LA MYSTÉRIEUSE AFFAIRE DE STYLES Agatha Christie

— Vous croyez ça ? Rappelez-vous qu’elle avait verrouillé la porte de communication entre leurs deux chambres. C’est un fait dont elle n’était pas coutumière, mais une violente altercation les avait opposés l’après-midi même. Non, son mari était bien la dernière personne qu’elle aurait laissée entrer cette nuit-là.

— Pourtant la porte n’a pu être ouverte que par Mrs Inglethorp elle-même, vous êtes d’accord sur ce point ?

— Il existe une autre explication. Et si, avant de se coucher, elle avait oublié de verrouiller la porte donnant sur le couloir ? N’aurait-elle pu se relever plus tard, disons vers l’aube, pour la fermer ?

— Poirot, sérieusement et tout à fait entre nous, c’est là votre thèse ?

— Je n’ai pas dit cela ; mais c’est une possibilité. Abordons maintenant cette affaire sous un autre angle. Comment expliquez-vous ces bribes de conversation, que vous avez entendues par hasard, entre Mrs Cavendish et sa belle-mère ?

— Cela m’était sorti de l’esprit, dis-je pensivement. Et je dois avouer que je ne comprends toujours pas. J’imagine mal pourquoi une femme comme Mrs Cavendish, qui est aussi fière que réservée, se serait immiscée avec une telle passion dans une affaire qui ne devait pas la regarder.

— Précisément. Voilà un comportement bien surprenant chez une femme de son éducation.

— Assez surprenant, en effet, mais sans grande importance, à mon avis. Je pense que nous pouvons laisser de côté ce détail.

Poirot laissa échapper un son plaintif.

— Oublieriez-vous ce que je vous ai maintes fois répété ? Aucun détail ne doit être négligé. S’il ne cadre pas avec la théorie, alors c’est elle qui est fautive !

— Eh bien, nous verrons, rétorquai-je, un peu agacé.

— Exactement. Nous verrons.

Nous étions arrivés devant Leastways Cottage. Poirot m’invita dans sa chambre et m’offrit une de ces petites cigarettes russes qu’il fumait à l’occasion. Non sans amusement, je vis qu’il conservait avec un soin maniaque les allumettes utilisées dans un petit pot en porcelaine. J’en oubliai mon irritation.

Poirot avait disposé deux fauteuils devant la fenêtre ouverte qui donnait sur la rue principale du village. Un léger courant d’air, agréablement tiède, annonçait que la journée serait chaude.

Soudain mon regard fut attiré par un jeune homme qui descendait la rue d’un pas pressé. Il était extraordinairement maigre, mais c’est surtout son visage qui retint mon attention : on y lisait un curieux mélange de terreur et d’agitation.

— Vous avez vu, Poirot ?

Mon ami se pencha pour regarder.

— Tiens ! Mr Mace, le préparateur de la pharmacie. Et il vient par ici…

Arrivé devant la villa, le jeune homme hésita un instant, puis frappa énergiquement à la porte.

— Une minute ! lui cria Poirot par la fenêtre. Je descends.

Il me fit signe de l’accompagner. Dès qu’il eut ouvert, Mr Mace se mit à parler :

— Oh ! Mr Poirot, croyez bien que je suis désolé de venir ainsi vous importuner chez vous, mais j’ai appris que vous reveniez à l’instant de Styles Court.

— C’est exact.

Notre visiteur humecta ses lèvres sèches, tandis que son visage trahissait un trouble profond.

— Le village entier ne parle que de la disparition brutale de Mrs Inglethorp. Et certains vont même jusqu’à prétendre que… (sa voix devint un murmure prudent) que sa mort serait due à un empoisonnement.

Poirot gardait une impassibilité totale.

— Seuls les médecins sont qualifiés pour le confirmer ou l’infirmer, Mr Mace.

— Euh… oui, bien sûr.

Le jeune homme hésita encore un peu, puis, n’y tenant plus, il agrippa le bras de Poirot et, baissant encore la voix :

— Rassurez-moi, Mr Poirot… Il n’est pas question de strychnine, au moins ?

Je ne saisis pas ce que répondit mon ami, mais sans doute resta-t-il assez vague. Le jeune homme tourna les talons et repartit. Poirot referma la porte et son regard croisa le mien.

— Hé oui, fit-il avec un lent hochement de tête. Il lui faudra venir témoigner à l’enquête.

