Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir

LETTRE DEUXIÈME

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MADAME,

Si j’ai différé la suite de mon histoire, ç’aété simplement pour me permettre de respirer un peu&|160;:j’espérais aussi, je l’avoue, qu’au lieu de me presser, vousm’auriez plutôt dispensée de poursuivre une confession au cours delaquelle mon amour-propre a tant de blessures à souffrir.

Je m’imaginais, en vérité, que vous auriez étérassasiée et fatiguée de l’uniformité d’aventures et d’expressionsinséparable d’un sujet de cette sorte, dont le fond, dans la naturedes choses est éternellement le même&|160;: quelle que puisse être,en effet, la variété de formes et de modes dont les situations sontsusceptibles, il est impossible d’éviter entièrement la répétitiondes mêmes images, des mêmes figures, des mêmes expressions. Audégoût qui en résulte s’ajoute encore cet inconvénient, que lesmots de jouissance, ardeur, transport, extase et le reste de cestermes pathétiques si utilisés dans la pratique du plaisir,s’affadissent et perdent beaucoup de leur saveur et de leur énergiepar leur emploi fréquent, indispensable dans un récit dont cettepratique forma à elle seule la base tout entière. Je dois, enconséquence, m’en rapporter à votre indulgence, pour le désavantageque j’ai forcément sous ce rapport, et à votre imagination, à votresensibilité, pour l’agréable tâche d’y porter remède là où mesdescriptions faiblissent ou manquent de coloris&|160;: l’une vousmettra instantanément sous les yeux les tableaux que je vousprésente, l’autre donnera de la vie aux couleurs ternes ouaffaiblies par un trop fréquent usage.

Ce que. vous me dites, par manièred’encouragement, de l’extrême difficulté d’écrire un si long récitdans un style tempéré avec goût, aussi éloigné du cynismed’expressions grossières et vulgaires que du ridicule de métaphoresaffectées et de circonlocutions alambiquées est non moinsraisonnable que bienveillant&|160;: vous justifiez ainsi, dans unegrande mesure, ma complaisance pour une curiosité qui ne sauraitêtre satisfaite qu’à mes dépens.

Je reviens maintenant au point où j’en étaisen terminant ma précédente lettre. La soirée était assez avancéelorsque j’arrivai à mon nouveau logement, et Mme&|160;Cole, aprèsm’avoir aidée à ranger mes affaires, passa tout le reste du tempsavec moi dans mon appartement où nous soupâmes ensemble. Elle medonna alors d’excellents avis et instructions concernant cettenouvelle phase de ma profession où j’entrais maintenant&|160;: deprêtresse privée de Vénus, j’allais devenir publique&|160;; ilfallait me perfectionner en conséquence et m’entourer de tout cequi pouvait faire valoir ma personne, soit pour l’intérêt soit pourle plaisir, soit pour les deux ensemble. «&|160;Mais alors,&|160;»ajouta-t-elle, «&|160;comme j’étais une nouvelle figure dans laville, c’était une règle établie, un secret du commerce, de mefaire passer pour une pucelle et de me présenter comme telle à lapremière bonne occasion, sans préjudice, bien entendu, desdistractions que je pourrais rencontrer dans l’intérim, car il n’yavait personne qui détestât plus qu’elle de perdre du temps. Elleferait de son mieux pour me trouver le client et se chargerait dediriger cette délicate entreprise, si je voulais bien accepter sonaide et ses avis&|160;; et je n’aurais qu’à m’en féliciter puisque,en perdant un pucelage fictif, j’en recueillerais autantd’avantages que s’il s’agissait d’un véritable.&|160;»

Une excessive délicatesse de sentimentsn’étant pas, à cette époque, le trait distinctif de mon caractère,j’avoue à ma honte que j’acceptai un peu trop vite cetteproposition&|160;; elle répugnait sans doute à ma candeur et moningénuité&|160;; mais pas assez pour me faire contrarier lesintentions d’une personne à qui j’avais entièrement laissé le soinde ma conduite. Mme&|160;Cole, en effet, je ne sais comment,peut-être par une de ces inexplicables et invincibles sympathiesqui n’en forment pas moins les liens les plus solides, surtoutentre femmes, avait pris de moi pleine et entière possession. Deson côté, elle affectait de trouver dans mes traits uneressemblance frappante avec une fille unique qu’elle avait perdue àmon âge et c’était, disait-elle, son premier motif pour me porterune si vive affection. C’était possible&|160;: il existe ainsi defrivoles motifs d’attachement qui, se fortifiant par l’habitude,font souvent des amitiés plus solides et plus durables que si ellesétaient fondées sur de sérieuses raisons. Mais je sais unechose&|160;: c’est que, sans avoir eu avec elle d’autres relationsque lors de ses visites, quand je vivais avec M.&|160;H…, à proposde menus objets de toilette qu’elle voulait me vendre, elle avaitsi bien gagné ma confiance que je m’étais aveuglément mise dans sesmains et en étais venue à la respecter, à l’aimer, à lui obéir entout&|160;; et, pour lui rendre justice, je ne trouvai jamais chezelle qu’une sincère tendresse et un soin de mes intérêtsextraordinairement rares chez les personnes de sa profession. Nousnous séparâmes ce soir-là parfaitement d’accord sur tous les pointset, le lendemain matin, Mme&|160;Cole vint me prendre et m’emmenachez elle pour la première fois.

Ici, à première vue, je trouvai partout un airde décence, de modestie et d’ordre.

Dans le salon de devant où, pour mieux dire,dans la boutique étaient assises trois jeunes femmes,tranquillement occupées à des ouvrages de mode qui couvraient untrafic de choses plus précieuses. Mais il était difficile de voirtrois plus belles créatures&|160;: deux d’entre elles étaientextrêmement blondes, la plus âgée ayant à peine dix-neuf ans&|160;;la troisième, à peu près de cet âge, était une brune piquante dontles yeux noirs et brillants, les traits et la taille en parfaiteharmonie ne lui laissaient rien à envier à ses blondescompagnes&|160;; leurs toilettes étaient d’autant plus recherchéesqu’elles paraissaient moins l’être, grâce à leur cachet de propretécorrecte et d’élégante simplicité. Telles étaient les fillescomposant le petit troupeau domestique que Mme&|160;Cole régissaitavec un ordre et une habileté surprenants, étant donnée la légèreténaturelle de jeunes personnes qui ont jeté leurs bonnets par-dessusles moulins. Mais aussi elle n’en gardait dans sa maison aucunequi, après un certain noviciat, se montrât intraitable, et refusâtd’en observer les règles. Elle avait ainsi formé peu à peu unepetite famille d’amour dont les membres trouvaient si bien leurcompte dans une rare alliance déplaisir et d’intérêt d’une part etde décence extérieure de l’autre, avec une liberté secrèteillimitée que Mme&|160;Cole, qui les avaient choisies autant pourleur caractère que pour leur beauté, les gouvernait sans peine àson propre contentement et au leur.

Elle me présenta donc à ces élèves de choix,qu’elle avait d’ailleurs prévenues, comme une nouvelle pensionnairequi allait être immédiatement admise dans toutes les intimités dela maison&|160;; sur quoi ces charmantes filles m’accueillirent àbras ouverts, laissant voir que mon extérieur leur plaisaitparfaitement. Ceci devait m’étonner et je ne m’y serais guèreattendue de personnes de mon sexe, mais elles étaient réellementdressées à sacrifier toute jalousie, toute compétition de charmes,dans l’intérêt commun&|160;; elles me considéraient comme uneassociée qui apportait un bon stock de marchandises dans lecommerce de la maison. Elles s’empressèrent autour de moi,m’examinèrent de toutes parts, et, comme mon admission dans cettejoyeuse troupe était l’occasion d’une petite fête, on laissa decôté l’ouvrage de parade. Mme&|160;Cole, après quelquesrecommandations spéciales, m’abandonna à leurs caresses et sortitpour ses affaires.

La parité de sexe, d’âge, de profession et devues créa bientôt entre nous une familiarité et une intimité aussigrandes que si nous nous connaissions depuis des années. Elles mefirent voir la maison, leurs appartements respectifs remplis demeubles confortables et luxueux et, surtout, un spacieux salon oùune société joyeuse et choisie se réunissait d’ordinaire en partiesde plaisir&|160;: les filles y soupaient avec leurs galants,laissant libre carrière à leur licence&|160;; la crainte, lamodestie, la jalousie leur étaient formellement interdites&|160;;c’était, en effet, un des principes de la société que ce quipouvait manquer en fait de plaisir de sentiment fût compensé, dansune large mesure, pour les sens, par une variété piquante et partous les charmes de la volupté. Les auteurs et les soutiens decette secrète institution pouvaient à bon droit, dans leurenthousiasme, se proclamer les restaurateurs de l’âge d’or et de sasimplicité de plaisir, plutôt que de voir leur innocence siinjustement flétrie des mots de crime et de honte.

Le soir venu et les volets de la boutiquefermés, l’académie fit son ouverture. Toutes les filles, jetantleur masque de fausse modestie, se livrèrent à leurs galantsrespectifs pour le plaisir ou l’intérêt, et il convient d’observerque tout représentant du sexe mâle n’était pas indistinctementadmis, mais seulement ceux dont Mme&|160;Cole avait éprouvéd’avance le caractère et la discrétion. Bref, c’était la maisongalante de la ville la plus sûre, la mieux tenue et, en même temps,la plus confortable&|160;; tout y était conduit de telle sorte quela décence ne gênât en rien les plaisirs les plus libertins, et,dans la pratique de ces plaisirs, les familiers de la maisond’élite avaient trouvé le secret si rare et si difficile deconcilier les raffinements du goût et de la délicatesse avec lesexercices de la sensualité la plus franche et la plusprononcée.

Le lendemain, après une matinée consacrée auxcaresses et aux leçons de mes compagnes, nous nous mîmes à tablepour dîner, et alors Mme&|160;Cole, qui présidait, me donna lapremière idée de son adresse à diriger ces filles et à leurinspirer pour elle-même de si vifs sentiments d’amour et derespect. Il n’y avait, dans ce petit monde, ni raideur, ni réserve,ni airs de pique, ni jalousies&|160;: tout y était gai sansaffectation, joyeux et libre.

Après le dîner, Mme&|160;Cole, avecl’assistance des jeunes demoiselles, me prévint qu’il y aurait cesoir même un chapitre à tenir en forme, pour la cérémonie de maréception dans la confrérie&|160;: sous réserve de mon pucelage quidevait, à la première occasion, être servi tout chaud à un amateur,il me fallait subir un cérémonial d’initiation qui, elles enétaient sûres, ne me déplairait pas.

Lancée comme je l’étais et, de plus, captivéepar la séduction de mes compagnes, j’étais trop bien disposée enfaveur d’une proposition quelconque qu’elles me pouvaient faire,pour hésiter à accueillir celle-ci. Je leur donnai, en conséquence,carte blanche[16], et je reçus d’elles toutesforce baisers et compliments pour ma docilité et mon boncaractère&|160;: «&|160;J’étais une aimable fille… je prenais leschoses de bonne grâce… je n’étais pas bégueule… je serais la perlede la maison…&|160;», etc.

Ce point arrêté, les jeunes femmes laissèrentMme&|160;Cole me parler et m’expliquer les choses. Elle m’appritalors que «&|160;je serais présentée, ce soir même, à quatre de sesmeilleurs amis, l’un desquels, suivant les coutumes de la maison,aurait le privilège de m’engager dans la première partie deplaisir&|160;»&|160;; elle m’assurait, en même temps, que«&|160;c’étaient tous de jeunes gentlemen, agréables de leurpersonne et irréprochables sous tous les rapports&|160;; qu’unisd’amitié et liés ensemble par la communauté des plaisirs, ilsformaient le principal soutien de sa maison et se montraient fortlibéraux envers les filles qui leur plaisaient et lesamusaient&|160;: de sorte qu’à vrai dire, ils étaient lesfondateurs et les patrons de ce petit sérail. Elle avait sansdoute, en certaines occasions, d’autres clients avec lesquels ellemettait moins de formes&|160;; mais avec ceux-là, par exemple, iln’y avait pas moyen de me faire passer pour pucelle&|160;: ilsétaient d’abord trop connaisseurs, trop au fait de la ville pourmordre à un tel hameçon&|160;; puis ils étaient si généreux pourelle qu’elle eût été impardonnable de vouloir lestromper&|160;».

Malgré la joie et l’émotion que cette promessede plaisir, car c’est ainsi que je la prenais, excitait en moi, jerestai assez femme pour affecter un peu de répugnance, de façon àme donner le mérite de céder à la pression de ma patronne. Enoutre, je crus devoir observer que je ferais peut-être bien d’allerchez moi m’habiller, pour produire au début une meilleureimpression.

Mais Mme&|160;Cole, s’y opposant, m’assura«&|160;que les gentlemen auxquels je devais être présentée étaient,par leur éducation et leur goût, fort loin d’être sensibles à cetapparat de toilettes et de parures dont certaines femmes peusensées écrasent leur beauté, croyant la faire ressortir&|160;; queces voluptueux expérimentés les tenaient dans le plus profondmépris, eux pour qui les charmes naturels avaient seuls du prix etqui seraient toujours prêts à planter là une duchesse pâle,mollasse et fardée, pour une paysanne colorée, saine et ferme enchair&|160;; que, pour ma part, la nature avait assez fait en mafaveur pour me dispenser de ne rien demander à l’art&|160;». Enfinelle concluait que, dans la présente occasion, la meilleuretoilette était de n’en pas avoir.

Ma gouvernante me semblait trop bon juge ences matières pour ne pas m’imposer son opinion. Elle me prêchaensuite, en termes très énergiques, la doctrine de l’obéissancepassive et de la complaisance pour tous ces goûts arbitraires deplaisir, que les uns appellent des raffinements et les autres desdépravations&|160;; en décider n’était pas l’affaire d’une simplefille, intéressée à plaire&|160;: elle n’avait qu’à s’yconformer.

Tandis que je m’édifiais à écouter cesexcellentes leçons, on servait le thé, et les jeunes personnesrevinrent nous tenir compagnie.

Après une conversation pleine d’entrain et degaîté, l’une d’elles, observant que l’heure de l’assemblée étaitencore assez éloignée, proposa que chacune de nous fît à lacompagnie l’historique de cette période critique de sa vie où elleétait, pour la première fois, de fille devenue femme.

Mme&|160;Cole approuva l’idée, à conditionqu’on m’en dispensât à cause de ma prétendue virginité et aussiqu’on l’excusât elle-même à cause de son âge. La chose ainsiréglée, on pria Emily de commencer. C’était une fille blonde àl’excès et dont les membres étaient, si c’est possible, trop bienfaits, car leur plénitude charnue préjudiciait plutôt à cettedélicatesse de forme requise par les meilleurs juges de labeauté&|160;; ses yeux étaient bleus, d’une inexprimable douceur,et il n’y avait rien de plus joli que sa bouche et ses lèvres quise fermaient sur des dents parfaitement blanches et égales.«&|160;Ma naissance et mes aventures, dit-elle, ne sont point assezconsidérables pour que vous imputiez à la vanité, de ma part,l’envie de vous faire mon histoire. Mon père et ma mère étaient etsont encore, je crois, fermiers à quarante milles de Londres. Leuraveugle tendresse pour un frère et leur barbarie à mon égard mefirent prendre le parti de déserter la maison à l’âge de quinzeans. Tout mon fonds était de deux guinées, que je tenais de magrand’mère, de quelques schellings, d’une paire de boucles desouliers en argent et d’un dé de même métal. Les hardes que j’avaissur le corps composaient mon équipage. Je rencontrai, cheminfaisant, un jeune blond, vigoureux, sain et rougeaud de carnation,d’environ seize ou dix-sept ans, qui allait aussi chercher fortuneà la ville. Il trottait en sifflant derrière moi, avec un paquet aubout d’un bâton. Nous marchâmes quelque temps à la queue l’un del’autre sans nous rien dire. Enfin nous nous joignîmes et convînmesde faire la route ensemble. Quand la nuit approcha, il fallutsonger à nous mettre à couvert quelque part. L’embarras fut desavoir ce que nous répondrions en cas qu’on vînt nous questionner.Le jeune homme leva la difficulté, en me proposant de passer poursa femme. Ce prudent accord fait, nous nous arrêtâmes à une aubergeborgne où l’on logeait à pied. Mon compagnon de voyage fit apprêterce qui se trouva et nous soupâmes en tête à tête. Mais quand ce futl’heure de nous retirer, nous n’eûmes ni l’un ni l’autre le couragede détromper les gens de la maison, et ce qu’il y avait de comique,c’est que le gars paraissait plus intrigué que moi pour trouver lemoyen de coucher seul.

