Jacquou Le Croquant

V

Cinq années se passèrent ainsi, bienpleines et sans nul souci présent pour moi. De temps en temps, ilme sourdait quelque pénible souvenir du comte de Nansac et de tousmes malheurs, comme une piquée d’écharde dans la chair, mais letravail amortissait ça un peu. La semaine, je travaillais dur toutle jour, je mangeais comme un loup et je dormais comme une souche.Le dimanche, après la messe, je faisais aux quilles avec les autresgarçons du bourg, ou au bouchon, que nous appelons tible, ou encoreau rampeau. L’hiver nous allions énoiser dans les maisons, etaprès, chacun son tour, on allait faire l’huile au moulin de LaGrandie. Et puis il y avait les veillées, où l’on aidait auxvoisins à égrener le blé d’Espagne, à peler les châtaignes pour lelendemain, tandis que les femmes filaient et que les anciensdisaient des contes. Ensuite, quinze jours avant la Noël, nousallions, les garçons, sonner la Luce, comme nous appelonscette sonnerie&|160;; et on peut croire que la cloche était trèsconsciencieu­sement brandie&|160;!

À la Saint-Sylvestre nous courions lesvillages en chantant la Guilloniaou ou Gui-l’an-neuf, quise peut dire ainsi en français&|160;:

À Paris, y a unedame

Mariée richement…

Le Gui-l’an-neuf on vousdemande,

Pour le dernier jour del’an.

Elle se coiffe et semire,

Dans un beau miroird’argent…

Le Gui-l’an-neuf on vousdemande,

Pour le dernier jour del’an.

Elle portait de bellesrobes,

Cousues en beau filblanc…

Le Gui-l’an-neuf on vousdemande,

Pour le dernier jour del’an.

Mais à présent elle lesporte,

Cousues en fild’argent…

Le Gui-l’an-neuf on vousdemande,

Pour le dernier jour del’an.

Ou bien encore celle qui commenceainsi&|160;:

À Paris sur le petitpont,

Le Gui-l’an-neuf vousdemandons,

À Paris sur le petitpont,

&|160;&|160; Moncapitaine&|160;!

Le Gui-l’an-neuf vousdemandons,

&|160;&|160; Et puisl’étrenne&|160;!

Y avait trois dames sur cepont…

Et nous entrions dans les maisons où ily avait des filles, principalement, pour leur demander l’étrenned’un baiser.

Il est question de Paris dans ces deuxchansons, de Paris la grande ville&|160;: c’est que, pour le pauvrepaysan périgordin de jadis, Paris était le paradis des riches etdes belles dames. Pampelune aussi avait frappé son imagination,comme un pays lointain, quasi chimérique. On disait de celui donton n’avait ouï parler depuis de longues années&|160;: «&|160;Il està Pampelune&|160;!&|160;» Lorsqu’on parlait d’un pays dont onignorait la situation, on disait&|160;: «&|160;C’est àPampelune&|160;!&|160;»

Pourquoi Pampelune plutôt que touteautre ville&|160;? Le curé Bonal disait que ça venait peut-être dece qu’un cardinal d’Albret, très puissant en Périgord autrefois,était évêque de Pampelune, ancienne capitale du royaume deNavarre.

Moi, je n’en sais rien&|160;; je laisseça à d’autres plus savants.

L’été, il n’était plus question de tousces amusements&|160;: on n’avait que le temps de travailler, demanger et de dormir&|160;; et encore, de dormir, pas trop. Dans lemoment des fenaisons ou des moissons, il fallait se lever à troisheures du matin et, des fois il était neuf heures le soir lorsqu’onavait fini de rentrer le foin ou les gerbes si la pluie menaçait.Tout cela était coupé par les dimanches et quelques fêtes chôméescomme la Noël, Notre-Dame d’Août et la Toussaint.

À propos de cette dernière fête, quitombe la vigile du jour des Morts, il y avait dans certainesmaisons, et non des pires, un usage ancien assezcurieux&|160;:

Le soir on soupait en famille, et,pendant le repas, on s’entretenait des parents défunts, de leursqualités, de leurs vertus, même de leurs défauts&|160;; et ce qu’ily avait de plus étrange, on buvait à leur santé en trinquant. Cesouper devait être composé de neuf plats, comme soupe, bouilli,fricassée, daube, saugrenade, tourtière, fricandeau,etc.

Le repas fini, on laissait sur la tableles viandes et tout ce qui restait de chaque plat pour le souperdes anciens, morts, et on rapportait du pain et du vin lorsqu’iln’y en avait pas assez.

Après ça, on faisait un beau feu et onrangeait les chaises en demi-cercle autour du foyer. Puis on seretirait pour laisser la place aux défunts, après avoir récité desprières à leur intention.

Le curé Bonal disait bien que tout celasentait fort la superstition&|160;; mais en raison des prières etde l’intention pieuse, il fermait un peu les yeux.

Outre toutes ces fêtes, il y avait notrevote ou frairie, qui tombait le vingt-deux d’août, et celles desparoisses voisines, comme Bars, Auriac, Thonac, où nous nemanquions guère. Mais où on ne faillait jamais d’aller, c’était àMontignac, le vingt-cinq novembre, à la grande foire de laSainte-Catherine. Ça, c’était de rigueur, et, ce jour-là, avec lecuré, la demoiselle Hermine et La Ramée, il ne restait dans lebourg que les vieux, vieux, qui ne pouvaient quitter le coin dufeu, et les tout petits enfants&|160;; et même, de ceux-ci, il yavait beaucoup de clampasses* de femmes qui les y traînaient par lamain, ou les portaient sur les bras quand ils étaient trop petits.Le chevalier lui-même y allait sur sa jument, pour rencontrer sesamis, petits nobles des environs, et manger ensemble une tête deveau et une dinde truffée au Soleil d’or.

Les choses marchaient donc àsouhait&|160;; tout le monde était satisfait de moi, et moi bienreconnaissant à tous ceux qui me faisaient bien. Mais, «&|160;si çamarchait toujours au gré de tous sur la terre, les gens nevoudraient pas aller en paradis&|160;», comme disait lechevalier.

Depuis quelque temps il n’était pascontent, le brave et digne homme, il trouvait dans sa gazette desnouvelles de Paris qui ne lui convenaient pas. Les affaires de lapolitique prenaient une vilaine tournure&|160;: on avait guillotinéquatre sergents de La Rochelle, fusillé des généraux, desofficiers&|160;; les jésuites revenus étaient les maîtres partout,et c’étaient de mauvais maîtres. Les missionnaires envoyés par euxprêchaient de ville en ville, provoquant des persécutions contreles incrédules, les jacobins, excitant quelquefois des troubles,durement réprimés&|160;; tout cela causait par toute la France unmécontentement général qui favorisait le développement des sociétéssecrètes.

–&|160;Vous verrez, disait le chevalieren racontant ça, vous verrez que ces ultras finiront parfaire renvoyer le roi en exil.

Je ne savais point ce qu’étaient cesultras, mais, d’après tout ça, je me figurais que cedevait être une espèce de royalistes dans le genre du comte deNansac.

Pour ce qui regardait les missionnaires,la chose était sûre, car à Montignac ils avaient planté une croixsur la place d’armes, juste à l’ancien endroit de l’arbre de laliberté, et par leurs sermons violents, leurs paroles de haine, ilsavaient réussi à soulever un tas de gredins contre les patriotesconnus pour leur attachement à la Révolution.

–&|160;Ces diables de missionnaires,ajoutait le chevalier, ont failli faire jeter à la Vézère le vieuxCassius, qui nous a sauvés jadis, ma sœur et moi.

Et sur l’interrogation du curé, ilpoursuivit&|160;:

–&|160;Oui, un jour, à la Sociétépopulaire, un bouillant patriote demanda la mise en réclusiondes ci-devant nobles, La Jalage et sa sœur, mais Chabannais, ditCassius, se leva&|160;:

«&|160;–&|160;Laissez en paix le citoyenet la citoyenne La Jalage&|160;; c’est eux qui nourrissent lespauvres de leur commune, et il y en a.

«&|160;Et, par deux fois, il prit laparole pour nous défendre, et finit par faire passer l’assemblée àl’ordre du jour.

–&|160;Mais, fit le curé, vousdites&|160;: «&|160;La Jalage&|160;»&|160;; est-ce donc votrenom&|160;?

–&|160;Parfaitement. C’est notre nompatronymique&|160;; Galibert est un nom de terre. Nous descendonsdu fameux Jean de La Jalage, dont vous voyez la grossière statuecommémorative dans une niche carrée du mur extérieur de l’églisequ’il défendit contre des routiers anglais.

Et, saisissant l’occasion aux cheveux,le chevalier, grand diseur d’histoires, raconta celle de Jean de LaJalage.

–&|160;C’était, dit-il, un sergentd’armes du temps de Charles&|160;VI, qui avait suivi le maréchalBoucicaut lors de son expédition contre Archambaud, le derniercomte de Périgord, et s’était ensuite établi à Fanlac, après laprise de Montignac en 1398.

«&|160;En ces temps les Anglais étaientdans nos pays, de sorte qu’une troupe de ces brigands mêlés demalandrins des grandes compagnies, traversant le Périgord, vint àpasser par le Cern et Auriac, se dirigeant vers Fanlac. Notreéglise était fortifiée, comme il apparaît encore. Jean de La Jalagela fait garnir de provisions et y fait retirer les gens de laparoisse, en sorte que lorsque les Anglais arrivèrent, ilstrouvèrent à qui parler.

«&|160;Il y eut plusieurs assauts, tousrepoussés, et ce fut dans la sortie faite pour mettre ces routiersen fuite, que Jean de La Jalage reçut un coup de hache d’armes quilui abattit le bras&|160;: c’est pourquoi sa statue le représentemanchot. Les Anglais, fortement étrillés, filèrent du côté deRouffignac en laissant la moitié de leur bande autour del’église.

«&|160;C’est en récompense de ce faitd’armes et de ses anciens services que le duc d’Orléans, alorscomte de Périgord, donna à mon ancêtre le fief noble de Galibertdont il prit le nom, ainsi que ses descendants, en sorte que celuide La Jalage était totalement délaissé.

«&|160;Ainsi Cassius nous appelait LaJalage, comme on appelait le pauvre Louis XVI, Capet.

–&|160;Alors, dit le curé, je m’expliquemaintenant vos armoiries&|160;: la jalage, est, en patois,l’ajonc, ou genêt épineux.

–&|160;Oui, dit le chevalier, Jean de LaJalage, anobli et possesseur du fief de Galibert, prit pour armesun ajonc épineux de sinople fleuri d’or, sur fond d’argent, avec ladevise&|160;:Cil se Pique, qui s’y frotte&|160;! Et defait, c’était un rude homme auquel il ne faisait pas bon sefrotter, même après qu’il fut estropié…

J’ai dit que le chevalier n’était pascontent de la manière dont marchaient les affaires, mais bientôt lecuré eut encore plus sujet de se plaindre.

Quelques jours après l’histoire de Jeande La Jalage, le piéton de Montignac lui apporta une lettrecachetée de cire violette, venant de Périgueux. Après en avoir prisconnaissance, le curé vint trouver le chevalier et lui dit qu’ilavait besoin de moi pour m’envoyer à La Granval.

–&|160;Il est à vous plus qu’à moi, fitle chevalier&|160;: la permission est inutile.

M’étant habillé promptement, le curé medit&|160;:

–&|160;Tu vas aller à La Granval trouverle Rey et tu lui diras qu’il me faudrait une avance de dix écus surle pacte de la Saint-Jean. Il n’est pas nécessaire de courir&|160;:couche là-bas et reviens demain, ce sera assez tôt.

Là-dessus je partis en coupant au pluscourt, je traversai les brandes au-delà de Fanlac, et je m’en fustout droit à La Granval, en passant par Chambor, Saint-Michel et leLac-Viel. Arrivé que je fus, la femme du Rey ne voulait pas mereconnaître&|160;:

–&|160;Ça n’est pas Dieu possible que cesoit toi, Jacquou&|160;!

