Marie-Claire

PREMIÈRE PARTIE

Un jour, il vint beaucoup de monde chez nous.Les hommes entraient comme dans une église, et les femmes faisaientle signe de la croix en sortant.

Je me glissai dans la chambre de mes parents,et je fus bien étonnée de voir que ma mère avait une grande bougieallumée près de son lit. Mon père se penchait sur le pied du lit,pour regarder ma mère, qui dormait les mains croisées sur sapoitrine.

Notre voisine, la mère Colas, nous garda toutle jour chez elle. À toutes les femmes qui sortaient de chez nous,elle disait :

– Vous savez, elle n’a pas vouluembrasser ses enfants.

Les femmes se mouchaient en nous regardant, etla mère Colas ajoutait :

– Ces maladies-là, ça rend méchant.

Les jours qui suivirent, nous avions des robesà larges carreaux blancs et noirs.

La mère Colas nous donnait à manger et nousenvoyait jouer dans les champs. Ma sœur, qui était déjà grande,s’enfonçait dans les haies, grimpait aux arbres, fouillait dans lesmares et revenait le soir les poches pleines de bêtes de toutessortes qui me faisaient peur et mettaient la mère Colas bien encolère.

J’avais surtout une grande répugnance pour lesvers de terre. Cette chose rouge et élastique me causait unehorreur sans nom, et s’il m’arrivait d’en écraser un par mégarde,j’en ressentais de longs frissons de dégoût. Les jours où jesouffrais de points de côté, la mère Colas défendait à ma sœur des’éloigner. Mais ma sœur s’ennuyait et voulait quand mêmem’emmener. Alors, elle ramassait des vers, qu’elle laissaitgrouiller dans ses mains, en les approchant de ma figure. Aussitôt,je disais que je n’avais plus mal, et je me laissais traîner dansles champs.

Une fois, elle m’en jeta une grosse poignéesur ma robe. Je reculai si précipitamment que je tombai dans unchaudron d’eau chaude. La mère Colas se lamentait en medéshabillant. Je n’avais pas grand mal ; elle promit une bonnefessée à ma sœur, et comme les ramoneurs passaient devant cheznous, elle les appela pour l’emmener.

Ils entrèrent tous les trois avec leurs sacset leurs cordes ; ma sœur criait et demandait pardon, et moij’avais bien honte d’être toute nue.

Mon père nous emmenait souvent dans un endroitoù il y avait des hommes qui buvaient du vin ; il me mettaitdebout entre les verres, pour me faire chanter la complainte deGeneviève de Brabant. Tous ces hommes riaient, m’embrassaient, etvoulaient me faire boire du vin.

Il faisait toujours nuit quand nous revenionschez nous. Mon père faisait de grands pas en se balançant ; ilmanquait souvent de tomber ; parfois, il se mettait à pleurertout haut en disant qu’on avait changé sa maison. Alors, ma sœurpoussait des cris, et, malgré la nuit, c’était toujours elle quifinissait par retrouver notre maison.

Il arriva un matin que la mère Colas nousaccabla de reproches, disant que nous étions des enfants demalheur, qu’elle ne nous donnerait plus à manger, et que nouspouvions bien aller retrouver notre père, qui était parti on nesavait où. Quand sa colère fut passée, elle nous donna à mangercomme d’habitude ; mais, quelques instants après, elle nousfit monter dans la carriole du père Chicon. La carriole étaitpleine de paille et de sacs de grains. J’étais placée derrière,dans une sorte de niche, entre les sacs ; la voiture penchaiten arrière et chaque secousse me faisait glisser sur la paille.

J’eus une très grande peur tout le long de laroute ; à chaque glissade, je croyais que la carriole allaitme perdre, ou bien que les sacs allaient s’écrouler sur moi.

On s’arrêta devant une auberge. Une femme nousfit descendre, secoua la paille de nos robes, et nous fit boire dulait. Tout en nous caressant, elle disait au père Chicon :

– Alors, vous pensez que leur père lesvoudra ?

Le père Chicon branla la tête en cognant sapipe contre la table ; il fit une grimace avec sa grosse lèvreet il répondit :

– Il est peut-être parti encore plusloin. Le fils à Girard m’a dit qu’il l’avait rencontré sur la routede Paris.

Le père Chicon nous mena ensuite dans unebelle maison, où il y avait un perron avec beaucoup de marches.

Il causa longtemps avec un monsieur quifaisait de grands gestes et qui parlait de tour de France. Lemonsieur mit sa main sur ma tête, et il répéta plusieursfois :

– Il ne m’avait pas dit qu’il avait desenfants.

Je compris qu’il parlait de mon père, et jedemandai à le voir. Le monsieur me regarda sans répondre, puis ildemanda au père Chicon :

– Quel âge a donc celle-ci ?

– Dans les cinq ans, dit le vieux.

Pendant ce temps, ma sœur jouait sur lesmarches avec un petit chat.

La carriole nous ramena chez la mère Colas,qui nous reçut en bougonnant et en nous bousculant ; quelquesjours après, elle nous fit monter en chemin de fer, et le soir mêmenous étions dans une grande maison où il y avait beaucoup depetites filles.

Sœur Gabrielle nous sépara tout de suite. Elledit que ma sœur était assez grande pour aller aux moyennes, tandisque moi je resterais aux petites.

Sœur Gabrielle était toute petite, vieille,maigre, et courbée ; elle dirigeait le dortoir et leréfectoire. Au dortoir, elle passait un bras sec et dur entre notrechemise et le drap, pour s’assurer de notre propreté, et ellefouettait à heure fixe, et avec des verges, celles dont les drapsétaient humides.

Au réfectoire, elle faisait la salade dans uneimmense terrine jaune.

Les manches retroussées jusqu’aux épaules,elle plongeait et replongeait dans la salade ses deux bras noirs etnoueux, qui sortaient de là tout luisants et gouttelants, et qui mefaisaient penser à des branches mortes, les jours de pluie.

J’eus tout de suite une amie.

Je la vis venir vers moi en se dandinant,l’air effronté.

Elle n’était guère plus haute que le banc surlequel j’étais assise. Elle appuya ses coudes sans façon sur moi,et elle me dit :

– Pourquoi ne joues-tu pas ?

Je répondis que j’avais mal au côté.

– Ah oui, reprit-elle ; ta mamanétait poitrinaire, et sœur Gabrielle a dit que tu mourraisbientôt.

Elle grimpa sur le banc, s’assit en faisantdisparaître sous elle ses petites jambes ; puis elle medemanda mon nom, mon âge, m’apprit qu’elle s’appelait Ismérie,qu’elle était plus vieille que moi, et que le médecin disaitqu’elle ne grandirait jamais. Elle m’apprit aussi que la maîtressede classe s’appelait sœur Marie-Aimée, qu’elle était très méchanteet punissait sévèrement les bavardes.

Elle sauta tout d’un coup sur ses pieds encriant :

Augustine !

Sa voix était comme celle d’un garçon, et sesjambes étaient un peu tordues.

À la fin de la récréation, je l’aperçus sur ledos d’Augustine, qui la balançait d’une épaule sur l’autre, commepour la jeter à terre. En passant devant moi, elle me cria de sagrosse voix :

– Tu me porteras aussi, dis ?

Je fis bientôt la connaissanced’Augustine.

Un mal d’yeux que j’avais s’aggrava. La nuit,mes paupières se collaient l’une contre l’autre, de sorte quej’étais complètement aveugle, jusqu’à ce qu’on me les eût baignées.Ce fut elle qui fut chargée de me conduire à l’infirmerie. Tous lesmatins, elle venait me prendre au petit dortoir. Je l’entendaisvenir depuis la porte. Ce n’était pas long ; elle mesaisissait la main, et m’entraînait du même pas qu’elle étaitvenue, sans s’occuper si je me cognais aux lits.

Nous traversions les couloirs comme le vent,et descendions les deux étages comme une avalanche ; mes piedsrencontraient une marche de temps en temps ; je descendaiscomme on tombe dans le vide ; Augustine avait une main fermequi me tenait solidement.

Pour aller à l’infirmerie, il fallait passerderrière la chapelle, puis devant une petite maison touteblanche ; là, on redoublait de vitesse.

Un jour que, n’en pouvant plus, j’étais tombéesur les genoux, elle me releva avec une tape sur la tête, endisant :

– Dépêche-toi donc, on est devant lamaison des morts.

Tous les jours ensuite, dans la crainte que jetombe, elle m’avertissait quand nous étions devant la maison desmorts.

J’avais surtout peur de la peur d’Augustine.Puisqu’elle courait si fort, c’est qu’il y avait du danger.J’arrivais à l’infirmerie en nage et sans souffle ; quelqu’unme poussait sur une petite chaise, et mon point de côté était passédepuis longtemps quand on venait me laver les yeux.

Ce fut encore Augustine qui me conduisit dansla classe de sœur Marie-Aimée. Elle prit une voix timide pourdire :

– Ma Sœur, voilà la nouvelle.

Je m’attendais à une rebuffade, mais sœurMarie-Aimée me sourit, m’embrassa plusieurs fois, et dit :

– Tu es trop petite pour être sur unbanc. Je vais te mettre ici.

Et elle me fit asseoir sur un petit banc, dansle creux de son pupitre.

Comme il y faisait bon dans ce creux depupitre ! Comme la chaleur des jupes de laine caressait moncorps tout meurtri par les escaliers de bois et depierres !

Souvent deux pieds se posaient de chaque côtéde mon petit banc et je me trouvais étroitement enclavée entre deuxjambes nerveuses et chaudes. Une main tâtonnante m’appuyait la têtesur les jupes entre les genoux, et sous cette main douce, et surcet oreiller chaud, je m’endormais.