Nous regagnâmes sa chambre sans hâte. J’allais dire quelque chose mais Poirot, d’un geste, m’intima le silence.

— Pas maintenant, mon bon ami. Il me faut réfléchir. Une certaine confusion règne dans mon esprit, et il serait fâcheux qu’elle s’installât…

Pendant les dix minutes qui suivirent, il ne desserra pas les lèvres et garda une immobilité parfaite, si l’on excepte les mouvements légers mais expressifs de ses sourcils. Le vert de ses yeux s’accentua notablement. Un profond soupir annonça la fin de ses cogitations.

— Bien. Le mauvais moment est passé. À présent les choses se présentent dans un ordre cohérent. On ne doit jamais laisser la confusion s’installer dans son esprit. Pourtant notre affaire n’est pas encore résolue. Certes non ! Car elle est extrêmement complexe. Si complexe que j’en suis encore dérouté, moi, Hercule Poirot ! Deux points sont d’une portée capitale.

— Lesquels ?

— D’abord, le temps qu’il faisait hier. C’est d’une grande importance.

— Mais il faisait très beau ! m’écriai-je. Allons, Poirot ! Vous me faites marcher, avouez-le !

— Pas le moins du monde. Le thermomètre a atteint 26°C à l’ombre. Gardez cela en tête, car c’est la clef du mystère.

— Et le second point ?

— Les goûts vestimentaires singuliers de Mr Inglethorp, sa longue barbe noire et ses lunettes.

— Poirot, vous n’êtes pas sérieux ?

— Je n’ai jamais été aussi sérieux, je vous l’assure.

— Mais c’est puéril !

— Non, c’est capital.

— Alors supposons que le jury du coroner conclue à la culpabilité de Mr Inglethorp et l’accuse de meurtre avec préméditation, que deviennent vos belles théories ?

— L’erreur de douze hommes stupides ne pourrait les ébranler. Mais cela n’arrivera pas. En premier lieu parce qu’un jury de campagne n’a aucune envie d’endosser semblable responsabilité, et que Mr Inglethorp occupe ici, de fait, la position d’un hobereau. Et surtout, ajouta-t-il avec le plus grand sérieux, parce que je ne permettrais pas une chose pareille.

— Vous ne le permettriez pas ?

— Non.

Partagé entre l’amusement et l’exaspération, je regardai cet extraordinaire petit bout d’homme. Il paraissait si sûr de son fait ! Il eut un léger hochement de tête, comme s’il pouvait lire mes pensées.

— Oh ! non, mon bon ami. Ce ne sont pas des paroles en l’air.

Il se leva et vint poser une main sur mon épaule. Son visage changea du tout au tout, et je vis des larmes briller dans ses yeux.

— Dans toute cette affaire, voyez-vous, je songe à cette malheureuse Mrs Inglethorp qui n’est plus. Elle n’a certes pas inspiré beaucoup d’amour. Mais elle a fait preuve d’une très grande bonté envers nous autres, Belges, et je me sens une dette à son égard.

Sans se laisser interrompre, il poursuivit :

— Que je vous dise encore ceci, Hastings : si je laissais arrêter Alfred Inglethorp maintenant – quand un seul mot de moi pourrait le sauver – elle ne me le pardonnerait jamais !

6

L’ENQUÊTE JUDICIAIRE

Jusqu’à l’ouverture de l’enquête judiciaire, Poirot redoubla d’activité. Par deux fois il discuta en privé avec Mr Wells. Il s’adonna également à de longues promenades en solitaire dans la campagne environnante. Si ses recherches progressaient, il ne me mit pas dans la confidence, attitude qui me blessa, d’autant plus que je ne voyais pas dans quelle direction il s’orientait.

Je le soupçonnai d’être allé rôder près de la ferme des Raikes. Il n’était pas chez lui quand j’y passai le mercredi en début de soirée ; je décidai alors d’aller rôder aux alentours de la ferme, en coupant à travers champs, dans l’espoir de le rencontrer. Mais je ne vis aucun signe de sa présence, et répugnais à m’approcher de la ferme. Alors que je m’en retournais, je croisai un vieux paysan qui m’inspecta de la tête aux pieds de son regard rusé.

— Pour sûr, vous v’nez du château, pas vrai ? lança-t-il.

— Oui. Et je suis à la recherche d’un ami qui est peut-être passé par ici.