Enfin, lui ayant rappelé tout ce quis’était passé lors de nos malheurs, elle finit par s’enaccertainer. Le Rey, étant survenu peu après, me reconnut bien,lui, et me dit&|160;:

–&|160;Te voilà tout à fait dru,petit&|160;!

Le soir, je soupai avec ces braves gens,et puis ils me firent coucher. Étant au lit dans cette maison oùmon pauvre père avait été pris, je pensai longtemps à des chosestristes, et puis je finis par m’endormir. À la pointe du jour, jeme levai. Le Rey me donna les dix écus et je repartis, non pas sansavoir bu un coup et trinqué avec lui.

Il me faut dire ici que, depuis quelquetemps, lorsque je voyais un garçon et une fille se promener seulsdans un chemin, ou se parler le dimanche sur la place en se tenantpar la main, et s’amitonner, ça me tournait les idées du côté del’amour, et alors, je ne sais pas pourquoi, je me prenais à penserà la petite Lina. Je me demandais si elle était toujours àPuypautier, ce qu’elle faisait, si elle était aussi jolie qu’étantpetite&|160;; et je me disais que je serais bien heureux de l’avoirpour mie. Tout ça fit que, me trouvant de ces côtés, je fus prisd’un grand désir de la revoir&|160;: ça m’allongeait bien un peu depasser par Puypautier, mais je n’étais pas pressé. En approchant duvillage, assez embarrassé de savoir comment m’y prendre pour lavoir sans que cela se sût, je rencontrai une drolette qui gardaitses oies, comme autrefois Lina quand je l’avais connue. M’étantinformé à cette petite, elle me dit que la Lina touchait sesbrebis, et qu’elle devait être dans des friches qu’elle me montra.Je m’en fus par là, et, en approchant, je la vis seulette quifaisait son bas, accotée contre un chêne de bordure, tandis que sesbrebis broutaient l’herbe courte. Sans faire de bruit, je vins toutprès d’elle&|160;:

–&|160;Oh&|160;! Lina&|160;! c’est donctoi&|160;!

–&|160;Jacquou&|160;! dit-elle en mereconnaissant et en devenant toute rouge.

Alors je lui demandai le portage* d’elleet de chez elle et j’appris bien des choses&|160;: que le vieuxGéral s’était marié avec sa mère, et qu’elle était maintenant lafille de la maison.

Cette nouvelle ne me fit guèreplaisir&|160;: j’aurais préféré la retrouver pauvre commemoi&|160;; mais, au reste, j’étais si heureux de la revoir que cene fut qu’une contrariété d’un instant. Elle était toujours gente,la Lina. C’était maintenant une belle fille, de moyenne taille,bien faite et d’une jolie figure. Son mouchoir de tête laissaitvoir ses cheveux châtain clair&|160;; ses yeux bruns et douxétaient abrités par de longs cils qui faisaient une ombre sur sesjoues duvetées comme une pêche mûre, et sa petite bouche, rougecomme une fraise des bois, découvrait ses dents blancheslorsqu’elle riait&|160;:

–&|160;Que tu es donc joliette,Lina&|160;!

–&|160;Tu dis ça pour rire,Jacquou&|160;!

–&|160;Non, par ma foi, je le dis telque je le pense.

–&|160;Les garçons disent tous commeça.

–&|160;Ah&|160;! il y en a donc qui tele disent&|160;? fis-je, piqué de jalousie.

–&|160;On ne peut pas empêcher ça&|160;;mais rien n’oblige de les croire.

–&|160;Et moi, dis&|160;? mecrois-tu&|160;?

–&|160;Tu es curieux, Jacquou&|160;!…fit-elle en riant.

–&|160;Oh&|160;! écoute, ma petiteLina&|160;! depuis huit ans que je ne t’ai vue, j’ai songé souventà toi. Il me semblait te voir encore toute nicette, avec ta petitetête frisée, gardant tes oies par les chemins, mignarde comme unetourterelle des bois. Plus j’ai grandi, et plus mon idée setournait vers toi&|160;; et, maintenant que je t’ai revue, tu nesortiras plus de ma pensée, quoi qu’il advienne&|160;!

–&|160;Oh&|160;! Jacquou&|160;! tu es unenjôleur… Et où donc as-tu appris à parler commeça&|160;?

Et alors, je lui racontai mon histoiretout du long, maudissant le comte de Nansac et faisant de grandeslouanges du chevalier, de sa sœur, et du curé Bonal, qui m’avaitenseigné. Je voyais bien que ce que je lui disais lui faisaitplaisir, et qu’elle était contente que je fusse un peu plusinstruit que l’on n’était à cette époque de nos côtés, où l’onaurait pu chercher à deux lieues à la ronde autour de la forêt sanstrouver un paysan sachant lire. De temps en temps, elle levait lesyeux sur moi, sans lâcher de faire son bas, et je connaissaisqu’elle ne me haïssait pas, rien qu’à son regard qui disait toutesa pensée, la pauvre drole.

En parlant du curé, ça me fit songer quedepuis deux heures j’étais là à babiller, et qu’il me fallait m’enaller. Mais, avant, je voulus que Lina me dît où je pourrais larevoir. D’aller lui parler le dimanche à Bars, au sortir de lamesse, sa mère qui était toujours là ne le trouverait pas à propos,croyait-elle.

–&|160;Adonc, je ne te verraiplus&|160;?

–&|160;Écoute, me dit-elle, je doisaller à Auriac le jour de la Saint-Rémy, le 23 du mois d’août, avecune voisine…

–&|160;J’irai donc à la dévotion de laSaint-Rémy.

Et, la regardant avec amour, je lui prisla main&|160;:

–&|160;Oh&|160;! ma Lina, à cette heureje suis bien content… Adieu&|160;!

Et, en même temps, l’attirant un peu àmoi, je l’embrassai, toute rougissante.

–&|160;Tu profites de ce que je suistrop bonne, Jacquou&|160;!

Je l’embrassai une autre fois, et jem’en fus, non sans regarder souvent derrière moi.

En m’en allant, il me semblait quej’avais des ailes, et que tous mes sens avaient crû soudain. Jetrouvais le pays plus beau, les arbres plus verts, le ciel plusbleu. Je sentais en moi une force inconnue jusqu’à ce jour.Quelquefois, arrivant au pied d’un terme, j’étais pris du besoin dedépenser cette force&|160;; je grimpais en courant à travers lespierres et les broussailles et, parvenu en haut, je me plantais,les narines gonflées, et je regardais, tout fier, le raide coteauescaladé.

Lorsque j’entrai chez le curé, il étaiten train de causer avec le chevalier.

–&|160;Moi, j’en reviens toujours là,disait celui-ci&|160;: «&|160;Que diable vousveut-on&|160;?&|160;»

–&|160;Rien de bon, sans doute. Il y alà quelque tour de ces renards de jésuites, qui m’auront desservi àl’évêché.

Le lendemain matin, le curé, ayantemprunté la jument du chevalier, et ses houseaux, montait à chevalet partait pour Périgueux par les chemins de traverse, en passantpar Saint-Geyrac.

–&|160;Bon voyage, curé&|160;! lui ditle chevalier, la jument est solide, mais tenez-la tout de même dansles descentes&|160;; vous savez le proverbe&|160;:

Il n’est si bon cheval qui nebronche.

Lorsque le curé revint le surlendemain,je connus à sa figure que quelque chose n’allait pas bien. Luiayant demandé s’il avait fait bon voyage, il merépondit&|160;:

–&|160;Oui, Jacquou, quant à ce qui estdu voyage lui-même.

Je n’osai en demander davantage, etj’emmenai la jument à l’écurie.

Aussitôt qu’il sut le retour du curé, lechevalier vint au presbytère savoir ce qu’il en était, et, le soir,il raconta tout à sa sœur. Le curé avait, lors de la Révolution,prêté serment à la constitution civile du clergé, et voici que,trente ans après, on s’avisait de le chicaner là-dessus&|160;;oui&|160;! et on lui demandait une rétractation publique de sonserment.

Lui, avait répondu à l’évêque qu’ilavait autrefois prêté ce serment, parce qu’il n’intéressait pointles dogmes de l’Église&|160;; que sa conscience ne lui reprochaitrien à cet égard, et qu’il n’était point disposé à unerétractation, ni publique, ni secrète.

Là-dessus, l’évêque, de son air de grandseigneur ecclésiastique, l’avait congédié en l’invitant à réfléchirmûrement avant que de s’engager dans une lutte où il serait brisécomme verre.

–&|160;Les ultras du clergé,c’est-à-dire les jésuites et leur séquelle, perdront la religion,comme les ultras royalistes perdront la royauté&|160;!ajouta en manière de conclusion le chevalier.

–&|160;Et que va faire le curé&|160;?demanda la demoiselle Hermine.

–&|160;Rien&|160;; il dit qu’il lesattend.

Sur ces entrefaites, le chevalierattrapa un refroidissement et fut obligé de se mettre au lit. Sasœur le tourmentant pour voir un médecin, il me fitappeler&|160;:

–&|160;Maître Jacques, pour faireplaisir à mademoiselle, tu vas aller à Montignac quérir unmédecin.

–&|160;Il y en a un jeune, dit-elle,qu’on prétend très habile&|160;: il faudrait faire venircelui-là.

–&|160;Point ma sœur, fit lechevalier&|160;:

Les jeunes médecins font lescimetières bossus.

«&|160;Tu iras, Jacquou, trouver cevieux Diafoirus de Fournet. S’il ne peut venir, tu lui expliquerasque j’ai besoin d’une drogue pour suer, m’étant refroidi. Etlorsqu’il t’aura donné l’ordonnance, tu la porteras chez Riquer,l’arquebusier de ponant, en l’avertissant de ne pas prendre unbocal pour l’autre&|160;:

Dieu nous garde d’unet cetera de notaire,

Et d’un quiproquod’apothicaire&|160;!

–&|160;Oh&|160;! fit le curé qui entraiten ce moment&|160;; je vois que vous n’êtes pas endanger&|160;!

Étant à Montignac, le soir, lacommission faite à M.&|160;Fournet, le hasard fit que je passaidevant l’église du Plo, où prêchaient des missionnaires&|160;; lacuriosité me poussa à y entrer. Il y avait en chaire un jésuitemaigre et jeune, à figure de belette, qui déclamait contre lesjacobins, les impies, les incrédules. Il avait l’air d’un de ceshypocrites qui se donnent la discipline avec une queue de renard.Après avoir bien daubé sur les ennemis de la religion, sur cesloups dévorants enfantés par les philosophes et la Révolution, ilajouta que cette Révolution avait été tellement satanique dans sesprincipes et dans ses œuvres que des pasteurs même, ayant charged’âmes, s’étaient laissés séduire. Et ils’écriait&|160;:

–&|160;Oui, jusque dans le sanctuaire,le démon a fait des prosélytes&|160;! Ne croyez pas que je parle depays lointains&|160;! Aux portes de cette cité qui, après l’orgierévolutionnaire, est revenue à Dieu, il en est, de ces loups qui secouvrent de peaux de brebis pour mieux perdre les âmes dontNotre-Seigneur Jésus-Christ leur a donné la charge&|160;; quicachent sous le manteau d’une charité menteuse l’orgueil desrenégats et les vices des libertins hypocrites&|160;!

Et, ce disant, ce coquin-là tendait lebras du côté de Fanlac, de manière que tous les assistantscomprenaient bien qu’il parlait du curé Bonal, qui avait étévicaire à Montignac, autrefois.

Moi, oyant cette bête-là parler ainsi ducuré, je fus au moment de lui crier sur le coup de la colère qui memonta&|160;: «&|160;Tu en as menti, gredin&|160;!&|160;»

Mais je me retins, et je le disseulement à demi-voix, ce qui fit retourner plusieurs personnesdans le fond de l’église, où j’étais, puis je partisfurieux.

«&|160;Est-il possible, pensais-je enm’en allant, qu’un homme si bon, si charitable&|160;; qu’un prêtred’une vie si exemplaire, et digne par son caractère des respects detous, soit ainsi vilainement calomnié par ses confrères&|160;!»