Quand je m’éveillais, l’oreiller setransformait en table. La même main y déposait des débris degâteaux, de menus morceaux de sucre, et quelques bonbons.

Autour de moi, j’entendais vivre le monde.

Une voix pleurait :

– Non, ma Sœur, ce n’est pas moi.

Des voix criardes disaient :

– Si, ma Sœur, c’est elle.

Au-dessus de ma tête, une voix pleine etchaude imposait silence, en s’accompagnant de coups de règle sur lepupitre, qui résonnaient et faisaient dans mon creux un bruiténorme.

Parfois, il se faisait un grand mouvement. Lespieds se retiraient de mon petit banc, les genoux se rapprochaient,la chaise remuait, et je voyais se pencher vers mon nid une guimpeblanche, un menton mince, des dents fines et pointues, et enfindeux yeux caressants qui m’apportaient la confiance.

Aussitôt que mon mal d’yeux fut guéri, unalphabet s’ajouta aux friandises. C’était un petit livre où il yavait des images à côté des mots. Je regardais souvent une grossefraise que j’imaginais au moins aussi grosse qu’une brioche.

Quand il ne fit plus froid dans la classe,sœur Marie-Aimée me plaça, sur un banc entre Ismérie et MarieRenaud, qui étaient mes voisines de lit. De temps en temps, elle mepermettait de revenir à mon cher creux, où je trouvais des livresavec des histoires qui me faisaient oublier l’heure.

Un matin, Ismérie m’entraîna en grand mystèrepour m’apprendre que sœur Marie-Aimée ne ferait plus la classe,parce qu’elle allait prendre la place de sœur Gabrielle pour ledortoir et le réfectoire. Elle ne me dit pas où elle avait appriscela, mais elle en était toute chagrinée.

Elle aimait beaucoup sœur Gabrielle, qui latraitait toujours comme un petit enfant ; mais elle n’aimaitpas cette sœur Aimée, ainsi qu’elle l’appelait avec un air demépris, quand elle savait n’être entendue que de nous.

Elle disait aussi que sœur Marie-Aimée ne luipermettrait pas de nous grimper sur le dos, et qu’on ne pourraitpas se moquer d’elle comme de sœur Gabrielle, qui montait lesmarches tout de travers.

Le soir, après la prière, sœur Gabrielle nousannonça son départ. Elle nous embrassa toutes, en commençant parles plus petites. La montée au dortoir se fit en granddésordre : les grandes chuchotaient et se révoltaient àl’avance contre cette sœur Marie-Aimée ; les petitespleurnichaient comme à l’approche d’un danger.

Ismérie, que je portais sur mon dos, pleuraitbruyamment, ses petits doigts m’étranglaient un peu, et ses larmesme tombaient dans le cou.

Personne ne pensait à rire de sœur Gabrielle,qui montait péniblement en disant : « Chut !chut ! » sans se lasser, et sans que le bruit diminuât.La bonne du petit dortoir pleurait aussi : elle me secoua unpeu en me déshabillant ; elle disait :

– Je suis sûre que tu es contente, toi,d’avoir ta sœur Marie-Aimée.

Nous l’appelions Bonne Esther.

Des trois bonnes que nous avions, c’était elleque je préférais. Elle était un peu bourrue, mais elle nous aimaitbien.

La nuit, elle réveillait celles qui avaient demauvaises habitudes, afin de leur épargner les verges du lendemain.Quand je toussais, elle se levait et à tâtons me fourrait dans labouche un morceau de sucre mouillé. Bien des fois aussi, ellem’avait emporté de mon lit, où j’étais glacée, pour me réchaufferdans le sien.

Le lendemain, on entra en grand silence auréfectoire. Les bonnes nous ordonnèrent de rester debout ;plusieurs grandes se tenaient très droites avec un air fier ;Bonne Justine restait humble et triste au bout de la table, tandisque Bonne Néron, qui avait l’air d’un gendarme, faisait les centpas au milieu du réfectoire.

Elle regardait souvent la pendule en haussantdédaigneusement les épaules.

Sœur Marie-Aimée entra en laissant la porteouverte derrière elle ; elle me parut plus grande avec sontablier blanc et ses manches blanches. Elle marchait lentement enregardant tout le monde ; le chapelet qui pendait à son côtéfaisait entendre un petit bruit, et sa jupe se balançait un peudans le bas. Elle monta les trois marches de son estrade, et nousfit asseoir d’un geste de la main.

L’après-midi, elle nous mena dans lacampagne.

Il faisait très chaud. J’allai m’asseoir prèsd’elle, sur une hauteur ; elle lisait un livre en surveillantd’un coup d’œil les petites filles, qui jouaient dans un champau-dessous de nous. Elle regarda longtemps le soleil couchant endisant à chaque instant :

– Que c’est beau ! que c’estbeau !…

Le soir même, les verges disparurent du petitdortoir, et au réfectoire la salade fut retournée avec de longuesspatules. À part cela, rien ne fut changé. Nous allions en classede neuf heures à midi, et l’après-midi nous épluchions des noixpour un marchand d’huiles.

Les plus grandes les cassaient avec unmarteau, et les plus petites les séparaient des coquilles. Il étaitbien défendu d’en manger, et surtout ce n’était pas facile :il s’en trouvait toujours une pour vous dénoncer, par jalousie degourmandise.

C’était Bonne Esther qui nous regardait dansla bouche. Quelquefois, elle s’attardait à une incorrigiblegourmande. Alors, elle lui faisait les gros yeux, puis elle luidisait en la renvoyant d’une taloche :

– J’ai l’œil sur toi.

Nous étions quelques-unes en qui elle avaitgrande confiance. Elle nous faisait pivoter en faisant semblant denous regarder, et elle disait en riant :

– Ferme ton bec.

J’avais souvent envie d’en manger, mais lesbons yeux de Bonne Esther passaient devant moi, et je rougissais àl’idée de tromper sa confiance.

À la longue, l’envie devint si forte, que jene pensais plus qu’à cela : pendant des jours et des jours, jecherchai le moyen d’en manger sans me faire prendre. J’essayai d’encacher dans mes manches, mais j’étais si maladroite que je lesperdais aussitôt ; et puis, j’avais envie d’en mangerbeaucoup, beaucoup. Il me semblait que j’en aurais mangé un pleinsac.

Un jour enfin, je trouvai l’occasion. BonneEsther, qui nous menait coucher, glissa sur une coquille, et lâchasa lanterne, qui s’éteignit. Comme je me trouvais à côté d’unebassine pleine, j’en pris une grosse poignée, que je fourrai dansma poche.

Aussitôt que tout le monde fut couché, jesortis les noix de ma poche, et, la tête sous les draps, j’en prisma pleine bouche ; mais aussitôt il me sembla que tout ledortoir entendait le bruit que faisaient mes mâchoires j’avais beaucroquer doucement et lentement, le bruit cognait dans mes oreilles,comme des coups de maillet. Bonne Esther se leva : elle allumala lampe, regarda sous les lits en se baissant.

Quand elle fut près de moi, je la regardaiépouvantée. Elle dit tout bas :

– Tu ne dors donc pas ?

Puis elle continua ses recherches. Elle allajusqu’au bout du dortoir, ouvrit et referma la porte, mais à peineétait-elle recouchée et la lampe éteinte, que le loquet de la portetapa comme si on l’ouvrait.

Bonne Esther ralluma encore la lampe etdit :

– Ça, c’est trop fort ; ce n’estpourtant pas la chatte qui ouvre la porte toute seule.

– Il me semblait qu’elle avaitpeur : je l’entendais remuer dans son lit, et tout d’un coupelle se mit à crier :

– Mon Dieu ! mon Dieu !

Ismérie lui demanda ce qu’elle avait. Ellenous dit qu’une main ouvrait la porte à la chatte, et qu’ellevenait de sentir un grand souffle sur son visage.

Dans la demi-clarté, on voyait la porteentrouverte. J’étais très effrayée. Je pensais que c’était le démonqui venait me chercher. Au bout d’un long moment, on n’entendaitplus rien. Bonne Esther demanda si l’une de nous voulait bien selever pour souffler la lampe, qui n’était cependant pas très loinde son lit. Personne ne répondit. Alors elle m’appela. Je me levai,pendant qu’elle disait :

– Toi qui es si sage, les revenants ne teferont rien.

Elle se tut en même temps que je soufflai lalampe, et tout de suite je vis des milliers de points brillants,pendant que je sentais un grand froid sur les joues. Je devinaissous les lits des dragons verts avec des gueules tout enflammées.Je sentais leurs griffes sur mes pieds, et des lumières sautaientde chaque côté de ma tête. J’éprouvais un grand besoin dem’asseoir, et en arrivant à mon lit, je croyais fermement qu’il memanquait les deux pieds. Quand j’osai m’en assurer, je les trouvaibien froids, et je finis par m’endormir en les tenant dans mes deuxmains.

Au matin, Bonne Esther trouva la chatte sur unlit près de la porte.

Elle avait fait ses petits pendant lanuit.

On rapporta l’histoire à sœur Marie-Aimée.Elle répondit que c’était sûrement la chatte qui avait ouvert laporte, en se dressant vers le loquet. Mais la chose ne fut jamaisbien éclaircie, et les petites en causèrent longtemps tout bas.

La semaine suivante, toutes celles qui avaienthuit ans descendirent au grand dortoir.

J’eus un lit placé près d’une fenêtre, toutprès de la chambre de sœur Marie-Aimée.