«&|160;Cependant l’hôtesse, une chandelle à lamain, nous conduisit au bout d’une longue cour, à un appartementséparé du corps de logis. Nous la suivîmes sans souffler mot, etelle nous laissa dans un misérable bouge, où il n’y avait pour toutmeuble qu’un grand vilain grabat et une chaise de bois toutedémantibulée. J’étais alors si innocente que je ne pensais pasfaire plus de mal en couchant avec un garçon qu’avec une de nosservantes, et peut-être n’avait-il pas eu lui-même d’autres idées,jusqu’à ce que l’occasion lui en inspirât de différentes. Quoiqu’il en soit, il éteignit la lumière avant que nous fussionsentièrement déshabillés. Lorsque j’entrai dans le lit, mon acolytey était déjà et la chaleur de son corps me fit d’autant plus deplaisir que la saison commençait à être froide. Mais que l’instinctde la nature est admirable&|160;! Le jeune homme me passant un brassous les reins se serra contre moi, comme si c’eût été seulement àdessein d’avoir plus chaud. Je sentis fermenter, pour la premièrefois, dans mes veines un feu que je n’avais jamais connu.Encouragé, je le pense, par ma docilité, il se hasarda de me donnerun baiser, que je lui rendis innocemment, sans penser que celatirât à conséquence. Bientôt ses doigts agirent et il me fittoucher ce que je ne connaissais point. Je lui demandai, avecsurprise, ce que c’était&|160;: il me dit que je le saurais si jevoulais&|160;; et n’attendant point ma réponse, il montaimmédiatement sur moi. Je me trouvai alors tellement entraînée parun pouvoir dont j’ignorais la cause que je le laissai faire en paixjusqu’à ce qu’il m’arrachât les hauts cris&|160;; mais il n’y avaitplus à reculer, le maquignon était trop bien en selle pour ledésarçonner&|160;; au contraire, les efforts que je fis ne luiservirent que mieux. Le chemin une fois frayé, nous veillâmes leplus agréablement du monde jusqu’au jour. Il serait inutile de vousennuyer par un plus long récit&|160;; c’est assez que vous sachiezque nous vécûmes ensemble tant que la misère nous sépara et me fitembrasser la profession.&|160;»

Suivant l’ordre de la situation, c’était àHarriett à nous faire son histoire. Parmi les beautés de son sexeque j’avais vues avant et depuis elle, il en est bien peu quipuissent se flatter d’égaler les siennes&|160;: elles n’étaient pasdélicates, mais la délicatesse même incarnée, tant avaient desymétrie ses membres petits, mais exactement proportionnés. Sacomplexion, blonde comme elle l’était, paraissait encore plusblonde grâce à deux yeux noirs dont l’éclat donnait à son visageplus de vivacité que n’en comportait sa couleur&|160;; un légercoloris animait ses joues pâles et diminuait insensiblement pour sefondre dans la blancheur générale. Ses traits d’une finesse deminiature achevaient de lui donner un air de douceur que nedémentait pas son caractère, porté à l’indolence, à la langueur etaux plaisirs de l’amour. Pressée de parler, Harriett sourit, rougitet commença en ces termes&|160;:

«&|160;Mon père, qui fut meunier près de laville de York, ayant perdu ma mère peu de temps après ma naissance,confia mon éducation à une de mes tantes, vieille veuve sansenfants et qui était alors gouvernante ou ménagère chez mylord N…,à sa campagne de …, où elle m’éleva avec toute la tendressepossible.

«&|160;Ayant déjà passé de deux années cet âgeque trois lustres accomplissent, plusieurs bons partiss’empressaient de me prouver leur amour, en me procurant desplaisirs frivoles. J’ignorais encore ceux qui tiennent à l’uniondes cœurs, quand la nature et la liberté, d’accord avec lepenchant, les voient éclore. Si le tempérament me laissaméconnaître ses vives impressions jusqu’à ce terme, bientôt il medédommagea avec profusion de ce que j’avais ignoré. Heureuxmoments&|160;!

«&|160;Deux ans se sont écoulés depuis que,endoctrinée par l’amour, je perdis, plus tôt qu’on ne devait s’yattendre, ce joyau si difficile à garder, et voici comment&|160;:j’étais accoutumée, lorsque ma bonne tante faisait sa méridienne,de m’aller récréer en travaillant sous un berceau que côtoyait unepetite rivière, qui rendait ce lieu fort agréable pendant leschaleurs de l’été. Une après-midi que, suivant mon habitude, jem’étais placée sur une couche de roseau, que j’avais fait mettre àce dessein dans le cabinet, la tranquillité de l’air, l’ardeurassoupissante du soleil, et, plus que tout cela peut-être, ledanger qui m’attendait, me livrèrent aux douceurs du sommeil&|160;;un panier sous ma tête me servait d’oreiller&|160;; la jeunesse etle besoin méprisent les commodités du luxe.

Il y avait au plus un quart d’heure que jedormais, quand un bruit assez fort, qui se faisait dans la rivièredont j’ai parlé plus haut, dérangea mon sommeil et m’éveilla ensursaut. Imaginez-vous ma surprise lorsque j’aperçus un beau jeunehomme, nu comme la main, qui se baignait dans l’onde qui coulait àmes pieds. Ce jeune Adonis était, comme je l’ai su depuis, le filsd’un gentleman du voisinage, qui m’était inconnu jusqu’alors.

«&|160;Les premières émotions que me causa lavue de ce jeune homme tout nu furent la crainte et lasurprise&|160;; et je vous assure que je me serais esquivée, si unemodestie fatale n’eût retenu mes pas&|160;; car je ne pouvaisgagner la maison sans être vue du jeune drôle. Je demeurai doncagitée par la crainte et la modestie, quoique la porte du cabinetoù je me trouvais étant fermée, je n’avais nulle insulte àappréhender. La curiosité anima cependant à la fin mesregards&|160;; je me mis à contempler par un trou de la cloisonle&|160;; beau garçon qui s’ébattait dans l’onde. La blancheur desa peau frappa d’abord mes yeux, et parcourant insensiblement toutson corps, je parvins à discerner une certaine place couverte d’unemousse noire et luisante au milieu de laquelle je voyais un objetrond et souple, qui m’était inconnu et se jouait en tous sens aumoindre mouvement de l’eau&|160;; mais malgré ma modestie je ne pusdétourner mes regards. Enfin toutes mes craintes firent place à desdésirs et à des transports, qui semblaient me ravir. Le feu de lanature, qui avait été caché si longtemps, commença à développer songerme&|160;; et je connus pour la première fois que j’étaisfille.

«&|160;Cependant le jeune homme avait changéde position. Il nageait maintenant sur le ventre, fendant l’eau deses jambes et de ses bras, du modelé le plus parfait qui se pûtimaginer&|160;; ses cheveux noirs et flottants se jouaient sur soncou et ses. épaules, dont ils rehaussaient délicieusement lablancheur. Enfin le riche renflement de chair, qui, de la chute desreins, s’étendait en double coupole jusqu’à l’endroit où lescuisses prennent naissance, formait, sous la transparence de l’eauensoleillée, un tableau tout à fait éblouissant.

«&|160;Pendant que je résumais en moi-même lessentiments qui agitaient mon jeune cœur, la vue toujours fixée surl’aimable baigneur, je le vis se plonger au fond de l’eau aussirapidement qu’une pierre. Comme j’avais souvent entendu parler dela crampe et des autres accidents que les nageurs ont à craindre,je m’imaginai qu’une telle cause avait occasionné sa chute. Pleinede cette idée et l’âme remplie de l’amour le plus vif, je volai,sans faire la moindre réflexion sur ma démarche, vers le lieu où jecrus que mon secours pouvait être nécessaire. Mais ne voyant plusnulle trace du jeune homme, je tombai dans une faiblesse qui doitavoir duré longtemps, car je ne revins à moi que par une douleuraiguë qui ranima mes esprits vitaux et ne m’éveilla que pour mevoir, non seulement entre les bras de l’objet de mes craintes, maistellement prise, qu’il avait complètement pénétré au-dedans demoi-même, si bien que je n’eus ni la force de me dégager ni lecourage de crier au secours. Il acheva donc de triompher de mavirginité. Immobile, sans parler, couverte du sang que monséducteur venait de faire couler et prête à m’évanouir de nouveau,par l’idée de ce qui venait de m’arriver, le jeune gentleman voyantl’état pitoyable où il m’avait réduite, se jeta à mes genoux, lesyeux remplis de larmes, en me priant de lui pardonner et en mepromettant de me donner toute la réparation qu’il serait en sonpouvoir de me faire. Il est certain que si mes forces l’avaientpermis dans cet instant, je me serais portée à la vengeance la plussanglante, tant me parut affreuse la manière dont il avaitrécompensé mon ardeur à le sauver&|160;; quoique à la vérité ilignorât ma bonne volonté à cet égard. «&|160;Mais avec quellerapidité l’homme ne passe-t-il point d’un sentiment à unautre&|160;? Je ne pus voir sans émotion mon aimable criminel fixéà mes pieds et mouiller de larmes une main que je lui avaisabandonnée et qu’il couvrait de mille tendres baisers. Il étaittoujours nu, mais ma modestie avait reçu un outrage trop cruel pourredouter désormais la contemplation du plus beau corps qu’on puissevoir, et ma colère s’était tellement apaisée que je crus accélérermon bonheur en lui pardonnant. Cependant je ne pus m’empêcher delui faire des reproches&|160;; mais ils étaient si doux&|160;!J’avais tant de soin de lui épargner l’amertume et mes yeuxexprimaient si bien cette langueur délicieuse de l’amour qu’il neput douter longtemps de son pardon&|160;; cependant il ne voulutjamais se lever que je ne lui eus promis d’oublier sonforfait&|160;; il obtint facilement sa demande et scella son pardond’un baiser qu’il prit sur mes lèvres et que je n’eus pas la forcede lui refuser.

«&|160;Après nous être réconciliés de lasorte, il me conta le mystère de mon désastre. M’ayant trouvée,lorsqu’il ressortait de l’eau, couchée sur le gazon, il crut que jepouvais m’être endormie là, sans quelque dessein prémédité. S’étantdonc approché de moi et restant en suspens de ce qu’il devaitcroire, de cette aventure, il me prit à tout hasard entre ses braspour me porter sur le lit de joncs qui se trouvait dans le cabinet,dont la porte était entr’ouverte. Là, il essaya, selon qu’il me leprotesta, tous les moyens possibles pour me rappeler à moi-même,mais sans le moindre succès. Enfin, enflammé par la vue etl’attouchement de tous mes charmes, il ne put retenir l’ardeur dontil brûlait, et les tentations plus qu’humaines que la solitude etla sécurité ne faisaient qu’accroître l’animant de plus en plus, ilme plaça alors selon son gré et disposa de moi à sa fantaisiejusqu’à ce que, tirée de mon assoupissement par la douleur qu’il mecausait, je vis moi-même le reste de son triomphe. Mon vainqueur,ayant fini son discours et découvrant dans mes yeux les symptômesde la réconciliation la plus sincère, me pressa tendrement contresa poitrine en me donnant les consolations les plus flatteuses etl’espérance des plaisirs les plus sensibles. Pendant ce temps, mesyeux ne manquaient pas d’entrevoir l’instrument du forfait, et sonpossesseur employa tant de précautions tendres, il procéda d’unefaçon si séduisante que, succombant, les feux du désir seranimèrent dans mon cœur&|160;; une seconde fois, je goûtaipleinement les délices de cet instant fortuné. «&|160;Quoique,selon notre accord, je doive ici mettre fin à mon discours, je nepuis cependant m’empêcher d’ajouter que je jouis encore quelquetemps des transports de mon amant, jusqu’à ce que des raisons defamille l’éloignèrent de moi et que je me vis obligée de me jeterdans la vie publique. J’ai donc fini.&|160;»

Louise, la brunette piquante et dont je croisinutile de retracer ici les charmes, se mit alors en devoir desatisfaire la compagnie&|160;:

«&|160;Selon mes louables maximes, dit-elle,je ne vous, révélerai point la noblesse de ma famille, puisque jene dois la vie qu’à l’amour le plus tendre, sans que les liens dumariage eussent jamais joint les auteurs de mes jours. Je fus larare production du premier coup d’essai d’un garçon ébéniste avecla servante de son maître dont les suites furent un ventre entambour et la perte de sa condition. Mon père, quoique fort pauvre,me mit cependant en nourrice chez une campagnarde jusqu’à ce que mamère, qui s’était retirée à Londres, s’y mariât à un pâtissier etme fît venir comme l’enfant d’un premier époux qu’elle disait avoirperdu quelques mois après son mariage. Sur ce pied je fus admisedans la maison et n’eus pas atteint l’âge de six ans que je perdisce père adoptif, qui laissa ma mère dans un état honnête et sansenfant de sa façon. Pour ce qui regarde mon père naturel, il avaitpris le parti de s’embarquer pour les Indes, où il était mort fortpauvre, ne s’étant engagé que comme simple matelot. Je croissaisdonc sous les yeux de ma mère, qui semblait craindre pour moi lefaux pas qu’elle avait fait, tant elle avait soin de m’éloigner detout ce qui pouvait y donner lieu. Mais je crois qu’il est aussiimpossible de changer les passions de son cœur que les traits deson visage.

«&|160;Quant à moi, l’attrait du plaisirdéfendu agissait si fortement sur mes sens qu’il me fut impossiblede ne point suivre les lois de la nature. Je cherchai donc àtromper la vigilante précaution de ma mère. J’avais à peine douzeans que cette partie dont elle s’étudiait tant à me faire ignorerl’usage me fit sentir son impatience. Cette ouverture merveilleuseavait même déjà donné des signes de sa précocité par la pousse d’untendre duvet, qui, si j’ose le dire, avait pris sa croissance sousma main et sous mes yeux. Ces sensations délicates et leschatouillements que je sentais souvent m’avaient fait assezcomprendre que c’était là le centre du vrai bonheur, sentiment quime faisait languir avec impatience après un compagnon de plaisir etqui me faisait fuir toute société où je ne croyais pas rencontrerl’objet de mes vœux, pour m’enfermer dans ma chambre, afin d’ygoûter, du moins en idées, les délices après lesquelles jesoupirais.

«&|160;Mais toutes ces méditations ne,faisaient qu’accroître mon tourment et augmenter le feu qui meconsumait. C’était bien pis encore lorsque, cédant aux irritationsinsupportables qui me tourmentaient, je tentais de les guérir.Quelquefois, dans la furieuse véhémence du désir, je me jetais surle lit et semblais y attendre le soulagement désiré, jusqu’à ceque, convaincue de mon illusion, je me laissais aller auxconsolations misérables de la solitude. Enfin, la cause de mesdésirs, par ses impétueux trémoussements et ses chatouillementsinternes, ne me laissait nuit et jour aucun repos. Je croyaiscependant avoir beaucoup gagné lorsque, me figurant qu’un de mesdoigts ressemblait à mon souhait, je m’en servis avec une agitationdélicieuse entremêlée de douleur, car je me déflorais autant qu’ilétait en mon pouvoir, et j’y allais de si bon cœur que je metrouvais souvent étendue sur mon lit, dans une véritable pâmoisonamoureuse.

«&|160;Mais l’homme, comme je l’avais bienconçu, possédait seul ce qui pouvait me guérir de cettemaladie&|160;; cependant, gardée à vue de la manière que jel’étais, comment tromper la vigilance de ma mère et comment meprocurer, le plaisir de satisfaire ma curiosité et de goûter unevolupté délicieuse et inconnue jusqu’alors à mes sens&|160;?

«&|160;À la fin, un accident singulier meprocura ce que j’avais désiré si longtemps sans fruit. Un jour quenous dînions chez une voisine, avec une dame qui occupait notrepremier, ma mère fut obligée d’aller à Greenwich. La partie étantfaite, je feignis, je ne sais comment, un mal de tête que jen’avais pas&|160;; ce qui fit que ma mère me confia à une vieilleservante de boutique, car nous n’avions aucun homme dans lamaison.

«. Lorsque ma mère fut partie, je dis à laservante que j’allais me reposer sur le lit de la dame qui logeaitchez nous, le mien n’étant pas dressé, et que, n’ayant besoin qued’un peu de repos pour me remettre, je la priais de ne point venirm’interrompre. Lorsque je fus dans la chambre, je me délaçai et mejetai à moitié nue sur le lit. Là je me livrai de nouveau à mesvieilles et insipides coutumes&|160;; la force de mon tempéramentm’excitant, je cherchai partout des secours que je ne pouvaistrouver&|160;; j’aurais mordu mes doigts de rage, de ce qu’ilsreprésentaient si mal la seule chose qui pût me satisfaire, jusqu’àce que, assoupie par mes agitations, je m’endormis légèrement pourjouir d’un rêve qui, sans doute, devait m’avoir fait prendre lespositions les plus séduisantes.

«&|160;À mon réveil, je trouvai avec surprisema main dans celle d’un jeune homme qui se tenait à genoux devantmon lit et qui me demandait pardon de sa hardiesse. Il me dit qu’ilétait le fils de la dame qui occupait la chambre&|160;; qu’il étaitmonté sans avoir été aperçu par la servante, et que, m’ayanttrouvée endormie, sa première résolution avait été de retourner surses pas, mais qu’il avait été retenu par un pouvoirirrésistible.

«&|160;Que vous dirai-je&|160;? Les émotions,la surprise et la crainte furent d’abord chassées par les idées duplaisir que j’attendais de cette aventure. Il me sembla qu’un angeétait descendu du ciel à dessein&|160;; car il était jeune et bientourné, ce qui était plus que je n’en demandais&|160;; l’hommeétait ce que mon cœur désirait de connaître. Je crus ne devoirménager ni mes yeux, ni ma voix, ni aucune avance pour l’encouragerà répondre à mes désirs. Je levai donc la tête, pour lui dire quesa mère ne pouvant revenir que vers la nuit, nous ne devions riencraindre de sa part&|160;; mais je vis bientôt que je n’avais pasbesoin de l’encourager et qu’il n’était pas si novice que je lecroyais, car il me dit que si j’avais connu ses dispositions,j’aurais eu plus à espérer de sa violence qu’à craindre de sonrespect.