Je dis par ses confrères, car, outre lesmissionnaires, il y avait aussi dans le voisinage des curés qui,pour se faire bien venir des jésuites tout-puissants, prenaientleur mot d’ordre et semaient à la sourdine un tas de calomniescontre le curé Bonal. Ils ne l’aimaient point, d’ailleurs, tousceux du doyenné de Montignac, parce que sa conduite les accusaittous. On ne le voyait pas dans ces ribotes qu’ils faisaient les unschez les autres, sous le prétexte de la fête de l’endroit, ou sansprétexte aucun&|160;; ribotes d’où ils sortaient les oreillesrouges, gorgés de bons vins, et le ventre entripaillé. Lorsqu’ilétait, par état, obligé d’assister à une réunion, à un repas, il nepassait pas la nuit avec les autres, à jouer à la bouillotte ou àla bête hombrée&|160;; il trouvait une raison honnête pour seretirer. Celui qui disait le plus de mal de lui, derrière, car pardevant il faisait le cafard, la chattemite, c’était dom Enjalbert,le chapelain de l’Herm. C’était lui qui, en allant piquerl’assiette chez les curés d’alentour, répandait depuis longtemps demauvais bruits sur le curé Bonal. Le curé le savait, mais ne s’ensouciait guère, comptant bien que sa conduite le cautionnaitassez&|160;; et, en effet, dans sa paroisse, il était aimé etrespecté comme il le méritait. Du côté de l’évêché, il avait ététranquille tant que le diocèse avait dépendu de l’évêqued’Angoulême, mais depuis quelques années qu’on avait rétablil’évêché de Périgueux, il avait essuyé des tracasseries, desvexations, et maintenant il comprenait bien qu’on voulait leperdre.

–&|160;S’ils avaient affaire à moi – luidisait quelquefois le chevalier – je les démasquerais publiquement,tous ces mauvais chrétiens&|160;!

–&|160;Oui&|160;! bien souvent le sangbout dans mes veines… mais le scandale retomberait sur lareligion&|160;: il vaut mieux que je me taise.

Pourtant, s’il avait su tout ce que cesmisérables disaient de lui et de la demoiselle Hermine, comme jel’appris en revenant de la fête d’Auriac, peut-être n’aurait-il paseu tant de patience.

Car j’y allai, à cette dévotion de laSaint-Rémy&|160;: je n’eus garde de faillir à l’assignation, commeon pense. La veille, je profitai du moment où le curé était venuvoir le chevalier, pour leur en demander la permission à tous deux.Ma requête ouïe, le chevalier dit&|160;:

–&|160;Au Pèlerinagevoisin,

Peu de cire, beaucoup devin.

–&|160;Mais,monsieur le Chevalier, répliquai-je, Rome est troploin&|160;!

–&|160;Oh&|160;! tu serais romipète quece serait même chose&|160;:

Jamais cheval ni mauvaishomme

N’amenda pour aller àRome.

Et, tout content de lui, le chevalierajouta&|160;:

–&|160;Si M.&|160;le Curé y consent,moi, je le veux bien.

–&|160;Comme je compte qu’il sera sage,je le veux bien aussi, dit le curé.

Et je me retirai bien aise.

Le lendemain, ayant déjeuné de bonneheure, la demoiselle Hermine me dit&|160;:

–&|160;Te voilà dix sols pour faire legarçon.

Je la remerciai bien et je m’en fus toutjoyeux. J’avais déjà, en sous et en liards, vingt-deux sous etdemi, noués dans un coin de mon mouchoir&|160;; j’y ajoutai les dixsous, et je m’en allai, me croyant riche déjà. Je descendis passerà Glaudou, de là sous Le Verdier, et je montai à travers lesbruyères prendre le vieux grand chemin du plateau, près de LaManinie, à un endroit appelé Coupe-Boursil, ce qui n’est pas un nomtrop rassurant&|160;; mais, en plein jour, mes trente-deux sous etdemi ne risquaient rien. Ce chemin était très large, comme ça sevoit encore en plusieurs places. On dit que c’est celui que suivitle maréchal Boucicaut lorsqu’il alla assiéger Montignac. Il faisaittrès chaud&|160;; sous le soleil brûlant, les cosses des genêtséclataient avec bruit, projetant au loin leurs grainesnoires&|160;: aussi j’avais seulement, sur mon gilet, une blousebleue, toute neuve, et j’étais coiffé d’un de ces chapeaux depaille que les femmes, par chez nous, tressaient à leurs moments deloisir en allant aux foires ou en gardant le bétail. La paillen’était pas aussi fine que celle des chapeaux qu’on vend partoutaujourd’hui&|160;; mais elle était plus solide, et, dans lescampagnes, tout le monde portait de ces chapeaux – les paysans,s’entend. Un quart d’heure avant d’arriver aux Quatre-Bornes, jepris un raccourci et je m’en fus passer au village de Lécheyrie,puis le long des murs du jardin du château de Beaupuy, d’où jefinis de descendre dans le vallon de La Laurence, où se trouve lachapelle de Saint-Rémy, à un petit quart de lieue au-dessusd’Auriac.

Au long des prés, sur le bord du vieuxchemin, dans une espèce de communal, est bâtie la vieille chapelleaux deux pignons ornés de figures grimaçantes. Autour, l’herbepousse maigre et courte sur le terrain pierrailleux etsablonneux&|160;; mais, tout contre les murs, la terre bien fuméepar les passants fait foisonner des orties, des carottes sauvages,des choux d’âne, des menthes âcres d’une belle venue. En tempsordinaire, cet endroit a l’air triste, abandonné, et cetteconstruction, aux murs noircis par les siècles, ressemble à unegrande chapelle de cimetière.

Au contraire, les jours de pèlerinage,le lieu est bruyant et animé. On y vient de loin, plus que deprès&|160;: les saints sont comme les prophètes, ils n’ont pasgrand crédit chez eux. Les paroisses des environs, au-dessus et enaval de Montignac, y envoient bien des pèlerins, mais c’est surtoutles gens du bas Limousin qui y affluent. Seulement, comme à cesLimougeaux la dévotion ne fait pas perdre la tête, quoiqu’ils aientune bonne suffisance, ils apportent dans les bastes ou paniers deleurs mulets des fruits de la saison, mais surtout des melons.C’est la fête des melons, on peut dire, tant il y en a. Sur descouches de paille, ils sont là étalés, petits, gros, de toutes lesespèces&|160;: ronds comme une boule, ovales comme un œuf, aplatisaux deux bouts, melons à côtes, lisses, brodés, verts, jaunes,grisâtres, est-ce que je sais&|160;? Et il s’en vend&|160;! C’estdu fruit nouveau pour le pays, car les environs de Brives etd’Objat sont bien plus précoces que par ici&|160;; en sorte que lesgens de chez nous venus à la dévotion tiennent à emporter un melon.C’est une sorte de témoignage qu’on a été à la Saint-Rémyd’Auriac.

Je dis d’Auriac, parce que saint Rémy aencore une autre dévotion en Périgord&|160;; c’est à Saint-Raphaël,sur les hauteurs, entre Cherveix et Excideuil. Il y a là, dansl’église, le tombeau du saint que l’on va chevaucher, comme àAuriac on se frotte à sa statue, pour guérir de toutes sortes demaladies et douleurs, et on y est guéri comme à Auriac.

Autrefois, le tombeau de saint Rémyn’était pas au bourg de Saint-Raphaël, mais à une cafourche dequatre chemins, où aboutissaient quatre paroisses&|160;: Cherveix,Anlhiac, Saint-Médard et Saint-Raphaël. Comme ce tombeau attiraitbeaucoup de monde, ces quatre paroisses se le disputaient. Un jour,les gens d’Anlhiac amenèrent leurs meilleurs bœufs, les attelèrentà la pierre du tombeau, mais ne purent la faire bouger d’une ligne.Ceux de Saint-Médard essayèrent ensuite et ne réussirent pasdavantage. Alors les riches propriétaires de Cherveix, avec leursgrands forts bœufs de la plaine, bénis pour la circonstance,montèrent sur les coteaux et à leur tour essayèrent d’entraîner lasusdite pierre&|160;; mais sans plus de succès que les autres.Enfin les gens de Saint-Raphaël vinrent en procession avec un âne –tout ce qu’ils avaient, les pauvres&|160;! – et après que le curéeût invoqué le grand saint Rémy, l’âne attelé au tombeau traînafacilement la pierre, à travers les friches, jusqu’à Saint-Raphaël,où elle est restée.

Voilà ce que racontent les gens dupays&|160;; moi, je ne garantis rien.

Pour en revenir à la dévotion d’Auriac,c’est encore une foire aux paniers&|160;; non pas de ces paniers devîmes grossiers pour vendanger ou ramasser les noix et leschâtaignes, mais de ces jolis paniers en osier blanc, de toutesformes, depuis le grand panier plat pour porter les fromages dechèvre au marché, jusqu’au joli petit panier de demoiselle àcueillir les fraises, sans oublier les corbeilles à fruits, et cesbelles panières rondes ou carrées, à deux couvercles, où il setient tant d’affaires, lorsqu’on revient de la foire.

Il y a là aussi, pour soutenir les gensvenus de loin, des boulangers de Montignac, vendant des choines* etdes pains d’œufs parfumés au fenouil, et aussi des marchandes detortillons. Puis, contre les haies, à l’ombre, bien abritées debranchages, des barriques sont là, en chantier, où l’on vend le vinà pot et à pinte.

Lorsque j’eus dépassé le moulin deBeaupuy, et que je fus sur la petite hauteur qui domine le vallon,je m’arrêtai, tâchant de reconnaître la Lina dans cette foule demonde qui était autour de la chapelle, mais je ne le pus. Je voyaisdes coiffes blanches, des mouchoirs de couleur, des pailloles ouchapeaux de paille de femme, des fichus bariolés, mais c’étaittout. Me remettant alors en marche, je finis d’arriver à lachapelle et je commençai de chercher dans tout ce peuple. Je fus unbon moment à me promener partout, enjambant les tas de melons, lespaniers de pêches, poussant les gens pour avoir place, jouant descoudes pour avancer, et je ne voyais pas Lina. «&|160;Sa mâtine demère, me pensai-je, l’aura peut-être empêchée devenir&|160;!…&|160;» Tandis que j’étais là assez ennuyé à cetteidée, voici montant du bourg, dans le chemin bordé de haiesépaisses, la procession du pèlerinage. Comme je regardais si Linan’était pas dans les rangs, j’ouïs dire derrièremoi&|160;:

–&|160;Eh bien&|160;! il pense jolimentà toi&|160;!

Je me retournai coup sec, et je vis Linaavec une autre fille&|160;:

–&|160;Ha&|160;! te voilà donc&|160;! Etcomment ça va-t-il vous autres&|160;? Il y a un gros moment que jevous cherche&|160;; où étiez-vous donc&|160;?

–&|160;Nous ne faisons qued’arriver.

–&|160;Aussi je me disais&|160;:«&|160;Si elle était là, je l’aurais vue, poursûr&|160;!&|160;»

Et voilà que nous nous mettons àbabiller tous trois&|160;; non pas de choses bien curieuses,peut-être, mais il suffit que ce soit avec celle qu’on aime pour yprendre plaisir. À de certaines paroles, quelquefois, on comprendqu’elle veut faire entendre autre chose que la signification desparoles, et on l’entend, encore qu’on ne soit pas bien fin, car,pour ces affaires-là, on a toujours assez d’esprit. Et puis il y ala joie de la présence, il y a les yeux qui parlent aussi, lesmains qui se serrent, et on regarde les lèvres s’agiter vives etsouriantes, et on est heureux des petits rires musiqués quilaissent voir les dents saines et blanches.

