empêcher un personnage illustre de s’amuser quelques instants avant le dernier! comme si un exécuteur royal qui décapite un grand−chancelier pouvait le faire sans plus de dignité et de mesure qu’un bourreau de province qui pend un juif! À cela se joignit la malveillance. J’avais un frère, que même je crois avoir encore. Il était parvenu, en changeant de nom, dans la maison du nouveau chancelier, comte d’Ahlefeld. À Copenhague, ma présence importuna le misérable. Mon frère me méprise, parce que ce sera peut−être moi qui le pendrai un jour.

Ici le disert narrateur s’interrompit pour donner passage à sa gaieté, puis il continua:

—Vous voyez, chers hôtes, que j’ai pris mon parti. Ma foi, au diable l’ambition! j’exerce ici honnêtement mon métier; je vends mes cadavres, ou Bechlie en fait des squelettes, que m’achète le cabinet d’anatomie de Berghen. Je ris de tout, même de cette pauvre femelle qui a été bohémienne et que la solitude rend folle. Mes trois héritiers grandissent dans la crainte du diable et de la potence. Mon nom est l’épouvantail des petits enfants du Drontheimhus. Les syndics me fournissent une charrette et des habits rouges. La Tour−Maudite me garantit de la pluie comme ferait le palais de l’évêque. Les vieux prêtres que l’orage pousse chez moi me prêchent, les savants me flagornent. En somme, je suis aussi heureux qu’un autre, je bois, je mange, je pends, et je dors.

Le bourreau n’avait pas mené à fin ce long discours sans l’entremêler de bière et de bruyantes explosions de rire.

—Il tue, et il dort! murmura le ministre; l’infortuné!

—Que ce misérable est heureux! s’écria l’ermite.

—Oui, frère ermite, dit le bourreau, misérable comme vous, mais certes plus heureux. Tenez, le métier serait bon si l’on ne semblait prendre plaisir à en ruiner les bénéfices. Croiriez−vous que je ne sais quelles fameuses noces ont fourni à l’aumônier nouvellement nommé de Drontheim l’occasion de demander la grâce de douze condamnés qui m’appartiennent?

—Qui vous appartiennent! s’écria le ministre.

—Oui, sans doute, père. Sept d’entre eux devaient être fouettés, deux marqués sur la joue gauche, et trois pendus, ce qui fait en somme douze.—Oui, douze écus et trente ascalins, que je perds si la grâce est accordée. Comment trouvez−vous, sires étrangers, cet aumônier qui dispose ainsi de mon bien? Ce maudit prêtre s’appelle Athanase Munder. Oh! si je le tenais!

Le ministre se leva, et dit d’une voix égale et d’un air tranquille:

—Mon fils, c’est moi qui suis Athanase Munder.

À ce nom la colère s’alluma dans tous les traits d’Orugix, il s’élança brusquement de son siège. Puis son regard irrité rencontra le regard calme et bienveillant de l’aumônier, et il vint se rasseoir lentement, muet et confus.

Il se fit un moment de silence. Ordener, qui s’était levé de table, prêt à défendre le prêtre, le rompit le premier.

—Nychol Orugix, dit−il, voici treize écus pour vous dédommager de la grâce des condamnés.

—Hélas! interrompit le ministre, qui sait si je l’obtiendrai? Il faudrait que je pusse parler au fils du vice−roi, car cela dépend de son mariage avec la fille du chancelier.

—Seigneur aumônier, répondit le jeune homme d’une voix ferme, vous l’obtiendrez. Ordener Guldenlew ne recevra pas l’anneau nuptial, que les fers de vos protégés ne soient rompus.

—Jeune étranger, vous n’y pouvez rien; mais Dieu vous entende et vous récompense!

Cependant, les treize écus d’Ordener avaient achevé ce que le regard du prêtre avait commencé. Nychol, entièrement apaisé, reprit sa gaieté.

—Tenez, révérend aumônier, vous êtes un brave homme, digne de desservir la chapelle de Saint−Hilarion; j’en disais de vous plus que je n’en pensais. Vous marchez droit dans votre sentier, ce n’est pas votre faute s’il croise le mien. Mais celui auquel j’en veux, c’est le gardien des morts de Drontheim, ce vieux magicien, concierge du Spladgest. Quel est son nom déjà? Spliugry?… Spadugry?… Dites−moi, mon vieux docteur, vous qui êtes une Babel de science, vous qui connaissez tout, vous ne pourriez pas m’aider à trouver le nom de ce sorcier, votre confrère? Vous avez dû le rencontrer quelquefois, les jours de sabbat, chevauchant en l’air sur un balai?