— Ah ! un p’tit bonhomme, qui parle autant avec les mains qu’avec la bouche ? Fait partie de ces Belges qui se sont installés au village, pas vrai ?

— C’est bien lui. Il était dans les parages ?

— Si l’était dans les parages ! Plutôt deux fois qu’une, même. Une connaissance à vous, pas vrai ? Ah ! vous autres du château, vous faites une sacrée brochette, pour sûr !

Et il m’observa de ses yeux malicieux. De mon ton le plus détaché, j’en profitai pour m’enquérir :

— Pourquoi donc ? Beaucoup de gens du « château » viennent par ici ?

Il me gratifia d’un clin d’œil plein de sous-entendus.

— Un monsieur en particulier, m’sieur. Pas la peine de l’nommer, pas vrai ? Mais il hésite pas à mettre la main au portefeuille, ça non !… Ah ! merci à vous aussi, m’sieur, pour sûr !

Je rentrai d’un pas vif. Evelyn Howard ne s’était donc pas trompée, et un dégoût profond m’envahit à la pensée qu’Alfred Inglethorp avait dépensé sans retenue l’argent de sa femme. Était-ce pour le visage piquant de Mrs Raikes et son charme de gitane que le crime avait été commis, ou pour un motif plus indigne encore : l’argent ? Un subtil mélange des deux, sans doute.

Un point paraissait obséder curieusement Poirot. À une ou deux reprises, il m’avait confié que Dorcas avait dû mal juger de l’heure de l’altercation. Et plus d’une fois il lui avait demandé s’il n’était pas 16h30 plutôt que 16 heures quand elle avait surpris les éclats de voix dans le boudoir.

Mais la domestique ne voulait pas en démordre. Une heure, peut-être même un peu plus, s’était écoulée entre le moment où elle avait perçu la querelle et 17 heures, quand elle avait apporté son thé à Mrs Inglethorp.

L’audition des témoins eut lieu le vendredi suivant, aux Stylites Arms, l’auberge du village. Avec Poirot, nous vînmes en spectateurs, car aucun de nous n’avait été cité à comparaître.

Une fois les préliminaires d’usage accomplis, le jury fut invité à examiner le cadavre, et John Cavendish à l’identifier formellement.

Ensuite il fut le premier à être interrogé. Il décrivit son réveil à l’aube et les circonstances dans lesquelles était morte sa belle-mère.

Puis ce fut le tour des médecins, qui exposèrent leurs conclusions dans un silence attentif. Tous les regards convergeaient sur ce fameux spécialiste de Londres, la plus haute autorité en matière de toxicologie.

En quelques phrases concises, il résuma les conclusions tirées de l’autopsie. Si l’on passait sur les termes obscurs de la technique médicale, il résultait que le décès de Mrs Inglethorp était imputable à un empoisonnement à la strychnine. Le Dr Bauerstein évaluait la quantité ingérée à trois quarts de grammes, sans doute davantage.

— La victime a-t-elle pu avaler le poison par inadvertance ? demanda le coroner.

— Selon moi, c’est peu probable. À la différence d’autres substances toxiques, la strychnine n’est pas employée dans les produits domestiques. De plus, elle n’est vendue que sur ordonnance.

— Vos constatations vous permettent-elles de déterminer la façon dont a été administré le poison ?

— Non.

— Vous êtes arrivé à Styles avant le Dr Wilkins, je crois ?

— C’est exact. Je passais devant les grilles du parc quand l’automobile est sortie. On m’a prévenu et j’ai couru aussi vite que j’ai pu jusqu’à la maison.

— Pouvez-vous nous donner un compte rendu précis des événements qui ont suivi ?

— Je suis allé à la chambre de Mrs Inglethorp. J’ai constaté tout de suite qu’elle était dans une phase de convulsions tétaniques caractérisées. Elle s’est tournée vers moi et s’est écriée : « Alfred ! Alfred ! ».

— D’après vous, la strychnine pouvait-elle se trouver dans le café que lui a apporté son mari après le repas ?

— C’est possible. Néanmoins la strychnine est un poison à effet rapide. Les premiers symptômes apparaissent une ou deux heures après l’ingestion. Ils peuvent être retardés dans certaines circonstances, toutes absentes dans le cas qui nous intéresse. Je suppose que Mrs Inglethorp a bu son café vers 20 heures. Or, les réactions physiques à l’empoisonnement ne sont apparues qu’aux premières heures, le lendemain matin, ce qui semble indiquer que l’absorption s’est située nettement plus tard, au cours de la nuit.