Pendant que nous étions à caqueter, laprocession arriva. En tête, comme de bon juste, le marguillierportant la croix, petit homme brun, qui avait l’air pas malfarceur, et se réjouissait d’avance, ça se voyait dans ses yeuxpétillants, de ce que cette journée allait lui rapporter. Ensuite,sur deux files, les pèlerins les plus dévots, qui sortaient d’ouïrune messe à la paroisse, et venaient encore à celle de Saint-Rémybien plus estimée ce jour-là. Ces pèlerins, c’étaient des femmesdes paroisses des environs de Montignac&|160;; puis celles venuesdu causse de Salignac, qui tire vers le Quercy, coiffées demouchoirs à carreaux rouges et jaunes, habillées de cotillons dedroguet avec des devantaux rouges&|160;; puis d’autres du causse deThenon et de Gabillou, en bas bleus, avec des coiffes à barbes etdes fichus d’indienne à grandes palmes, retenus par devant avecleur tablier de cotonnade. Et puis, pour la plus grande part,c’étaient des femmes du bas Limousin, tirant vers la frontière del’Auvergne, habillées de cadis, coiffées de bonnets en dentelle delaine, noirs, comme des béguins, avec par-dessus des chapeaux depaille, noirs aussi, à fonds hauts avec des rebords par devantsemblables à de grandes visières. Celles-là marchaient lourdement,chaussées de gros souliers ferrés, comme leurs maris. Les hommesétaient habillés, selon leur pays, de culotte en grosse toile desacs, ou de droguet&|160;; peu de blouses, mais des vestes de bure,ou des gipous de forte étoffe bleue, avec des poches par derrièredans les pans écourtés de cette espèce d’habit. Et c’est là qu’onconnaissait les gens ménagers de leur argent, au morceau de painqui enflait leur poche d’un côté, et à la petite roquille de terrebrune qui dépassait dans l’autre poche, bouchée, avec unecacarotte, ou épi de blé d’Espagne égrené. Il y en avait qui aulieu de pain avaient dans leur poche un tortillon, mais ceux-làpassaient pour des prodigues.

Tous ces hommes, leur grand chapeau noirà larges bords à la main, marchaient lentement dans la pierraillepoussiéreuse avec leurs lourds souliers, sous un soleil brûlant quileur faisait cligner les yeux. Les femmes, leur chapelet d’unemain, et portant de l’autre un petit cierge dont la flamme sevoyait à peine sous ce soleil aveuglant, suivaient à petits pas enremuant les lèvres. Parmi les gens sains, on voyait des boiteuxtraînant avec une béquille une jambe attaquée du mal deSaint-Antoine, ou érysipèle&|160;; d’autres qui avaient un bras enécharpe, plié dans des linges tout blancs pour lacirconstance&|160;; et d’autres encore qui avaient attrapé uneffort, comme en témoignait leur culotte soulevée par une grosseurà l’aine. Entre tous ces visages brûlés par les fenaisons et lesmétives, il y avait des figures malades, jaunes, terreuses, quisentaient la fièvre et la misère. Quelques-uns à demi aveugles, unbandeau sur les yeux, étaient menés par la main. Tout ce mondevenait demander la guérison au bon saint Rémy&|160;: ceux-ciavaient des douleurs, ou du mal donné par les jeteurs de sorts, oudes humeurs froides&|160;; ceux-là tombaient du haut mal, ou segrattaient, rongés par le mal Sainte-Marie, autrement dit la gale,assez commune en ce temps. Parmi ces malades, il y en avait devieux, de jeunes&|160;; des hommes fatigués par un mauvais rhumetombé sur la poitrine&|160;; des femmes incommodées de suites decouches&|160;; des filles aux pâles couleurs&|160;; des enfantsteigneux&|160;; de pauvres épouses bréhaignes qui, n’ayant pas lemoyen d’aller à Brantôme ou à Rocamadour, toucher le verrou,venaient demander un enfant à saint Rémy.

Derrière les deux longues files depèlerins, venaient les curés, chantant des litanies&|160;; les unsen surplis à ailes, les autres en ornements brodés à fleurs&|160;;et puis, le dernier, le curé de la paroisse, en chasuble dorée,portait le calice recouvert. Il les faisait bon voir tous en bonpoint, avec des figures rouges, luisantes, bien fleuries sous lebonnet carré ou la calotte de cuir, et les cheveux noirs ougrisonnants descendant bouclés sur le cou. Ils n’étaient pasmalades, ceux-là, oh&|160;! non, ça se voyait tout de suite&|160;:c’étaient des curés à l’ancienne mode, de bons vivants quin’allaient pas chercher midi à quatorze heures, et touchaient leurtroupeau vers le paradis sans s’embarrasser du Sacré-Cœur, ni del’Immaculée Conception, ni de l’infaillibilité du pape. Sans doute,il y en avait bien qui faisaient jaser les gens pour aimer un petitpeu trop l’eau bénite de cave, ou avoir deux chambrières devingt-cinq ans pour une de cinquante, ou encore quelquenièce&|160;; malgré ça ils valaient autant ou mieux que d’aucunsd’aujourd’hui qui baptisent leur vin et ont de vieilles servantes,mais qui sont bilieux, haineux, hypocrites, intrigants, avares, etvont chercher chez leurs paroissiennes ce qui leur manque aulogis.

Mais après tout, ça m’est égal&|160;:celui-là qui passe en couleur les mongettes ou haricots de coquefera le tri si ça lui convient.

Tous les trois, Lina et son amie, nousregardions curieusement défiler cette multitude bigarrée quis’engouffrait dans la chapelle. Les curés faisaient des détourspour éviter les tas de melons et les paniers, jetant çà et là uncoup d’œil de côté sans tourner la tête, lorsque parmi cette foulepressée devant l’entrée ils reconnaissaient une gentille ouaille.Après eux, nous entrâmes dans la chapelle, qui était bondée quoiqu’elle soit assez grande. On n’y voyait pas bien clair, car lesfenêtres très étroites étaient solidement grillagées de barreaux defer, de crainte des voleurs. Pourtant, je ne sais ce qu’ilsauraient pu y voler. Les murs blanchis à la chaux, verdis çà et làpar l’humidité, n’avaient pas de riches tableaux, ils étaient nus,excepté au-dessus de l’autel, où un vilain barbouillage, dans uncadre de bois peint en jaune pour imiter l’or, représentait le bonDieu, avec une belle barbe, recevant saint Rémy dans le paradis. Cetableau n’avait jamais été beau, sans doute, et il était trèsvieux, de manière que les couleurs passées s’écaillaient parendroits, emportant le nez du saint ou l’œil d’un ange qui jouaitde la flûte. L’autel était peint en gris, avec des filets bleusautrefois. Les grands chandeliers étaient de bois badigeonné d’unjaune d’or, maintenant terni, ainsi que toutes les couleurs danscette chapelle humide, qui sentait le moisi et comme le relent desplaies qu’on y étalait depuis des siècles. Sur une petite tablerecouverte d’une sorte de nappe, par côté du chœur, était unestatue de saint Rémy en bois, qui avait l’air d’avoir été faite parle sabotier d’Auriac, tant elle était mal taillée. On l’avait bienpassée en couleurs depuis peu, pour la rendre un peu plusconvenable, mais la robe bleue de charron et le manteau rouged’ocre n’embellissaient guère ce pauvre saint.

Je la fis voir à Lina en lui disant àl’oreille&|160;:

–&|160;J’en ferais bien autant avec uneserpe&|160;!

–&|160;Écoute la messe, fit-elle ensouriant.

C’était le curé d’Auriac qui la disait,qui la chantait plutôt, vieux homme gris pommelé, de bonne mine etencore vert. Il était servi par deux enfants de chœur et, de plus,assisté de deux autres curés en costume, qui lui faisaient degrandes révérences, mains jointes, qui embrassaient les objetsavant de les lui donner, lui soulevaient sa chasuble lorsqu’ils’agenouillait, enfin faisaient un tas de cérémonies de ce genre.Moi qui n’avais jamais vu que la messe du curé Bonal, qui officiaitplus simplement, je trouvais tout ça bien étrange. Il y eutbeaucoup de femmes qui communiè­rent, de sorte qu’avec toutes cescérémonies la messe dura longtemps&|160;; mais enfin elle s’achevaet je n’en fus pas fâché. Au moment de sortir, le curé annonçaqu’ils allaient déjeuner, et qu’il nous engageait chacun à en faireautant, afin qu’à deux heures tout le monde fût là, parce qu’onchanterait les vêpres avec sermon et bénédiction du SaintSacrement, après quoi on continuerait à donner lesévangiles.

–&|160;Mais, ajouta-t-il, comme il y ena qui sont de loin et ne peuvent attendre si tard, M.&|160;le curéd’Aubas va rester pour donner les évangiles à ceux-là.

Et en effet, aussitôt que les autresfurent partis, le curé d’Aubas, un livre à la main, assisté dumarguillier qui tenait une soupière d’étain, fut entouré par unefoule de gens qui demandaient l’évangile. Le curé avait biendit&|160;: «&|160;donner&|160;», mais c’était une façon de parler,car on les payait. Lorsqu’on avait remis les sous au marguillier,qui les jetait dans la soupière, il disait&|160;:

–&|160;C’est à celui-là.

Alors chacun à son tour s’approchait ducuré qui leur mettait son étole sur la tête et récitait des versetsde l’évangile selon saint Matthieu, où il est question de laguérison de plusieurs malades et infirmes. Après l’évangile, lesgens allaient se frotter au saint&|160;: car l’évangile, ça n’étaitrien au prix de saint Rémy, d’autant plus que l’évangile se payaitet que le saint frottait gratis. Mais ce n’était pas celui quiétait dans le chœur&|160;: on avait eu beau le passer en couleurs,personne ne le regardait. Le véritable, c’était un petit saint depierre qu’on avait tiré de sa niche et que chacun prenait pour sefrotter la partie malade, ou se faire frotter par un voisin,lorsque les douleurs étaient dans l’échine ou dans les reins. On sefrottait l’estomac avec, les bras, les jambes, les cuisses, sur lapeau autant que ça se pouvait. Ce bonhomme de saint avait une telleréputation de guérisseur, que les gens l’appelaient enpatois&|160;:saint Rémédy, comme qui dirait&|160;: saintRemède&|160;; et que dans le courant de l’année, la chapelle étantfermée, les passants affligés de douleurs allaient pleins deconfiance se frotter contre le mur extérieur de la chapelle audroit de sa niche.

Mais les jours de dévotion commecelui-ci, on se frottait directement. Ceux qui avaient la sciatiquese le faisaient promener depuis la hanche jusqu’au talon,par-dessus la culotte&|160;; mais, des fois, des vieilles,percluses de douleurs, qui n’avaient pas peur de montrer leurslie-chausses ou jarretières, se le fourraient sous les cottes,ayant fiance que le frottement sur la peau avait plus de vertu.Ah&|160;! il en voyait de belles, le pauvre diable desaint&|160;!

Quand je dis qu’il en voyait de belles,c’est une manière de dire, car il n’avait pas d’yeux, pas plusd’ailleurs que de nez et de bouche. Depuis des siècles qu’un curéadroit avait inventé ce saint, il avait tant frotté de bras, dejambes, de cuisses, d’épaules, d’échines, de côtes, de reins, qu’ilen était tout usé. Comme ces marottes de carton qui servaient jadisaux modistes de campagne pour monter leurs coiffures et qui, àforce d’avoir servi, n’étaient plus que des boules de cartonéraillées où l’on ne voyait plus ni traits ni couleurs, lemalheureux n’avait plus figure de saint, ni même d’homme. Ses bras,ses jambes, ses pieds, ses mains, sa tête, tout cela avaittellement frotté qu’on n’y connaissait plus rien, qu’on n’ydistinguait plus aucune partie du corps ni de la figure&|160;; toutétait confondu sous l’usure. Ça pouvait être aussi bien une vieilleborne déformée par les roues des charrettes, rongée par les pluieset les gelées, qu’une statue mangée par des siècles de frottements.Mais ça n’ôtait rien à la foi des pauvres gens désireux deguérir&|160;: on se disputait le saint, chacun le voulait,quelquefois deux le tenaient en même temps et le tirassaient,chacun de son côté, d’où il s’ensuivait des paroles à voixétouffée&|160;:

–&|160;C’est mon tour&|160;!

–&|160;Non, c’est àmoi&|160;!

–&|160;Ça n’est pasvrai&|160;!