Marie Renaud et Ismérie restèrent mesvoisines. Souvent, quand nous étions couchées, sœur Marie-Aiméevenait s’asseoir près de ma fenêtre. Elle me prenait une mainqu’elle caressait, tout en regardant dehors. Une nuit, il y eut ungrand feu dans le voisinage. Tout le dortoir était éclairé. SœurMarie-Aimée ouvrit la fenêtre toute grande, puis elle me secoua, endisant :

– Réveille-toi, viens voir lefeu !

Elle me prit dans ses bras. Elle me passait lamain sur le visage pour me réveiller en me répétant :

– Viens voir le feu. Vois comme c’estbeau !

J’avais si envie de dormir que je laissaistomber ma tête sur son épaule. Alors, elle me donna une bonnegifle, en m’appelant petite brute. Cette fois, j’étais réveillée,et je me mis à pleurer. Elle me prit de nouveau dans sesbras ; elle s’assit et me berça en me tenant serrée contreelle.

Elle avançait la tête vers la croisée. Sonvisage était comme transparent, et ses yeux étaient pleins delumière.

Ismérie aurait bien voulu que sœur Marie-Aiméene vînt jamais vers la fenêtre ; cela l’empêchait debavarder ; elle avait toujours quelque chose à dire ; savoix était si forte, qu’on l’entendait à l’autre bout du dortoir.Sœur Marie-Aimée disait :

– Voilà encore Ismérie qui parle.

Ismérie répondait :

– Voilà encore sœur Marie-Aimée quigronde.

J’étais confondue de son audace. Je pensaisque sœur Marie-Aimée faisait semblant de ne pas l’entendre.

Pourtant, un jour, elle lui dit :

– Je vous défends de répondre, espèce denaine.

Ismérie cria :

– Mon gnouf !

C’était un mot dont nous nous servions entrenous et qui voulait dire : « Regarde mon nez, si jet’écoute. »

Sœur Marie-Aimée s’élança vers le martinet. Jetremblai pour le petit corps d’Ismérie, mais elle se jeta à platventre, en gigotant, et se tordant avec des cris bizarres. SœurMarie-Aimée la poussa du pied avec dégoût ; elle dit enlançant le martinet au loin :

– Quelle affreuse petitecréature !

Dans la suite, elle évitait de la regarder etne paraissait pas entendre ses insolences. Toutefois, elle nousdéfendait sévèrement de la porter sur notre dos. Cela n’empêchaitpas Ismérie de grimper après moi comme un singe. Je n’avais pas lecourage de la repousser, et, en me baissant un peu, je la laissaiss’installer sur mon dos.

Cela se passait surtout en montant au dortoir.Elle avait une grande difficulté à enjamber les marches, elle enriait elle-même, elle disait qu’elle montait comme les poules.

Comme sœur Marie-Aimée était toujours enavant, je tâchais de me trouver dans les dernières ; ilarrivait parfois qu’elle se retournait brusquement ; alorsIsmérie glissait le long de moi avec une rapidité et une adresseétonnantes.

Je restais toujours un peu gênée sous leregard de sœur Marie-Aimée, et Ismérie ne manquait jamais de medire :

– Tu vois comme tu es bête : tu t’esencore fait prendre.

Elle n’avait jamais pu grimper sur MarieRenaud, qui la repoussait toujours, en disant qu’elle usait etsalissait nos robes.

Si Ismérie était bavarde, par contre MarieRenaud ne causait jamais.

Chaque matin, elle m’aidait à faire monlit ; elle passait soigneusement ses mains sur les draps, pourlisser les cassures ; elle refusait obstinément mon aide pourfaire le sien, prétendant que je roulais les draps n’importecomment. J’étais toujours stupéfaite de voir que son lit n’avaitaucun désordre à son lever.

Elle finit par me confier qu’elle épinglaitses draps et ses couvertures après son matelas. Elle avait unequantité de petites cachettes pleines de toutes sortes de choses. Àtable, elle mangeait toujours un bout du dessert de laveille ; celui du jour restait dans sa poche ; elle lecaressait et en mangeait un petit morceau de temps en temps. Je latrouvais souvent dans les coins en train de faire de la dentelleavec une épingle.

Sa plus grande joie était de brosser, plier etranger ; aussi, grâce à elle, mes souliers étaient toujoursbien cirés, et ma robe des dimanches soigneusement pliée.

Cela dura jusqu’au jour où il vint unenouvelle bonne, qui s’appelait Madeleine. Elle ne fut pas longtempsà s’apercevoir que je n’étais pour rien dans le bon arrangement dema toilette ; elle se mit à crier en me traitant de mijaurée,de grande fainéante, disant que je me faisais servir comme unedemoiselle, et que c’était honteux de faire travailler cette pauvreMarie Renaud qui n’avait pas deux liards de vie. Bonne Néron se mitd’accord avec elle pour dire que j’étais une orgueilleuse, que jeme croyais au-dessus de tout le monde, que je ne faisais jamaisrien comme les autres, qu’elles n’avaient jamais vu une fille commemoi, et que j’étais dépareillée.

Elles criaient toutes deux à la fois en setenant penchées sur moi.

Je pensais à deux fées braillardes, une noireet une blanche : Bonne Néron si haute et si noire, etMadeleine si blonde et si fraîche avec de grosses lèvres ouvertes,ses dents si écartées et sa langue large et épaisse qui remuait etpoussait de la salive au coin de sa bouche.

Bonne Néron leva la main sur moi etdit :

– Voulez-vous baisser les yeux !

Elle ajouta en s’éloignant :

– C’est qu’elle vous fait honte quandelle vous regarde comme cela.

Je savais depuis longtemps que Bonne Néronressemblait à un taureau, mais il me fut impossible de trouver àquelle bête ressemblait Madeleine. J’y pensais pendant plusieursjours en repassant dans ma tête le nom de toutes les bêtes que jeconnaissais, et je finis par y renoncer.

Elle était grasse et elle marchait enfléchissant les reins ; elle avait une voix perçante quisurprenait tout le monde.

Elle demanda à chanter à la chapelle, maiscomme elle ne savait pas les cantiques, sœur Marie-Aimée me chargeade les lui apprendre. Marie Renaud put recommencer de brosser etplier mes habits sans que personne eût l’air de s’en apercevoir.Elle était si contente qu’elle me fit cadeau d’une épingle doublepour attacher mon mouchoir, que je perdais toujours. Deux joursaprès, j’avais perdu l’épingle et le mouchoir.

Oh, ce mouchoir quel cauchemarépouvantable ! maintenant encore, quand j’y pense, uneangoisse me prend. Pendant des années, je perdis régulièrement unmouchoir par semaine.

Sœur Marie-Aimée nous remettait un mouchoirpropre contre le sale que nous jetions à terre devant elle. J’ypensais seulement à ce moment-là ; alors, je retournais toutesmes poches ; je courais comme une folle dans les dortoirs,dans les couloirs, jusqu’au grenier ; je cherchais partout.Mon Dieu ! pourvu que je trouve un mouchoir !

En passant devant la Vierge, je joignais lesmains avec ferveur : « Mère admirable, faites que jetrouve un mouchoir ! »

Mais je n’en trouvais pas, et je redescendais,rouge, essoufflée, penaude, n’osant pas prendre celui que metendait sœur Marie-Aimée.

J’entendais d’avance le reproche si mérité.Les jours où je n’entendais pas de reproches, je voyais un frontplissé, des yeux courroucés qui me suivaient longtemps sans sedétourner ; j’étais si écrasée de honte que je pouvais à peinelever les pieds. Je marchais tout effacée, sans remuer lecorps ; et, malgré cela, je perdais encore mon mouchoir.

Madeleine me regardait avec un air de faussecompassion, et elle ne pouvait pas toujours s’empêcher de me direque je méritais une sévère punition.

Elle paraissait très attachée à sœurMarie-Aimée ; elle la servait attentivement, et fondait enlarmes au moindre reproche.

Elle avait des crises de gros sanglots quesœur Marie-Aimée calmait en lui caressant les joues. Alors, elleriait et pleurait tout à la fois. Elle avait un mouvement desépaules qui laissait voir son cou blanc, et qui faisait dire àBonne Néron qu’elle avait l’air d’une chatte.

Bonne Néron s’en alla un jour après une scène,au milieu du déjeuner, alors qu’il régnait un grand silence. Ellecria tout à coup :

– Oui, je veux m’en aller, et je m’enirai !

Comme sœur Marie-Aimée la regardait toutétonnée, elle lui fit face en baissant la tête, qu’elle secouait etlançait en avant, criant plus fort qu’elle ne souffrirait pas pluslongtemps d’être commandée par une morveuse, oui, une morveuse.

Elle était arrivée à reculons près de laporte ; elle l’ouvrit tout en donnant de furieux coups detête, et avant de disparaître, elle lança son grand bras dans ladirection de sœur Marie-Aimée et, avec un profond mépris, elledit :

– Ça n’a pas seulement vingt-cinqans !

Quelques petites filles étaientterrifiées ; d’autres éclatèrent de rire. Madeleine eut unevéritable crise de nerfs ; elle se jeta aux genoux de sœurMarie-Aimée en lui enlaçant les jambes et en embrassant sa robe.Elle lui prit les mains, qu’elle frotta contre sa grosse bouchehumide ; tout cela, en poussant des cris, comme si unecatastrophe épouvantable était arrivée.

Sœur Marie-Aimée n’arrivait pas à sedégager ; elle finit par se fâcher. Alors, Madeleines’évanouit en tombant sur le dos.

Tout en la dégrafant, sœur Marie-Aimée fit unsigne de mon côté. Croyant qu’elle avait besoin de mes services,j’accourus. Mais elle me renvoya :

– Non, pas toi, Marie Renaud.

