Han d’Islande de Victor Hugo

IV

BENVOLIO

Où diable ce Roméo peut−il être? il n’est pas rentré chez lui cette nuit.

MERCUTIO

Il n’est pas rentré chez son père; j’ai parlé à son domestique.

SHAKESPEARE.

Cependant un homme et deux chevaux étaient entrés dans la cour du palais du gouverneur de Drontheim. Le cavalier avait quitté la selle en hochant la tête d’un air mécontent; il se préparait à conduire les deux montures à l’écurie, lorsqu’il se sentit saisir brusquement le bras, et une voix lui cria:

—Comment! vous voilà seul, Poël! Et votre maître? où est votre maître?

C’était le vieux général Levin de Knud, qui, de sa fenêtre, ayant vu le domestique du jeune homme et la selle vide, était descendu précipitamment et fixait sur le valet un regard plus inquiet encore que sa question.

—Excellence, dit Poël en s’inclinant profondément, mon maître n’est plus à Drontheim.

—Quoi! il y était donc? il est reparti sans voir son général, sans embrasser son vieil ami! et depuis quand?

—Il est arrivé ce soir et reparti ce soir.

—Ce soir! ce soir! mais où donc s’est−il arrêté? où est−il allé?

—Il a descendu au Spladgest, et s’est embarqué pour Munckholm.

—Ah! je le croyais aux antipodes. Mais que va−t−il faire à ce château? qu’allait−il faire au Spladgest? Voilà bien mon chevalier errant! C’est aussi un peu ma faute, pourquoi l’ai−je élevé ainsi? J’ai voulu qu’il fût libre en dépit de son rang.

—Aussi n’est−il point esclave des étiquettes, dit Poël.

—Non, mais il l’est de ses caprices. Allons, il va sans doute revenir. Songez à vous rafraîchir, Poël.—Dites−moi, et le visage du général prit une expression de sollicitude, dites−moi, Poël, avez−vous beaucoup couru à droite et à gauche?

—Mon général, nous sommes venus en droite ligne de Berghen. Mon maître était triste.

—Triste? que s’est−il donc passé entre lui et son père? Ce mariage lui déplaît−il?

—Je l’ignore. Mais on dit que sa sérénité l’exige.

—L’exige! vous dites, Poël, que le vice−roi l’exige! Mais pour qu’il l’exige, il faut qu’Ordener s’y refuse.

—Je l’ignore, excellence. Il paraît triste.

—Triste! savez−vous comment son père l’a reçu?

—La première fois, c’était dans le camp, près Berghen. Sa sérénité a dit: Je ne vous vois pas souvent, mon fils.—Tant mieux pour moi, mon seigneur et père, a répondu mon maître, si vous vous en apercevez. Puis il a donné à sa sérénité des détails sur ses courses du Nord; et sa sérénité a dit: C’est bien. Le lendemain, mon maître est revenu du palais, et a dit: On veut me marier; mais il faut que je voie mon second père, le général Levin.—J’ai sellé les chevaux, et nous voilà.

—Vrai, mon bon Poël, dit le général d’une voix altérée, il m’a appelé son second père?

—Oui, votre excellence.

—Malheur à moi si ce mariage le contrarie, car j’encourrai plutôt la disgrâce du roi que de m’y prêter. Mais cependant, la fille du grand−chancelier des deux royaumes!… À propos, Poël, Ordener sait−il que sa future belle−mère, la comtesse d’Ahlefeld, est ici incognito depuis hier, et que le comte y est attendu?

—Je l’ignore, mon général.

—Oh! se dit le vieux gouverneur, oui, il le sait, car pourquoi aurait−il battu en retraite dès son arrivée?

Ici le général, après avoir fait un signe de bienveillance à Poël, et salué la sentinelle qui lui présentait les armes, rentra inquiet dans l’hôtel d’où il venait de sortir inquiet.

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