— Mrs Inglethorp avait l’habitude de boire une tasse de cacao pendant la nuit. La strychnine a-t-elle pu être mélangée à ce breuvage ?

— Non. J’ai fait analyser un échantillon de cacao prélevé dans la casserole. Aucune trace de strychnine n’est discernable.

À côté de moi, je perçus le petit rire étouffé de Poirot.

— Vous vous en doutiez donc ? lui murmurai-je.

— Écoutez plutôt.

— Je me dois d’ajouter, continuait le Dr Bauerstein, que tout autre résultat m’eût considérablement surpris.

— Pourquoi ?

— Tout simplement parce que la strychnine est particulièrement amère. On la décèle dans une solution au soixante-dix millième, et seul un aliment très parfumé pourrait la neutraliser. Le cacao ne parviendrait en aucun cas à ce résultat.

Un des jurés demanda s’il en allait de même pour le café.

— C’est différent. Son amertume propre pourrait couvrir celle de la strychnine.

— Vous pensez donc qu’il est plus probable que le poison a été mélangé au café mais que ses effets en ont été retardés pour une raison inconnue ?

— Oui. Hélas ! il nous est impossible d’analyser le contenu de la tasse qu’on a retrouvée réduite en miettes.

La déposition du Dr Wilkins vint confirmer en tous points celle de son confrère. Quant à l’hypothèse du suicide, il la réfuta avec la dernière énergie. Si la disparue n’avait plus le cœur très solide, sa santé générale restait très satisfaisante et elle jouissait d’une nature dynamique et équilibrée. D’après le Dr Wilkins, elle eût été la dernière à envisager le suicide.

Lawrence Cavendish fut le suivant à comparaître. Ses déclarations, qui reprenaient celles de son frère, n’apportèrent aucune révélation. Néanmoins, alors qu’il allait se retirer, il se ravisa et, d’un regard humble, interrogea le coroner :

— Puis-je me permettre une suggestion ?

— Je vous en prie, Mr Cavendish, répondit aussitôt Mr Wells. Notre présence ici a pour seul but de faire toute la lumière sur le décès de Mrs Inglethorp. Nous sommes prêts à entendre tout ce qui pourrait nous aider en ce sens.

— C’est une idée qui m’est venue, commença Lawrence non sans hésitation, et je me trompe peut-être, mais… Mais il me semble qu’une cause naturelle pourrait expliquer le décès de ma mère.

— Qu’est-ce qui vous fait penser cela, Mr Cavendish ?

— Depuis quelque temps, ma mère prenait régulièrement un fortifiant contenant de la strychnine.

— Ah ! lâcha le coroner. Le jury était tout oreilles.

— Si je ne me trompe, poursuivit Lawrence, on a connu des cas semblables où l’accumulation d’une certaine drogue contenue dans un médicament pris quotidiennement a fini par causer le décès du patient. Par ailleurs, ma mère ne se serait-elle pas administré, par inadvertance, une dose massive – et mortelle – de fortifiant ?

— Nous vous sommes très reconnaissants de cette précision, Mr Cavendish. Nous ne savions pas que votre mère prenait un médicament contenant de la strychnine.

Mais le Dr Wilkins, rappelé à la barre pour donner son avis, réfuta une telle hypothèse.

— Cette suggestion n’est absolument pas valable. Tout médecin vous en dira autant. Si la strychnine fait partie des substances toxiques susceptibles de s’accumuler dans l’organisme, elle ne peut en aucun cas provoquer une mort aussi soudaine. D’ailleurs, dans ces circonstances, le décès aurait été précédé de troubles chroniques que j’aurais aussitôt remarqués. Cette hypothèse est absurde.

— Et la seconde suggestion de Mr Cavendish ? Mrs Inglethorp peut-elle avoir succombé à une prise accidentelle et trop importante de son fortifiant ?

— La mort n’aurait pu résulter de l’ingestion simultanée de trois ou même quatre doses. Certes, Mrs Inglethorp avait toujours à portée de main une réserve importante de ce fortifiant, car elle s’approvisionnait directement chez Coots, le pharmacien en gros de Tadminster. Mais il lui aurait fallu vider le flacon entier pour expliquer le taux de strychnine découvert à l’autopsie.

— Vous jugez donc que le fortifiant ne peut avoir causé la mort de Mrs Inglethorp ?

— Absolument. Cette supposition est dénuée de tout sens commun.

