La Terre de Tom Tiddler

Chapitre 7Le chaudronnier

Le soleil se couchait. Il y avait unedemi-heure que l’ermite s’était dirigé vers son lit de cendres oùil s’était étendu enroulé dans sa couverture, le dos tourné vers lafenêtre et ne faisant nullement attention à l’appel qui lui avaitété adressé. La conversation qui durait depuis deux heures s’étaitfaite au bruit des coups de marteau du chaudronnier occupé del’autre côté à travailler à quelque vase ou chaudron de villageois,et il travaillait vigoureusement. Comme cette musique continuaittoujours, il vint à l’idée du voyageur d’avoir un momentd’entretien avec le chaudronnier. Prenant par la mainMlle Kimmeens (avec qui il était maintenant dansles termes d’une bonne amitié), il se dirigea vers la porte où lechaudronnier était assis à son travail, sur le gazon de l’autrecôté de la route, son sac d’outils ouvert devant lui et son petitfeu fumant à côté.

– Je suis bien aise de vous voir occupé,dit le voyageur.

– Et moi bien aise de l’être, répondit lechaudronnier, levant les yeux tout en mettant la dernière main àson travail ; mais pourquoi en êtes-vous bien aise ?

– J’avais cru ce matin, en vous voyant,que vous étiez un paresseux.

– Non, je n’étais que dégoûté.

– Est-ce que vous ne travaillez qu’avecle beau temps ?

– Avec le beau temps ? dit lechaudronnier étonné.

– Oui, comme vous m’aviez dit que letemps vous était indifférent, je pensais…

– Ha, ha ! quel serait mon profit,si je faisais attention au temps. Il faut le prendre comme il vientet, quel qu’il soit, en tirer le meilleur parti possible.D’ailleurs il y a du bon dans toute espèce de temps. Il ne vautrien pour mon travail aujourd’hui, il est bon pour le travail d’unautre, et demain il se présentera favorable pour moi. Il faut quetout le monde vive.

– Votre main, je vous prie, dit levoyageur.

– Prenez garde, monsieur, dit lechaudronnier, en tendant la main avec surprise, le noir est lacouleur du métier.

– J’en suis bien aise. J’ai été pendantplusieurs heures au milieu d’un noir qui ne vient pas dutravail.

– Vous voulez parler de Tom, là enface ?

– Oui.

– Bien ; ajouta-t-il, en secouant lapoussière de son travail qui était fini. – N’y a-t-il pas de quoidégoûter un cochon, s’il pouvait porter son attentionlà-dessus ?

– Mais s’il pouvait y porter sonattention, reprit l’autre en souriant, il est probable que ce neserait pas un cochon.

– Vous visez à la pointe, dit lechaudronnier. Mais alors qu’avez-vous à dire de Tom ?

– Assurément fort peu de chose.

– Vraiment, monsieur, vous ne pensezrien, dit le chaudronnier en ramassant ses outils.

– La réponse, (je l’avoue franchement),vaut mon idée. J’en infère donc que c’était lui la cause de votredégoût ?

– Mais, voyez vous-même, monsieur, dit lechaudronnier en se levant, et essuyant énergiquement sa figure avecle coin de son tablier noir : Je vous laisse à juger. – Jevous le demande ! – Hier soir ayant un travail qui demande àêtre fait la nuit, j’ai travaillé la nuit entière. Bien, ce n’estrien ; mais ce matin je viens ici le long de cette routecherchant un endroit doucement éclairé par les rayons du soleilpour y dormir, et j’aperçois ces ruines d’un aspect désolant ;j’avais moi-même vécu dans un milieu aussi triste et je connaisbien une pauvre créature qui est forcée d’y passer aussi sa longueexistence. Je m’assieds, pris d’un mouvement de pitié, en jetantles yeux tout autour de moi. Alors à cette porte je vois apparaîtrel’homme ennuyeux dont je vous ai parlé, se retirant devant moicomme le baudet devant un ver à soie, (j’en demande bien pardon àmon baudet), et cependant c’est lui-même qui a fait choix de cegenre de vie. Et dites-moi donc, s’il vous plaît, ce que vouspensez de sa fantaisie d’aller vêtu de lambeaux qui le couvrent àpeine et sale sous son masque trompeur, – triste, mais trop réellecondition de plusieurs milliers d’individus ! Je prétends, moique c’est la preuve d’une contradiction intolérable et absurde etcela me dégoûte. Oui, j’en suis honteux et dégoûté.

– Venez le voir, je vous prie, dit levoyageur, en frappant sur l’épaule du chaudronnier.

– Non, monsieur, il serait trop content,si j’allais le voir.

– Mais il dort.

– En êtes-vous sûr ? demanda lechaudronnier d’un air de doute, et tout en chargeant son sac surl’épaule.

– Oui, assurément.

– Alors je l’examinerai un quart deminute, puisque vous y tenez tant, mais pas davantage.

Ils revinrent tous trois de l’autre côté de laroute et grâce aux derniers rayons du soleil pénétrant par la porteque l’enfant tenait ouverte pour les laisser entrer, on pouvaitparfaitement l’apercevoir étendu sur son lit.

– Le voyez-vous ? demanda levoyageur.

– Oui, répondit le chaudronnier, et ilest encore pire que je ne pensais.

Monsieur le voyageur lui murmura en peu demots ce qu’il avait fait depuis le matin, et demanda auchaudronnier ce qu’il en pensait.

– Je pense, répondit-il, en s’éloignantde la fenêtre, que vous avez perdu une journée autour de lui :– et moi aussi, mais elle n’a pas été perdue pour moi, jel’espère.

– Vous arrive-t-il d’aller quelquefoisprès le Peal of Bells ?

– C’est mon chemin direct.

– Je vous y invite à souper. Et commecette jeune fille me dit qu’elle va dans la même direction,l’espace de trois quarts de mille, nous la mettrons sur son cheminet nous la garderons quelque temps à la porte de son jardin jusqu’àce que sa Bella rentre à la maison…

À ces mots, M. le voyageur, l’enfant etle chaudronnier s’éloignèrent comme de vieux amis, respirant lesparfums de cette odorante soirée.

Voici la morale tirée de ce sujet :« Dans mon commerce, le métal qui se rouille faute d’êtreemployé, s’il était abandonné à la rouille, ne se détériorerait passi vite que le métal intact dont on se sert pour de rudes etincessants travaux. »

FIN

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