«&|160;Voyant que les baisers qu’il imprimaitsur ma main n’étaient pas dédaignés, il se leva, et collant sabouche sur mes lèvres brûlantes, il me remplit d’un feu si vif queje tombai doucement à la renverse et lui avec moi. Les momentsétaient trop précieux pour les perdre en vaines simagrées&|160;;mon jeune garçon procéda d’abord à l’affaire principale, pendantqu’étendue sur mon lit je désirais l’instant de l’attaque, avec uneardeur peu commune à mon âge. Il leva mes jupes et ma chemise.Cependant, mes désirs augmentant à mesure que je voyais lesobstacles s’évanouir, je n’écoutai ni pudeur, ni modestie, etchassant au loin la timide innocence, je ne respirai plus que lesfeux de la jouissance&|160;; une rougeur vive colorait mon visage,mais insensible à la honte, je ne connaissais que l’impatience devoir combler mes désirs.

«&|160;Jusqu’alors je m’étais servie de tousles moyens qui m’avaient paru propres à soulager mestourments&|160;; mais quelle différence de ces attouchements à moninsipide manuélisation&|160;!

«&|160;Enfin, après s’être amusé quelque tempsavec ma petite fente, qui palpitait d’impatience, il déboutonne songilet et son haut-de-chausse, et montre à mes regards avidesl’objet de tous mes soupirs, de tous mes rêves et de tout monamour. Je le parcours des yeux avec délices… mais bientôt jel’accueillis avec ravissement.

«&|160;Rien ne me paraissait préférable à lajouissance que j’allais goûter, de sorte que, craignant que ladouleur n’empêchât le plaisir, je joignis mes secousses à celles demon athlète. À peine poussai-je quelques tendres plaintes.

«&|160;Extasiée, je me livrai à ses transportscorps et âme, puis je restai quelque temps accablée par la fatigueet le plaisir.

«&|160;C’est ainsi que je vis s’accomplir mesplus violents désirs et que je perdis cette babiole dont la gardeest semée de tant d’épines&|160;; un accident heureux et inopiné meprocura cette occasion, car ce jeune gentleman arrivait à l’instantdu collège et venait familièrement dans la chambre de sa mère, dontil connaissait la situation pour y avoir été souvent autrefois,quoique je ne l’eusse jamais vu et que nous ne nous connussions qued’ouï-dire.

«&|160;Les précautions du jeune athlète, cettefois et plusieurs autres, que j’eus le plaisir de le voir,m’épargnèrent le désagrément d’être surprise dans mes fréquentsexercices. Mais la force d’un tempérament que je ne pouvaisréprimer, et qui me rendait les plaisirs de la jouissancepréférables à ceux d’exister, m’ayant souvent trahie par desindiscrétions fatales à ma fortune, je tombai à la fin dans lanécessité d’être le partage du public, ce qui, sans doute, eûtcausé ma perte, si la fortune ne m’eût fait rencontré ce tranquilleet agréable refuge.&|160;»

À peine Louisa avait-elle cessé de parlerqu’on nous avertit que la compagnie était réunie et nousattendait.

Là-dessus, Mme&|160;Cole, me prenant par lamain, avec un sourire d’encouragement, me conduisit en hautprécédée de Louisa qui nous éclairait avec deux bougies, une danschaque main.

Sur le palier du premier étage, nousrencontrâmes un jeune gentleman, extrêmement bien mis et d’unejolie figure&|160;: c’était lui qui devait le premier m’initier auxplaisirs de la maison. Il me salua avec beaucoup de courtoisie et,me prenant par la main, m’introduisit dans le salon, dont leparquet était couvert d’un tapis de Turquie et le mobiliervoluptueusement approprié à toutes les exigences de la luxure laplus raffinée&|160;; de nombreuses lumières l’emplissaient d’uneclarté à peine inférieure, mais peut-être plus favorable au plaisirque celle du grand jour.

À mon entrée dans la salle, j’eus le plaisird’entendre un murmure d’approbation courir dans toute la compagnie,qui se composait maintenant de quatre gentlemen, y compris monparticulier (c’était le terme usité dans la maison pourdésigner le galant temporaire de telle ou telle fille), les troisjeunes femmes, en simple déshabillé, la maîtresse de l’académie etmoi-même. Je fus accueillie et saluée par des baisers tout à laronde&|160;; mais je n’avais pas de peine à sentir, dans la chaleurplus intense de ceux des hommes, la distinction des sexes.

Émue et confuse comme je l’étais à me voirentourée, caressée et courtisée par. tant d’étrangers, je ne pussur-le-champ m’approprier cet air joyeux et de belle humeur quidictait leurs compliments et animait leurs caresses. Ilsm’assurèrent que j’étais parfaitement de leur goût, si ce n’est quej’avais un défaut, facile d’ailleurs à corriger&|160;: ma modestie.Cela pouvait passer pour un attrait de plus, si l’on avait besoinde ce piment&|160;; mais pour eux, c’était une impertinente mixturequi empoisonnait la coupe du plaisir. En conséquence, ilsconsidéraient la pudeur comme leur ennemie mortelle et ne luifaisaient aucun quartier lorsqu’ils la rencontraient. Ce prologuen’était pas indigne des débats qui suivirent.

Au milieu des badinages auxquels se livraitcette joyeuse bande, on servit un élégant souper&|160;; mon galantdu jour s’assit à côté de moi, et les autres couples se placèrentsans ordre ni cérémonie. La bonne chère et les vins généreux ayantbientôt banni toute réserve, la conversation devint aussi librequ’on pouvait le désirer, sans tomber toutefois dans lagrossièreté&|160;: ces professeurs de plaisir étaient trop aviséspour en compromettre l’impression et la laisser évaporer avec desmots, avant d’en venir à l’action. Des baisers toutefois, étaientpris de temps en temps et si un mouchoir autour du cou interposaitsa faible barrière, il n’était pas scrupuleusement respecté&|160;;les mains des hommes se mettaient à l’œuvre avec leur pétulanceordinaire. Enfin, les provocations des, deux côtés en vinrent à cepoint que mon particulier ayant proposé de commencer lesdansesvillageoises, l’assentiment fut immédiat etunanime&|160;: il présumait, ajouta-t-il en riant, que lesinstruments étaient bien au ton. C’était le signal de sepréparer&|160;: sur quoi la complaisante Mme&|160;Cole, quicomprenait la vie, prit sur elle de disparaître&|160;; n’étant plusapte au service personnel et satisfaite d’avoir réglé l’ordre debataille, elle nous laissait le champ libre pour y combattre àdiscrétion.

Aussitôt son départ, on transporta la table dumilieu de la salle sur l’un des côtés et l’on mit à sa place unsopha. Mon particulier, à qui j’en demandai le motif,m’expliqua que, «&|160;cette soirée étant spécialement donnée enmon honneur, les associés se proposaient à la fois de satisfaireleur goût pour les plaisirs variés et, en me rendant témoin deleurs exercices, de me voir dépouiller cet air de réserve et demodestie qui, à leur sens, empoisonnait la gaieté&|160;; bien qu’àl’occasion ils prêchassent le plaisir et vécussent conformément àleurs principes, ils ne voulaient pas se poser systématiquement enmissionnaires&|160;: et il leur suffisait d’entreprendrel’instruction pratique de toutes les jolies femmes qui leurplaisaient assez pour motiver leur genre et qui montraient du goûtpour cette instruction. Mais comme une telle ouverture pouvait êtreviolente, trop choquante pour une jeune novice, les anciensdevaient donner l’exemple, et il espérait que je le suivraisvolontiers, puisque c’était à lui que j’étais dévolue pour lapremière expérience. Toutefois, j’étais parfaitement libre derefuser&|160;: c’était, dans son essence, une partie de plaisir quisupposait l’exclusion de toute violence et de toutecontrainte&|160;».

Ma contenance exprimait sans doute masurprise, et mon silence mon acquiescement. J’étais embarquéedésormais et parfaitement décidée à suivre la compagnie dansn’importe quelle aventure&|160;:

Les premiers qui ouvrirent le balfurent un jeune guidon des gardes à cheval et cette perle desbeautés olivâtres, la voluptueuse Louisa. Notre cavalier la poussasur le sopha, où il la fit tomber à la renverse et s’y étendit avecun air de vigueur qui annonçait une amoureuse impatience. Louisas’était placée le plus avantageusement possible&|160;; sa tête,mollement appuyée sur un oreiller, était fixée vis-à-vis de sonamant et notre présence paraissait être le moindre de ses soucis.Ses jupes et sa chemise levées nous découvrirent les jambes lesmieux tournées qu’on pût voir et nous pouvions contempler à notreaise l’avenue la plus engageante bordée et surmontée d’une agréabletoison qui se séparait sur les côtés. Le galant était débarrassé deses habits de dentelles et nous montrait sa virilité à son maximumde puissance et prête à combattre&|160;; mais, sans nous donner letemps de jouir de cette agréable vue, il se jeta sur son aimableantagoniste, qui le reçut en véritable héroïne. Il est vrai quejamais fille n’eut comme elle une constitution plus heureuse pourl’amour et une vérité plus grande dans l’expression de ce qu’elleressentait. Nous remarquâmes alors le feu du plaisir briller dansses yeux, surtout lorsqu’elle fut aiguillonnée par l’instrumentplénipotentiaire. Enfin, les irritations redoublèrent avec tantd’effervescence qu’elle perdit toute autre connaissance que cellede la jouissance qu’elle éprouvait. Alors elle s’agita avec unefureur si étrange qu’elle remuait avec une violence extraordinaire,entremêlant des soupirs enflammés à la cadence de ses mouvements etaux baisers de tourterelles, aux pénétrantes et inoffensivesmorsures qu’elle échangeait avec son amant, dans une frénésie dedélices. Enfin, ils arrivèrent l’un et l’autre à la périodedélectable. Louisa, tremblante et hors d’haleine, criait par motsentrecoupés&|160;:

&|160;

«&|160;Ah&|160;! monsieur, mon cher monsieur…,je vous… je vous prie… ne m’épar… gnez… ne m’épargnez pas…ah&|160;!… ah&|160;!…»

Ses yeux se fermèrent langoureusement à lasuite de ce monologue et l’ivresse la fit mourir pour renaître plustôt sans doute qu’elle n’aurait voulu.

Lorsqu’il se trouva désarçonné, Louisa seleva, vint à moi, me donna un baiser et me tira près de la table,où l’on me fit boire un verre de vin, accompagné d’un toasthonnêtement facétieux de l’invention de Louisa.

Cependant, le second couple s’apprêtait àentrer en lice&|160;; c’étaient un jeune baronnet et la tendreHarriett. Mon gentil écuyer vint m’en avertir et me conduisit versle lieu de la scène.

Harriett fut donc menée sur la couche vacante.Rougissant lorsqu’elle me vit, elle semblait vouloir se justifierde l’action qu’elle allait commettre et qu’elle ne pouvait éviter…Son amant (car il l’était véritablement) la mit sur le pied dusopha et, passant ses bras autour de son cou, préluda par luidonner des baisers savoureusement appliqués sur ses belles lèvres,jusqu’à ce qu’il la fît tomber doucement sur un coussin disposépour la recevoir, et se coucha sur elle. Mais, comme s’il avait sunotre idée, il ôta son mouchoir et lui découvrit la poitrine. Quelsdélicieux manuels de dévotion amoureuse&|160;! Quel fin etinimitable modelé&|160;! petits, ronds, fermes et d’une éclatanteblancheur, le grain de la peau si doux, si agréable au toucher etleurs tétins, qui les couronnaient, de véritables boutons derose&|160;! Après avoir régalé ses yeux de ce charmant spectacle,régalé ses lèvres de baisers savoureux imprimés sur chacun de cesdélicieux jumeaux, il se mit en devoir de descendre plus bas.

Il leva peu à peu ses jupes et exposa à notrevue la plus belle parade que l’indulgente nature ait accordée ànotre sexe. Toute la compagnie qui, moi seule exceptée, avait eusouvent le spectacle de ces charmes, ne put s’empêcher d’applaudirà la ravissante symétrie de cette partie, de l’aimable Harriett,tant il est vrai que ces beautés admirables, étaient dignes dejouir d’une éternelle nouveauté. Ses jambes étaient sidélicieusement façonnées qu’avec un peu plus ou un peu moins dechair, elles eussent dévié de ce point de perfection qu’on leurvoyait. Et le gentil sillon central était chez cette fille en égalesymétrie de délicatesse et de miniature avec le reste de son corps.Non, la nature ne pouvait rien offrir de plus merveilleusementciselé. Enfin un ombrage épais répandait sur ce point du paysage unair de fini que les mots seraient impuissants à rendre et la penséemême à se figurer.

Son cher amant, qui était resté absorbé par lavue de ces beautés, s’adressa enfin au maître de ces ébats et nousle montra qui par sa taille méritait le titre de héros aux yeuxd’une femme. Il se plaça et nous aperçûmes toutes les gradations duplaisir&|160;; les yeux humides et perlés de la belle Harriett, lefeu de ses joues annoncèrent le bonheur auquel elle était prèsd’atteindre. Elle resta quelque temps immobile, jusqu’à ce que, lesaiguillons du plaisir se dirigeant vers le point central, elle nepût retenir davantage ses transports&|160;; ses mouvements,d’accord avec ceux de son vainqueur, ne faisaient ques’accroître&|160;; les clignotements de leurs yeux, l’ouvertureinvolontaire de leurs bouches et la molle extension de tous lesmembres firent enfin connaître à l’assemblée contemplative l’extasesuprême.

L’aimable couple garda dans le silence cettedernière situation, jusqu’à ce qu’enfin un baiser langoureux donnéet repris marqua le triomphe et la joie du héros qui venait devaincre.

Dès qu’Harriett fut délivrée, je volai verselle et me plaçai à son côté, lui soulevant la tête, ce qu’ellerefusa en reposant son visage sur mon sein, pour cacher la honteque lui donnait la scène passée, jusqu’à ce qu’elle eût repris peuà peu sa hardiesse et qu’elle se fût restaurée par un verre de vin,que mon galant lui présenta pendant que le sien rajustait sesaffaires.

Cependant le partenaire d’Emily l’avaitinvitée à prendre part à la danse&|160;; la toute blonde etaccommodante créature se leva aussitôt. Si une complexion à fairehonte aux lis et aux roses, des traits d’une extrême finesse etcette fleur de santé qui donne tant de charme aux villageoisespouvaient la faire passer pour une beauté, elle l’était assurémentet l’une des plus éclatantes parmi les blondes.

Son galant s’occupa d’abord, tandis qu’elleétait debout, de dégager ses seins et de leur rendre la liberté, cequi n’était pas difficile, car ils n’étaient retenus que par lecorsage. À peine se montrèrent-ils que la salle nous parut éclairéed’une nouvelle lumière, tant leur blancheur avait d’éclat. Leurrondeur était si parfaite, si bien remplie qu’on eût dit de lachair solidifiée en marbre&|160;; ils en avaient le poli et lelustré, mais le marbre le plus blanc n’eût pas égalé les teintesvives et claires de leur peau, nuancée dans sa blancheur de veinesbleuâtres. Comment se défendre de séductions aussipressantes&|160;? Il toucha légèrement ces deux globes, et la peaubrillante et lisse éluda sa main qui glissa sur la surface&|160;;il les comprima, et la chair élastique qui, les remplissait, ainsicreusée de force, rebondit sous sa main, effaçant aussitôt la tracede la pression. Telle était, du reste, la consistance de tout soncorps, dans ces parties principalement où la plénitude de la chairconstitue cette belle fermeté qui est si attrayante au toucher.

Après quelque temps employé à ces caresses, illui releva la jupe et la chemise, qu’il enroula sur la ceinture, desorte qu’ainsi troussée elle était nue de toute part. Son charmantvisage se couvrit alors de rougeur, et ses yeux, baissés vers lesol, semblaient demander grâce quand elle avait, au contraire, tantde raisons de s’enorgueillir de tous les trésors de jeunesse et debeauté qu’elle étalait si victorieusement. Ses jambes étaient bienfaites, et ses cuisses, qu’elle tenait serrées, si blanches, sirondes, si substantielles et si riches en chair, que rien n’étaitplus capable de provoquer l’attouchement. Aussi ne s’en priva-t-ilpoint. Ensuite, écartant doucement sa main, qui dans le premiermouvement d’une modestie naturelle s’était portée là, il nous fitentrevoir ce mignon défilé qui descendait et se perdait entre sescuisses. Mais ce que nous pouvions pleinement contempler, c’étaitau-dessus la luxuriante crépine de boucles d’un brun clair, dont lateinte soyeuse tranchait sur la blancheur des environs et s’entrouvait elle-même rehaussée. Il la conduisit au pied du sopha, etlà, approchant un oreiller, il lui inclina doucement la têtequ’elle y appuya sur ses mains croisées, si bien que, le corps ensaillie, elle présentait une pleine vue d’arrière de sa personnenue jusqu’à la ceinture. Son postérieur charnu, lisse et proéminentformait une double et luxuriante nappe de neige animée quiremplissait glorieusement l’œil et suivant la pente de ses blanchescollines, dans l’étroite vallée qui les séparait, s’arrêtait ets’absorbait dans la cavité inférieure&|160;; celle-ci, quiterminait ce délicieux tableau, s’entr’ouvrait légèrement, grâce àla posture penchée, de sorte que l’agréable vermillon del’intérieur se laissait apercevoir et, rapproché du blanc quiéclatait tout autour, donnait en quelque sorte l’idée d’un œilletrose découpé dans un satin blanc et lustré.