Elle lui remit ses clefs, et bien que MarieRenaud ne fût jamais entrée dans la chambre de sœur Marie-Aimée,elle trouva tout de suite le flacon demandé.

Madeleine se remit très vite, et en prenant laplace de Bonne Néron, elle prit de l’autorité. Elle restait timideet soumise devant sœur Marie-Aimée ; mais elle se rattrapaitsur nous, en braillant à tout propos qu’elle était notresurveillante, et non pas notre bonne.

Le jour de son évanouissement, j’avais vu sesseins, qui m’avaient paru si beaux, que je n’avais encore rienimaginé de pareil.

Mais je la trouvais bête, et ne faisais aucuncas de ses remontrances. Cela la mettait en colère ; elle mecriblait de mots grossiers, et finissait toujours par me traiterd’espèce de princesse.

Elle ne pouvait supporter l’affection que memontrait sœur Marie-Aimée ; et quand elle la voyaitm’embrasser, elle rougissait de dépit.

Je commençais à grandir et j’étais assez bienportante. Sœur Marie-Aimée disait quelle était fière de moi. Elleme serrait si fort en m’embrassant qu’elle me faisait mal. Puiselle disait en posant délicatement ses doigts sur monfront :

– Ma petite fille ! mon petitenfant !

Pendant les récréations, je restais souventprès d’elle. Je l’écoutais lire : elle lisait d’une voixprofonde et mordante, et, quand les personnages lui déplaisaientpar trop, elle fermait violemment le livre et se mêlait à nosjeux.

Elle eût voulu me voir sans défaut. Ellerépétait souvent :

– Je veux que tu sois parfaite ;entends-tu ? parfaite.

Un jour, elle crut que j’avais menti.

Nous avions trois vaches qui paissaientquelquefois sur une pelouse au milieu de laquelle se trouvait unénorme marronnier. La vache blanche était méchante, et nous enavions peur, parce qu’elle avait déjà piétiné une petite fille.

Ce jour-là, je vis les deux vaches rouges et,directement sous le marronnier, une belle vache noire. Je dis àIsmérie :

– Tiens, on a changé la vache blanche,sans doute parce qu’elle était méchante.

Ismérie, qui était de mauvaise humeur, se mità crier, disant que je me moquais toujours des autres, en voulantleur faire croire des choses qui n’existaient pas.

Je lui montrai la vache : elle soutintque c’était la blanche ; moi, je soutenais que c’était unenoire.

Sœur Marie Aimée entendit. Elle paraissaitoutrée, quand elle dit :

– Comment peux-tu soutenir que cettevache est noire ?

À ce moment, la vache se déplaça ; elleparaissait maintenant noire et blanche, et je compris que c’étaitl’ombre du marronnier qui m’avait trompée. J’étais si stupéfaiteque je ne trouvai rien à répondre ; je ne savais commentexpliquer cela. Sœur Marie-Aimée me secoua violemment.

– Pourquoi as-tu menti ?allons ! réponds, pourquoi as-tu menti ?

Je répondis que je ne savais pas.

Elle m’envoya en pénitence sous le hangar, enm’assurant que je n’aurais comme nourriture que du pain et del’eau.

Comme je n’avais pas menti, la pénitence melaissa indifférente.

Sous ce hangar, il n’y avait que de vieillesarmoires, et des choses servant au jardinage. Je grimpai d’unechose sur l’autre, et je me trouvai bientôt assise sur la plushaute armoire.

J’avais dix ans, et c’était la première foisque je me trouvais seule. J’en ressentis comme un contentement.Tout en balançant mes jambes, j’imaginais tout un mondeinvisible : une vieille armoire à ferrures rouillées devintl’entrée d’un palais magnifique. J’étais une petite filleabandonnée sur une montagne ; une belle dame vêtue comme unefée m’avait aperçue et venait me chercher ; des chiensmerveilleux couraient devant elle ; ils étaient presque à mespieds, lorsque je vis devant l’armoire aux ferrures sœurMarie-Aimée, qui regardait de tous côtés.

Je ne savais pas que j’étais assise sur unmeuble ; je me croyais encore sur la montagne, et j’étaisseulement ennuyée que l’arrivée de sœur Marie-Aimée eût faitdisparaître le palais avec tous ses personnages.

Elle me découvrit au balancement de mesjambes ; et je m’aperçus en même temps qu’elle que j’étais surune armoire.

Elle resta un moment les yeux levés versmoi ; puis, elle tira de la poche de son tablier un morceau depain, un bout de boudin, une petite fiole de vin, me montra chaquechose l’une après l’autre, et, la voix fâchée, elle dit :

– C’était pour toi ; eh bien,voilà !

Elle remit le tout dans sa poche, et s’enalla.

Un instant après, Madeleine m’apporta du painet de l’eau, et je restai jusqu’au soir sous le hangar.

Depuis quelque temps, sœur Marie-Aiméedevenait triste ; elle ne jouait plus avec nous ;souvent, elle oubliait l’heure de notre dîner. Madeleine m’envoyaitla chercher à la chapelle, où je la trouvais à genoux, le visagecaché dans ses mains.

Il me fallait la tirer par sa robe pour mefaire entendre. Il me sembla plusieurs fois qu’elle avaitpleuré ; mais je n’osais pas la regarder de peur de la fâcher.Elle paraissait tout absorbée, et, quand on lui parlait, ellerépondait par oui ou par non, d’un ton sec.

Pourtant, elle s’occupa activement d’unepetite fête que nous faisions tous les ans à Pâques. Elle fitapporter les gâteaux que l’on rangea sur une table, en lesrecouvrant d’une nappe blanche, pour ne pas donner trop detentation aux gourmandes.

Le dîner s’était passé au milieu d’unbabillage énorme, à cause de la permission que nous avions decauser à table les jours de fête. Sœur Marie-Aimée nous avaitservies avec son bon sourire et une bonne parole pour chacune. Ellese disposait à nous servir les gâteaux en se faisant aider parMadeleine, pour enlever la nappe qui les recouvrait.

À ce moment, la chatte, qui était dessous,sauta à terre et se sauva. Sœur Marie-Aimée et Madeleine poussèrentensemble un « ah ! » prolongé, puis Madeleinecria :

– La sale bête, elle a mordu à tous lesgâteaux !

Sœur Marie-Aimée n’aimait pas la chatte. Elleresta un moment immobile, puis elle courut prendre un bâton et selança après la bête.

Ce fut une course épouvantable : lachatte, affolée, sautait de tous côtés, échappant au bâton, qui nefrappait que les bancs et les murs. Toutes les petites filles,prises de peur, se sauvaient vers la porte. Sœur Marie-Aimée lesarrêta d’un mot : Que personne ne sorte !

Elle avait un visage que je ne connaissaispas : ses lèvres rentrées, ses joues aussi blanches que sacornette, et ses yeux qui faisaient du feu, me semblèrent sieffrayants que je cachai ma figure dans mon bras.

Malgré moi, je regardai de nouveau. Lapoursuite continuait : sœur Marie-Aimée, le bâton haut,courait en silence ; ses lèvres s’étaient ouvertes et onvoyait ses petites dents pointues ; elle courait dans tous lessens, sautant les bancs, montant sur les tables en relevantrapidement ses jupes ; au moment où elle allait l’atteindre,la chatte fit un bond formidable et s’accrocha après un rideau,tout en haut d’une fenêtre.

Madeleine, qui avait suivi sœur Marie-Aiméeavec des mouvements de jeune chien un peu lourd, voulut allerchercher un bâton plus long, mais sœur Marie-Aimée l’arrêta d’ungeste en disant :

– Elle a bien fait des’échapper !

Bonne Justine, qui était près de moi, disaiten se cachant les yeux :

– Oh ! c’est honteux ! c’esthonteux !

Moi aussi, je trouvais que c’étaithonteux : une sorte de déconsidération me venait pour sœurMarie-Aimée, que j’avais toujours crue sans défaut. Je comparaiscette scène avec une autre qui s’était passée un jour de grandorage. Combien j’avais trouvé sœur Marie-Aimée au-dessus de tout,ce jour-là ! Je la revoyais, montée sur un banc : ellefermait tranquillement les hautes fenêtres en élevant ses beauxbras dont les larges manches se rabattaient sur ses épaules, et,pendant que nous étions épouvantées par les éclairs et les coups devent furieux, elle disait d’une voix calme :

– Mais… c’est un ouragan !

Maintenant, sœur Marie-Aimée faisait reculerles petites filles au fond de la salle. Elle ouvrait la porte toutegrande à la chatte, qui sortit en trois bonds.

L’après-midi, je fus bien étonnée de voir quece n’était pas notre vieux curé qui disait les vêpres.

Celui-ci était grand et fort. Il chantaitd’une voix forte et saccadée. Toute la soirée, on parla de lui.Madeleine disait que c’était un bel homme, et sœur Marie-Aiméetrouva qu’il avait la voix jeune, mais qu’il prononçait les motscomme un vieillard. Elle dit aussi qu’il avait la démarche jeune etdistinguée.

Quand il vint nous faire visite deux ou troisjours après, je vis qu’il avait des cheveux blancs qui bouclaientau-dessus de son cou, et que ses yeux et ses sourcils étaient trèsnoirs.

Il demanda à voir celles qui se préparaient aucatéchisme, et voulut savoir le nom de chacune. Sœur Marie-Aiméerépondit pour moi. Elle dit en mettant sa main sur matête :

– Celle-ci, c’est notre Marie-Claire.

