Mes forêts d’Hélène Dorion

abandonné à la terre qu’il lèche comme un mur à percer Il fait un temps de bourrasques et de cicatrices un temps de séisme et de chute

les promesses tombent

comme des vagues sur aucune rive les oiseaux demandent refuge à la terre ravagée nos jardins éteints entre l’odeur de rose et de lavande

il fait un temps de verre éclaté

d’écrans morts de nord perdu un temps de pourquoi de comment

tout un siècle à défaire le paysage

mon chant soulève la poussière

de spectacles muets comme un trou béant dans la maison noire des mots

il fait un temps jamais assez

un temps plus encore et encore plus encore plus on ne pourra pas toujours tout refaire

dans ce temps de bile et d’éboulis

les forêts tremblent sous nos pas la nuit approche Entre mes doigts le nom de l’arbre le nom de la chair ce peu d’écorce qu’est ma vie

une forêt d’édifices

l’éternité bâtie sur un nuage un gouffre sous la terre remords ténèbres débris se transforme en rêve – c’est beau n’est-ce pas ou en ruines qui nous dévorent – peut-être on a tout raté Les alertes du matin résonnent dans la chambre du siècle un fracas de fatigue l’ombre d’imprévus mes désirs et mes soifs bercent les hautes exigences

du portable au jetable

le jardin où périt un monde où l’on voudrait vivre

et je ne vois plus les heures

plus l’horizon avec ses levées de lumière Comme roulent les galets la vague n’emporte aucune question

on ne tourne plus

que sur soi-même au milieu des flots l’abîme évide l’espérance que l’on ne peut nommer Il fait un temps de foudre et de lambeaux d’arbres abattus au-dedans de soi il fait pluie maigre un temps de glace et de rêves qui fondent dans le labyrinthe des miroirs le dos courbé le poids des silences

guerres famines tristes duretés

c’est seulement l’hiver sur l’écran d’aujourd’hui s’annoncent les orages de demain des chiffres pour ne rien dire de l’inquiétude qui brûle nos mots lettres échevelées bientôt cassées comme pib nip fmi

il fait un temps à s’enfermer

dans nos maisons de forêt avec le bruit secret des nuages qui souffle de l’autre côté de la nuit Je n’ai rien déposé au pied du chêne rien à l’ombre du saule

je ne me suis adressée ni aux faibles

ni aux puissants

je n’ai pas vu le veilleur

à l’entrée de la mer pas vu le jardinier cueillir le crocus d’un printemps pas trouvé le miel et la soie

pas vu le ciel dans l’étang

quelque chose de la solitude rien qui laisse paraître la déchirure

je me suis assise

au milieu de ces vastes alliés sans voix le temps continue de s’infiltrer dans la terre gorge les rochers

le pas des animaux

s’accorde à la lumière par la lenteur du monde je me laisse étreindre je n’attends rien de ce qui ne tremble pas À la table du silence je suis cette branche qui avance comme va le vent sans père ni mère des années de nulle part poussées vers demain

je suis cette ramille qui frémit

au bout du vide trace un invisible chemin vers l’horizon chaque souffle me dépouille d’un feuillage me laisse vacante comme la lumière qui va elle aussi vers le soir Parfois je sarcle le sol arrache un peu d’herbe et de mousse je laisse mes questions se frayer un chemin au-dessus du néant elles flottent recouvrent de froid la terre nue

et font le bruit du marcheur

qui approche comme l’érable en feu au bord de sa chute Tu t’arrêtes pour que traversent à l’embranchement les chagrins jamais avoués de tant de visages éparpillés parmi les heures gestes et tâches qui ensemencent nos vies Il fait un temps d’insectes affairés de chiffres et de lettres qui s’emmêlent sur la terre souillée un temps où soufflent des vagues au-dessus des vagues

dans nos corps

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