Le galant, qui était un gentleman d’environtrente ans et quelque peu affecté d’un embonpoint qui n’avait riende désagréable, choisit cette situation pour exécuter son projet.Il la plaça donc à son gré, et l’encourageant par des baisers etdes caresses, il choisit une direction convenable, et tenant sesmains autour du corps de la jeune fille, il en jouait avec sesseins enchanteurs. Lorsqu’elle le sentit chez elle, levant la têteet tournant un peu le cou, elle nous fit voir ses belles joues,teintes d’un écarlate foncé, et sa bouche, exprimant le sourire dubonheur, sur laquelle il appliqua un baiser de feu. Se retournantalors, elle s’enfonça de nouveau dans son coussin, et resta dansune situation passive, aussi favorable que son amant pouvait ledésirer. Puis ils se laissèrent aller sur la couche, et ils yrestèrent encore quelque temps, et dans la plus pure extase de lavolupté.

Aussitôt qu’Emily fut libre, nous l’entourâmespour la féliciter sur sa victoire&|160;; car il est à remarquerque, quoique toute modestie fût bannie de notre société, l’on yobservait néanmoins les bonnes manières et la politesse&|160;; iln’était pas permis ni de montrer de la hauteur, ni de faire aucunsreproches désobligeants sur la condescendance des filles pour lescaprices des. hommes, lesquels ignorent souvent le tort qu’ils sefont en ne respectant pas assez les personnes qui cherchent à leurplaire.

La compagnie s’approcha ensuite de moi, et montour étant venu de me soumettre à la discrétion de mon amant et àcelle de l’assemblée, le premier m’aborda et me dit, en me saluantavec tendresse, qu’il espérait que je voudrais bien favoriser sesvœux&|160;; mais que si les exemples que je venais de voirn’avaient pas encore disposé mon cœur en sa faveur, il aimeraitmieux se priver de ma possession que d’être en aucune façonl’instrument de mon chagrin.

Je lui répondis sans hésiter ou sans faire lamoindre grimace que si même je n’avais pas contracté un engagementformel avec lui, l’exemple d’aussi aimables compagnes suffiraitpour me déterminer&|160;; que la seule chose que je craignais étaitle désavantage que j’aurais après la vue des beautés que j’avaisadmirées, et qu’il pouvait compter que je le pensais comme jevenais de le dire.

La franchise de ma réponse plut beaucoup etmon galant reçut les compliments de félicitations de toute lacompagnie.

Mme&|160;Cole n’aurait pu me choisir uncavalier plus estimable que le jeune gentleman qu’elle m’avaitprocuré&|160;; car indépendamment de sa naissance et de ses grandsbiens, il était d’une figure des plus agréables et de la taille lamieux prise&|160;; enfin il était ce que les femmes nomment un fortjoli garçon.

Il me mena vers l’autel où devait se consommernotre mariage de conscience et, comme je n’avais qu’un petitnégligé blanc, je fus bientôt mise en jupon et en chemise qui,d’accord aux, vœux de toute la compagnie, me furent encore ôtés parmon amant&|160;; il défit de même ma coiffure et dénoua mescheveux, que j’avais, sans vanité, fort beaux. Je restai doncdevant mes juges&|160;; dans l’état de pure nature et je dois sansdoute leur avoir offert un spectacle assez agréable, n’ayant alorsqu’environ dix-huit ans. Mes seins, ce qui dans l’état de nuditéest une chose essentielle, n’avaient alors rien de plus qu’unegracieuse plénitude, ils conservaient une fermeté, une indépendancedu corset ou de tout autre support qui incitait à les palper.J’étais d’une taille grande et déliée, sans être dépourvue d’unechair nécessaire. Je n’avais point abandonné tellement la pudeurnaturelle, que je ne souffrisse une horrible confusion de me voirdans cet état&|160;; mais la bande joyeuse m’entoura et, mecomblant de mille politesses et de témoignages d’admiration, ne medonna pas le temps d’y réfléchir beaucoup&|160;; j’étais troporgueilleuse, d’ailleurs, d’avoir été honorée de l’approbation desconnaisseurs.

Après que mon galant eut satisfait sacuriosité et celle de la compagnie, en me plaçant de millemanières, la petitesse du point capital me faisant passer pour unevierge, mes précédentes aventures n’avaient fait là qu’une brècheinsignifiante. Les traces d’une trop grande distension étaient vitedisparues à mon âge et puis la nature m’avait faite étroite. Monantagoniste, animé d’une noble fureur, défit tout à coup seshabits, jeta bas sa chemise et resta nu, exposant au grand jour monennemi. Il était d’une grandeur médiocre, préférable à cette taillegigantesque qui dénote ordinairement une défaillance prématurée.Collé contre mon sein, il fit entrer son idole dans la niche.Alors, fixé sur le pivot je jetai mes bras autour de son cou etnous fîmes trois fois le tour du sopha sans nous quitter. M’y ayantdéposée, il commença à moudre du blé et nous atteignîmes bientôt lapériode délicieuse, mais comme mon feu n’était éteint qu’à demi, jetâchai de recommencer&|160;; mon antagoniste me seconda si bien quenous nous plongeâmes dans une mer de délices. Me rappelant alorsles scènes dont j’avais été spectatrice et celle que jereprésentais moi-même en ce moment, je ne pus retenir mesirritations et je fus prête à le désarçonner par les mouvementsviolents que je me donnai. Après être resté quelque temps dans unelangueur, délectable, jusqu’à ce que la force du plaisir fût un peumodérée, mon amant se dégagea doucement, non sans m’avoir témoignéauparavant sa satisfaction par mille baisers et mille protestationsd’un amour éternel.

La compagnie, qui pendant notre sacrificeavait gardé un profond silence, m’aida à remettre mes habits et mecomplimenta de l’hommage que mes charmes avaient reçu, comme ellele disait, par la double décharge que j’avais subie dans une seuleconjonction. Mon galant me témoigna tout son contentement et lesfilles me félicitèrent d’avoir été initiée dans les tendresmystères de leur société.

C’était une loi inviolable, dans cettesociété, de s’en tenir chacun à la sienne, surtout la nuit, à moinsque ce ne fût du consentement des parties, afin d’éviter le dégoûtque ce changement pouvait causer.

Il était nécessaire de se rafraîchir&|160;; onprit une collation de biscuits et de vin, de thé, dechocolat&|160;; ensuite la compagnie se sépara à une heure aprèsminuit et descendit deux à deux. Mme&|160;Cole avait fait préparerpour mon galant et pour moi un lit de campagne, où nous passâmes lanuit dans des plaisirs répétés de mille manières différentes. Lematin, après que mon cavalier fût parti, je me levai et comme jem’habillais, je trouvai dans une de mes poches une bonne bourse deguinées, que j’étais occupée à compter quand Mme&|160;Cole entra.Je lui fis part de cette aubaine et lui offris de la partager entrenous&|160;; mais elle me pressa de garder le tout, m’assurant quece gentleman l’avait payée fort généreusement. Après quoi elle merappela les scènes de la veille et me fit connaître qu’elle avaittout vu par une cloison, faite exprès, qu’elle me montra.

À peine Mme&|160;Cole eut-elle fini que latroupe folâtre des filles entra et renouvela ses caresses a monégard&|160;; j’observai avec plaisir que les fatigues de la nuitprécédente n’avaient en aucune façon altéré la fraîcheur de leurteint&|160;; ce qui venait, à ce qu’elles me dirent, des soins etdes conseils que notre bonne mère abbesse leur donnait. Ellesdescendirent dans la boutique, tandis que je restai dans ma chambreà me dorloter jusqu’à l’heure du dîner.

Le repas fini, il me prit un léger mal detête, qui me fit résoudre à me mettre quelques moments sur mon lit.M’étant couchée avec mes habits et ayant goûté environ une heureles douceurs du sommeil, mon galant vint, et me voyant seule, latête tournée du côté de la muraille et le derrière hors du lit, ildéfit incontinent ses habits, puis levant mes vêtements, il mit aujour l’arrière-avenue de l’agréable recoin des délices. Ilm’investit ainsi derrière et je sentis sa chaleur naturelle, quim’éveilla en sursaut&|160;; mais ayant vu qui c’était, je voulus metourner vers lui, lorsqu’il me pria de garder la posture que jetenais. Après que j’eus resté quelque temps dans cette position, jecommençai à m’impatienter et à me démener, à quoi mon ami m’aida desi bon cœur que nous finîmes bientôt.

Je fus assez heureuse pour conserver mon amantjusqu’à ce que des intérêts de famille et une riche héritière qu’ilépousa, en Irlande, l’obligèrent à me quitter. Nous avions vécu àpeu près quatre mois ensemble, pendant lesquels notre petitconclave s’était insensiblement séparé. Néanmoins Mme&|160;Coleavait un si grand nombre de bonnes pratiques que cette désertion nenuisit en nulle manière à son négoce. Pour me consoler de monveuvage, Mme&|160;Cole imagina de me faire passer pourvierge&|160;; mais je fus destinée, comme il le semble, à être mapropre pourvoyeuse sur ce point.

J’avais passé un mois dans l’inaction, aiméede mes compagnes et chérie de leurs galants, dont j’éludaistoujours les poursuites (je dois dire ici que ceci ne s’appliquepas au baronnet qui était bientôt parti emmenant Harriett),lorsque, passant un jour, à cinq heures du soir, chez une fruitièredans Covent-Garden, j’eus l’aventure suivante.

Tandis que je choisissais quelques fruits dontj’avais besoin, je remarquai que j’étais suivie par un jeunegentleman habillé très richement, mais qui, au reste, n’avait riende remarquable, étant d’une figure fort exténuée et fort pâle devisage. Après m’avoir contemplée quelque temps, il s’approcha dupanier où j’étais et fit semblant de marchander quelques fruits.Comme j’avais un air modeste et que je gardais le décorum le plushonnête, il ne put soupçonner la condition dont j’étais. Il meparla enfin, ce qui jeta&|160;un rouge apparent de pudeur sur mesjoues, et je répondis si sottement à ses demandes qu’il lui futplus que jamais impossible de juger de la vérité&|160;; ce qui faitbien voir qu’il y a une sorte de prévention dans l’homme, qui,lorsqu’il ne juge que par les premières idées, le mène souventd’erreur en erreur, sans que sa grande sagesse s’en aperçoive.Parmi les questions qu’il me fit, il me demanda si j’étais mariée.Je répondis que j’étais trop jeune pour y penser encore. Quant àmon âge, je jugeai ne devoir me donner que dix-sept ans. Pour cequi regardait ma condition, je lui dis que j’avais été à Preston,dans une boutique de modes, et que présentement j’exerçais le mêmemétier à Londres. Après qu’il eut satisfait avec adresse, comme ille pensait, à sa curiosité et qu’il eut appris mon nom et mademeure, il me chargea des fruits les plus rares qu’il put trouveret partit fort content, sans doute, de cette heureuserencontre.

Dès que je fus arrivée à la maison, je fispart à Mme&|160;Cole de l’aventure que j’avais eue&|160;; d’où elleconclut sagement que s’il ne venait point me trouver il n’y avaitaucun mal&|160;; mais que s’il passait chez elle, il faudraitexaminer si l’oiseau valait bien les filets.

Notre gentleman vint le lendemain matin danssa voiture et fut reçu par Mme&|160;Cole, qui s’aperçut bientôt quej’avais fait une trop vive impression sur ses sens pour craindre dele perdre, car, pour moi, j’affectais de tenir la tête baissée etsemblais redouter sa vue. Après qu’il eut donné son adresse àMme&|160;Cole et payé fort libéralement ce qu’il venait d’acheter,il retourna dans son carrosse.

J’appris bientôt que ce gentleman n’étaitautre chose que Mr. Norbert, d’une fortune considérable, mais d’uneconstitution très faible, et lequel, après avoir épuisé toutes lesdébauches possibles, s’était mis à courir les petites filles.Mme&|160;Cole conclut de ces prémisses qu’un tel caractère étaitune juste proie pour elle&|160;; que ce serait un péché de n’enpoint tirer la quintessence, et qu’une fille comme moi n’était quetrop bonne pour lui.

Elle fut donc chez lui à l’heure indiquée.C’était un hôtel du quartier de la Cour de justice. Après avoiradmiré l’ameublement riche et luxurieux de ses appartements ets’être plainte de l’ingratitude de son métier, elle fit que laconversation tomba insensiblement sur moi. Alors, s’armant detoutes les apparences d’une vertu rigide, louant surtout mescharmes et ma modestie, elle finit par lui donner l’espérance dequelques rendez-vous, qui ne devaient cependant pas, disait-elle,tirer à conséquence.

Comme elle craignait que de trop grandesdifficultés ne le dégoûtassent, ou que quelque accident imprévu nefît éventer notre mèche, elle fit semblant de se laisser gagner parses promesses, ses bonnes manières, mais surtout par la sommeconsidérable que cela lui vaudrait.

Ayant donc mené ce gentleman par lesdifférentes gradations des difficultés nécessaires pour l’enflammerdavantage, elle acquiesça enfin à sa demande, à condition qu’ellene parût entrer pour rien dans l’affaire qu’on tramait contre moi.Mr. Norbert était naturellement assez clairvoyant et connaissaitparfaitement les intrigues de la ville, mais sa passion, quil’aveuglait, nous aida à le tromper. Tout étant au point désiré,Mme&|160;Cole lui demanda trois cents guinées pour ma part et centpour récompenser ses peines et ses scrupules de conscience qu’elleavait dû vaincre avec bien de la répugnance. Cette somme devaitêtre comptée claire et nette à la réception qu’il ferait de mapersonne, qui lui avait paru plus modeste et plus charmante encorependant quelques moments que nous nous vîmes chez notreambassadrice, que lorsque nous parlâmes chez la fruitière, du moinsl’assurait-il. Je dois dire qu’il est singulier combien peu j’avaiseu à forcer mon air de modestie naturelle pour avoir l’air d’unevéritable vierge.

Lorsque tous les articles de notre traitéfurent pleinement conclus et ratifiés et que la somme eût étépayée, il ne resta plus qu’à livrer ma personne à sa disposition.Mais Mme&|160;Cole fit difficulté de me laisser sortir de la maisonet prétendit que la scène se passât chez nous, quoiqu’elle n’auraitpoint voulu, pour tout au monde, comme elle le disait, que ses gensen sussent quelque chose — sa bonne renommée serait perdue pourjamais et sa maison diffamée.

La nuit fixée, avec tout le respect dû àl’impatience de notre héros, Mme&|160;Cole ne négligea ni soins niconseils pour que je me tirasse avec honneur de ce pas, et que maprétendue virginité ne tombât point à faux. La nature m’avait formécette partie si étroite que je pouvais me passer de tous cesremèdes vulgaires, dont l’imposture se découvre si aisément par unbain chaud&|160;; et notre abbesse m’avait encore fourni pour lebesoin un spécifique qu’elle avait toujours trouvé infaillible.

Toutes choses préparées, Mr. Norbert entradans ma chambre à onze heures de la nuit, avec tout le secret ettout le mystère nécessaires. J’étais couchée sur le lit deMme&|160;Cole, dans un déshabillé moderne, et avec toute la crainteque mon rôle devait m’inspirer&|160;; ce qui me remplit d’uneconfusion si grande qu’elle n’aida pas peu à tromper mon galant. Jedis galant, car je crois que le mot dupe est trop cruel enversl’homme dont la faiblesse fait souvent notre gloire.

Aussitôt que Mme&|160;Cole, après lessingeries que cette scène demandait, eut quitté la chambre, quiétait bien éclairée à la réquisition de Mr. Norbert, il vintsautiller vers le lit, où je m’étais cachée sous les draps et où jeme défendis quelque temps avant qu’il pût parvenir à me donner unbaiser, tant il est vrai qu’une fausse vertu est plus capable derésistance qu’une modestie réelle&|160;; mais ce fut pis lorsqu’ilvoulut venir à mes seins&|160;; car j’employai pieds et poings pourle repousser&|160;; si bien que, fatigué du combat, il défit seshabits et se mit à mes côtés.

Au premier coup d’œil que je jetai sur sapersonne, je m’aperçus bientôt qu’il n’était point de la figure nide la vigueur que l’assaut d’un pucelage exige.

Quoiqu’il eût à peine trente ans, il étalaitcependant déjà sa précoce vieillesse et se voyait réduit à desstimulants que la nature secondait très peu. Son corps était usépar les excès répétés du plaisir charnel, excès qui avaient imprimésur son front les marques du temps et qui ne lui laissaient auprintemps de l’âge que le feu et l’imagination de la jeunesse, cequi le rendait malheureux et le précipitait vers une mortprématurée.

Lorsqu’il fut au lit, il jeta bas lescouvertures et je restai exposée à sa vue. Ma chemise lui cachantmon sein et l’antre secret des voluptés, il la déchira du haut enbas, mais en usa du reste avec toute la tendresse et tous leségards possibles, tandis que de mon côté je ne lui montrai que dela crainte et de la retenue, affectant toute l’appréhension et toutl’étonnement qu’on peut supposer à une fille parfaitement innocenteet qui se trouve pour la première fois au lit avec un homme nu.Vingt fois je repoussai ses mains de mes seins qu’il trouva aussipolis et aussi fermes qu’il pouvait le désirer, mais lorsqu’il sejeta sur moi et qu’il voulut me sonder avec son doigt, je meplaignis de sa façon d’agir&|160;:

«&|160;J’étais perdue. — J’avais ignoré ce quej’avais fait. — Je me lèverais, je crierais au secours.&|160;»

Au même moment, je serrai tellement les jambesqu’il lui fut impossible de les séparer. Trouvant ainsi mesavantages et maîtresse de sa passion comme de la mienne, je lemenai par gradations où je voulus. Voyant enfin qu’il ne pouvaitvaincre ma résistance, il commença par m’argumenter, à quoi jerépondis avec un ton de modestie «&|160;que j’avais peur qu’il neme tuât, — que je ne voulais pas cela, que de mes jours je n’avaisété traitée de la sorte, — que je m’étonnais de ce qu’il nerougissait pas pour lui et pour moi&|160;».

