Les Amoureuses

LE ROUGE-GORGE.

I.

Un soir que je rêvais dans ma chambre,déserte

Depuis sa mort,

Un oisillon s’en vint de la fenêtreouverte

Raser le bord.

Il s’en vint, secouant du bec sa robegrise ;

Et sans effroi,

Sans façon, je le vis, à ma grandesurprise,

Entrer chez moi.

C’était un rouge-gorge, un charmantrouge-gorge !

Comme à foison,

Le froid, ce vieux brigand des forêts, enégorge

Chaque saison.

« Tu viens mal à propos, lui dis-je, maisn’importe,

Cher étranger,

Je souffre trop pour voir souffrir. Tiens, jet’apporte

De quoi manger.

« Aimes-tu le maïs ?…Non.Préfères-tu l’orge

Ou bien le mil ?

Que peut-on vous servir, monsieur lerouge-gorge,

Que vous faut-il ? »

Mais lui, de tous côtés promenant son becrose

D’un air coquet,

Souriait sans répondre et cherchait quelquechose

Qui lui manquait :

Puis, comme il me trouvait par tropmélancolique,

Le polisson

Se mit à fredonner un morceau de musique

De sa façon.

II.

Je me levais pour mettre un terme à cescandale

En le chassant,

Quand le frisson de mort qui régnait dans lasalle

L’envahissant,

L’oiseau tourna vers moi sa mineeffarouchée,

Et l’animal

Me regarda d’un air de tristesse fâchée,

Qui me fit mal.

« Oh ! ne te moque pas de moi !semblaient me dire

Ses yeux en pleurs ;

N’est-ce pas que tu mens, et que tu voulaisrire

De mes douleurs ?

« Non elle n’est pas morte ! ou,toi, tu n’es qu’un lâche

De la savoir

Et d’y survivre !…Non ! elle estlà…qui se cache,

Je veux la voir. »

Et pour mieux s’assurer qu’elle n’était pasmorte,

Il s’en alla

Fouiller sous la toilette et derrière laporte,

Deçà, delà,

Derrière les rideaux du lit, dans laruelle,

Sous l’édredon…

Il criait, il pleurait : « Ah !méchante, ah ! cruelle,

Réponds-moi donc !… »

Il grimpait sur le lit, fripant lacouverture

Et l’oreiller.

Enfin, pris d’un vertige étrange, denature

A m’effrayer,

Il se mit à voler les ailes étendues,

L’œil effaré,

Cognant son front, poussant des plainteséperdues,

Désespéré.

III.

Quand il eut fait deux fois le tour de notrechambre,

L’étrange oiseau

S’arrêta : je le vis trembler de chaquemembre,

Comme un roseau,

Chercher de tous côtés un lieu depréférence

Pour s’y coucher ;

Se laisser choir, avec un grand air desouffrance,

Sur le plancher ;

Et là, dardant sur moi le feu de sesprunelles

D’un jaune d’or,

Pousser des petits cris plaintifs, battre desailes,

Et rester mort !

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