Et cependant le curé, qui avait vu çad’autres fois, récitait ses versets d’évangile au milieu d’un bruitsourd, et l’on entendait les sous tomber dans la soupière d’étainque le marguillier, fatigué, avait posée sur une chaise.

–&|160;Sortons, dis-je à Lina et à sonamie, après avoir longtemps regardé faire les gens.

Et, une fois dehors, je respiraifortement, content d’être en plein air. Puis, après nous êtrepromenés un moment, je menai les deux droles à l’ombre d’un noyer,sur le bord d’un pré, en leur disant&|160;:

–&|160;Ne bougez pas d’ici, je revienscoup sec.

Et j’allai acheter un melon, des pêches,un pain de choine, et je fis tirer une bouteille de vin à unebarrique d’un homme de la côte des Gardes au-dessus de Montignac,où l’on faisait de bon vin en ce temps-là. J’en avais en tout pourquatorze sous&|160;; alors les choses n’étaient pas chères commeaujourd’hui.

Lorsque les droles me virent revenirainsi chargé, elles s’écrièrent&|160;:

–&|160;Ho&|160;! qu’est-ce toutceci&|160;?

–&|160;Eh bien&|160;! leur dis-je, voilàles curés qui reviennent&|160;; il est deux heures, c’est le momentdu mérenda, mangeons.

Lina faisait des façons, ayant crainteque quelqu’un de par chez elle ne la vît et ne le dît à samère&|160;; pourtant à force je la rassurai, et nous étant assissur l’herbe contre une haie, je coupai le pain, le melon, et nousnous mîmes à manger en devisant gaiement.

–&|160;Mais, dit tout d’un coup en riantla camarade de Lina, qui s’appelait Bertrille, comment allons-nousboire puisqu’il n’y a pas de gobelets&|160;?

–&|160;Ma foi, répondis-je, vous boirezla première à la bouteille&|160;; Lina boira ensuite, et moi ledernier, comme de juste.

–&|160;Les hommes, répliqua-t-elle, sontplus assoiffés que les femmes&|160;: ça serait à vous decommencer.

–&|160;Non pas, je suis trop honnêtepour ça&|160;!

Et je lui tendis labouteille.

Elle la prit en guignant un peu del’œil, comme qui dit&|160;: «&|160;Je te comprends,va&|160;!&|160;»

Ayant bu, elle passa la bouteille àLina, qui après quelques gorgées me la donna.

–&|160;Je vais savoir ce que tu penses,Lina&|160;! dis-je.

Et, prenant la bouteille, je me mis àboire lentement.

–&|160;Il va la finir&|160;! disait enriant la Bertrille.

Mals ça n’était pas pour le vin que jefaisais durer le plaisir&|160;; et, tout en buvant, je coulai àLina un regard qui la fit rougir un peu.

Tandis que nous étions là, on entendaitles curés chanter vêpres à pleine voix, comme des gens qui ont prisdes forces et qui savent qu’ils se reposeront à table lesoir&|160;; mais je n’étais pas bien curieux d’y aller, ni lesdroles non plus, étant bien où nous étions.

La bouteille ayant été vidée à latroisième tournée, je voulus aller en faire tirer une autre, tantje prenais goût à cette manière de boire après Lina&|160;; alorstoutes deux me dirent que j’étais un ivrogne, et que, pour ce quiles touchait, elles ne boiraient plus. Voyant ça, je rapportai labouteille à l’homme de la barrique, et nous fûmes nous promener àAuriac, tandis qu’on commençait à prêcher.

Les auberges étaient pleines de gens quibuvaient. Ceux-là, c’étaient des gens de la paroisse, qui n’avaientpas grande dévotion pour le saint, et le laissaient pour lesétrangers forains, mais qui l’aimaient tout de même, parce qu’ilfaisait aller le commerce de l’endroit, et qui le fêtaient le verreau poing.

À ce moment, les pétarous, ainsi qu’onappelle ces marchands de fruits des environs de Brives et d’Objat,commençaient à repartir, ayant vidé les bastes de leurs mulets, etrempli de gros sous leurs bourses de cuir. Ceux à qui il restaitquelques melons les donnaient pour presque rien à leur auberge, ouaux adroits qui avaient attendu sur le tard pour acheter. Nous nouspromenâmes assez longtemps dans le bourg et sur la place où l’ondansait à l’ombre des gros ormeaux. Je dansai une contredanse etune bourrée avec Lina, autant avec la Bertrille, et nous revoilàsur le chemin tous les trois&|160;; Lina et moi nous tenant par lepetit doigt, comme c’est la coutume des amoureux, en remontant versla chapelle où j’entrai seul. Les offices étaient finis, on avaitdonné la bénédiction, et les curés s’en allaient. Mais pour ça lachapelle ne désemplissait pas. Un autre curé avait relevé celuid’Aubas, qui disait les évangiles auparavant, et le fait est qu’ildevait être fatigué. Pour le pauvre marguillier, qui était seul demarguillier, et qui ne voulait peut-être pas non plus quitter lasoupière, il lui fallait rester là&|160;; mais il se consolait enla voyant se remplir de sous parmi lesquels reluisaient des piècesde quinze et de trente sous, de tout quoi il comptait avoir sapart.

Et le saint frottait, frottait toujours,passant de main en main, toujours disputé, toujours tirassé par lesgens impatients. À cause de la chaleur grande, tout ce mondes’était rafraîchi, quelques-uns un peu beaucoup&|160;; de manièreque la foule était plus bruyante qu’après la messe, et qu’il y enavait qui, rouges comme des coqs de redevance, empoignaient lesaint et l’arrachaient à d’autres qui se rebiffaient comme de beauxdiables, n’ayant pas eu le temps de se frotter. Dans cettechapelle, sentant la poussière moisie et le renfermé, ils’échappait de cette presse de gens à l’haleine vineuse, sales,suants et échauffés par la marche, ou ayant des plaies, une odeurdégoûtante. On commençait à ne plus se gêner&|160;; on parlaitfort, les gens se déboutonnaient&|160;; on défaisait les manchespour se frotter le bras&|160;; les femmes se dégrafaient le corsagepour faire toucher au saint une tétine gonflée par un dépôt delait, ou se troussaient pour détacher leurs jarretières et sefrotter les jambes à nu, laissant voir sans honte leurs genouxcrasseux. Parmi ceux qui étaient là en curieux, comme moi, il yavait parfois une rumeur de risée en voyant tout cela&|160;; maisles bonnes gens croyants qui attendaient leur tour et guettaient lesaint, regardaient de travers les moquandiers. Du milieu de cebourdonnement sourd, de ce brouhaha de réclamations etd’apostrophes salées, s’élevait parfois la plainte d’un maladepoussé par une main brutale, ou le cri d’une femme dont le piedétait écrasé par un gros soulier ferré. Car tous ces gens, commeaffolés, se poussaient, se bousculaient, se marchaient sur lesorteils et s’enfonçaient les côtes à coups de coudes, avec desjurons étouffés. Et, dans ce temps, à l’entrée du petit chœur, lecuré récitait toujours des versets de l’évangile, et les soustombaient toujours, emplissant presque la soupière dusacristain.

De la cohue pressée sortaient des hommesqui se reboutonnaient, des femmes qui s’agrafaient ou rattachaientleurs bas bleus avec le bout de chanvre ou de lisière qui leurservait de lie-chausses. Et peu à peu, comme il ne venait pluspersonne, le tas diminuait de tous ceux qui avaient satisfait leurmanie superstitieuse, et bientôt il n’y eut plus là que quelquesvieilles folles qui ne pouvaient se décider à s’en aller. Alors,des coins de la chapelle où ils attendaient, sortirent, setraînant, clopinant, des malades, des infirmes, des estropiés, desimpotents qui n’avaient pas osé se fourrer dans la foule où on lesaurait pilés&|160;; et ils vinrent se frotter à leur tour, étalantsans vergogne leurs hideuses misères, et se rendant charitablementun bon office lorsque l’endroit malade le requérait. Le malheureuxsaint frotta encore quelques échines tordues, quelques jambespourries, quelques bras desséchés&|160;; il subit encore quelquessales attouchements de plaies croûteuses ou vives, d’ulcèressuppurants, et puis enfin fut replacé, tranquille pour un an, danssa niche, par le marguillier qui avait cessé de recevoir des sous,le curé ayant cessé de réciter ses versets d’évangile, faute depratiques. Et, tout le monde étant parti, il ne resta plus sur lepavé, plein de terre et de gravats apportés par les pieds desdévotieux, que des boutons arrachés dans la précipitation etplusieurs morceaux de jarretières cassées.

J’ai ouï dire que, depuis ce temps-là,cette dévotion a beaucoup perdu et que les gens n’y courent plus àtroupeaux comme jadis. La foi à ce tronçon de pierre informe, qu’onappelle le saint, s’en est allée, comme tant d’autres belleschoses, et il n’y a plus guère que les bas Limousins qui fontsemblant d’y croire à cause de leurs melons. Mais, en revanche,ceux qui ont absolument besoin d’être trompés s’en vont porter leurargent aux diseuses de bonne aventure dans les foires ou acheterdes poudres aux charlatans, ce qui en finale revient aumême.

Lorsque je sortis, je trouvai les deuxdroles qui revenaient de se promener un peu toutes seules, et ilfut question de partir. Bien entendu, je voulus leur faire un boutde conduite, car c’est à peine si, dans cette foule, j’avais puparler tranquillement à Lina. Pour dire la vérité, cette dévotionne va pas bien pour les amoureux&|160;: on est toujours en vue,dans ce vallon de la Laurence où il n’y a que des prés, et, d’uncôté comme de l’autre, des coteaux de vignes, à la réserve de lagarenne du château de La Faye. Quoique sans mauvaises intentions,on aime à se cacher un peu. Ah&|160;! ce n’est pas comme aupèlerinage de Fonpeyrine, où l’on est au beau milieu desbois.

Nous nous en fûmes donc tous les trois,suivant d’abord le grand chemin d’Angoulême à Sarlat, qui passedans la combe, le long des prés de Beaupuy, pour monter ensuite àLa Bouyérie et aux Quatre-Bornes. Je tenais Lina par la taille etpar une main, marchant tout doucement et lui parlant de choses etd’autres&|160;: combien j’étais content de cette journée, tout leplaisir que j’avais eu à la passer avec elle, et aussi comment nouspourrions faire pour nous revoir. Bertrille côtoyait Lina, mais, detemps en temps, la bonne fille faisait semblant de ramasser quelquefleurette sur le bord du chemin, et restait un peu en arrière pournous mieux laisser causer. Lorsque nous fûmes aux Quatre-Bornes,j’aurais dû les quitter, mais je dis à Lina&|160;:

–&|160;Je vais aller avec vous autres unpeu plus loin.

Et nous voilà suivant le chemin tracépar les charrettes à travers les grands bois châtaigniers. Nousétions si occupés à parler, Lina et moi, que nous fûmes près deL’Orlégie sans nous en être aperçus. Mais la Bertrille, qui, elle,était dépareillée, me dit alors&|160;:

–&|160;Vous ferez bien de nous laisserlà&|160;; il vaut mieux qu’on ne nous voie pas ensemble dans levillage.

Ça m’ennuyait bien, mais, comme jesentais que c’était raisonnable, de crainte de faire avoir desreproches à Lina, je les laissai après les avoir embrassées toutesdeux, Bertrille la première, et ma bonne amie si longuement quel’autre me dit en riant&|160;:

–&|160;Vous voulez donc lamanger&|160;!

Je lâchai Lina sur ces paroles, et elless’en furent… Pour moi, appuyant sur la gauche, j’allai descendredans la combe qui vient de dessous Bars, et je suivis le ruisseaude Thonac, qui n’est guère qu’un fossé jusqu’au moulin de LaGrandie. À la rencontre de la combe de Valmassingeas, qui rejointl’autre, et avec elle s’élargit en vallon, je trouvai un homme quiportait sur son épaule, avec son bâton, quelque chose de rond nouédans son mouchoir. Lorsqu’on rencontre, ce jour-là, quelqu’unportant un melon, on peut dire qu’il vient de laSaint-Rémy.