C’est ainsi que je l’amusai quelques moments,mais peu à peu je séparai enfin mes jambes. Cependant, comme il sefatiguait vainement pour faire entrer, je donnai un coup de reinset je jetai en même temps un cri, disant qu’il m’avait percéejusqu’au cœur, si bien qu’il se trouva désarçonné par lecontre-coup qu’il avait reçu de ma douleur simulée et avant d’êtreentré. Touché du mal qu’il crut m’avoir fait, il tâcha de me calmerpar de bonnes paroles et me pria d’avoir patience. Étant doncremonté en selle, il recommença ses manœuvres, mais il n’eut pasplus tôt touché l’orifice que mes feintes douleurs eurent denouveau lieu.

«&|160;— Il me blessait, — il me tuait, —j’endevais mourir.&|160;»

Telles étaient mes fréquentes interjections.Mais après plusieurs tentatives réitérées, qui ne l’avançaient enrien, le plaisir gagna tellement, le dessus qu’il fît un derniereffort qui lui donna assez d’entrée pour que je sentisse qu’ilavait connu le bonheur à la porte du paradis et j’eus la cruauté dene pas lui laisser achever en cet endroit, le jetant de nouveaubas, non sans pousser un grand cri, comme si j’étais transportéepar le mal qu’il me causait&|160;! C’est de la sorte que je luiprocurai un plaisir qu’il n’aurait certainement pas goûté sij’avais été réellement vierge. Calmé par cette première détente, ilm’encouragea à soutenir une seconde tentative et tâcha, pour ceteffet, de rassembler toutes ses forces en examinant avec sointoutes les parties de mon corps. Sa satisfaction fut complète, sesbaisers et ses caresses me l’annoncèrent. Sa vigueur ne revintnéanmoins pas sitôt, et je ne le sentis qu’une fois frapper au but,encore si faiblement que quand je l’aurais ouvert de mes doigts, iln’y serait pas entré&|160;; mais il me crut si peu instruite deschoses qu’il n’en eut aucune honte. Je le tins le reste de la nuitsi bien en haleine qu’il était déjà jour lorsqu’il se liquéfia pourla seconde fois à moitié chemin, tandis que je criais toujoursqu’il m’écorchait et que sa vigueur m’était insupportable. Harasséet fatigué, mon champion me donna un baiser, me recommanda le reposet s’endormit profondément. Alors je suivis le conseil de la bonneMme&|160;Cole et donnai aux draps les prétendus signes de mavirginité.

Dans chaque pilier du lit, il y avait un petittiroir, si artificieusement construit qu’il était impossible de lediscerner et qui s’ouvrait par un ressort caché. C’était là que setrouvaient des fioles remplies d’un sang liquide et des éponges,qui fournissaient plus de liquide coloré qu’il n’en fallait poursauver l’honneur d’une fille. J’usai donc avec dextérité de ceremède et je fus assez heureuse pour ne pas être surprise dans monopération, ce qui certainement m’aurait couverte de honte et deconfusion.

Étant à l’aise et hors de tout soupçon de cecôté-là, je tâchai de m’endormir, mais il me fut impossible d’yparvenir. Mon gentleman s’éveilla une demi-heure après, et, nerespectant pas longtemps le sommeil que j’affectais, il voulut mepréparer à l’entière consommation de notre affaire. Je lui répondisen soupirant «&|160;que j’étais certaine qu’il m’avait blessée etfendue, — qu’il était si méchant&|160;!&|160;»

En même temps je me découvris et, lui montrantle champ de bataille, il vit les draps, mon corps et ma chemiseteints de la prétendue marque de virginité ravie&|160;; il en futtransporté à un point que rien ne pouvait égaler sa joie.L’illusion était complète&|160;; il ne put se former d’autre idéeque celle d’avoir triomphé le premier de ma personne. Me baisantdonc avec transport, il me demanda pardon de la douleur qu’ilm’avait causée, me disant que le pire était passé, je n’aurais plusque des voluptés à goûter. Peu à peu je le souffris, ce qui luidonna l’aisance de pénétrer plus avant. De nouvelles contorsionsfurent mises en jeu et je ménageai si bien l’introduction qu’ellene se fit que pouce à pouce. Enfin, par un coup de reins à propos,je le fis entrer jusqu’à la garde, et donnant, comme il le disait,le coup de grâce[17] à mavirginité, je poussai un soupir douloureux, tandis que lui,triomphant comme un coq qui bat de l’aile sur la poule qu’il vientde fouler, poursuivit faiblement sa carrière, et j’affectai d’êtreplongée dans une langoureuse ivresse en me plaignant de ne plusêtre fille.

Vous me demanderez peut-être si je goûtaiquelque plaisir. Je vous assure que ce fut peu ou point, si cen’est dans les derniers moments où j’étais échauffée par unepassion mécanique que m’avait causée ma longue résistance, car aucommencement j’eus de l’aversion pour sa personne et ne consentis àses embrassements que dans la vue du gain qui y était attaché, cequi ne laissait pas de me faire de la peine et de m’humilier, mevoyant obligée à de telles charlataneries qui n’étaient point demon goût.

À la fin, je fis semblant de me calmer un peupar les caresses continuelles qu’il me prodiguait et je luireprochai alors sa cruauté, dans des termes qui flattaient sonorgueil, disant qu’il m’était impossible de souffrir une nouvelleattaque, qu’il m’avait accablée de douleur et déplaisir. Ilm’accorda donc généreusement une suspension d’armes et, comme lamatinée était fort avancée, il demanda. Mme&|160;Cole, à qui il fitconnaître son triomphe et conta les prouesses de la nuit, ajoutantqu’elle en verrait les marques sanglantes sur les draps du lit oùle combat s’était donné.

Vous pouvez aisément vous imaginer lessingeries qu’une femme de la trempe de notre vénérable abbesse miten jeu dans ce moment. Ses exclamations de honte, de regret, decompassion ne finirent point&|160;: elle me félicitait surtout dece que l’affaire se fût passée si heureusement&|160;; et c’est enquoi je m’imagine qu’elle fut bien sincère. Alors elle fit aussicomprendre que, comme ma première peur de me trouver seule avec unhomme était passée, il valait mieux que j’allasse chez notre amipour ne point causer de scandale à sa maison&|160;; mais ce n’étaitréellement que parce. qu’elle craignait que notre train de vieordinaire ne se découvrît aux yeux de Mr. Norbert&|160;; quiacquiesça volontiers. à sa proposition, puisqu’elle lui procuraitplus d’aisance et de liberté sur moi.

Me laissant alors à moi-même pour goûter unrepos dont j’avais besoin, Mr. Norbert sortit de la maison sansêtre aperçu. Après que je me fus éveillée, Mme&|160;Cole vint melouer de ma bonne manière d’agir, et refusa généreusement la partque je lui offris de mes trois cents guinées, qui, jointes à ce quej’avais déjà épargné, ne laissaient pas que de me faire une petitefortune honnête.

J’étais donc de nouveau sur le ton d’une filleentretenue et j’allais ponctuellement voir Mr. Norbert dans sachambre, toutes les fois qu’il me le faisait dire par son laquais,que nous eûmes toujours soin de recevoir à la porte pour qu’il nevît jamais ce qui pouvait se passer dans l’intérieur de lamaison.

Si j’ose juger de ma propre expérience, il n’ya point de filles mieux payées, ni mieux traitées que celles quisont entretenues par des hommes vieux ou par de jeunes énervés quisont le moins en état d’user de l’amour, assurés qu’une femme doitêtre satisfaite d’un côté ou de l’autre&|160;; ils ont mille petitssoins et n’épargnent ni caresses, ni présents pour remédier autantqu’il est possible au point capital. Mais le malheur de ces bonnesgens est qu’après avoir essayé les raffinements, les tracasseries,pour se mettre en train, sans pouvoir accomplir l’affaire, ils onttellement échauffé l’objet de leur passion qu’il se voit obligé dechercher dans des bras plus vigoureux un remède satisfaisant au feuqu’ils ont allumé dans ses veines et de planter sur ces chefs usésun ornement dont ils sont fort peu curieux&|160;; car, quoi quel’on en dise, nous avons en nous une passion contrariante, qui nenous permet pas de nous contenter de paroles et de prendre lavolonté pour le fait.

Mr. Norbert se trouvait dans ce casmalheureux&|160;; car quoiqu’il cherchât tous les moyens deréussir, il ne pouvait cependant parvenir à son but, sans avoirépuisé toutes les préparations nécessaires, qui m’étaient aussidésagréables qu’inflammatoires. Quelquefois il me plaçait sur untapis, près du feu, où il me contemplait des heures entières et mefaisait tenir toutes les postures imaginables. D’autres fois mêmeses attouchements étaient si particulièrement lascifs qu’ils meremplissaient souvent d’une rage, qu’il ne pouvait jamais calmer,car même quand sa pauvre machine avait atteint une certaineérection, elle s’anéantissait d’abord par lente distillation, ouune effusion prématurée qui ne faisaient qu’accroître montourment.

Un soir (je ne puis m’empêcher de le rappelerà ma mémoire), un soir que je retournais de chez lui, remplie dudésir de la chair, je rencontrai, en tournant la rue, un jeunematelot. J’étais mise de manière à ne point être accrochée par desgens de la sorte&|160;; il me parla néanmoins et me jetant les brasautour du cou, il me baisa avec transport. Je fus fâchée aucommencement de sa façon d’agir&|160;; mais l’ayant regardé etvoyant qu’il était d’une figure qui promettait quelque vigueur,d’ailleurs bien fait et fort proprement mis, je finis par luidemander avec douceur ce qu’il voulait. Il me répondit franchementqu’il voulait me régaler d’un verre de vin. Il est certain que sij’avais été dans une situation plus tranquille, je l’aurais refuséavec hauteur&|160;; mais la chair parlait, et la curiositéd’éprouver sa force et de me voir traitée comme une coureuse de rueme fit résoudre à le suivre. Il me prit donc sous le bras et meconduisit familièrement dans la première taverneoù l’onnous donna une petite chambre avec un bon feu. Là, sans attendrequ’on nous eût apporté le vin, il défit mon mouchoir et mit à l’airmes seins qu’il baisa et mania avec ardeur&|160;; puis, ne trouvantque les trois vieilles chaises, qui ne pouvaient supporter leschocs du combat, il me planta contre le mur et, levant mes jupes,agit avec toute l’impétuosité qu’un long jeûne de mer pouvait luifournir. Puis changeant d’attitude et me courbant sur la table, ilallait passer à côte de la bonne porte et frappait désespérément àla mauvaise, je me récrie&|160;:

«&|160;Peuh&|160;! dit-il, ma chère, tout portest bon dans la tempête.&|160;»

Cependant il changea de direction et pritcelle qu’il fallait avec un entrain et un feu que, dans la belledisposition où je me trouvais, j’appréciai au point de prendrel’avance sur lui.

Après que tout se fut passé et que je fusdevenue un peu plus calme, je commençai à craindre les suitesfunestes que cette connaissance pouvait me coûter, et je tâchai enconséquence de me retirer le plus tôt possible. Mais mon inconnun’en jugea pas ainsi&|160;; il me proposa d’un air si déterminé desouper avec lui, que je ne sus comment me tirer de ses mains. Jefis pourtant bonne contenance et promis de revenir dès que j’auraisfait une commission pressante chez moi. Le bon matelot, qui meprenait pour une fille publique, me crut sur ma parole etm’attendit sans doute au souper qu’il avait commandé pour nousdeux.

Lorsque j’eus conté mon aventure àMme&|160;Cole, elle me gronda de mon indiscrétion et me remontra lesouvenir douloureux qu’elle pourrait me valoir, me conseillant dene pas ouvrir ainsi les cuisses au premier venu. Je goûtai fort samorale et fus même inquiète pendant quelques jours sur ma santé.Heureusement mes craintes se trouvèrent mal fondées&|160;; jesuspectais à tort mon joli matelot&|160;: c’est pourquoi je suisheureuse de lui faire ici réparation.

J’avais vécu quatre mois avec Mr. Norbert,passant mes jours dans des plaisirs variés chez Mme&|160;Cole etdans des soins assidus pour mon entreteneur, qui me payaitgrassement les complaisances que j’avais pour lui et qui fut sisatisfait de moi qu’il ne voulut jamais chercher d’autre amusement.J’avais su lui inspirer une telle économie dans ses plaisirs etmodérer ses passions, de façon qu’il commençait à devenir plusdélicat dans la jouissance et à reprendre une vigueur et une santéqu’il semblait avoir perdues pour jamais&|160;; ce qui lui avaitrempli le cœur d’une si vive reconnaissance, qu’il était près defaire ma fortune, lorsque le sort écarta le bonheur quim’attendait.

La sœur de Mr. Norbert, Lady…, pour laquelleil avait une grande affection, le pria de l’accompagner à Bath, oùelle comptait passer quelque temps pour sa santé. Il ne put refusercette faveur et prit congé de moi, le cœur fort gros de me quitter,en me donnant une bourse considérable, quoiqu’il crût ne rester quehuit jours hors de ville. Mais il me quitta pour jamais et fit unvoyage dont personne ne revient. Ayant fait une débauche de vinavec quelques-uns de ses amis, il but si copieusement qu’il enmourut au bout de quatre jours. J’éprouvai donc de nouveau lesrévolutions qui sont attachées à la condition de femme de plaisiret je retournai en quelque manière dans le sein de la communauté deMme&|160;Cole.

Je restai vacante quelque temps et mecontentai d’être la confidente de ma chère Harriett, qui venaitsouvent me voir et me contait le bonheur suivi qu’elle goûtait avecson baronnet, qui l’aimait tendrement, lorsqu’un jour Mme&|160;Coleme dit qu’elle attendait dans peu, en ville, un de ses clients,nommé Mr. Barville, et qu’elle craignait ne pouvoir lui procurerune compagne convenable, parce que ce gentleman avait contracté ungoût fort bizarre, qui consistait à se faire fouetter et à fouetterles autres jusqu’au sang&|160;; ce qui faisait qu’il y avait trèspeu de filles qui voulussent soumettre leur postérieur à sesfantaisies et acheter, aux dépens de leur peau, les présentsconsidérables qu’il faisait. Mais le plus étrange de l’affaire,c’est que le gentleman était jeune&|160;; car passe encore pour cesvieux pécheurs, qui ne peuvent se mettre en train que par les durestitillations que le manège, excite.

Quoique je n’eusse en aucune façon besoin degagner à tel prix de quoi subsister et que ce procédé me parûtaussi déplacé que déplorable dans ce jeune homme, je consentis etproposai même de me soumettre à l’expérience, soit par caprice,soit par une vaine ostentation de courage. Mme&|160;Cole, surprisede ma résolution, accepta avec plaisir une proposition qui ladélivrait de la peine de chercher ailleurs.

Le jour fixé, Mr. Barville vint, et je lui fusprésentée par Mme&|160;Cole, dans un simple déshabillé convenable àla scène que j’allais jouer&|160;: tout en linge fin et d’uneblancheur éblouissante, robe, jupon, bas et pantoufles de satin,comme une victime qu’on mène au sacrifice. Ma chevelure, d’un blondcendré tirant au châtain, tombait en boucles flottantes sur mon couet contrastait agréablement par sa couleur avec celle du reste dela toilette.

Dès que Mr. Barville m’eut vue, il me saluaavec respect et étonnement, et demanda à mon interlocutrice si unecréature aussi belle et aussi délicate que moi voudrait bien sesoumettre aux rigueurs et aux souffrances qu’il était, accoutuméd’exercer. Elle lui répondit ce qu’il fallait, et lisant dans sesyeux qu’elle ne pouvait se retirer assez tôt, elle sortit, aprèslui avoir recommandé d’en user modérément avec une jeunenovice.

Tandis que Mr. Barville m’examinait, jeparcourus avec curiosité la figure d’un homme qui, au printemps del’âge, s’amusait d’un exercice qu’on ne connaît que dans lesécoles.

C’était un garçon joufflu et frais,excessivement blond, taille courte et replète, avec un aird’austérité. Il avait vingt-trois ans, quoiqu’on ne lui en eûtdonné que vingt, à cause de la blancheur de sa peau et del’incarnat de son teint qui, joints à sa rondeur, l’auraient faitprendre pour un Bacchus, si un air d’austérité ou de rudesse ne sefût opposé à la parfaite ressemblance. Son habillement étaitpropre, mais fort au-dessous de sa fortune&|160;; ce qui venaitplutôt d’un goût bizarre que d’une sordide avarice.

Dès que Mme&|160;Cole fut sortie, il se plaçaprès de moi et son visage commença à se dérider. J’appris par lasuite, lorsque je connus mieux son caractère, qu’il était réduit,par sa constitution naturelle, à ne pouvoir goûter les plaisirs del’amour avant que de s’être préparé par des moyens extraordinaireset douloureux.

Après m’avoir disposée à la constance par desapologies et des promesses, il se leva et se mit près du feu,tandis que j’allais prendre dans une armoire voisine lesinstruments de discipline, composés de petites verges de bouleauliées ensemble, qu’il mania avec autant de plaisir qu’elles mecausaient de terreur.

Il approcha alors un banc destiné pour lacérémonie, ôta ses habits, et me pria de déboutonner sa culotte etde rouler sa chemise par-dessus ses hanches&|160;; ce que je fis enjetant un regard sur l’instrument pour lequel cette préparation sefaisait. Je vis le pauvre diable qui s’était, pour ainsi dire,retiré dans son ermitage, montrant à peine le bout de sa tête, telque vous aurez vu au printemps un roitelet qui élève le bec hors del’herbe.

