La Piste du crime

Chapitre 38RETOUR.

Si j’avais voyagé dans ma voiture, la fin dece récit n’aurait jamais été écrite. Avant que j’eusse roulé uneheure sur la route, j’aurais appelé le cocher et je lui auraisdonné l’ordre de rebrousser chemin.

Qui peut répondre d’être toujoursrésolu ?

En posant cette question, je parle des femmeset non des hommes. J’avais été résolue en fermant l’oreille auxdoutes et aux avertissements de M. Playmore ; j’avais étérésolue, en tenant tête à ma belle-mère ; résolue encore enprenant place dans la malle-poste française. Il n’y avait pas dixminutes que j’avais quitté l’auberge, que mon couragefaiblissait.

Je me disais : « Malheureuse, tuabandonnes ton mari ! » et pendant des heures, si j’avaispu faire arrêter la voiture, je l’eusse fait. Je haïssais leconducteur, le meilleur des hommes. Je haïssais les petits chevauxespagnols qui m’emportaient, les plus gentils animaux qui aientjamais fait tinter les clochettes de leurs colliers. Je haïssais lebrillant soleil qui donnait au chemin un air de fête, et l’air purqui bon gré mal gré me forçait à respirer avec délices. Jamaisvoyage ne me parut plus pénible que ce calme et charmant voyage.Une seule chose m’aida à supporter avec résignation la douleur quime torturait : c’était une boucle de cheveux dérobée sur latête d’Eustache. Nous nous étions levées à une heure dumatin ; Eustache était encore profondément endormi. J’avais pume glisser dans sa chambre, l’embrasser en pleurant, et couper unemèche de ses cheveux sans avoir été vue. Comment avais-je trouvé enmoi assez de résolution pour le quitter ? c’est ce dont je nepuis encore me rendre bien compte en ce moment. Je pense que mabelle-mère m’y avait aidée, sans intention de le faire. Elle étaitentrée dans la chambre, la tête haute, l’œil sec, et m’avait ditavec une impitoyable fermeté d’accent : « Si vouspersistez à vouloir partir, Valéria, la voiture est là. »Toute femme ayant une étincelle de fierté dans le cœur eût persistéà vouloir. J’avais donc persisté… et j’étais partie.

Et maintenant j’en avais regret. Pauvrehumanité !

Le temps a la réputation d’être le plus grandconsolateur des mortels affligés. Dans mon opinion, on lui faitplus d’honneur qu’il n’en mérite. La distance accomplit la mêmeœuvre bienfaisante, plus promptement et plus efficacement encore,si le changement de lieux lui vient en aide. Sur la route de Paris,je devins capable d’envisager raisonnablement ma position.

Je me répétai alors que, malgré la confiancede sa mère, mon mari aurait bien pu m’accueillir beaucoup plusrapidement qu’elle ne l’imaginait. Il y avait peut-être pour moides inconvénients à retourner chez Miserrimus Dexter ; maisn’était-il pas non moins imprudent de revenir, sans y être invitée,près d’un mari qui avait déclaré le bonheur impossible entre nouset notre vie commune à jamais close et finie. Qui sait, d’ailleurs,si l’avenir ne justifierait pas ma persévérance, non-seulement àmes yeux, mais aux siens ? Qui sait s’il ne dirait pas unjour : « Oui, elle s’est mêlée de ce qui ne la regardaitpas, elle s’est montrée obstinée, quand elle aurait dû entendre laraison ; elle m’a quitté dans un moment où toute autre femmeserait restée près de moi… mais le résultat l’absout, le résultatlui a donné raison. »

Je restai un jour à Paris, d’où j’écrivistrois lettres.

La première à Benjamin, qui l’avertissait demon arrivée pour le lendemain soir. La deuxième à M. Playmore,le prévenant, en temps utile, que mon intention était de faire unnouvel effort pour percer le mystère de Gleninch. La troisième,quelques lignes seulement, était pour Eustache. Je lui avouais quej’avais pris ma part des soins qui lui avaient été donnés pendantla période dangereuse de sa maladie ; je lui confessaisl’unique raison qui m’avait décidée à le quitter ; je lepriais de suspendre son jugement sur moi jusqu’à ce que le tempseût prouvé que je l’aimais plus tendrement que jamais. J’adressaicette lettre sous enveloppe à ma belle-mère, laissant à sadiscrétion le choix du moment où elle la remettrait à son fils.Tout ce que je demandais d’une façon formelle àMme Macallan, c’était de ne pas faire savoir àEustache quel nouveau lien il y avait entre nous. Bien qu’il eûtséparé sa vie de la mienne, je tenais à ce qu’il n’apprît pas cettenouvelle d’une autre bouche que de la mienne. Pourquoi j’ytenais ?… Peu importe. Il est certains points délicats que jedois garder pour moi seule.

Mes lettres écrites, j’avais fait tout ce queje devais faire. J’étais libre de risquer ma dernière carte dans lapartie, la douteuse et hasardeuse partie, dont les chancesactuelles n’étaient ni tout à fait pour moi, ni tout à fait contremoi.

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