Ismérie s’approcha à son tour. Il la regardaavec une grande curiosité, la fit tourner le dos et marcher devantlui ; il compara sa taille à celle d’un bébé de trois ans, etcomme il demandait à sœur Marie-Aimée si elle était intelligente,Ismérie se retourna brusquement en disant qu’elle était moins bêteque les autres.

Il se mit à rire, et je vis que ses dentsétaient très blanches. Quand il parlait, il faisait un mouvement enavant, comme s’il voulait rattraper ses mots, qui semblaient luiéchapper malgré lui.

Sœur Marie-Aimée le reconduisit jusqu’à laporte de la grande cour. Les autres fois, elle n’accompagnait lesvisiteurs que jusqu’à la porte de la salle.

Elle reprit sa place sur son estrade et aubout d’un moment, elle dit, sans regarder personne :

– C’est un homme vraiment trèsdistingué.

Notre nouveau curé habitait dans une petitemaisonnette, tout près de la chapelle. Le soir, il se promenaitdans les allées plantées de tilleuls. Il passait très près du carréde pelouse où nous jouions, et il saluait, en se courbant très bas,sœur Marie-Aimée.

Tous les jeudis après-midi, il venait nousrendre visite : il s’asseyait en s’appuyant au dossier de sachaise, et, après avoir croisé les jambes l’une sur l’autre, ilnous racontait des histoires. Il était très gai, et sœurMarie-Aimée disait qu’il riait de bon cœur.

Il arrivait parfois que sœur Marie-Aimée étaitsouffrante ; alors, il montait lui faire visite dans sachambre.

On voyait passer Madeleine avec une théière etdeux tasses ; elle était rouge et empressée.

Quand l’été fut fini, M. le curé vintnous voir le soir après dîner ; il passait la veillée avecnous.

À neuf heures sonnant, il nous quittait ;et sœur Marie-Aimée l’accompagnait toujours dans le couloir jusqu’àla grande porte.

Il y avait déjà un an qu’il était avec nous,et je n’avais pu encore m’habituer à me confesser à lui. Souvent,il me regardait avec un rire qui me faisait croire qu’il sesouvenait de mes péchés.

Nous allions à confesse à jours fixes :chacune passait à son tour ; quand il n’en restait plus qu’uneou deux avant moi, je commençais à trembler.

Mon cœur battait à toute volée, et j’avais descrampes d’estomac qui me coupaient la respiration.

Puis, mon tour arrivé, je me levais, lesjambes tremblantes, la tête bourdonnante et les joues froides. Jetombais sur les genoux dans le confessionnal, et tout aussitôt lavoix marmottante et comme lointaine de M. le curé me rendaitun peu de confiance. Mais il fallait toujours qu’il m’aidât à merappeler mes péchés : sans cela, j’en aurais oublié lamoitié.

À la fin de la confession, il me demandaittoujours mon nom. J’aurais bien voulu en dire un autre, mais enmême temps que j’y pensais, le mien sortait précipitamment de mabouche.

Le moment de la première communionapprochait ; elle devait avoir lieu au mois de mai, et oncommençait déjà les préparatifs.

Sœur Marie-Aimée composait des cantiquesnouveaux ; elle avait fait aussi une sorte de cantique à lalouange de M. le curé.

Quinze jours avant la cérémonie, on noussépara des autres. Nous passions tout notre temps en prières.

Madeleine devait surveiller notrerecueillement, mais il lui arriva plus d’une fois de le troubler,en se disputant avec l’une ou l’autre.

Ma camarade s’appelait Sophie.

Elle n’était pas bruyante, et nous nouséloignions toujours des disputes. Nous causions de choses graves.Je lui avouai mon aversion pour la confession, et combien j’avaispeur de faire une mauvaise communion.

Elle était très pieuse, et elle ne comprenaitrien à mes appréhensions. Elle trouvait que je manquais de piété,et elle avait remarqué que je m’endormais pendant la prière.

Elle m’avoua à son tour qu’elle avaitgrand’peur de la mort ; elle en parlait d’un air craintif, enbaissant la voix.

Ses yeux étaient presque verts, et ses cheveuxsi beaux que sœur Marie-Aimée n’avait jamais voulu les lui couper,comme aux autres petites filles.

Enfin, le grand jour arriva.

Ma confession générale n’avait pas été troppénible : cela m’avait donné à peu près la même impressionqu’un bon bain. Je me sentais très propre.

Cependant, je tremblais si fort en recevantl’hostie, que mes dents en gardèrent une partie. J’eus unéblouissement, et il me sembla qu’un rideau noir descendait devantmoi. Je crus reconnaître la voix de sœur Marie-Aimée, quidemandait :

– Es-tu malade ?

J’eus conscience qu’elle m’accompagnaitjusqu’à mon prie-Dieu, qu’elle me mettait mon cierge dans la main,en disant :

– Tiens-le bien.

J’avais la gorge si serrée qu’il m’étaitimpossible d’avaler, et je sentis qu’un liquide me coulait de labouche.

Alors, une peur folle monta en moi, carMadeleine nous avait bien averties, que s’il nous arrivait demordre l’hostie, le sang de Jésus coulerait de notre bouche sansque rien pût l’arrêter.

Sœur Marie-Aimée m’essuyait le visage, etdisait tout bas :

– Fais donc attention, voyons ;es-tu malade ?

Ma gorge se desserra, et j’avalai brusquementl’hostie avec un flot de salive.

J’osai alors regarder le sang qui était sur marobe, mais je ne vis qu’une petite tache pareille à celle qu’auraitpu faire une goutte d’eau.

Je portai mon mouchoir à mes lèvres etj’essuyai ma langue : il n’y avait pas non plus de sang surmon mouchoir.

Je n’étais pas très sûre de tout cela, maiscomme on nous faisait lever pour chanter, j’essayai de chanter avecles autres.

Quand M. le curé vint nous voir dans lajournée, sœur Marie-Aimée lui dit que j’avais failli m’évanouirpendant la communion. Il me releva la tête, et après m’avoir bienregardée dans les yeux, il se mit à rire, et dit que j’étais unepetite fille très sensible.

Aussitôt que nous avions fait notre premièrecommunion, nous n’allions plus en classe. Bonne Justine nousapprenait à faire de la lingerie. Nous faisions des coiffes pourles paysannes. Ce n’était pas très difficile, et comme c’étaitquelque chose de nouveau, je travaillais avec ardeur.

Bonne Justine déclara que je ferais une trèsbonne lingère. Sœur Marie-Aimée dit en m’embrassant :

– Si seulement tu pouvais vaincre taparesse !

Mais quand j’eus fait plusieurs coiffes, etqu’il me fallut toujours recommencer, ma paresse reprit vite ledessus. Je m’ennuyais, et je ne pouvais me décider àtravailler.

Je serais restée des heures et des heures sansbouger, à regarder travailler les autres.

Marie Renaud cousait en silence ; ellefaisait des points si petits et si serrés, qu’il fallait avoir debons yeux pour les voir.

Ismérie cousait en chantonnant sans craintedes réprimandes.

Les unes cousaient le dos courbé, le frontplissé, avec des doigts mouillés qui faisaient crisser lesaiguilles ; d’autres cousaient lentement, avec soin, sansfatigue, sans ennui, en comptant les points tout bas.

J’aurais bien voulu être commecelles-là ! Je me grondais en moi-même, et pendant quelquesminutes je les imitais.

Mais le moindre bruit me dérangeait, et jerestais à écouter ou regarder ce qui se passait autour de moi.Madeleine disait que j’avais toujours le nez en l’air.

Je passais tout mon temps à imaginer desaiguilles qui auraient cousu toutes seules.

Pendant longtemps, j’ai eu l’espoir qu’unegentille petite vieille, visible pour moi seulement, sortirait dela grande cheminée et viendrait coudre ma coiffe très vite.

Je finis par devenir insensible aux reproches.Sœur Marie-Aimée ne savait plus que faire pour m’encourager ou mepunir.

Un jour, elle décida que je ferais la lecturetout haut, deux fois par jour. Ce fut une grande joie pourmoi ; je trouvais que l’heure de la lecture n’arrivait jamaisassez vite, et je fermais toujours le livre avec regret.

Après la lecture, sœur Marie-Aimée faisaitchanter Colette, l’infirme.

Elle chantait toujours les mêmes chansons,mais sa voix était si belle qu’on ne se lassait pas de l’entendre.Elle chantait simplement, sans quitter son ouvrage, en balançantseulement un peu la tête.

Bonne Justine, qui savait l’histoire dechacune, racontait que Colette avait été apportée avec les deuxjambes broyées, quand elle était encore toute petite.

Maintenant, elle avait vingt ans : ellemarchait péniblement avec deux cannes, et ne voulait pas se servirde béquilles, de peur d’avoir l’air d’une vieille.

Pendant les récréations, je la voyais toujoursseule sur un banc. Elle s’étirait sans cesse en se renversant enarrière. Ses yeux noirs avaient la prunelle si large, qu’on nevoyait presque pas le blanc.

Je me sentais attirée vers elle ;j’aurais voulu être son amie. Elle paraissait très fière, et quandje lui rendais un petit service, elle avait une façon de medire : « Merci, petite », qui me renvoyait tout desuite à mes douze ans.

Madeleine prit un air mystérieux pour me direqu’il était bien défendu de parler seule avec Colette ; etquand je voulus savoir pourquoi, elle s’embrouilla dans unehistoire longue et compliquée qui ne m’apprit rien du tout.

Je m’adressai à Bonne Justine, qui fit lesmêmes simagrées pour me dire qu’on disait beaucoup de mal deColette, et qu’une petite fille comme moi ne devait pas s’approcherd’elle.