–&|160;Et vous en venez doncaussi&|160;? lui dis-je.

–&|160;Eh&|160;! oui, fit-il en tournantun peu la tête vers son melon, comme qui dit&|160;: «&|160;Vous levoyez.&|160;»

Là-dessus, nous cheminâmes en causant.L’homme me dit qu’il était de La Voulparie, dans la commune deSergeac, et qu’il venait de se frotter à saint Rémy, pour un mal detête qui le prenait de temps en temps et le rendait quasi imbécile.Puis il se mit à parler de la fête, et s’en alla remarquer quenotre curé n’y était point.

–&|160;Aussi bien y étaient-ils asseztout de même, lui répliquai-je, pour manger le fricot du curéd’Auriac&|160;!

–&|160;Sans doute, fit l’homme, maisavec ça, comme voisin, il aurait dû être à cette dévotion où lesgens viennent de si loin&|160;; mais on dit qu’il ne croit pas àgrand-chose, et même qu’il ne se conduit pas trop bien.

–&|160;Et qui dit ça&|160;?

–&|160;On le dit.

–&|160;Ceux qui le disent sont desimbéciles&|160;!

–&|160;En ce cas, il y a beaucoupd’imbéciles devers chez nous, car les gens ne se gênent pas pour ledire.

–&|160;Et peut-être vous en êtes, deceux-là qui le disent&|160;?

–&|160;Moi, je ne dis que ce que j’aiouï dire&|160;; et, probablement, tout le monde dans notreparoisse, le curé en tête, ne le dirait pas si ça n’était pas vrai.Lorsqu’un bruit court comme ça, on peut bien croire qu’il n’y a pasde fumée sans feu.

Le rouge m’était monté et je le rabrouairudement&|160;:

–&|160;Pour les pauvres sottards quicroient bêtement tout ce que leur dit votre curé, ils sontpardonnables&|160;; mais quant à lui, qui sait aussi bien quepersonne que le curé Bonal est un brave homme et un digne prêtre,je vous le dis, c’est un pas grand-chose&|160;!

Et nous continuions à disputer et noiseren marchant, moi faisant de notre curé tous les éloges qu’ilméritait, l’homme répétant tout le mal qu’il en avait entenduraconter, lorsque, à un moment donné, en face de la petite combe deGlaudou, sur une parole qu’il lâcha, touchant la demoiselleHermine, je le pris au collet et je le secouaifortement&|160;:

–&|160;Bougre d’animal&|160;! je voisbien, à cette heure, que saint Rémy est un foutu saint, car tu aseu beau te frotter la tête, tu es resté plus bête qu’unâne&|160;!

Et lui, de son côté, m’ayant attrapé parle col de ma blouse, nous nous saboulions comme à prix fait, tandisque le melon roulait sur le chemin.

L’homme était plus âgé que moi de cinqou six ans, mais tout de même je le jetai à terre, et je luibourrai la figure à coups de poing, de manière que je lui fissaigner le nez. Ayant un peu passé ma colère, je le lâchai&|160;;il se releva, ramassa son melon qui s’était quelque peu écrabouilléen tombant, et, sentant qu’il n’était pas le plus fort, continua saroute, non sans me faire des menaces de nous revoir.

–&|160;Quand tu voudras, grandessoti&|160;! lui criai-je.

Et, montant dans le coteau rocheux àtravers les taillis de chênes clairsemés, je fus bientôt àFanlac.

Je fis mon possible, en arrivant, pourne pas rencontrer le curé, mais, justement, je m’en allai me jeterdans ses jambes. Il connut d’abord à ma blouse déchirée que jem’étais battu, et il me demanda à quel sujet. J’étais un peuembarrassé, ne voulant pas mentir, et ne voulant pas lui dire nonplus de quoi il s’agissait. Pourtant, pressé de questions, je finispar lui avouer l’affaire&|160;:

–&|160;Ma foi, monsieur le Curé, c’est àcause de vous.

Et je lui racontai tout, excepté quel’homme eût parlé de la demoiselle Hermine.

–&|160;Mon garçon, me dit-il quand j’eusfini, je te sais gré du sentiment qui t’a porté à prendre madéfense&|160;; mais, une autre fois, il faut être pluspatient&|160;; allons, va te changer…

La Fantille, à qui je dus aussiexpliquer les accrocs de ma blouse, ne fut pas du même avis que lecuré&|160;; elle dit que j’avais bien fait de corriger cetindividu.

–&|160;Je te pétasserai toujours de boncœur, lorsque tu auras été déchiré en pareilleoccasion&|160;!

–&|160;Allons, allons&|160;! Fantille.Il faut être plus doux et savoir supporter les injures et lescalomnies.

–&|160;Oh&|160;! vous, monsieur le Curé,vous vous laisseriez agonir de sottises sans rien dire.

Le curé sourit un peu, et s’en futécrire dans sa chambre.

Moi, je me doutais bien que toutes cesméchancetés répandues par les curés, d’après le mot d’ordre desjésuites prêcheurs, n’annonçaient rien de bon. «&|160;Sans doute,me disais-je, afin de préparer les gens à une mesure de rigueurcontre le curé Bonal, on essaye de le déshonorer à l’avance.&|160;»Dans mon idée, on voulait l’ôter de Fanlac, et l’envoyer dansquelque mauvaise petite paroisse au loin, rien ne pouvant lui êtreplus pénible que de quitter ses chers paroissiens, qui l’aimaienttant… Mais je ne connaissais pas bien ses ennemis etpersécuteurs.

Quelques jours après, arriva une autrelettre cachetée de cire violette comme la première. L’ayant lue, lecuré, qui était maître de lui, ne broncha pas&|160;; il replia lalettre et s’en fut se promener dans le jardin, tout pensif, et, uneheure après, alla trouver le chevalier.

Lui, ne prit pas la chose aussipatiemment que le curé, et il s’écria, aussitôt qu’il sut de quoiil s’agissait, que c’était une infamie, et une ânerie par-dessus lemarché&|160;; qu’il fallait que l’évêque eût perdu la tête pourfaire une chose pareille, ou qu’on l’eût trompé&|160;; que quant àlui, il ne ficherait plus les pieds à la messe – dans sa colère, illâcha le mot – puisque les tartufes faisaient forclore de l’Églisele meilleur curé du diocèse.

Le lendemain se trouvant un dimanche, lecuré Bonal monta en chaire, pour la dernière fois. Lorsqu’ilannonça à ses paroissiens que, d’après la décision de monseigneurl’Évêque, il était interdit et ne dirait plus la messe, même ceprésent dimanche, ni n’administrerait plus les sacrements, ce futdans l’église bondée de monde une explosion de surprise qui secontinua en une rumeur sourde que le curé fut un instant impuissantà dominer.

Ayant obtenu le silence, il exposa quec’était un devoir pour tous, paroissiens et curé, de se soumettre àl’autorité de l’évêque&|160;; que, pour lui, quoique sa consciencene lui reprochât rien, car il avait toujours agi, non dans unintérêt personnel, mais pour la paix de l’Église, il obéirait sansrésistance et sans murmure. Mais il ajouta que cette obéissance luicoûtait beaucoup, parce qu’il les aimait tous comme ses enfants, etqu’il avait espéré leur faire entendre longtemps la parole de Dieu,et finalement reposer dans le petit cimetière où il en avait tantconduit déjà. Il parla ainsi longuement, avec tant de cœur et debonté que tout le monde en était ému et que les femmes, les yeuxmouillés, se mouchaient avec bruit. Mais, ce moment d’émotionpassé, la colère prit le dessus, et, à la sortie de l’église, lesgens s’assemblèrent et se dirent entre eux qu’il ne fallait paslaisser partir le curé. Tous, les uns et les autres, se montèrentla tête de manière que plusieurs des plus décidés s’en allèrenttrouver le chevalier de Galibert, toujours coléré, quoique ce fûtun bon homme. Lui, voyant comme ça tournait, monta sur les marchesde la vieille croix, et commença à prêcher les gens. Il leur ditque la conduite de leur curé, sa patience, sa résignation danscette circonstance, prouvaient combien il était digne de leuraffection et de leur respect.

–&|160;Mais, nous autres paroissiens,nous avons bien le droit d’agir un peu différemment… Nous pouvonsnous rappeler qu’autrefois le peuple élisait ses curés etparticipait à l’élection des évêques et même des papes. Ce n’estpas une raison parce que des rois se sont entendus avec d’aucuns deceux-ci pour confisquer nos antiques privilèges, de ne pas nous ensouvenir. Il faut donc que toute la paroisse adresse une pétition àl’évêque pour lui demander le maintien de notre curé. Mais –ajouta-t-il – comme il n’y en a guère que deux ou trois qui sachentsigner, nous ferons comme on faisait jadis, nous appellerons unnotaire qui dressera un acte de notre protestation&|160;:Par le papier&|160;!

«&|160;Voilà, dans la position où noussommes, ce qu’il y a de mieux à faire. Un chien regarde bien unévêque, nous pouvons donc lui adresser la parole. Êtes-vous de cetavis&|160;?

–&|160;Oui&|160;! oui&|160;! crièrenttous les gens qui étaient là.

–&|160;Eh bien&|160;! donc, je vaisenvoyer quérir le tabellion. Vous autres, revenez à l’heure devêpres, et soyez là, tous, sans faute&|160;; que personne ne resteà la maison&|160;: plus nous serons, mieux ça vaudra… Maintenant,je vous dirai que les gens en place, qu’ils aient une robe ou unhabit, ne voient pas toujours les choses comme il faut, en sorteque je ne sais pas trop ce qu’il adviendra de notreprotestation&|160;: peut-être s’en ira-t-elle en eau de boudin, enbrouet d’andouilles, nous le verrons bien&|160;!

Il ne faut pas laisser de semer pourla crainte des pigeons.

«&|160;Pour moi, je l’ai ditd’abord&|160;: si on nous ôte notre curé, je ne mets plus les piedsà l’église&|160;!

–&|160;C’est ça&|160;! c’est ça&|160;!Ni nous non plus&|160;!

–&|160;Et si on nous en envoie un autre,il dira sa messe tout seul&|160;!

Un chien est fort sur sonpalier,

Un coq sur sonfumier.

Tout le monde applaudit, et, la chosebien convenue, le chevalier m’expédia à Montignac chercher maîtreBoyer, ou un autre à son défaut.

À trois heures, le notaire était là, etsur la place, noire de monde, à l’ombre du vieux ormeau où l’onavait porté une table, il commença à instrumenter en écrivant sonpréambule. Puis tous les gens de la paroisse, hommes et femmes, lechevalier en tête, défilèrent devant lui, et, après avoir couchésur son acte leurs noms et surnoms, il continuaainsi&|160;:

«&|160;Lesquels, adressantrespectueusement mais fermement la parole à monseigneur l’Évêque dePérigueux, tout comme s’il était présent, lui ont dit et remontréque, depuis le rétablissement du culte catholique, le sieur curéBonal a donné dans cette paroisse l’exemple de toutes lesvertus&|160;; qu’il l’a édifiée par sa vraie et sincèrepiété&|160;; qu’il a été, depuis bientôt trente ans, la providencedes pauvres, et le père et l’ami de ses paroissiens, en sorte quetous, vieux et jeunes, pauvres et riches, désirent ardemment leconserver, tant qu’il plaira à Dieu de le laisser sur cetteterre.

«&|160;À cette fin, lesdits comparantssupplient très instamment mondit seigneur Évêque de révoquer lesordres par lui signifiés, et de continuer ledit sieur Bonal dansses fonctions de curé de ladite paroisse de Fanlac&|160;; ajoutantlesdits comparants, que le seul exemple de leur curé a fait de bonschrétiens de tous les habitants de cette paroisse, et que, le biende la religion s’accordant avec leur vif désir de le conserver, ilsespèrent que mondit seigneur Évêque prendra la présente demande enconsidération.