Certes, si le pauvre Benignus avait pu s’enfuir en ce moment sur quelque monture aérienne de ce genre, le narrateur de cette histoire ne doute pas qu’il ne lui eût confié avec bien de la joie sa frêle machine épouvantée. Jamais l’amour de la vie ne s’était développé avec autant de force chez lui, que depuis qu’il percevait de tous ses organes l’imminence du danger. Tout ce qu’il voyait l’effrayait; les souvenirs de la Tour−Maudite, l’oeil hagard de la femme rouge, la voix, les gants et la boisson du mystérieux ermite, l’aventurière intrépidité de son jeune compagnon, et, par−dessus tout, le bourreau; ce bourreau dans le repaire duquel il tombait en fuyant, chargé d’un crime. Il tremblait si fort que tout mouvement volontaire était chez lui paralysé, surtout lorsqu’il vit la conversation se tourner sur lui, et qu’il entendit l’apostrophe du formidable Orugix. Comme il ne se souciait guère d’imiter l’héroïsme du prêtre, sa langue embarrassée se refusa assez longtemps à répondre.

—Eh bien! reprit le bourreau, savez−vous le nom de ce concierge du Spladgest? Est−ce que votre perruque vous rend sourd?

—Un peu, seigneur…—Mais, dit−il enfin, je ne sais pas ce nom, je vous jure.

—Il ne le sait pas? dit la voix redoutée de l’ermite. Il a tort d’en faire serment. Cet homme se nomme Benignus Spiagudry.

—Moi! moi! grand Dieu! s’écria le vieillard avec terreur. Le bourreau éclata de rire.
—Et qui vous dit que c’est vous? c’est de ce païen de concierge que nous parlons. En vérité, ce pédagogue s’effraie de rien. Que serait−ce donc si ses grimaces si drôles avaient une cause sérieuse? Ce vieux fou serait amusant à pendre.—Ainsi, vénérable docteur, poursuivit le bourreau que les terreurs de Spiagudry égayaient, vous ne connaissez pas ce Benignus Spiagudry?

—Non, maître, dit le concierge un peu rassuré par son incognito, je ne le connais pas, je vous assure. Et puisqu’il a le malheur de vous déplaire, je serais, maître, bien fâché, vraiment, de connaître cet homme.

—Et vous, seigneur ermite, reprit Orugix, vous paraissez le connaître?

—Oui, vraiment, répondit l’ermite. C’est un homme grand, vieux, sec, chauve… Spiagudry, justement alarmé de cette prosopographie, raffermit en hâte sa perruque.
—Il a, continua l’ermite, les mains longues comme celles d’un voleur qui n’a pas rencontré de voyageur depuis huit jours, le dos courbé…

Spiagudry se redressa de son mieux.

—Du reste, on pourrait le prendre pour un des cadavres qu’il garde, s’il n’avait les yeux aussi perçants. Spiagudry porta la main à son emplâtre protecteur.

—Merci, père, dit le bourreau à l’ermite; en quelque lieu que je le trouve, je reconnaîtrai maintenant le vieux juif.

Spiagudry, qui était très bon chrétien, révolté de cette intolérable injure, ne put réprimer une exclamation.

—Juif, maître!

Puis il s’arrêta tout court, tremblant d’en avoir trop dit.

—Eh bien, juif ou païen, qu’importé, s’il a des relations avec le diable, comme on le dit!

—Je le croirais volontiers, reprit l’ermite avec un sourire sardonique que son capuchon ne cachait pas entièrement, s’il n’était pas si poltron. Mais comment pourrait−il pactiser avec Satan? il est aussi lâche que méchant. Quand la peur le prend, il ne se connaît plus.

L’ermite parlait lentement, comme s’il eût composé sa voix; et la lenteur même de ses paroles leur donnait une expression singulière. |

—Il ne se connaît plus! répéta intérieurement Spiagudry.

—Je suis fâché qu’un méchant soit lâche, dit le bourreau; il ne vaut pas la peine d’être haï. Il faut combattre un serpent, on ne peut qu’écraser un lézard.

Spiagudry hasarda quelques paroles pour sa défense.

—Mais, seigneurs; êtes−vous sûrs que l’officier public dont vous parlez soit tel que vous le dites? A−t−il donc une réputation?…

—Une réputation! reprit l’ermite; la plus exécrable réputation de la province! Benignus, désappointé, se tourna vers le bourreau.
—Seigneur maître, quels torts lui reprochez−vous? car je ne doute pas que votre haine ne soit légitime.

—Vous avez raison, vieillard, de n’en pas douter. Comme son commerce ressemble au mien, Spiagudry fait tout ce qu’il peut pour me nuire.

—Oh! maître, ne le croyez pas! Ou, s’il en est ainsi, c’est que cet homme ne vous a pas vu comme moi, entouré de votre gracieuse femme et de vos charmants enfants, admettant les étrangers au bonheur de votre foyer domestique. S’il eût joui, comme nous, de votre aimable hospitalité, maître, ce malheureux ne pourrait être votre ennemi.

Spiagudry achevait à peine cette adroite allocution, quand la grande femme, jusqu’alors muette, se leva, et dit d’une voix aigrement solennelle:

—La langue de la vipère n’est jamais plus venimeuse que lorsqu’elle est enduite de miel.