Je ne pus jamais parvenir à comprendrepourquoi. À force de la regarder, je m’aperçus que chaque foisqu’une grande lui donnait le bras pour la promener un peu, il envenait tout de suite trois ou quatre qui causaient et riaient avecelle.

Je pensai qu’elle n’avait pas d’amie. Unegrande pitié s’ajouta au sentiment qui m’attirait vers elle, et unjour que les grandes la délaissaient, je lui offris mon bras pourfaire le tour de la pelouse.

J’étais debout, devant elle, un peu intimidée.Je sentais qu’elle ne refuserait pas.

Elle me fixa, puis elle dit :

– Tu sais que c’est défendu ?

Je fis signe que oui.

Elle eut un mouvement de la tête pour me fixerdavantage.

– Et tu n’as pas peur d’êtrepunie ?

Je fis signe que non.

J’avais une grande envie de pleurer qui meserrait la gorge. Je l’aidai à se lever. Elle s’appuyait d’une mainsur une canne, et malgré cela, elle pesait sur moi de tout sonpoids.

Je compris combien la marche lui étaitpénible ; elle ne me dit pas un mot pendant la promenade, et,quand je l’eus ramenée à son banc, elle dit en meregardant :

– Merci, Marie-Claire.

En me voyant avec Colette, Bonne Justine avaitlevé les bras au ciel, et fait le signe de la croix.

À l’autre bout de la pelouse, Madeleinebraillait en me montrant le poing.

Le soir, je vis bien que sœur Marie-Aiméesavait ce que j’avais fait, mais elle ne m’en fit aucunreproche.

Pendant la récréation suivante, elle m’attirasur son petit banc, elle prit ma tête dans ses deux mains, et sepencha sur moi. Elle ne me disait rien, mais ses yeux plongeaientdans tout mon visage : il me semblait que j’étais enveloppéedans ses yeux. J’en ressentais comme une chaleur, et j’y étais àmon aise. Elle m’embrassa longuement au front, puis elle me souritet dit :

– Va, tu es mon beau lis blanc.

Je la trouvai si belle avec ses yeux quiavaient des rayons de plusieurs couleurs que je lui dis :

– Vous aussi, ma Mère, vous êtes unebelle fleur.

Elle prit un ton dégagé pour medire :

– Oui, mais je ne compte plus dans leslis.

Puis elle me demanda brusquement :

– Tu n’aimes donc plus Ismérie ?

– Si, ma Mère.

– Ah ! eh bien, etColette ?

– Je l’aime bien aussi.

Elle me repoussa :

– Oh ! toi, tu aimes tout lemonde !

Presque chaque jour, j’offrais mon bras àColette.

Elle me parlait seulement pour faire quelquesremarques sur l’une ou l’autre.

Quand je m’asseyais près d’elle, elle meregardait curieusement : elle trouvait que j’avais une drôlede figure.

Un jour, elle me demanda si je la trouvaisjolie. Aussitôt, je me rappelai que sœur Marie-Aimée disait qu’elleétait noire comme une taupe.

Je vis pourtant qu’elle avait un grand front,de grands yeux, et le reste du visage tout mince. En la regardant,je ne sais pourquoi je pensais à un puits profond et noir quiaurait été plein d’eau chaude.

Non, je ne la trouvais pas jolie ! Maisje n’osai pas le lui dire, parce qu’elle était infirme, et jerépondis qu’elle serait bien plus jolie si elle avait la peaublanche.

Petit à petit, je devenais son amie.

Elle me confia qu’elle espérait s’en allerpour se marier, comme la grande Nina, qui venait nous voir ledimanche, avec son enfant.

Elle me tapait sur le bras en medisant :

– Vois-tu, moi, il faut que je memarie.

Elle s’étirait longuement, en tendant tout soncorps en avant.

Il y avait des jours où elle pleurait avec unchagrin si profond que je ne trouvais rien à lui dire.

Elle regardait ses jambes toutes tortillées,et c’était comme un gémissement quand elle disait :

– Il faudrait un miracle pour que jepuisse sortir d’ici.

Il me vint tout d’un coup l’idée que la Viergepourrait faire le miracle.

Colette trouva la chose toute simple.

Elle était tout étonnée de n’y avoir pasencore songé : il était si juste qu’elle eût des jambes commeles autres !

Elle voulut s’en occuper tout de suite.

Elle m’expliqua qu’il fallait être plusieursjeunes filles pour faire la neuvaine ; que nous irions nouspurifier par la communion ; et que pendant neuf jours nous necesserions pas de prier afin d’obtenir la grâce.

Il fallait que cela fût dans le plus grandsecret.

Il fut convenu que ma camarade Sophie seraitdes nôtres, à cause de sa grande piété. Colette se chargeait d’enparler à quelques grandes qui avaient bon cœur.

Deux jours après, tout fut réglé.

Colette devait jeûner et faire pénitencependant les neuf jours. Le dixième, qui serait un dimanche, elleirait communier comme d’habitude, en se servant de sa canne, et dubras de l’une de nous ; puis, l’hostie dans son cœur, elleferait le vœu d’élever ses enfants dans l’amour de la Vierge ;après cela, elle se lèverait toute droite et entonnerait de sa voixmagnifique le Te Deum, que nous reprendrions en chœur.

Pendant les neuf jours, je priai avec uneferveur que je n’avais jamais connue. Les prières ordinaires mesemblaient fades. Je récitais les litanies de la Vierge ; jecherchais les plus belles louanges, et les répétais sans melasser !

– Étoile du matin, guérissez Colette.

La première fois, je restai si longtemps àgenoux que sœur Marie-Aimée vint me gronder.

Personne ne remarqua les petits signes quenous échangions, et la neuvaine se termina dans le plus grandsecret.

Colette était bien pâle, quand elle vint à lamesse : ses joues étaient encore plus minces ; elle setenait les yeux baissés, et ses paupières étaient toutesviolettes.

Je pensai que c’était la fin de son martyre,et une joie profonde me soulevait.

Tout près de moi, une Vierge vêtue d’unegrande robe blanche souriait en me regardant, et dans un élan detoute ma foi, ma pensée lui cria :

– Miroir de Justice, guérissezColette !

Et, les tempes serrées par la volonté de nepas distraire ma pensée, je répétais :

– Miroir de Justice, guérissezColette !

Maintenant, Colette s’en allait communier. Sacanne faisait un petit bruit sec sur les dalles.

Quand elle se fut agenouillée, celle quil’avait accompagnée revint avec la canne, tant elle était sûrequ’elle serait inutile.

Ce fut lamentable.

Colette essaya de se mettre debout, et retombasur les genoux. Sa main tâtonna pour prendre sa canne, et, ne latrouvant pas, elle fit un nouveau mouvement pour se lever.

Elle se cramponna à la Sainte Table, ets’accrocha au bras d’une sœur qui communiait près d’elle ;puis, ses épaules balancèrent, et elle s’écroula en entraînant lasœur.

Deux des nôtres se précipitèrent, ettraînèrent la pauvre Colette jusqu’à son banc.

Pourtant, j’espérais encore, et, jusqu’à lafin de la messe, j’attendis le Te Deum.

Aussitôt que cela me fut possible, jerejoignis Colette.

Elle était entourée des grandes, quiessayaient de la consoler en lui conseillant de se donner à Dieupour toujours. Elle pleurait doucement, sans secousses, la tête unpeu penchée, et ses larmes tombaient sur ses mains, qu’elle tenaitcroisées l’une sur l’autre.

Je m’agenouillai devant elle, et, quand elleme regarda, je lui dis :

– Peut-être qu’on peut se marier malgréqu’on est infirme.

L’histoire de Colette fut bientôt connue detoute la maison ; il y eut une tristesse générale qui empêchales jeux d’être bruyants. Ismérie croyait m’apprendre une grandenouvelle en me racontant la chose.

Ma camarade Sophie me dit qu’il fallait sesoumettre aux volontés de la Vierge, parce qu’elle savait mieux quenous ce qui convenait au bonheur de Colette.

J’aurais bien voulu savoir si sœur Marie-Aiméeavait été avertie. Je ne la vis que dans l’après-midi, à l’heure dela promenade. Elle n’avait pas l’air triste ; on aurait plutôtdit qu’elle était contente ; jamais elle ne m’avait paru aussijolie. Tout son visage resplendissait.

Pendant la promenade, je remarquai qu’ellemarchait comme si quelque chose l’eût soulevée. Je ne me rappelaispas l’avoir jamais vue marcher comme cela. Son voile s’envolait unpeu aux épaules, et sa guimpe ne cachait pas complètement soncou.

Elle ne faisait aucune attention à nous ;elle ne regardait rien, et on eût dit qu’elle voyait quelque chose.Par instants, elle souriait, comme si quelqu’un lui eût parléintérieurement.

Le soir, après dîner, je la retrouvai assisesur un vieux banc qui touchait à un gros tilleul. M. le curéétait assis près d’elle, le dos appuyé contre l’arbre.

Ils avaient l’air grave.

Je croyais qu’ils parlaient de Colette, et jem’arrêtai à quelques pas d’eux.

Sœur Marie-Aimée disait, comme si ellerépondait à une question :

– Oui, à quinze ans.

Monsieur le curé dit :

– À quinze ans, on n’a pas lavocation.

Je n’entendis pas ce que répondit sœurMarie-Aimée, mais M. le curé reprit :

– À quinze ans, on a toutes lesvocations : il suffit d’un geste affectueux ou indifférent,pour vous éloigner ou vous encourager dans une voie.

Il fit une pause, et dit plus bas :

– Vos parents ont été bien coupables.