Le juré qui était déjà intervenu lança l’idée d’une erreur de dosage du préparateur.

— Une erreur humaine est certes toujours possible, admit le médecin.

Avec Dorcas, qui déposa après le Dr Wilkins, cette hypothèse se révéla nulle et non avenue. Mrs Inglethorp avait pris la dernière dose du flacon de fortifiant le jour même de sa mort ; le remède ne venait donc pas d’être préparé.

On abandonna la piste du fortifiant, et le coroner poursuivit ses auditions. Dorcas raconta son réveil brutal à la suite du violent coup de sonnette de sa maîtresse, et la façon dont elle s’était prise pour tirer toute la maisonnée du sommeil. Mr Wells s’intéressa ensuite à l’altercation de l’après-midi précédente. Le témoignage de Dorcas à ce sujet ne fut qu’une répétition de ce que Poirot et moi avions déjà entendu. Je m’abstiendrai donc de le transcrire ici.

Puis Mary Cavendish prit la suite de la domestique. Elle se tenait très droite et fit sa déposition avec une grande clarté et un calme souverain.

Comme le coroner lui demandait à quelle heure elle l’était réveillée, elle déclara s’être levée à 4h30, comme tous les jours. Le bruit sourd d’une chute l’avait fait sursauter tandis qu’elle s’habillait.

— C’était sans doute la table de chevet qu’on a retrouvée renversée ? commenta le coroner.

— J’ai ouvert ma porte pour écouter, poursuivit Mary Cavendish. Il y a eu un violent coup de sonnette et Dorcas est arrivée en hâte pour réveiller mon mari. Ensuite, nous sommes tous allés jusqu’à la chambre de ma belle-mère, mais la porte était fermée…

— Je pense qu’il est inutile de vous ennuyer avec la relation de ce qui a suivi, intervint le coroner. Nous avons déjà toutes les précisions nécessaires. En revanche, si vous vouliez bien nous parler de cette altercation que vous avez entendue la veille ?

— Moi ?

Je discernai une pointe d’insolence dans sa voix. D’une main, et tout en détournant légèrement la tête, elle ajusta le volant de dentelle qui ornait le col de sa robe. J’eus soudain le sentiment qu’elle tentait de gagner du temps.

— Oui, reprit Mr Wells sans se démonter. J’ai cru comprendre que vous lisiez sur le banc situé sous la fenêtre du boudoir. Est-ce exact ?

Je n’étais pas au courant de ce fait et, coulant un regard oblique vers Poirot, je gageai qu’il en allait de même pour lui.

Elle marqua une hésitation à peine perceptible avant d’acquiescer :

— C’est exact, en effet.

— Et cette fenêtre était ouverte, si je ne me trompe ?

Son visage pâlit tandis qu’elle répondait par l’affirmative :

— Oui.

— Donc, la dispute qui se déroulait dans le boudoir n’a pu vous échapper, d’autant qu’elle était assez… vive, En fait, vous entendiez certainement mieux les voix d’où vous vous trouviez que si vous aviez été dans le vestibule…

— Peut-être bien.

— Voudriez-vous nous répéter les propos que vous avez surpris ?

— Je n’en garde aucun souvenir.

— Vous prétendez ne pas avoir perçu la moindre bribe de cette altercation ?

— Oh, si ! J’ai bien entendu des voix, mais je n’ai pas fait attention à ce que ces voix pouvaient bien dire. (Ses joues rosirent un peu, et elle ajouta 🙂 Je n’ai pas l’habitude d’écouter les conversations privées.

— Et vous ne vous souvenez même pas du mot ou de la phrase indiquant qu’il s’agissait bien là de ce que vous appelez une « conversation privée » ? insista le coroner.

Un instant, elle sembla s’absorber dans ses réflexions. Puis elle déclara, toujours aussi calmement :

— Si. Je me souviens que Mrs Inglethorp a dit quelque chose – mais je ne me rappelle pas exactement quoi – à propos d’un scandale possible entre époux.

L’air satisfait, le coroner se renversa dans son fauteuil :

— Eh bien, voilà qui corrobore la déposition de Dorcas sur ce point. Veuillez pardonner mon insistance, Mrs Cavendish, mais comment se fait-il que vous ne vous soyez pas éloignée, puisque vous veniez de comprendre qu’il s’agissait d’un entretien de caractère privé ? Vous êtes donc restée assise sur votre banc ?

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