Il s’arrêta ici pour défaire ses jarretières,qu’il me donna, afin que je le liasse par ses jambes sur lebanc&|160;; circonstance qui n’était nécessaire, comme je lesuppose, que pour augmenter la farce qu’il s’était prescrite. Je leplaçai alors sur son ventre, le long du banc avec un oreiller souslui, je lui liai pieds et poings et j’abattis sa culotte jusque surses talons&|160;; ce qui exposa à ma vue deux fesses dodues et fortblanches qui se terminaient insensiblement vers les hanches.

Prenant alors les verges, je me mis à côté demon patient et lui donnai, suivant ses ordres, dix coups appliquésde toute la force que mon bras put fournir&|160;; ce qui ne fit pasplus d’effet sur lui que la piqûre d’une mouche n’en fait sur lesécailles d’une écrevisse. Je vis avec étonnement sa dureté, car lesverges avaient déchiré sa peau, dont le sang était prêt à couler,et je retirai plusieurs esquilles de bois sans qu’il se plaignît dumal qu’il devait souffrir.

Je fus tellement émue à cet aspect pitoyableque je me repentais déjà de mon entreprise et que je me seraisvolontiers dispensée de faire le reste&|160;; mais il me pria decontinuer mon office, ce que je fis jusqu’à ce que, le voyant sedémener contre le coussin, d’une manière qui ne dénotait aucunedouleur, curieuse de savoir ce qui en était, je glissai doucementla main sous le jeune homme, et je trouvai les choses bien changéesà mon grand étonnement&|160;; ce que je croyais impalpable avaitpris une consistance surprenante et des dimensions démesurées quantà la grosseur, car pour la taille, elle était fort courte. Mais ilme pria de continuer vivement ma correction, si je voulais qu’ilatteignît le dernier stage du plaisir.

Reprenant donc les verges, je commençai d’enjouer de plus belle, quand après quelques violentes émotions etdeux ou trois soupirs, je vis qu’il restait sans mouvement. Il mepria alors de le délier, ce que je fis au plus vite, surprise de laforce passive dont il venait de jouir et de la manière cruelle dontil se la procurait&|160;; car lorsqu’il se leva, à peine pouvait-ilmarcher, tant j’y avais été de bon cœur.

J’aperçus alors sur le banc les traces de sonplaisir et je vis que son paresseux s’était déjà de nouveau caché,comme s’il avait été honteux de montrer sa tête, ne voulant céderqu’à la fustigation de ses voisines postérieures, qui ainsisouffraient seules de son caprice.

Mon gentleman ayant repris ses habits se plaçadoucement près de moi, en tenant hors du coussin une de ses fessestrop meurtrie pour qu’il pût s’y appuyer même légèrement.

Il me remercia alors de l’extrême plaisir queje venais de lui donner, et voyant quelques marques de terreur surmon visage, il me dit que si je craignais de me soumettre à sadiscipline, il se passerait de cette satisfaction&|160;; mais quesi j’étais assez complaisante pour cela, il ne manquerait pas deconsidérer la différence du sexe et la délicatesse de ma peau.Encouragée ou plutôt piquée d’honneur de tenir la promesse quej’avais faite à Mme&|160;Cole, qui, comme je ne l’ignorais point,voyait tout par le trou pratiqué pour cet effet, je ne pus medéfendre de subir la fustigation.

J’acceptai donc sa demande avec un courage quipartait de mon imagination plutôt que de mon cœur&|160;; je lepriai même de ne point tarder, craignant que la réflexion ne me fîtchanger d’idée.

Il n’eut qu’à défaire mes jupes et lever machemise, ce qu’il fit&|160;; lorsqu’il me vit à nu, il me contemplaavec ravissement, puis me coucha sur la banquette, posa ma tête surle coussin. J’attendais qu’il me liât, et j’étendais même déjà entremblant les mains pour cet effet&|160;; il me dit qu’il nevoulait pas pousser ma constance jusqu’à ce point, mais me laisserlibre de me lever quand le jeu me déplairait.

Toutes mes parties postérieures étaientmaintenant à sa merci&|160;; il se plaça au commencement à unepetite distance de ma personne et se délecta à parcourir des yeuxles secrètes richesses que je lui avais abandonnées&|160;; puis,s’élançant vers moi, il les couvrit de mille tendres baisers&|160;;prenant alors les verges, il commença à badiner légèrement sur cesmasses de chair frissonnante, mais bientôt il me fustigea sidurement que le sang perla en plus d’un endroit. À cette vue, seprécipitant sur moi, il baisa les plaies saignantes, en les suçant,ce qui soulagea un peu ma douleur. Il me fit poser ensuite sur mesgenoux, de façon à montrer cette tendre partie, région du plaisiret de la souffrance, sur laquelle il dirigea ses coups, qui mefaisaient faire mille contorsions variées, dont la vue leravissait.

Toutefois je supportai tout sans crier et nedonnai aucune marque de mécontentement, bien résolue néanmoins à neplus m’exposer à des caprices aussi étranges.

Vous pouvez bien penser dans quel pitoyableétat mes pauvres coussins de chair furent réduits&|160;: écorchés,meurtris et sanglants, sans d’ailleurs que je sentisse la moindreidée de plaisir, quoique l’auteur de mes peines me fît millecompliments et mille caresses.

Dès que j’eus repris mes habits, Mme&|160;Coleapporta elle-même un souper qui aurait satisfait la sensualité d’uncardinal, sans compter les vins généreux qui l’accompagnèrent.Après nous avoir servi, notre discrète abbesse sortit sans dire unmot ni sans avoir souri, précaution nécessaire pour ne point meremplir d’une confusion qui aurait nui à la bonne chère.

Je me mis à côté de mon boucher, car il me futimpossible de regarder d’un autre œil un homme qui venait de metraiter si rudement, et mangeai quelque temps en silence, fortpiquée des sourires qu’il me lançait de temps en temps.

Mais à peine le souper fut-il fini que je mesentis possédée d’une si terrible démangeaison et de titillationssi fortes qu’il me fut pour ainsi dire impossible de mecontenir&|160;; la douleur des coups de verges s’était changée enun feu qui me dévorait et qui me remuait et me tortillait sur machaise, sans pouvoir, dissiper l’ardeur de l’endroit où s’étaientconcentrés, je crois, tous les esprits vitaux de mon corps.

Mr. Barville, qui lisait dans mes yeux lacrise où j’étais et qui, par expérience, en connaissait la cause,eut pitié de moi. Il tira la table, essaya de ranimer ses espritset de les provoquer, mais ils ne voulurent pas céder à sesinstances&|160;: sa machine était comme ces toupies qui ne tiennentdebout qu’à coups de fouet. Il fallut donc en venir aux verges,dont j’usai de bon cœur et dont je vis bientôt les effets. Il sehâta de m’en donner les bénéfices.

Mes pauvres fesses ne pouvant souffrir ladureté du banc sur lequel Mr. Barville me clouait, je dus me leverpour me placer la tête sur une chaise&|160;; cette posture nouvellefut encore infructueuse, car je ne pouvais supporter de contactavec la partie meurtrie. Que faire alors&|160;? Nous haletions tousdeux, tous deux nous étions en furie, mais le plaisir estinventif&|160;: il me prit tout d’un coup, me mit nue, plaça uncoussin près du feu et, me tournant sens dessus dessous, ilentrelaça mes jambes autour de son cou, si bien que je ne touchaisà terre que par la tête et les mains. Quoique cette posture ne fûtpoint du tout agréable, notre imagination était si échauffée et ily allait de si bon cœur qu’il me fit oublier ma douleur et maposition forcée. Je fus ainsi délivrée de ces insupportablesaiguillons qui m’avaient presque rendue folle, et la fermentationde mes sens se calma instantanément.

J’avais donc achevé cette scène plusagréablement que je n’avais osé l’espérer et je fus surtout fortcontente des louanges que Mr. Barville donna à ma constance et duprésent magnifique qu’il me fit, sans compter la généreuserécompense que Mme&|160;Cole en obtint.

Je ne fus cependant pas tentée de recommenceraussitôt ces expédients pour surexciter la nature&|160;; leuraction, je le conçois, se rapproche de celle des mouchescantharides&|160;; mais j’avais plutôt besoin d’une bride pourretenir mon tempérament que d’un éperon pour lui donner plus defeu.

Mme&|160;Cole, à qui cette aventure m’avaitrendue plus chère que jamais, redoubla d’attention à mon égard etse fit un plaisir de me procurer bientôt une bonne pratique.

C’était un gentleman d’un certain âge, fortgrave et très solennel, dont le plaisir consistait à peigner debelles tresses de cheveux. Comme j’avais une tête bien garnie de cecôté-là, il venait régulièrement tous les matins à ma toilette,pour satisfaire son goût. Il passait souvent plus d’une heure à cetexercice, sans se permettre jamais d’autres droits sur ma personne.Il avait encore une autre manie&|160;: c’était de me faire cadeaud’une douzaine de paire de gants de chevreau blanc, à lafois&|160;; il s’amusait à les tirer de mes mains et à en mordreles bouts des doigts. Cela dura jusqu’à ce qu’un rhume, le forçantà garder la chambre, m’enleva cet insipide baguenaudier, et jen’entendis plus parler de lui.

Je vécus depuis dans la retraite, et j’avaistoujours si bien su me tirer d’affaire que ma santé ni mon teintn’avaient encore souffert aucune altération. Louisa et Emily n’enusaient pas si modérément&|160;; et quoiqu’elles fussent loin de sedonner pour rien, elles poussaient néanmoins souvent la débauche àun excès qui prouve que quand une fille s’est une fois écartée dela modestie, il n’y a point de licence où elle ne se plonge alorsvolontairement. Je crois devoir rapporter ici deux aventurespleines de singularité, et je commencerai par l’une dont Emily futl’héroïne.

Louisa et elle étaient allées un soir au bal,la première en costume de bergère, Emily en berger&|160;; je lesvis ainsi costumées avant leur départ, et l’on ne pouvait imaginerun plus joli garçon qu’Emily, blonde et bien faite comme elleétait.

Elles étaient restées ensemble quelque temps,lorsque Louisa, rencontrant une vieille connaissance, donna trèscordialement congé à sa compagne, en la laissant sous la protectionde son habit de garçon, ce qui n’était guère, et de sa proprediscrétion, ce qui était ce semble encore moins. Emily, se trouvantseule, erra quelques minutes sans idée précise, puis, pour sedonner de l’air et de la fraîcheur, ou pour tout autre motif, elledétacha son masque et alla au buffet. Elle y fut remarquée par ungentleman, en très élégant domino, qui l’accosta et se mit à causeravec elle. Le domino, après une courte conversation où Emily fitmontre de bonne humeur et de facilité plus que d’esprit, parut toutenflammé pour elle&|160;; il la tira peu à peu vers des banquettesà l’extrémité de la salle, la fit asseoir près de lui, et là il luiserra les mains, lui pinça les joues, lui fit compliment et s’amusade sa belle chevelure, admira sa complexion&|160;: le tout avec uncertain air d’étrangeté que la pauvre Emily, n’en comprenant pas lemystère, attribuait au plaisir que lui causait son déguisement.Comme elle n’était pas des plus cruelles de sa profession, elle semontra bientôt disposée à parlementer sur l’essentiel&|160;; maisc’est ici que le jeu devint piquant&|160;: il la prenait en réalitépour ce qu’elle paraissait être, un garçon quelque peu efféminé.Elle, de son côté, oubliant son costume et fort loin de deviner lesidées du galant, s’imaginait que tous ces hommages s’adressaient àelle en sa qualité de femme&|160;; tandis qu’elle les devaitprécisément à ce qu’il ne la croyait pas telle. Enfin, cette doubleerreur fut poussée à un tel point qu’Emily, ne voyant en lui autrechose qu’un gentleman de distinction, d’après les parties de soncostume que le déguisement ne couvrait pas, échauffée aussi par levin qu’il lui avait fait boire et par les caresses qu’il lui avaitprodiguées, se laissa persuader d’aller au bain avec lui&|160;; etainsi, oubliant les recommandations de Mme&|160;Cole, elle se remitentre ses mains avec une aveugle confiance, décidée à le suivren’importe où. Pour lui, également aveuglé par ses désirs et mieuxtrompé par l’excessive, simplicité d’Emily qu’il ne l’eût été parles ruses les plus adroites, il supposait sans doute qu’il avaitfait la conquête d’un petit innocent comme il le lui fallait, oubien de quelque mignon entretenu, rompu au métier, qui lecomprenait parfaitement bien et entrait dans ses vues. Quoi qu’ilen soit, il la mit dans une voiture, y monta avec elle et la menadans un très joli appartement, où il y avait un lit&|160;; mais quece fût une maison de bains ou non, elle ne pouvait le dire, n’ayantparlé à personne qu’à lui-même. Lorsqu’ils furent seuls et que sonamoureux en vint à ces extrémités qui ont pour effet immédiat dedécouvrir le sexe, elle remarqua ce qu’aucune description nepourrait peindre au vif, le mélange de pique, de confusion et dedésappointement dans sa contenance, accompagné de cette douloureuseexclamation&|160;: «&|160;Ciel&|160;! une femme&|160;!&|160;» Iln’en fallut pas plus pour lui ouvrir les yeux, si stupidementfermés jusque-là. Cependant, comme s’il voulait revenir sur sonpremier mouvement, il continua à badiner avec elle et à lacaresser&|160;; mais la différence était si grande, son extrêmechaleur avait si bien fait place à une civilité froide et forcéequ’Emily elle-même dut s’en apercevoir. Elle commençait maintenantà regretter son oubli des prescriptions de Mme&|160;Cole de nejamais se livrer à un étranger&|160;; un excès de timiditésuccédait à un excès de confiance et elle se croyait tellement à samerci et à sa discrétion qu’elle resta passive tout le temps de sonprélude. Car à présent, soit que l’impression d’une si grandebeauté lui fit pardonner son sexe, soit que le costume où elleétait entretînt encore sa première illusion, il reprit par degrésune bonne part de sa chaleur&|160;; s’emparant des chaussesd’Emily, qui n’étaient pas encore déboutonnées, il les lui abaissajusqu’aux genoux, et la faisant doucement courber, le visage contrele bord du lit, il la plaça de telle sorte que la double voie entreles deux collines postérieures lui offrait l’embarras du choix, ils’engageait même dans la mauvaise direction pour faire craindre àla jeune fille de perdre un pucelage auquel elle n’avait pas songé.Cependant, ses plaintes et une résistance douce, mais ferme,l’arrêtèrent et le ramenèrent au sentiment de la réalité&|160;: ilfit baisser la tête à son coursier et le lança enfin dans la bonneroute, où, tout en laissant son imagination tirer parti, sansdoute, des ressemblances qui flattaient son goût, il arriva, nonsans grand vacarme, au terme de son voyage. La chose faite, il lareconduisit lui-même, et après avoir marché avec elle l’espace dedeux ou trois rues, il la mit dans une chaise&|160;; puis, luifaisant un cadeau nullement inférieur à ce qu’elle avait puespérer, il la laissa, bien recommandée aux porteurs, qui, sur sesindications, la ramenèrent chez elle.

Dès le matin, elle raconta son aventure àMme&|160;Cole et à moi, non sans montrer quelques restes, encoreempreints dans sa contenance, de la crainte et de la confusionqu’elle avait ressenties. Mme&|160;Cole fit remarquer que cetteindiscrétion procédant d’une facilité constitutionnelle, il y avaitpeu d’espoir qu’elle s’en guérît, si ce n’est par des épreuvessévères et répétées. Quant à moi, j’étais en peine de concevoircomment un homme pouvait se livrer à un goût non seulementuniversellement odieux, mais absurde et impossible à satisfaire,puisque, suivant les notions et l’expérience que j’avais deschoses, il n’était pas dans la nature de concilier de si énormesdisproportions. Mme&|160;Cole se contenta de sourire de monignorance et ne dit rien pour me détromper&|160;: il me fallut pourcela une, démonstration oculaire qu’un très singulier accident mefournit quelques mois après. Je vais en parler ici, afin de ne plusrevenir sur un si désagréable sujet.

Projetant de rendre une visite à Harriett, quiétait allée demeurer à Hampton-Court, j’avais loué un cabriolet, etMme&|160;Cole avait promis de m’accompagner&|160;; mais une affaireurgente l’ayant retenue, je fus obligée de partir seule. J’étais àpeine au tiers de ma route que l’essieu se rompit et je fus biencontente de me réfugier, saine et sauve, dans une auberge d’assezbelle apparence, sur la route. Là, on me dit que la diligencepasserait dans une couple d’heures&|160;; sur quoi, décidée àl’attendre plutôt que de perdre la course que j’avais déjà faite,je me fis conduire dans une chambre très propre et très convenable,au premier étage, dont je pris possession pour le temps que j’avaisà rester, avec toute facilité de me faire servir, soit dit pourrendre justice à la maison.

Une fois là, comme je m’amusais à regarder parla fenêtre, un tilbury s’arrêta devant la porte et j’en visdescendre deux jeunes gentlemen, à ce qu’il me parut, qui entrèrentsous couleur de se restaurer et de se rafraîchir un peu, car ilsrecommandèrent de tenir leur cheval tout prêt pour leur départ.Bientôt, j’entendis ouvrir la porte de la chambre voisine où ilsfurent introduits et promptement servis&|160;; aussitôt après,j’entendis qu’ils fermaient la porte et la verrouillaient àl’intérieur.