Sœur Marie-Aimée répondit :

– Je ne regrette rien.

Ils restèrent longtemps sans parler ;puis sœur Marie-Aimée leva le doigt comme pour une recommandationet dit :

– En tout lieu, malgré tout, ettoujours.

Monsieur le curé étendit un peu la main enriant, et il dit aussi :

– En tout lieu, malgré tout, ettoujours.

La cloche du coucher sonna tout à coup, etM. le curé disparut dans les allées de tilleuls.

Pendant longtemps, je me répétai les mots quej’avais entendus ; mais jamais je ne pus les associer àl’histoire de Colette.

Colette ne comptait plus sur un miracle pours’en aller ; et pourtant, elle ne pouvait se résigner à resterdans cette maison.

Quand elle vit partir une à une toutes cellesqui avaient son âge, elle commença de se révolter. Elle ne voulutplus aller à confesse, ni communier ; elle allait à la messe,parce qu’elle chantait et aimait la musique.

Je restais souvent près d’elle pour laconsoler.

Elle m’expliquait que le mariage, c’étaitl’amour.

Sœur Marie-Aimée, qui était souffrante depuisquelque temps, tomba tout à fait malade.

Madeleine la soignait avec dévouement et nousdirigeait à tort et à travers. Elle s’acharnait particulièrementsur moi ; et quand elle me voyait lasse de coudre, elle disaiten essayant de prendre un air hautain :

– Puisque Mademoiselle n’aime pas lacouture, elle n’a qu’à prendre le balai.

Elle s’avisa un dimanche de me faire nettoyerles escaliers, pendant l’heure de la messe. Nous étions enjanvier ; un froid humide, venant des couloirs, montait lesmarches et pénétrait sous ma robe.

Je balayais de toutes mes forces, pour meréchauffer.

Les sons de l’harmonium venaient de lachapelle jusqu’à moi ; par instants je reconnaissais les notesaigres et perçantes de Madeleine, et les éclats saccadés deM. le curé.

Je suivais la messe d’après les chants. Lavoix de Colette monta tout à coup ; elle était forte etpure ; elle s’élargit, couvrit les sons de l’harmonium, dominatout, puis elle s’envola par-dessus les tilleuls, par-dessus lesmaisons, plus haut que le clocher.

J’en ressentis un grand frisson, et quand lavoix redescendit un peu tremblante, quand elle fut rentrée dansl’église et étouffée par les sons de l’harmonium, je me mis àpleurer avec des hoquets, comme une toute petite fille. Puis lavoix pointue de Madeleine perça de nouveau, et je balayai à grandscoups, comme si mon balai devait effacer cette voix qui m’était sidésagréable.

Ce jour-là, sœur Marie-Aimée me fit appelerprès d’elle. Il y avait bien deux mois qu’elle n’était pas sortiede sa chambre. Elle commençait d’aller mieux, mais je remarquai queses yeux ne brillaient plus du tout. Ils me faisaient penser à unarc-en-ciel presque fondu.

Elle me fit raconter les petites histoiresdrôles qui s’étaient passées ; elle voulait sourire enm’écoutant, mais sa bouche ne se relevait que d’un seul côté. Elleme demanda aussi si je l’avais entendue crier.

Oh ! oui, je l’avais entendue ;c’était pendant sa maladie. Elle avait poussé des cris siépouvantables au milieu de la nuit, que tout le dortoir en avaitété réveillé. Madeleine allait et venait. On l’entendait remuer del’eau ; et comme je lui demandais ce qu’avait sœurMarie-Aimée, elle m’avait répondu tout en courant :

– Des douleurs.

J’avais aussitôt pensé que Bonne Justine avaitaussi des douleurs ; mais jamais elle n’avait crié comme cela,et j’imaginais les jambes de sœur Marie-Aimée trois fois plusenflées que celles de Bonne Justine.

Les cris étaient devenus de plus en plusforts. Il y en avait eu un si terrible, qu’il semblait lui sortirdes entrailles. Ensuite on avait entendu quelques plaintes. Puis,plus rien.

Au bout d’un moment, Madeleine était venueparler à Marie Renaud. Aussitôt Marie Renaud avait mis sa robe, etje l’avais entendue descendre.

Un instant après, elle était revenue avecM. le curé. Il était entré précipitamment dans la chambre desœur Marie-Aimée et Madeleine avait vite refermé la porte surlui.

Il n’était pas resté longtemps ; mais ils’en était retourné bien moins vite qu’il n’était venu. Il marchaiten baissant la tête, et sa main droite ramenait un pan de sonmanteau sur son bras gauche, comme s’il voulait préserver une choseprécieuse.

Je pensai qu’il remportait les Saintes Huiles,et je n’osai pas lui demander si sœur Marie-Aimée était morte.

Je n’avais pas oublié non plus le coup depoing que j’avais reçu de Madeleine, lorsque je m’étais accrochée àsa jupe. Elle m’avait renversée, en disant très bas et trèsvite :

– Elle va mieux.

Le jour où sœur Marie-Aimée fut guérie,Madeleine perdit son arrogance, et tout rentra dans l’ordre.

J’avais toujours la même répugnance pour lacouture, et sœur Marie-Aimée commençait à s’en inquiéter.

Elle en parla devant moi à la sœur deM. le curé. C’était une vieille demoiselle qui avait unelongue figure, et de grands yeux fanés. Elle s’appelaitMlle Maximilienne.

Sœur Marie-Aimée disait combien elle étaitinquiète de mon avenir ; elle trouvait que j’apprenais leschoses avec une grande facilité, mais qu’aucun travail de couturene m’intéressait.

Elle avait remarqué depuis longtemps quej’aimais l’étude. Alors, elle s’était informée s’il ne me restaitpas quelques parents éloignés, qui auraient pu se charger demoi ; mais il ne me restait qu’une vieille parente, qui avaitdéjà adopté ma sœur, et refusait de s’occuper de moi.

Mlle Maximilienne offrit de meprendre dans son magasin de modes, M. le curé trouva quec’était une très bonne idée ; il ajouta qu’il se ferait mêmeun plaisir de venir deux fois par semaine afin de m’instruire unpeu. Sœur Marie-Aimée paraissait vraiment heureuse ; elle nesavait comment exprimer sa reconnaissance.

Il fut convenu que j’entrerais chezMlle Maximilienne aussitôt que M. le curéserait de retour d’un voyage qu’il devait faire à Rome. SœurMarie-Aimée allait s’occuper de mon trousseau, etMlle Maximilienne irait trouver la supérieure pourobtenir la permission.

L’idée que la supérieure allait s’occuper demoi me causa un véritable malaise. Je ne pouvais m’empêcher depenser au mauvais regard qu’elle lançait de notre côté, quand ellepassait près du vieux banc où venait s’asseoir M. le curé.

Aussi, j’attendais avec impatience la réponsequ’elle donnerait à Mlle Maximilienne.

M. le curé était parti depuis unesemaine, et sœur Marie-Aimée m’entretenait chaque jour de monnouvel emploi. Elle me disait combien elle serait contente de mevoir le dimanche. Elle me faisait mille recommandations, et medonnait toutes sortes de conseils au sujet de ma santé.

Un matin, la supérieure me fit demander.

En entrant chez elle, je vis qu’elle étaitassise dans un grand fauteuil rouge. Des histoires de revenants quej’avais entendu raconter sur elle me revinrent à la mémoire ;et à la voir, toute noire au milieu de tout ce rouge, je lacomparai à un monstrueux pavot qui aurait poussé dans unsouterrain.

Elle abaissa et releva plusieurs fois lespaupières. Elle avait un sourire qui ressemblait à une insulte. Jesentis que je rougissais très fort et malgré cela je ne détournaipas les yeux.

Elle eut un petit ricanement, etdit :

– Vous savez pourquoi je vous ai faitappeler ?

Je répondis que je pensais que c’était pour meparler de Mlle Maximilienne.

Elle ricana encore.

– Ah oui,Mlle Maximilienne ; eh bien !détrompez-vous. Nous avons décidé de vous placer dans une ferme dela Sologne.

Elle ferma ses yeux à demi pour medire :

– Vous serez bergère,mademoiselle !

Elle ajouta, en appuyant sur lesmots :

– Vous garderez les moutons.

Je dis simplement :

– Bien, ma Mère.

Elle remonta des profondeurs de son fauteuil,et demanda :

– Vous savez ce que c’est que garder lesmoutons ?

Je répondis que j’avais vu des bergères dansles champs.

Elle avança vers moi sa figure jaune, etreprit :

– Il vous faudra nettoyer les étables.Cela sent très mauvais ; et les bergères sont des fillesmalpropres. Puis, vous aiderez aux travaux de la ferme, on vousapprendra à traire les vaches, et à soigner les porcs.

Elle parlait très fort, comme si ellecraignait de n’être pas comprise.

Je répondis comme tout à l’heure :

– Bien, ma Mère.

Elle se haussa sur les bras de sonfauteuil ; et, en me fixant de ses yeux luisants, elle ditencore :

– Vous n’êtes donc pas fière ?

Je souris d’un air indifférent.

– Non, ma Mère.

Elle parut profondément étonnée ; mais,comme je continuais de sourire avec indifférence, sa voix devintmoins dure pour me dire :

– Vraiment, mon enfant ? J’avaistoujours cru que vous étiez orgueilleuse.

Elle se renfonça dans son fauteuil, cacha sesyeux sous ses paupières, et se mit à parler d’une voix monotone,comme quand elle récitait les prières. Elle disait : qu’ondevait obéir à ses maîtres, ne jamais manquer à ses devoirs dereligion, et que la fermière viendrait me chercher la veille dujour de la Saint-Jean.