Puis elle se rassit, et continua de fourbir ses pinces, travail dont le bruit rauque et criard, remplissant les intervalles de la conversation, faisait, aux dépens des oreilles des quatre voyageurs, l’office des choeurs dans une tragédie grecque.

—Cette femme est folle, vraiment! se dit tout bas le concierge, ne pouvant s’expliquer autrement le mauvais effet de sa flatterie.

—Bechlie a raison, docteur aux blonds cheveux! s’écria le bourreau. Je vous tiens pour langue de vipère, si vous continuez de justifier plus longtemps ce Spiagudry.

—À Dieu ne plaise, maître! s’écria celui−ci; je ne le justifie nullement.

—À la bonne heure. Vous ignorez d’ailleurs jusqu’où il pousse l’insolence. Croiriez−vous que l’impudent a la témérité de me disputer la propriété de Han d’Islande?

—De Han d’Islande! dit brusquement l’ermite.

—Eh, oui. Vous connaissez ce fameux brigand?

—Oui, dit l’ermite.

—Eh bien, tout brigand revient au bourreau, n’est−il pas vrai? Que fait cet infernal Spiagudry? il demande qu’on mette à prix la tête de Han.

—Il demande qu’on mette à prix la tête de Han? interrompit l’ermite.

—Il en a l’audace; et cela uniquement pour que le corps lui revienne, et que je sois frustré de ma propriété.

—Voilà qui est infâme, maître Orugix; oser vous disputer un bien qui vous appartient si évidemment! Ces mots étaient accompagnés du sourire malicieux qui effrayait Spiagudry.
—Le tour est d’autant plus noir, ermite, qu’il me faudrait une exécution comme celle de Han pour me tirer de mon obscurité, et me faire la fortune que ne m’a pas faite celle de Schumacker.

—En vérité, maître Nychol?

—Oui, frère ermite, le jour de l’arrestation de Han, venez me voir, et nous immolerons un pourceau gras à mon élévation future.

—Volontiers; mais savez−vous si je serai libre ce jour−là? D’ailleurs vous aviez tout à l’heure envoyé au diable l’ambition.

—Eh sans doute, père, quand je vois que, pour détruire mes espérances les mieux fondées, il suffit d’un Spiagudry et d’une requête de mise à prix.

—Ah! reprit l’ermite d’une voix étrange, Spiagudry a demandé la mise à prix! Cette voix était pour le pauvre homme comme le regard du crapaud pour l’oiseau.
—Seigneurs, dit−il, pourquoi juger témérairement? Cela n’est pas sûr, peut−être est−ce un faux bruit.

—Un faux bruit! s’écria Orugix, la chose n’est que trop certaine. La demande des syndics est en ce moment à Drontheim, appuyée de la signature du concierge du Spladgest. On n’attend que la décision de son excellence le général gouverneur.

Le bourreau était si bien instruit, que Spiagudry n’osa poursuivre sa justification; il se contenta de maudire intérieurement, pour la centième fois, son jeune compagnon. Mais que devint−il lorsqu’il entendit l’ermite, qui depuis quelques moments paraissait méditer, s’écrier soudain d’un ton railleur:

—Maître Nychol, quel est donc le supplice des sacrilèges?

Ces paroles firent sur Spiagudry le même effet que si on lui avait arraché son emplâtre et sa perruque. Il attendit avec anxiété la réponse d’Orugix, qui acheva d’abord de vider son verre.

—Cela dépend du genre de sacrilège, répondit le bourreau.

—Si le sacrilège est la profanation d’un mort?

Pour le coup, le tremblant Benignus s’attendit à voir son nom sortir d’un moment à l’autre de la bouche de l’inexplicable ermite.

—Autrefois, dit froidement Orugix, on l’enterrait vivant avec le cadavre profané.

—Et maintenant?

—Maintenant on est plus doux.

—On est plus doux! dit Spiagudry, respirant à peine.

—Oui, reprit le bourreau de l’air satisfait et négligent d’un artiste qui parle de son art; on lui imprime d’abord, avec un fer chaud, une S sur le gras des jambes.

—Et ensuite? interrompit le vieux concierge, contre lequel il eût été difficile d’exécuter cette partie de la peine.

—Ensuite, dit le bourreau, on se contente de le pendre.

—Miséricorde! s’écria Spiagudry; de le pendre!

—Eh bien, qu’a−t−il? il me regarde de l’air dont le patient regarde le gibet.

—Je vois avec plaisir, disait l’ermite, que l’on est revenu à des principes d’humanité.

En ce moment, l’orage, qui avait cessé, permit d’entendre très distinctement au dehors le son clair et intermittent d’un cor.

—Nychol, dit la femme, on est à la poursuite de quelque malfaiteur, c’est le cor des archers.

—Le cor des archers! répéta chacun des interlocuteurs avec un accent différent, mais Spiagudry avec celui de la plus profonde terreur.

Ils achevaient à peine cette exclamation quand on frappa à la porte de la tour.

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