Un esprit de curiosité, fort loin de me venirà l’improviste, car je ne sais s’il me fit jamais défaut, mepoussa, sans que j’eusse aucun soupçon ni aucune espèce de but oudessein particulier, à voir ce qu’ils étaient et à examiner leurspersonnes et leur conduite. Nos chambres étaient séparées par unede ces cloisons mobiles qui s’enlèvent à l’occasion pour, de deuxpièces, n’en faire qu’une seule et accommoder ainsi une nombreusesociété&|160;; et, si attentives que fussent mes recherches, je netrouvais pas l’ombre d’un trou par où je puisse regarder,circonstance qui n’avait sans doute pas échappé à mes voisins, caril leur importait fort d’être en sûreté. À la fin, pourtant, jedécouvris une bande de papier de même couleur que la boiserie etque je soupçonnais devoir cacher quelque fissure&|160;; mais alorselle était si haut que je fus obligée, pour y atteindre, de montersur une chaise, ce que je fis aussi doucement que possible. Avec lapointe d’une épingle de tête je perçai le papier d’un trousuffisant pour bien voir&|160;; alors, y collant un œil,j’embrassai parfaitement toute la chambre et pus voir mes deuxjeunes gens qui folâtraient et se poussaient l’un l’autre en desébats joyeux et, je le croyais, entièrement innocents.

Le plus âgé pouvait avoir, autant que j’en pusjuger, environ dix-neuf ans&|160;; c’était un grand et élégantjeune homme, en frac de futaine blanche, avec un collet de veloursvert et une perruque à nœuds.

Le plus jeune n’avait guère que dix-septans&|160;; il était blond, coloré, parfaitement bien fait, et, pourtout dire, un délicieux adolescent&|160;; à sa mise aussi on voyaitqu’il était de la campagne&|160;: c’était un frac de peluche verte,des chaussures de même étoffe, un gilet et des bas blancs, unecasquette de jockey, avec des cheveux blonds, longs et flottants enboucles naturelles.

Le plus âgé promena d’abord tout autour de lachambre un regard de circonspection, mais avec trop de hâte sansdoute pour qu’il pût apercevoir la petite ouverture où j’étaispostée, d’autant plus qu’elle était haute et que mon œil, en s’ycollant, interceptait le jour qui aurait pu la trahir&|160;; puisil dit quelques mots à son compagnon, et la face des choses changeaaussitôt.

En effet, le plus âgé se mit à embrasser leplus jeune, à l’étreindre et à le baiser, à glisser ses mains danssa poitrine et à lui donner enfin des signes si manifestesd’amoureux désirs, que celui-ci ne pouvait être, – selon moi,qu’une fille déguisée. Je me trompais, mais la nature aussi avaitcertainement fait erreur en lui imprimant le cachet masculin.

Avec la témérité de leur, âge et impatientscomme ils étaient d’accomplir leur projet de plaisir antiphysique,au risque des pires conséquences, car il n’y avait riend’improbable à ce qu’ils fussent découverts, ils en vinrentmaintenant à un tel point que je fus bientôt fixée sur ce qu’ilsétaient[18].

La scène criminelle qu’ils exécutèrent, j’eusla patience de l’observer jusqu’au bout, simplement pour recueillircontre eux plus de faits et plus de certitude en vue de les traitercomme ils le méritaient. En conséquence, lorsqu’ils se furentrajustés et qu’ils se préparaient à partir, enflammée comme jel’étais de colère et d’indignation, je sautai à bas de la chaisepour ameuter contre eux toute la maison&|160;; mais, dans maprécipitation, j’eus le malheur de heurter du pied un clou ouquelque autre rugosité du plancher qui me fit tomber la face enavant, de sorte que je restai là quelques minutes sans connaissanceavant qu’on ne vînt à mon secours&|160;; et les deux jeunes gens,alarmés, je le suppose, du bruit de ma chute, eurent tout le tempsnécessaire pour opérer leur sortie. Ils le firent, comme jel’appris ensuite, avec une hâte que personne ne pouvaits’expliquer&|160;; mais, revenue à moi et retrouvant la parole, jefis connaître aux gens de, l’auberge toute la scène dont j’avaisété témoin.

De retour au logis, je racontai cette aventureà Mme&|160;Cole. Elle me dit, avec beaucoup de sens, «&|160;que cesmécréants seraient un jour ou l’autre, sans aucun doute, châtiés deleur forfait, encore qu’ils échappassent pour le moment&|160;; quesi j’avais été l’instrument temporel de cette punition, j’aurais euà souffrir beaucoup plus d’ennuis et de confusion que jem’imaginais&|160;; quant à la chose elle-même, le mieux était den’en rien dire. Mais au risque d’être suspecte de partialité,attendu que cette cause était celle de tout le sexe féminin, auquella pratique en question tendait à enlever plus que le pain de labouche, elle protestait néanmoins contre la colère dont je faisaismontre et voici la déclaration que lui inspirait la simplevérité&|160;: «&|160;Quelque effet qu’eût pu avoir cette infâmepassion en d’autres âges et dans d’autres contrées, c’était, cesemblait-il, une bénédiction particulière pour notre atmosphère etnotre climat, qu’il y avait une tache, une flétrissure imprimée surtous ceux qui en étaient affectés, dans notre nation tout au moins.En effet, sur un grand nombre de gens de cette espèce, ou du moinsuniversellement soupçonnés de ce vice, qu’elle avait connus, àpeine en pouvait-elle nommer un seul dont le caractère ne fût, soustous les rapports, absolument vil et méprisable&|160;; privés detoutes les vertus de leur sexe, ils avaient tous les vices ettoutes les folies du nôtre&|160;; enfin, ils étaient aussiexécrables que ridicules dans leur monstrueuse inconscience, euxqui haïssaient et méprisaient les femmes, et qui, en même temps,singeaient toutes leurs manières, leurs airs, leurs afféteries,choses qui tout au moins siéent mieux aux femmes qu’à cesdemoiselles mâles ou plutôt sans sexe.&|160;»

Mais ici je m’en lave les mains et je reprendsle cours de mon récit, où je puis, non sans à-propos, introduireune terrible équipée de Louisa, car j’y eus moi-même quelque partet je me suis engagée d’ailleurs à la relater comme pendant à cellede la pauvre Emily. Ce sera une preuve de plus, ajoutée à milleautres, de la vérité de cette maxime&|160;: que lorsqu’une femmes’émancipe, il n’y a point de degrés dans la licence qu’elle nesoit capable de franchir.

Un matin que Mme&|160;Cole et Emily étaientsorties, Louisa et moi nous fîmes entrer dans la boutique un gueuxqui vendait des bouquets. Le pauvre garçon était insensé et sibègue qu’à peine pouvait-on l’entendre. On l’appelait dans lequartier «&|160;Dick le Bon&|160;», parce qu’il n’avaitpas l’esprit d’être méchant et que les voisins, abusant de sasimplicité, en faisaient ce qu’ils voulaient. Au reste, il étaitbien fait de sa personne, jeune, fort comme un cheval et d’unefigure assez avenante pour tenter quiconque n’aurait point eu dedégoût pour la malpropreté et les guenilles.

Nous lui avions souvent acheté des fleurs parpure compassion&|160;; mais Louisa, qu’un autre motif excitaitalors, ayant pris deux de ses bouquets, lui présenta malicieusementune demi-couronne à changer. Dick, qui n’avait pas le premier sou,se grattait l’oreille et donnait à entendre, par son embarras,qu’il ne pouvait fournir la monnaie d’une si grosse pièce.«&|160;Eh bien&|160;! mon enfant, lui dit Louisa, monte avec moi,je te paierai.&|160;» En même temps elle me fit signe de la suivreet m’avoua, chemin faisant, qu’elle se sentait une étrangecuriosité de savoir si la nature ne l’avait pas dédommagé, parquelque don particulier du corps, de la privation de la parole etdes facultés intellectuelles. La scrupuleuse modestie n’ayantjamais été mon vice, loin de m’opposer à une pareille lubie, jetrouvai cette idée si plaisante que je ne fus pas moins empresséequ’elle à m’éclaircir sur ce point. J’eus même la vanité de vouloirêtre la première à faire la vérification des pièces. Suivant cetaccord, dès que nous eûmes fermé la porte, je commençai l’attaqueen lui faisant des petites niches et employant les moyens les pluscapables de l’émouvoir. Il parut d’abord, à sa mine honteuse etinterdite, à ses regards sauvages et effarés, que le badinage nelui plaisait pas&|160;; mais je fis tant par mes caresses que jel’apprivoisai et le mis insensiblement en humeur. Un rire innocentet niais annonçait le plaisir que la nouveauté de cette scène luifaisait. Le ravissement stupide où il était, l’avait rendu sidocile et si traitable qu’il me laissa faire tout ce que je voulus.J’avais déjà senti la douceur de sa peau à travers maintesdéchirures de sa culotte et m’étais, par gradation, saisie duvéritable et glorieux étendard en si bel état, que je vis le momentoù tout allait se rompre sous ses efforts. Je détortillai uneespèce de ceinture déchiquetée de vieillesse, et rangeant une loquede chemise qui le cachait en partie je le découvris dans toute sonétendue et toute sa pompe. J’avoue qu’il n’était guère possible derien voir de plus superbe. Le pauvre garçon possédait manifestementà un très haut degré la prérogative royale, qui distingue cettecondition d’ailleurs malheureuse de l’idiot et qui a donné lieu audicton populaire&|160;: «&|160;Marotte de fou, amusement defemme.&|160;» Aussi ma lascive compagne, ravie en admirationet domptée par le démon de la concupiscence, me l’ôtabrusquement&|160;; puis tirant, comme on fait à un âne par lelicou, Dick vers le lit, elle s’y laissa tomber à la renverse, etsans lâcher prise le guida où elle voulait. L’innocent y fut àpeine introduit que l’instinct lui apprit le reste. L’homme-machineenfonça, déchira, pourfendit la pauvre Louisa, mais elle eut beaucrier, il était trop tard. Le fier agent, animé par le puissantaiguillon du plaisir, devint si furieux qu’il me fit trembler pourla patiente. Son visage était tout en feu, ses yeux étincelaient,il grinçait des dents&|160;; tout son corps, agité par uneimpétueuse rage, faisait voir avec quel excès de force la natureopérait en lui. Tel on voit un jeune taureau sauvage que l’on apoussé à bout renverser, fouler aux pieds, frapper des cornes toutce qu’il rencontre, tel le forcené Dick brise, rompt tout ce quis’oppose à son passage. Louisa se débat, m’appelle à son secours etfait mille efforts pour, se dérober de dessous ce cruel meurtrier,mais inutilement&|160;; son haleine aurait aussitôt calmé unouragan, qu’elle aurait pu l’arrêter dans sa course. Au contraire,plus elle s’agite et se démène, plus elle accélère et précipite sadéfaite. Dick, machinalement gouverné par la partie animale, lapince, la mord et la secoue avec une ardeur moitié féroce et moitiétendre. Cependant Louisa à la fin supporta plus patiemment le choc,et bientôt gorgée du plus précieux morceau qu’il y ait surterre[19], le sentiment de la douleur faisantplace à celui du plaisir, elle entra dans les transports les plusvifs de la passion et seconda de tout son pouvoir la brusqueactivité de son chevaucheur. Tout tremblait sous la violence deleurs mouvements mutuels. Agités l’un et l’autre d’une fureurégale, ils semblaient possédés du démon de la luxure. Sans douteils auraient succombé à tant d’efforts si la crise délicieuse de lasuprême joie ne les eût arrêtés subitement et n’eût arrêté lecombat.

C’était une chose pitoyable et burlesque ouplutôt tragi-comique à la fois de voir la contenance du pauvreinsensé après cet exploit. Il paraissait plus imbécile et plushébété de moitié qu’auparavant. Tantôt, d’un air stupéfait, illaissait tomber un regard morne et languissant sur sa flasquevirilité&|160;; tantôt il fixait d’un œil triste et hagard Louisaet semblait lui demander l’explication d’un pareil phénomène.Enfin, l’idiot ayant petit à petit repris ses sens, son premiersoin fut de courir à son panier et de compter ses bouquets. Nousles lui prîmes tous et les lui payâmes le prix ordinaire, n’osantpas le récompenser de sa peine, de peur qu’on ne vînt à découvrirles motifs de notre générosité.

Louisa s’esquiva quelques jours après de chezMme&|160;Cole avec un jeune homme qu’elle aimait beaucoup, etdepuis ce temps je n’ai plus reçu de ses nouvelles.

Peu après qu’elle nous eut quittées, deuxjeunes seigneurs de la connaissance de Mme&|160;Cole et qui avaientautrefois fréquenté son académie obtinrent la permission de faire,avec Emily et moi, une partie de plaisir dans une maison decampagne située au bord de la Tamise, dans le comté deSurrey[20] et qui leur appartenait.

Toutes choses arrangées, nous partîmes uneaprès-midi pour le rendez-vous et nous arrivâmes sur les quatreheures. Nous mîmes pied à terre près d’un pavillon propre etgalant, où nous fûmes introduites par nos cavaliers et rafraîchiesd’une collation délicate, dont la joie, la fraîcheur de l’onde etla politesse marquée de nos galants rehaussaient le prix.

Après le thé, nous fîmes un tour au jardin, etl’air étant fort chaud mon cavalier proposa, avec sa franchiseordinaire, de prendre ensemble un bain, dans une petite baie de larivière, auprès du pavillon, où personne ne pouvait nous voir ninous distraire.

Emily, qui ne refusait jamais rien, et moi,qui aimais le bain à la folie, acceptâmes la proposition avecplaisir. Nous retournâmes donc d’abord au pavillon qui, par uneporte, répondait à une tente dressée sur l’eau, de façon qu’ellenous garantissait de l’ardeur du soleil et des regards desindiscrets. La tenture, en toile brochée, figurait un fourré debois sauvage, depuis le haut jusqu’aux bas côtés, lesquels, de lamême étoffe, représentaient des pilastres cannelés avec leursespaces remplis de vases de fleurs, le tout faisant à l’œil uncharmant effet de quelque côté qu’on se tournât.

Il y avait autant d’eau qu’il en fallait pourse baigner à l’aise&|160;; mais autour, de la tente on avaitpratiqué des endroits secs pour s’habiller ou enfin pour d’autresusages que le bain n’exige pas. Là se trouvait une table chargée deconfitures, de rafraîchissements et de bouteilles de vins et descordiaux nécessaires contre la maligne influence de l’eau. Enfinmon galant, qui aurait mérité d’être l’intendant des menus plaisirsd’un empereur romain, n’avait rien oublié de tout ce qui peutservir au goût et au besoin.

Dès que nous eûmes assurés les portes et quetous les préliminaires de la liberté eurent été réglés de part etd’autre, l’on cria&|160;: «&|160;Bas les habits&|160;!&|160;»Aussitôt nos deux amants sautèrent sur nous et nous mirent dansl’état de pure nature. Nos mains se portèrent d’abord versl’ombrage de la pudeur, mais ils ne nous laissèrent pas longtempsdans&|160;: cette posture, nous priant de leur rendre le serviceque nous venions de recevoir d’eux, ce que nous fîmes de boncœur.

Mon «&|160;particulier&|160;» fut bientôt nuet il voulut sur-le-champ me faire éprouver sa force&|160;; mais,plutôt pressée du désir de me baigner, je le priai de suspendrel’affaire et donnant ainsi à nos amis l’exemple d’une continencequ’ils étaient sur le point de perdre, nous entrâmes main à maindans l’onde, dont la bénigne influence calma la chaleur de l’air etme remplit d’une volupté amoureuse.

Je m’occupai quelque temps à me laver et àfaire mille niches à mon compagnon, laissant à Emily le soin d’enagir avec le sien à sa discrétion. Mon cavalier, peu content à lafin de me plonger dans l’eau jusqu’aux oreilles et de me mettre endifférentes postures, commença à jouer des doigts sur ma gorge, surmes fesses et sur tous les et cœtera si chers àl’imagination, sous prétexte de les laver. Comme nous n’avions del’eau que jusqu’à l’estomac, il put manier à son aise cette, partiesi prodigieusement étanche qui distingue notre sexe. Il ne tardapas à vouloir que je me prêtasse à sa volonté, mais je ne vouluspas, parce que nous étions dans une posture trop gênante pour quej’y goûtasse du plaisir&|160;; aussi je le priai de différer uninstant afin de voir à notre commodité les débats d’Emily et de songalant, qui en étaient au plus fort de l’opération. Ce jeune homme,ennuyé de jouer à l’épinette, avait couché sa patiente sur un bancoù il lui faisait sentir la différence qu’il y a du badinage ausérieux.

Il l’avait premièrement mise sur ses genoux etla caressait, lui montrant une belle pièce de mécanique prête à semettre en mouvement, afin de rendre les plaisirs plus vifs et pluspiquants.

Comme l’eau avait jeté un incarnat animé surleur corps, dont la peau était à peu près d’une même blancheur, onpouvait à peine distinguer leurs membres, qui se trouvaient dansune aimable confusion. Le champion s’était pourtant, à la fin, misà l’ouvrage. Alors, plus de tous ces raffinements et de ces tendresménagements. Emily se trouva incapable d’user d’aucun art, et dequel art en effet aurait-elle usé tandis qu’emportée par lessecousses qu’elle éprouvait elle devait céder à son fierconquérant, qui avait fait pleinement son entrée triomphale&|160;?Bientôt, cependant, il fut soumis à son tour, car l’engagementétant devenu plus vif, elle le força de payer le tribut de lanature, qu’elle n’eût pas plus tôt recueilli que, semblable à unduelliste qui meurt en tuant son ennemi, la belle Emily, de soncôté, nous donna à connaître, par un profond soupir, parl’extension de ses membres et par le trouble de ses yeux&|160;;qu’elle avait atteint la volupté suprême.