«&|160;Et, sans se départir aucunementdu respect du audit seigneur Évêque, lesdits comparants, au cas oùleur requête demeurerait sans effet, protestent très fermementcontre les inconvénients qui pourront résulter, pour la religion etses ministres, d’une mesure qui les atteint dans leur piété et leuraffection pour leur curé.

«&|160;De tout quoi lesdits comparantsm’ont requis acte, que je leur ai concédé sous le scel royal,etc.&|160;»

Et après avoir fait signer les deux outrois qui savaient, le notaire signa lui-même avec un paraphesavant, car c’était un notaire de l’ancienne école, comme ça sevoit à son acte.

Le surlendemain, le chevalier en emportaune copie superbement moulée, et s’en fut à Périgueux la remettre àl’évêque.

Celui-ci, à ce que connutM.&|160;de&|160;Galibert, comprit un peu plus tard qu’on lui avaitfait faire une bêtise&|160;; mais, comme les gens en place nereconnaissent pas facilement qu’ils se sont trompés, les évêquesmoins que les autres, monseigneur persista dans sa décision, malgrétout ce que put lui dire le chevalier, qui plaida chaleureusementla cause de son ami.

–&|160;Je vous prédis, monseigneur,fit-il en partant, que vous regretterez votre refus.

Tel maintenantrefuse,

Qui par aprèss’accuse&|160;!

L’évêque, passablement offusqué de laliberté que prenait ce laïque, ne répondit rien, et le chevaliers’en alla.

La veille de son retour, le curé, quiconnaissait bien les gros bonnets du clergé, et savait que ladémarche du chevalier serait inutile, m’avait envoyé à La Granvalparler au Rey pour venir faire des arrangements. Le Rey vint troisou quatre jours après, et, comme il n’avait plus qu’une année deferme à courir, il consentit à résilier le bail, et à se retirerdans le bien qu’il avait à La Boissonnerie, moyennant une petiteindemnité. Tout bien convenu, il s’en retourna, et le curé commençaà penser à déloger, parce que le refus de l’évêque, bientôt connude toute la paroisse, échauffait les têtes&|160;; et il ne voulaitpas être l’occasion de quelque désordre.

Il fut entendu entre le chevalier et luique je le suivrais à La Granval, comme je le lui avais demandé.Aussi, quelque peine que j’eusse de le voir dans cette passe, jefus un peu consolé par l’idée de le suivre et de lui être utile. Jecommençai à emmener le mobilier, qui n’était pas très important.Outre ce que j’en ai dit, il y avait encore dans la chambre du curéun lit tout simple, sans rideaux, une petite table recouverte d’uneserviette sur laquelle il y avait une cuvette et un pot à eau enfaïence, une autre table à écrire, plus grande, encombrée depapiers, quelques livres sur une tablette, deux chaises, une grandemalle longue recouverte de peau de sanglier, et c’était tout.Malgré ça, avec le lit de la Fantille et le reste, avec quelquesprovisions, il me fallut trois jours pour emporter toutes lesaffaires, peu à peu, à cause des mauvais chemins. Je ne faisaisqu’un voyage par jour&|160;: encore fallait-il coucher à LaGranval, car il y avait loin, et les bœufs ne vont pasvite.

Un matin, tandis que je chargeais lebuffet sur la charrette avec Cariol, je te vois arriver un granddiable de curé, sec comme un pendu d’été, de poil rouge, torcol,avec de gros yeux ronds et un nez crochu, qui me demanda où étaitle presbytère.

–&|160;Vous y êtes, lui dis-je, voici laporte.

Et, un instant après, je le suivis, pourm’assurer que c’était le nouveau curé. Précisément c’était lui, et,ensuite des civilités d’usage, il s’enquit du jour où il pourraitfaire amener ses meubles qui étaient à Montignac.

–&|160;Demain nous achèverons dedéménager, répondit le curé Bonal, et après-demain le presbytèresera libre.

Et là-dessus, toujours honnête, iloffrit à son confrère de se rafraîchir, ce que l’autre accepta, enfaisant des façons, comme s’il avait eu peur de se compromettre.Alors le curé appela la Fantille et lui dit de donner le nécessairepour faire collation. La Fantille, au lieu d’obéir, s’en alla toutecolère par les maisons du bourg dire que le remplaçant du curévenait d’arriver, et qu’il avait une de ces figures qu’onn’aimerait pas à trouver au coin d’un bois. Ne la voyant pasparaître, le curé passa dans la cuisine et me dit d’aller tirer àboire, tandis que lui-même prenait le chanteau, dans une nappe,avec des noix. Quand je mis la bouteille sur la table, le nouveaucuré était en train de questionner son prédécesseur sur ce querapportait la cure, combien on payait pour les baptêmes, lesmariages, les enterrements, la bénédiction des maisons neuves,celle du lit des nouveaux mariés&|160;; si les paroissiensfaisaient beaucoup de cadeaux, et s’il y avait de bonnes maisonspieuses où l’on recevait bien les curés.

«&|160;Toi, me pensais-je en m’enallant, si tu en attrapes beaucoup, de cadeaux, çam’étonnera&|160;!&|160;»

Tandis que le curé nouveau faisaitcollation, les femmes du bourg, mues par la curiosité, une à une,deux par deux, arrivaient sur la petite place, qui filant saquenouille, qui faisant son bas ou de la tresse de paille pour leschapeaux. Elles furent bientôt là une vingtaine, avec leurs drolespendus à leurs cotillons, et puis quelques vieux érenés*, et mêmeLa Ramée qui fumait son brûle-gueule.

Au bout d’une demi-heure, ou troisquarts d’heure, que je ne mente, lorsque le nouveau curé traversala place pour s’en retourner, tout ce monde le regarda detravers.

–&|160;Eh bien&|160;! mon brave, dit-ilen passant à La Ramée, vous fumez votre pipe&|160;?

Et comme le vieux soldat l’avisait d’unmauvais œil, sans répondre, il ajouta&|160;:

–&|160;Vous n’êtes pasbavard&|160;!

–&|160;Ça dépend.

–&|160;Alors, ce serait que je ne vousconviens pas&|160;?

–&|160;Il se pourrait.

–&|160;Vous n’êtes pas biengêné&|160;!

–&|160;Je suis comme ça.

Voyant que La Ramée continuait de tirerdes bouffées sans plus dire mot, que les hommes ne le saluaientpas, et que les femmes faisaient semblant de ne pas le voir, lecuré, tout étonné, grommela quelque chose entre ses dents et s’enalla.

Pendant qu’il était encore à portéed’entendre, Cariol, de la charrette, cria à LaRamée&|160;:

–&|160;Comment le trouves-tu, celevraut&|160;?

–&|160;Pas mal, pour ce que j’en veuxfaire&|160;!

Le lendemain, le curé Bonal suivittoutes les maisons de la commune pour faire ses adieux à chacun,entrant dans les terres pour parler aux gens qui étaient autravail, et n’oubliant personne, riches ou pauvres. Le soir, ilrentra fatigué, regarda tristement le presbytère vide, et s’en futsouper et coucher chez le chevalier.

À ce que me raconta la Toinette, ce futun triste souper, aucun des trois n’étant de goût demanger.

–&|160;Ce qui me console dans cemalheur, disait le curé, c’est que je sais que mes pauvres n’enpâtiront pas, mon bon chevalier, et que vous et mademoiselleHermine me remplacerez dignement.

–&|160;Mon pauvre curé, oui, je tâcheraide vous remplacer en ce qui regarde la charité matérielle&|160;;mais pour ce qui est des consolations morales, de ces bonnesparoles qui aident les malheureux à porter patiemment leurs peines,de ces exhortations charitables aux fins de relever les faibles…qui vous remplacera&|160;? Moi, je sens bien ce qu’il faudraitdire, mais je ne sais pas trouver les paroles…

–&|160;Alors, dit le curé, je suis sûrque mademoiselle Hermine me remplacera à cet égard.

–&|160;Certes, fit-elle, je ferai debonne volonté tout ce que je pourrai…

Et ils restèrent silencieux, les bravescœurs.

Le lendemain après le déjeuner, le curéBonal prit son bâton et, accompagné de ses hôtes, s’achemina versLa Granval. Tous trois marchaient lentement comme pour retarder lemoment de la séparation, échangeant de temps en temps quelquesparoles. Arrivés à la cafourche où une croix de pierre est plantéedepuis les temps anciens, le curé s’arrêta et ils se firent leursderniers adieux. Le chevalier, moins résigné que ses compagnons,récriminait contre la décision de l’évêque, cependant que lademoiselle Hermine, ayant tiré son mouchoir, s’essuyait les yeux,et que le curé regardait la terre en tapant de petits coups de sonbâton.

–&|160;Mes amis, dit-il en relevant latête, nous ne serions pas de bons chrétiens si nous ne savions passupporter l’injustice. Ce saint emblème, ajouta-t-il en montrant lacroix, nous enseigne la résignation&|160;: que la volonté de Dieusoit faite&|160;!

Et, s’étant fraternellement embrassés,le curé commença à descendre la combe raide. Les pierres du cheminroulaient sous ses pieds et il s’appuyait sur son bâton pour seretenir. Peu à peu sa haute taille diminuait dans le lointain etenfin il disparut dans les fonds boisés. Alors le chevalier et sasœur, qui l’avaient suivi des yeux, rentrèrent tristement chezeux.

Sur les cinq heures du soir, le curéarriva à La Granval, où, aidé de la Fantille, j’avais mis tout àpeu près en ordre. L’ancienne maison était grande assez&|160;; il yavait une vaste cuisine, une belle chambre où l’on aurait pu mettrequatre lits, et deux petites. Le curé jeta un coup d’œil surl’installation, et sembla retrouver sous le vieux toit de familleles souvenirs de son enfance, car il resta longtemps pensif devantle feu.

L’heure du souper approchant, laFantille mit une nappe au plus haut bout de la table, et y plaça lecouvert du curé, puis elle trempa la soupe.

–&|160;Dorénavant, dit-il en la voyantfaire, nous mangerons tous ensemble. Il n’y a plus ici de curéobligé par état de garder certaines convenances&|160;; il n’y aplus que Pierre Bonal, fils de paysan, redevenu paysan. DemainVirelou viendra pour me faire d’autres habillements.

–&|160;Comment&|160;! s’écria laFantille en joignant les mains&|160;; vous allez poser la soutane,monsieur le Curé&|160;!

–&|160;Sans doute, puisque je ne suisplus curé, et qu’il m’est défendu de la porter… Allons, mets desassiettes sur la table pour toi et Jacquou.

La Fantille hésitait, ne sachant plus oùelle en était, mais elle finit par obéir.

Alors le curé, se levant, s’approcha dela table, fit le signe de la croix et récita leBenedicite.

Ayant fini, il s’assit, prit la grandecuiller et nous servit, à Fantille et à moi, chacun une pleineassiette de soupe&|160;; après quoi, il se servit lui-même moinscopieusement.

Après souper, nous parlâmes de lamanière qu’il convenait de gouverner le domaine, et je fisconnaître au curé mes idées là-dessus. Je l’assurai que j’étaiscapable de faire le travail tout seul, et bien&|160;; mais il merépliqua qu’il n’entendait pas rester oisif, et que, nonobstant sessoixante ans passés, il était robuste et comptait m’aider. Sur leshuit heures, je fus donner aux bœufs, car le Rey avait laissé lecheptel, comme c’est la coutume, en ayant pris en entrant&|160;;après quoi, chacun alla se coucher.

Je pensai longtemps, avant dem’endormir, à la manière de conduire les affaires la plusprofitable pour la maison. Je comprenais qu’il fallait charrierdroit et travailler ferme, car la propriété n’était pas grande,valant une douzaine de mille francs au plus, et le pays, juste aubeau milieu de la forêt, n’était pas des meilleurs. Mais le couragene me manquait pas, et je me sentais tout fier et heureux d’êtreutile au curé et de lui témoigner ma reconnaissance. Puis, il fautque je le dise, quoique je fusse bien marri de ce qui lui arrivait,le plaisir de me sentir plus près de Lina me donnait du cœur.Certes, si la chose eût dépendu de moi, je serais retourné à lacure de Fanlac avec lui, très content de le voir heureux. Maiscomme cela ne se pouvait, je m’en consolais en pensant au voisinagede ma bonne amie. L’homme a un fond égoïste&|160;; tout ce qu’ilpeut faire, c’est de se vaincre lorsque le devoir lecommande.

