NATURE IMPASSIBLE.
Lorsque l’homme pleura sa premièrechimère,
Moins impassible qu’aujourd’hui,
La nature sentit frémir ses flancs de mère
Et voulut pleurer avec lui.
Tout s’assombrit. Les cieux n’eurent plus uneétoile,
La terre n’eut plus une fleur.
Le soleil se cloîtra, la lune prit levoile,
Et la forêt tordit ses branches, dedouleur.
Les couchants lumineux, les aubeséclatantes
S’éteignirent en un clin d’œil.
Les brumes de l’hiver déployèrent leurstentes,
Les plaines prirent le grand deuil.
Le lac mouilla ses bords de son flot le plustriste ;
Dans la Notre-Dame des Bois
Les oiseaux et le vent, les clercs etl’organiste
Chantèrent en mineur pour la premièrefois.
La douleur arrachait des larmes aux abîmes
Et des cris de rage aux volcans.
Les ravins éplorés eurent des motssublimes,
Les rochers furent éloquents.
« Nous voulons notre part de lasouffrance humaine »,
Sanglotaient les vieux antres sourds…
L’homme oublia son mal au bout d’unesemaine ;
Après quatre mille ans, eux sanglotaienttoujours.
Quand la mère au grand cœur fut enfinconsolée,
Presque honteuse de ses pleurs,
Vite elle rajusta les plis de sa vallée
Et mit son chaperon de fleurs.
Puis elle se dressa belle de tous sescharmes,
Poussant du vert à pleins talus ;
Mais sachant désormais ce que valent noslarmes,
Elle nous dit : « C’est bien !vous ne m’y prendrez plus. »
Pour moi, si les douleurs chères aux grandesâmes
Viennent m’assaillir quelque jour,
Si jamais je m’éprends dans le troupeau desfemmes
Trop belles pour aimer l’amour ;
Ou si, voyant mourir quelque chose quim’aime,
Vivant, je souffre mille morts,
O nature ! tu peux rester toujours lamême,
Je me passerai bien des pitiés du dehors.
Les plateaux de colzas, les blés, les plainesd’orge
Pourront impunément fleurir ;
Je ne leur mettrai pas ma douleur sur lagorge,
Non ! je serai seul à souffrir.
Terre, tu souriras ; bois, vous ferezcomme elle.
Vous, les lacs, vous resplendirez,
Et vous chanterez tous sans craindre que jemêle
Un blasphème ou des pleurs à vos concertssacrés.