Pour ma part, je n’avais point vu toute cettescène avec une patience bien calme&|160;; je me reposais aveclangueur sur mon galant, à qui mes yeux annonçaient la situation demon cœur. Il m’entendit et me montra son membre de telle raideurque, quand même je n’aurais pas désiré de le recevoir, c’eût été unpéché de laisser crever le pauvre garçon dans son jus, tandis quele remède était si près.

Nous prîmes donc un banc, pendant qu’Emily etson ami buvaient à notre bon voyage, car, comme ils l’observaient,nous étions favorisés d’un vent admirable. À la vérité, nous eûmesbientôt atteint le port de Cythère. Mais comme l’opération necomporte pas beaucoup de variétés, je vous en épargnerai ladescription.

Je vous prie aussi de vouloir excuser le stylefiguré dont je me suis servie, quoiqu’il ne puisse être, mieuxemployé que pour un sujet qui est si propre à la poésie qu’ilsemble être la poésie même, tant par les imaginations pittoresquesqu’il enfante que par les plaisirs divins qu’il procure.

Nous passâmes le reste de la journée et unepartie de la nuit dans mille plaisirs variés et nous fûmesreconduites en bonne santé chez Mme&|160;Cole par nos deuxcavaliers, qui ne cessèrent de nous remercier de l’agréablecompagnie que nous leur avions faite.

Ce fut ici la dernière aventure que j’eus avecEmily, qui, huit jours après, fut découverte par ses parents,lesquels, ayant perdu leur fils unique, furent si heureux deretrouver une fille qui leur restait qu’ils n’examinèrent seulementpas la conduite qu’elle avait tenue pendant une si longueabsence.

Il ne fut pas aisé de remplacer cette perte,car, pour ne rien dire de sa beauté, elle était d’un caractère siliant et si aimable que si on ne l’estimait pas on ne pouvait sepasser de l’aimer. Elle ne devait sa faiblesse qu’à une bonté tropgrande et à une indolente facilité, qui la rendait l’esclave despremières impressions. Enfin elle avait assez de bon sens pourdéférer à de sages conseils lorsqu’elle avait le bonheur d’enrecevoir, comme elle le montra dans l’état de mariage qu’ellecontracta peu de temps après avec un jeune homme de sa qualité,vivant avec lui aussi sagement et en si bonne intelligence que sielle n’eût jamais mené une vie si contraire à cet étatuniforme.

Cette désertion avait néanmoins tellementdiminué la société de Mme&|160;Cole qu’elle se trouvait seule avecmoi, telle qu’une poule à qui il ne reste plus qu’unepoulette&|160;; mais quoiqu’on la priât sérieusement de recruterson corps, ses infirmités et son âge l’engagèrent à se retirer àtemps à la campagne pour y vivre du bien qu’elle avaitamassé&|160;; résolue de mon côté d’aller la joindre dès quej’aurais goûté un peu plus du monde et de la chair et que je meserais acquis une fortune plus honnête.

Je perdis donc ma douce préceptrice avec unregret infini&|160;; car, outre qu’elle ne rançonnait jamais seschalands, elle ne pillait non plus en aucune façon ses écolières etne débauchait jamais de jeunes personnes, se contentant de prendrecelles que le sort avait réduites au métier, dont, à la vérité,elle ne choisissait que celles qui pouvaient lui convenir etqu’elle préservait soigneusement de la misère et des maladies où lavie publique mène pour l’ordinaire.

À la séparation de Mme&|160;Cole, je louai unepetite maison à Marylebone[21], que jemeublai modestement, mais avec propreté, où je vivotais à mon aisedes huit cents livres que j’avais épargnées.

Là, je vécus sous le nom d’une jeune femmedont le mari était en mer. Je m’étais d’ailleurs mise sur un ton dedécence et de discrétion qui me permettait de jouir ou d’épargnerselon que mes idées en disposeraient, manière de vivre à laquellevous reconnaîtrez aisément la pupille de Mme&|160;Cole.

À peine fus-je cependant établie dans manouvelle demeure que, me promenant un matin à la campagne,accompagnée de ma servante, et me divertissant sous les arbres, jefus alarmée par le bruit d’une toux violente. Tournant la tête, jevis un gentleman d’un certain âge, très bien mis, qui semblaitsuffoquer par une oppression de poitrine, ayant le visage aussinoir qu’un nègre. Suivant les observations que j’avais faites surcette maladie, je défis sa cravate et le frappai dans le dos, cequi le rendit à lui-même. Il me remercia avec, emphase du serviceque je venais de lui rendre, disant que je lui avais sauvé lavie.&|160;Ceci fit naturellement naître une conversation, danslaquelle il m’apprit sa demeure, qui se trouvait fort éloignée dela mienne.

Quoiqu’il semblait n’avoir que quarante-cinqans, il en avait néanmoins plus de soixante, ce qui venait d’unecouleur fraîche et d’une excellente complexion. Quant à sanaissance et à sa condition, son père, qui était mécanicien, mourutfort pauvre et le laissa aux soins delà paroisse, d’où il s’étaitmis dans un comptoir à Cadix, où, par son active intelligence, ilavait non seulement fait sa fortune, mais acquis des biensimmenses, avec lesquels il retourna dans sa patrie, où il ne putjamais découvrir aucun de ses parents, tant son extraction avaitété obscure. Il prit donc le parti de la retraite et vivait dansune opulence honnête et sans faste, regardant avec dédain un mondedont il connaissait parfaitement les détours.

Comme je veux vous écrire une lettreparticulière touchant la connaissance que je fis avec cet amiestimable, je ne vous en dirai ici qu’autant qu’il en faut pourservir de connexion à mon histoire et pour obvier à la surprise quecette aventure vous causera.

Notre commerce fut fort innocent aucommencement, mais il se familiarisa peu à peu et changea enfin denature. Mon ami possédait non seulement un air de fraîcheur, maisil avait aussi tout l’enjouement et toute la complaisance de lajeunesse. Il était outre cela excellent connaisseur du vrai plaisiret m’aimait avec dignité&|160;; ce qui faisait oublier toutes cesidées dégoûtantes que la vue d’un vieux galant fait naîtreordinairement.

Pour couper court, ce gentleman me prit chezlui, et je vécus pendant huit mois fort contente, lui donnant demon côté toutes les marques d’amour et de respect qu’il pouvaitprétendre&|160;; ce qui me l’attacha de telle sorte que, mourantpeu de temps après d’un froid qu’il gagna en courant de nuit à unincendie du voisinage, il me nomma son héritière et exécutrice deses dernières volontés.

Après lui avoir rendu les derniers devoirs dela sépulture, je regrettai sincèrement mon bienfaiteur, dont letendre souvenir ne sortira jamais de ma mémoire et dont je loueraitoujours le bon cœur.

Je n’avais pas encore dix-neuf ans, j’étaisbelle, j’étais riche. De tels avantages devraient être plus quesuffisants pour satisfaire quiconque les possède&|160;; néanmoins,semblable au malheureux Tantale, je voyais mon bonheur sanspouvoir, y goûter. Tandis que je vivais chez Mme&|160;Cole, ledélire de la débauche avait en quelque sorte suspendu mes regretset banni de mon cœur le souvenir de ma première passion. Mais dèsque je me vis rendue à moi-même, affranchie de la nécessité de meprostituer pour vivre, Charles reprit son empire sur mon âme&|160;;son image adorable me suivit partout, et je sentis que s’il n’étaittémoin de ma félicité, s’il ne la partageait pas, je ne pourraisjamais être heureuse. J’avais appris, pendant mon séjour, àMarylebone, que son père était mort et que ce précieux objet de ma.tendre affection devait revenir incessamment en Angleterre. Je vouslaisse à penser, ma chère amie, vous qui connaissez ce que c’estque le véritable amour, avec quel excès de joie, je reçus cettenouvelle, et avec quelle impatience j’attendis le fortuné moment oùnous devions nous revoir. Agitée comme je l’étais, il n’était paspossible que je demeurasse tranquille&|160;; aussi, pour medistraire et charmer mes inquiétudes, je résolus de faire un voyagedans mon pays natal, où je me proposais de démentir Esther Davis,qui avait fait courir le bruit qu’on m’avait envoyée aux colonies.Je partis, accompagnée d’une femme convenable et discrète, avectout l’attirail d’une dame de distinction. Un orage affreux m’ayantsurprise à douze milles de Londres, je jugeai à propos de m’arrêterdans l’hôtellerie la plus voisine que je trouvai sur ma route.J’étais à peine descendue de carrosse qu’un cavalier, contraintcomme moi de chercher un abri, arriva au galop. Il était mouilléjusqu’à la peau. En mettant pied à terre, il pria le maître de lamaison de lui prêter de quoi changer, pendant qu’on ferait sécherses habits. Mais, ô&|160;! destin trop heureux, quel son enchanteurfrappa tout à coup mon oreille, et de quel ravissement ne fus-jepoint saisie lorsque je l’envisageai&|160;! Une large redingotedont le capuchon lui enveloppait la tête, un grand chapeaupar-dessus, dont les bords étaient baissés, en un mot, plusieursannées d’absence ne m’empêchèrent pas de le reconnaître. Eh&|160;!comment aurais-je pu m’y méprendre&|160;? Est-il rien qui puisseéchapper aux regards pénétrants de l’amour&|160;? L’émotion oùj’étais me faisant oublier toute retenue, je m’élançai comme untrait entre ses bras, lui passant les miens au cou, et l’excès dela joie m’ôtant la liberté de la parole, je m’évanouis enprononçant confusément deux ou trois mots, tels que&|160;:«&|160;Mon âme… ma vie… mon Charles…&|160;» Quand je fus revenue àmoi-même, je me trouvai dans une chambre, entourée de tout le mondedu logis, que cet événement avait rassemblé, et mon adorable à mespieds, qui, me tenant les mains serrées dans les siennes, meregardait avec des yeux où régnaient à la fois la surprise, latendresse et la crainte. Il resta quelques moments sans pouvoirproférer une syllabe. Enfin, ces douces expressions sortirent de sadivine bouche&|160;: «&|160;Est-ce bien vous, mon aimable, ma chèreFanny&|160;? après un si long espace de temps&|160;!… après une silongue absence&|160;! M’est-il permis de vous revoir encore&|160;?…N’est-ce point une illusion&|160;?…&|160;» Et dans la vivacité deses transports, il me dévorait de caresses et m’empêchait de luirépondre par les baisers qu’il imprimait sur mes lèvres. Je metrouvais de mon côté dans un état si ravissant, que j’étaiseffrayée de mon bonheur, et je tremblais que ce ne fût un songe.Cependant, je l’embrassais avec une fureur extrême, je le serraisde toutes mes forces, comme pour l’empêcher de m’échapper denouveau. «&|160;Où avez-vous été&|160;? m’écriai-je… Comment…comment pûtes-vous m’abandonner&|160;? Êtes-vous toujours monamant&|160;?… M’aimez-vous toujours&|160;?… Oui, cruel, je vouspardonne toutes les peines que j’ai souffertes en faveur de votreretour.&|160;» Le désordre de nos questions et de nos réponses, letrouble, la confusion de nos discours étaient d’autant pluséloquents qu’ils parlaient du cœur et que le seul sentiment nousles dictait.

Tandis que nous étions plongés dans cettedélicieuse ivresse, que nos âmes étaient absorbées dans la joie,l’hôtesse apporta des hardes à Charles&|160;; je voulus avoir lasatisfaction de le servir et de l’aider de mes mains, et je pusobserver la vigueur et la complexion toujours vivace de soncorps.

Après avoir calmé nos transports, mon amantm’apprit qu’il avait fait naufrage sur les côtes d’Irlande et quece qui causait son désespoir c’était l’impossibilité où ce désastrele mettait de pouvoir désormais me faire aucun bien. L’aveu naïf deson infortune m’attendrit et m’arracha des larmes. Néanmoins je nepus m’empêcher de m’applaudir secrètement de me trouver dans lasituation de réparer ses malheurs.

Il serait inutile de vous retracer ce qui sepassa entre nous cette nuit-là, vous le devinez aisément. Le voyageque j’avais projeté dans la province était désormais hors dequestion. Le lendemain nous revînmes à Londres.

Pendant la route, le tumulte de mes sens étantsuffisamment calmé, je me sentis la tête assez froide pour luiraconter avec mesure le genre de vie où j’avais été engagée aprèsnotre séparation. Si tendrement peiné qu’il en fût comme moi-même,il n’en était que peu surpris, eu égard aux circonstances danslesquelles il m’avait laissée.

Je lui fis ensuite connaître l’état de mafortune, avec cette sincérité qui, dans mes rapports avec lui,m’était si naturelle et en le priant de l’accepter aux conditionsqu’il fixerait lui-même. Je vous semblerais peut-être trop partialeenvers ma passion si j’essayais de vous vanter sa délicatesse. Jeme contenterai donc de vous assurer qu’il refusa catégoriquement ladonation sans réserve, sans conditions que je lui offrais avecinstance&|160;; enfin, je dus céder à sa volonté, et il ne fallutpour cela rien de moins que l’absolue autorité dont l’amourl’investissait sur moi. Je cessai donc d’insister sur laremontrance que je lui avais très sérieusement faite&|160;: àsavoir qu’il se dégraderait et encourrait le reproche, si injustefût-il, d’avoir, pour un intérêt d’argent, sali son honneur dansl’infamie et la prostitution, en faisant sa femme légitime d’unecréature qui devait se trouver trop honorée d’être simplement samaîtresse.

L’amour triomphait ainsi de toute objection etCharles, entièrement gagné par la tendresse de mes sentiments dontil pouvait lire la sincérité dans mon cœur toujours ouvert pourlui, m’obligea à recevoir sa main. J’avais, de la sorte, parmi tantd’autres, bonheurs, celui d’assurer une filiation légitime à cesbeaux enfants que vous avez vus, fruits de la plus heureuse desunions.

C’est ainsi qu’enfin j’étais arrivée au port.Là, dans le sein de la vertu, je savourais les seulesincorruptibles délices&|160;; regardant derrière moi la carrière duvice que j’avais parcourue, je comparais ses infâmes plaisirs avecles joies infiniment supérieures de l’innocence&|160;; et je nepouvais me retenir d’un sentiment de pitié, même au point de vue dugoût, pour ces esclaves d’une sensualité grossière, insensibles auxcharmes si délicats de la VERTU, cette grande ennemie du VICE, maisqui n’en est pas moins la plus grande amie du PLAISIR. Latempérance élève les hommes au-dessus des passions, l’intempéranceles y asservit&|160;; l’une produit santé, vigueur, fécondité,gaieté, tous les biens de la vie&|160;; l’autre n’enfante quemaladies, débilité, stérilité, dégoût de soi-même, tous les mauxqui peuvent affliger l’humaine nature.

&|160;

Vous riez, peut être, de cet épilogue moralque me dicte la vérité, après des expériences comparées&|160;; vousle trouvez sans doute en désaccord avec mon caractère&|160;;peut-être aussi le considérez-vous comme une misérable finasseriedestinée à masquer la dévotion au vice sous un lambeau de voileimpunément arraché de l’autel de la Vertu&|160;; je ressembleraisalors à une femme qui, dans une mascarade, se croirait complètementdéguisée, parce qu’elle aurait, sans plus changer de costume,simplement transformé ses souliers en pantoufles ou à un écrivainqui prétendrait excuser un libelle du crime de lèse-majesté, parcequ’il y aurait inséré, en terminant, une prière pour le roi. Mais,outre que vous avez, je m’en flatte, une meilleure opinion de monbon sens et de ma sincérité, permettez-moi de vous faire observerqu’une telle supposition serait plus injurieuse pour la vertu quepour moi-même&|160;; en effet, en toute candeur et bonne foi, ellene peut reposer que sur la plus fausse des craintes, à savoir queles plaisirs de la vertu ne sauraient soutenir la comparaison avecceux du vice. Eh bien&|160;! qu’on ose montrer le vice sous sonjour le plus attrayant, et vous verrez alors combien sesjouissances sont vaines, combien grossières, combien inférieures àcelles que la vertu sanctionne. Et celle-ci non seulement nedédaigne pas d’assaisonner le plaisir des sens, mais ellel’assaisonne délicieusement, tandis que les vices sont des harpiesqui infectent et souillent le festin. Les sentiers du vice sontparfois semés de roses, mais toujours aussi infestés d’épines et devers rongeurs&|160;; ceux de la vertu sont uniquement semés deroses, et ces roses ne se fanent jamais.

Donc, si vous me rendez justice, vous metrouverez parfaitement en droit de brûler de l’encens pour lavertu. Si j’ai peint le vice sous ses couleurs les plus gaies, sije l’ai enguirlandé de fleurs, ce n’a été que pour en faire unsacrifice plus digne et plus solennel à la vertu.

Vous connaissez Mr. C… O…, vous connaissez safortune, son mérite, son bon sens&|160;: pouvez-vous, oserez-vousprononcer que lui, du moins, avait tort lorsque, préoccupé del’éducation morale de son fils et voulant le former à la vertu, luiinspirer un mépris durable et raisonné du vice, il consentait à sefaire son maître de cérémonies et à le conduire par la main dansles maisons les plus mal famées de la ville, pour le familiariseravec toutes ces scènes de débauche si propres à révolter le bongoût&|160;? L’expérience, direz-vous, est dangereuse. Oui, sur unfou&|160;; mais les fous sont-ils dignes de tantd’attention&|160;?

Je vous verrai bientôt&|160;; en attendant,veuillez-moi du bien et croyez-moi pour toujours,

Madame,

Votre, etc., etc. XXX.

FIN

Auteurs::

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