Je sortis de chez elle avec des sentiments queje n’aurais pu exprimer. Mais ce qui dominait en moi, c’était lacrainte de faire de la peine à sœur Marie-Aimée. Comment lui direcela ?

Je n’eus guère le temps de la réflexion. Ellem’attendait à l’entrée de notre couloir ; elle me saisit auxépaules, et en baissant son visage vers le mien, elledit :

– Eh bien ?

Elle avait un regard inquiet qui commandait laréponse. Je dis tout de suite :

– Elle ne veut pas, et je seraibergère.

Elle ne comprit pas. Elle fronça lessourcils.

– Comment cela, bergère ?

Je repris très vite :

– Elle m’a trouvé une place dans uneferme, et puis je trairai les vaches et je soignerai les porcs.

Sœur Marie-Aimée me repoussa si violemment queje me cognai au mur.

Elle s’élança vers la porte ; je crusqu’elle courait chez la supérieure, mais elle ne fit que quelquespas dehors ; elle rentra, et se mit à marcher à grands pasdans le couloir. Elle serrait les poings et frappait du pied ;elle tournait sur elle-même et respirait fortement. Puis elles’adossa contre le mur, laissa tomber ses bras comme si elle étaitaccablée, et, d’une voix qui semblait venir de loin, elledit :

– Elle se venge, ah oui, elle sevenge !

Elle revint vers moi, me prit affectueusementles mains et demanda :

– Tu ne lui as donc pas dit que tu nevoulais pas ? Tu ne l’as donc pas suppliée de te laisser allerchez Mlle Maximilienne ?

Je secouai la tête pour dire non ; et jerépétai tout à la file et avec les mêmes mots tout ce que m’avaitdit la supérieure.

Elle m’écouta sans m’interrompre. Puis elle merecommanda le silence auprès de mes compagnes. Elle pensait quecela s’arrangerait aussitôt que M. le curé serait deretour.

Le dimanche suivant, comme nous prenions nosrangs pour la messe, Madeleine entra comme une folle dans lasalle ; elle leva les bras en criant :

– Monsieur le curé est mort.

Et elle s’abattit en travers de la table quiétait auprès d’elle.

Tous les bruits s’arrêtèrent, on courut àMadeleine qui poussait des cris aigus. On voulait tout savoir. Maiselle se berçait sur la table en disant d’une voixdésolée :

– Il est mort, il est mort.

Je ne pensais à rien ; je ne savais passi j’avais de la peine, et, pendant tout le temps de la messe, lavoix de Madeleine sonna comme une cloche à mes oreilles.

Il ne fut pas question de promenade cejour-là ; les plus petites même restèrent silencieuses. Je memis à la recherche de sœur Marie-Aimée. Elle n’avait pas assistéaux offices, et je savais par Marie Renaud qu’elle n’était pasmalade.

Je la trouvai dans le réfectoire. Elle étaitassise sur son estrade, sa tête était appuyée de côté sur la table,et ses bras pendaient le long de sa chaise.

J’allai m’asseoir assez loin d’elle ; etd’entendre sa plainte si profonde, je me mis à sangloter aussi, encachant ma figure dans mes mains. Mais cela ne dura pas longtemps,et je sentis bien que je n’avais pas de chagrin. Je fis même desefforts pour pleurer, mais il me fut impossible de continuer àverser une seule larme. J’avais un peu honte de moi parce que jecroyais qu’on devait pleurer quand quelqu’un mourait ; et jen’osais pas découvrir mon visage dans la crainte que sœurMarie-Aimée crût que j’avais mauvais cœur.

Maintenant, je l’écoutais pleurer. Ses longuesplaintes me rappelaient le vent d’hiver dans la grande cheminée.Cela montait et descendait comme si elle eût voulu composer unesorte de chant ; puis cela se heurtait, se cassait, etfinissait en notes basses et tremblées.

Un peu avant l’heure du dîner, Madeleine entradans le réfectoire. Elle emmena sœur Marie-Aimée en la soutenantavec précaution.

Dans la soirée, elle nous raconta queM. le curé était mort à Rome, et qu’on allait le ramener pourle mettre dans son caveau de famille.

Le lendemain, sœur Marie-Aimée s’occupa denous comme d’habitude. Elle ne pleurait plus, mais elle nesouffrait pas qu’on lui parlât ; elle marchait en regardant laterre et paraissait m’avoir oubliée.

Cependant, je n’avais plus qu’un jour à resterici. D’après ce que m’avait dit la supérieure, la fermièreviendrait me chercher demain, puisque c’était après-demain le jourde la Saint-Jean.

Le soir, à la fin de la prière, lorsque sœurMarie-Aimée eut dit : « Seigneur, prenez en pitié lesexilés, et secourez les prisonniers », elle ajouta à voix trèshaute :

– Nous allons dire une prière pour une devos compagnes qui s’en va dans le monde.

Je compris tout de suite qu’il s’agissait demoi, et je me trouvai aussi à plaindre que les exilés et lesprisonniers.

Il me fut impossible de m’endormir ce soir-là.Je savais que je partirais demain ; mais je ne savais pas ceque c’était que la Sologne. J’imaginais un pays très éloigné où iln’y avait que des plaines toutes fleuries. Je me voyais lagardienne d’un troupeau de beaux moutons blancs, et j’avais deuxchiens à mes côtés qui n’attendaient qu’un signe pour faire rangerles bêtes. Je n’aurais pas osé le dire à sœur Marie-Aimée, mais ence moment, je préférais être bergère plutôt que demoiselle demagasin.

Ismérie, qui ronflait très fort à côté de moi,ramena ma pensée vers mes compagnes.

La nuit était si claire que je voyaisdistinctement tous les lits. Je les suivais un à un, et jem’arrêtais un peu près de celles que j’aimais. Presque en face demoi je voyais les magnifiques cheveux de ma camarade Sophie :ils s’éparpillaient sur l’oreiller, et faisaient davantage declarté sur son lit. Un peu plus loin, c’étaient les lits deChemineau l’Orgueilleuse, et de sa sœur jumelle Chemineau la Bête.Chemineau l’Orgueilleuse avait un grand front blanc et lisse, etdes grands yeux doux. Elle ne se défendait jamais quand onl’accusait d’une faute ; elle haussait les épaules etregardait autour d’elle avec mépris.

Sœur Marie-Aimée disait que sa conscienceétait aussi blanche que son front.

Chemineau la Bête était de moitié plus hauteque sa sœur ; ses cheveux rudes rejoignaient presque sessourcils ; elle était carrée des épaules et large deshanches ; nous l’appelions le chien de garde de sa sœur.

Et tout là-bas, à l’autre bout du dortoir, ily avait Colette.

Elle croyait toujours que j’allais chezMlle Maximilienne. Elle était persuadée que je memarierais très jeune, et elle m’avait fait promettre de venir lachercher aussitôt que je serais mariée.

Ma pensée tourna longtemps autour d’elle. Puisje regardai vers la fenêtre : les ombres des tilleulss’allongeaient de mon côté. J’imaginais qu’ils venaient me direadieu, et je leur souriais.

De l’autre côté des tilleuls, j’apercevaisl’infirmerie ; elle paraissait se reculer, et ses petitesfenêtres me faisaient penser à des yeux malades.

Là aussi, je m’arrêtais à cause de la sœurAgathe. Elle était si gaie et si bonne que les petites fillesriaient toujours quand elle les grondait.

C’était elle qui faisait les pansements.

Quand on venait la trouver pour un bobo audoigt, elle nous recevait avec des mots drôles ; et, selonqu’on était gourmande ou coquette, elle promettait un gâteau ou unruban qu’elle désignait d’un vague signe de tête ; et, pendantque le regard cherchait le gâteau ou le ruban, le bobo se trouvaitpercé, lavé, et pansé.

Je me souvenais d’une engelure que j’avais eueau pied, et qui ne voulait pas se guérir. Un matin, sœur Agathem’avait dit d’un air grave :

– Écoute, je vais t’y mettre quelquechose de divin, et si ton pied n’est pas guéri dans trois jours, onsera obligé de te le couper.

Et pendant trois jours, j’avais évité demarcher pour ne pas déranger cette chose divine qui était sur monpied. Je pensais à un bout de la vraie croix ou à un morceau duvoile de la Vierge.

Le troisième jour, mon pied était complètementguéri, et quand je demandai le nom de ce remède merveilleux, sœurAgathe me répondit avec un rire malicieux :

– Bête, c’était de l’onguent ArthurDivain.

La nuit était très avancée quand jem’endormis, et dès le matin j’attendis la fermière. J’aurais vouluqu’elle vînt, et j’avais peur de la voir venir.

Sœur Marie-Aimée relevait brusquement la têtechaque fois que quelqu’un ouvrait la porte.

Comme nous finissions de dîner, la portièrevint demander si j’étais prête à partir.

Sœur Marie-Aimée la renvoya en disant que jeserais prête dans un instant.

Elle se leva en me faisant signe de la suivre.Elle m’aida à m’habiller, me remit un petit paquet de linge, et dittout à coup :

– C’est demain qu’on le ramène, et tu neseras plus là.

Elle reprit en me regardant dans lesyeux :

– Jure-moi que tu diras tous les soirs unDe Profundis pour lui.

Je jurai.

Alors, elle me serra avec violence sur sapoitrine, et elle se sauva vers sa chambre.

Puis j’entendis qu’elle disait :

– Oh ! c’est trop, mon Dieu, c’esttrop !

 

Je traversai la cour toute seule, et lafermière, qui m’attendait, m’emmena aussitôt.

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