Virelou vint le lendemain, et, quatrejours après, le curé était habillé comme un bon paysan, de grosseétoffe brune avec un chapeau périgordin à calotte ronde, à largesbords.

C’était un dimanche&|160;: il nousengagea à aller tous deux, Fantille et moi, à la première messe àFossemagne, disant qu’il garderait la maison de ce temps-là,d’autant qu’il craignait que sa présence à l’église ne fit duscandale.

–&|160;Mais la soupe&|160;! fit laFantille, qui n’en revenait pas de le voir ainsihabillé.

–&|160;J’attiserai le feu sous lamarmite, ne crains rien.

Elle joignit les mains et leva les yeuxaux poutres comme qui dit&|160;:

–&|160;Que verrons-nous de plus, grandDieu&|160;!

Nous étions à peine de retour de lamesse, la Fantille et moi, lorsqu’à l’orée du défrichement, dans ladirection de La Mazière, nous vîmes le chevalier déboucher du boissur sa jument, qu’il poussa au grand trot. Un moment après, ilmettait pied à terre dans la cour et serrait avec chaleur les deuxmains du curé.

–&|160;Je viens manger la soupe avecvous, dit-il.

–&|160;Soyez le très bien venu, monvieil ami&|160;!

Et tandis que j’emmenais la jument àl’étable, ils se promenèrent aux alentours de la maison.

–&|160;Heureusement qu’il y a une pouledans la soupe, disait la Fantille tout affairée lorsque jerevins.

En déjeunant tous deux, le chevalierraconta à son ami ce qui s’était passé à l’arrivée du nouveau curé,et la mauvaise impression qu’il avait faite sur lesgens&|160;:

–&|160;Je crois bien, dit-il, qu’iln’aura pas eu grand monde à sa messe, ce matin.

–&|160;C’est tant pis, repartit le curé.Je suis bien reconnaissant à toute la paroisse de l’affectionqu’elle m’a marquée dans cette circonstance&|160;; mais il nefaudrait pas que, pour des préférences de personnes, la religion ensouffrît.

Oyant cela, tout en vaquant à sesaffaires, la Fantille hochait la tête en signe dedésapprobation.

Le chevalier était bon convive et fithonneur à la poule au pot, à la farce dont elle était garnie, et àl’omelette qui la suivit. Il égaya un peu le repas en lâchantquelques-uns de ses dictons familiers. Ainsi, le curé, qui nebuvait pas de vin pur, lui ayant offert de l’eau par distraction ouhabitude, avant de se servir lui-même, il le remerciaainsi&|160;:

–&|160;L’eau gâte moult levin,

Une charrette lechemin,

Le carême le corpshumain.

Ils restèrent longtemps à deviser àtable. Le chevalier faisait tourner sa tabatière et prenait defréquentes prises&|160;; le curé, son couteau à la main, traçait devagues figures géométriques sur la nappe. Tous deux goûtaient lesplaisirs de l’amitié à leur manière. Le chevalier, heureux dumoment présent, n’oubliait pourtant pas ses griefs, et s’exprimaitassez librement sur le compte de l’évêque qui avait frappé son amiet son curé&|160;; quant au successeur de celui-ci, il n’était pasbon à jeter aux chiens.

Le curé Bonal, qui avait peut-êtreressenti plus vivement le coup de cette séparation de tout ce qu’ilaffectionnait, avait pourtant plus de résignation, et tâchait, dansl’intérêt de la religion, d’apaiser le chevalier.

–&|160;Mon ami, disait-il, avant tout ilfaut connaître votre nouveau curé. Il n’y a pas huit jours qu’ilest à Fanlac, vous l’avez vu deux fois&|160;: comment pouvez-vousl’apprécier&|160;? Vous dites qu’il a une mauvaise figure&|160;;mais il se peut qu’il soit un bon prêtre malgré cela&|160;! Voussavez, comme moi, qu’il ne faut pas juger les gens sur lamine&|160;: les apparences sont souvent trompeuses.

–&|160;Oui, dit lechevalier&|160;:

Ne crois pas ribaud pourjurer,

Ni jamais femme pourpleurer,

Car ribaud toujours jurerpeut,

Femme pleurer quand elleveut.

Le ci-devant curé sourit un peu, et lechevalier continua&|160;:

–&|160;Avec ça, je ne me trompe guère.Lorsque vous vîntes à Fanlac, malgré votre figure noire et votreair un peu rude, je dis tout de suite&|160;: «&|160;Voilà un bravehomme de curé.&|160;» Me suis-je trompé&|160;?

–&|160;Mon cher ami&|160;! dit Bonal enprenant à travers la table la main du chevalier.

À la vesprée, après avoir passé quelquesbonnes heures à La Granval, M.&|160;de&|160;Galibert se mit enselle pour retourner à Fanlac, chargé de souhaits de bon voyage etpuis de bons souvenirs pour sa sœur.

Il ne s’était pas mépris au sujet de lamesse du nouveau curé. Un homme de L’Escourtaudie, que jerencontrai quelques jours après à Thenon, où j’avais été acheterquelques brebis, me dit qu’il n’y avait pas eu un chat, par manièrede parler. Mais ça, ce n’était rien&|160;; à peu de temps de là, onvit bien autre chose. Un homme de La Galube étant mort subitement,les parents, n’osant se passer de prêtre, s’en furent, bien qu’àcontrecœur, parler au nouveau curé pour l’enterrement. L’autre leurdit que ce serait quinze francs, et vingt s’il allait faire lalevée du corps à la maison. Les fils du mort et son gendretrouvaient que c’était cher, d’autant plus que, de longues années,la coutume de payer s’était perdue avec le curé Bonal. Ilsmarchandèrent donc afin de faire rabattre quelque chose au curé.Mais lui protestait que c’était le tarif, et qu’il n’avait pas ledroit de faire de rabais.

–&|160;Pourtant, dit l’un des fils,puisque le curé Bonal rabattait le tout, vous auriez bien le droitd’en rabattre la moitié&|160;?

Cette raison mit le curé de mauvaisehumeur.

–&|160;Je ne sais pas comment agissaitmon prédécesseur, répliqua-t-il sèchement, mais c’est comme je vousai dit&|160;: à prendre ou à laisser.

Enfin, après avoir bien débattu, avoirapporté de part et d’autre toutes les raisons d’usage entre gensqui font un marché&|160;; après être sortis pour se consulter, lesautres rentrèrent et acceptèrent, moyennant que le curé leurcouperait quarante sous sur son prix, ce à quoi il consentit.Seulement, et c’est là que l’affaire se gâta, il leur dit qu’ilfallait le payer comptant, car il avait perdu beaucoup d’argentdans son ancienne paroisse, parce que souvent, les honneurs rendus,le mort enterré, les héritiers se faisaient tirer l’oreille pourpayer&|160;; tellement qu’il y en avait qu’il fallait assignerdevant le juge de paix et faire condamner.

«&|160;Foutre&|160;! pensaient lesparents du défunt, il n’est pas cassé*, ce curé-là&|160;!»

S’ils avaient eu l’argent, quoique pascontents, ils l’auraient donné, tenant beaucoup, comme tous lespaysans, à ce que le curé fît les honneurs à leur vieux&|160;; maisils ne l’avaient pas. Force leur fut donc de s’en retourner endisant au curé que, les choses étant ainsi, ils étaient obligés dese passer du service mortuaire.

Mais, quelques heures après, une dizainede jeunes gens vinrent pour sonner le glas et, trouvant les cordesremontées et la porte intérieure du clocher fermée, furent demanderla clef au marguillier, qui répondit que le curé lui avait défendude la donner. Là-dessus, eux, enfoncent la porte du clocher avecdes haches, et se mettent à sonner les deux cloches. Le curé vintpour les faire sortir, mais il fut obligé de s’en revenir plus viteque le pas et de se fermer chez lui. Cependant, au son des cloches,les gens des villages venaient de tous côtés, et bientôt, dans lemauvais chemin qui montait au bourg, on vit au loin un cercueilrecouvert d’un drap blanc se mouvoir sur les épaules de quatrehommes qui se relayaient souvent, car la montée était rude, et ilfaisait chaud. En s’en allant, le curé avait donné deux tours declef à la grande porte de l’église, de manière que ceux quisonnaient s’y trouvaient pris. Lorsque le mort arriva, on le posadevant le portail sur des chaises prêtées par les voisins, puis onfut chez le curé pour avoir la clef&|160;; mais la maison curialeétait close, et personne ne répondit. Pourtant il aurait fallu êtresourd pour ne pas entendre, car, après avoir cogné avec les poings,avec des bâtons, les gens finirent par jeter des pierres à la porteet dans les fenêtres. La colère montait les têtes de tout lemonde&|160;; des exclamations à peine contenues par la présence ducorps s’entendaient au milieu d’une rumeur sourde. Sur les rudesvisages de ces paysans on voyait l’indignation que leur causait lerefus de ce qu’ils appelaient&|160;: les honneurs, fait à l’und’eux. Déjà les plus hardis parlaient d’entrer de force aupresbytère et d’amener le curé, lorsque ceux qui étaient enfermésdans l’église finirent par faire sauter la serrure, et ouvrirent àdeux battants. Le cercueil fut alors apporté devant le chœur, à laplace ordinaire&|160;; des cierges furent allumés autour, selon lacoutume, et le marguillier, qu’on avait été chercher et amenémalgré lui, revêtu d’une chape, chanta en tremblant de peurl’office des morts. On l’obligea ensuite à encenser et asperger ledéfunt comme eût fait le curé lui-même, et, tout étant fini àl’église, on partit pour le cimetière, où le pauvre marguillier,qui se croyait sacrilège, fut encore obligé de parachever lesdernières cérémonies, jusqu’à la pelletée de terre finale sur lecercueil descendu dans la fosse.

Pendant que tout ceci se passait, lechevalier, qui était tenace, avait été à Périgueux faire unedernière démarche près de l’évêque et lui représentait le tort quesa décision faisait à la religion, le curé disant sa messe ledimanche devant les bancs vides.

–&|160;Il est à craindre, ajouta-t-il,qu’à la première occasion il ne se produise un désordre, tant tousles paroissiens sont outrés du départ du curé Bonal, et maldisposés pour son successeur qui semble prendre à tâche de le faireencore plus regretter&|160;!

Mais le pauvre chevalier eut beauplaider et patrociner la cause de la religion et celle de son ami,l’évêque lui fit entendre que, quelque considération qu’eûtl’Église pour les laïques pieux, elle ne pouvait se gouverner parleurs avis.

–&|160;Je regrette personnellement,comme gentilhomme, de ne pouvoir accéder à votre demande, monsieurle Chevalier&|160;; mais ce que j’ai décidé dans la plénitude demon autorité épiscopale est irrévocable.

À la suite de cet enterrement, lesgendarmes vinrent à Fanlac et s’enquérirent. Puis les gens du rois’y transportèrent et interrogèrent une masse de monde. Beaucoupd’arrestations furent faites, et finalement il y eut une dizaine decondamnations de six mois à cinq ans de prison.

Le curé Bonal eut grande peine de cetteméchante affaire. À chaque occasion, il ne manquait pas de dire etde faire dire à ses anciens paroissiens de prendre patience, de nepas se buter à l’impossible&|160;; mais c’était inutile, et lescondamnations achevèrent de les mutiner. Le nouveau curé voyant ça,dépité de ce que son église était toujours vide, et ne se croyantpas trop en sûreté, depuis qu’un soir il avait failli recevoir uncoup de pierre par la tête, finit par demander à s’en aller, ce quilui fut accordé, et la paroisse resta sans curé, à la confusion dequelques-uns, les meneurs de cette affaire.

Ainsi se vérifiait la prédiction un peuobscure du chevalier qui avait dit&|160;:

–&|160;Il viendra un temps où lesrenards auront besoin de leur queue.

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