Trilby ou le Lutin d’Argail, Contes et Ballades

SANCHETTE,

OU

LE LAURIER-ROSE.

Nous étions nés l’un près de l’autre. Bien jeune encore, je l’appelais mon ami.

J’étais moins belle que lui, mais j’étais belle pourtant.

Quand il passait son bras autour de moi, ma voix mourait sur mes lèvres, et mon cœur était serré. Je sentais un frisson qui courait jusqu’à mes cheveux, et je pleurais de plaisir.

Il me dit un jour : — C’est toi qui seras ma femme, et je pourrai baiser ton cou sans que personne y trouve à redire. Tu ne me repousseras plus en me faisant peur de ta mère ; et quand j’entendrai marcher derrière moi, je ne me détournerai pas pour voir si c’est elle.

En parlant ainsi, nous nous donnions des baisers qui enivraient, et je ne savais pas pourquoi j’étais troublée.

Après cela il partit pour un grand voyage, et il m’apporta un laurier-rose dans une caisse de bois veiné. Ce laurier-rose était tout en fleurs.

— Vois-tu, me disait-il, ces coupes nuancées d’un pourpre si doux ; elles ont la fraîcheur et le coloris de ta bouche ; elles se flétriront bientôt, et mon cœur se flétrira comme elles, dans le chagrin de ton absence. Elles doivent renaître aux premiers feux du printemps, et mon cœur renaîtra aussi quand ta main viendra le presser.

Cependant il a refleuri, ton laurier-rose, et ma main ne pressera plus ton cœur.

Elles ne sont plus nuancées d’un pourpre si doux, les coupes de ton laurier-rose ; elles sont violettes et meurtries, parce que je les arrose de mes larmes, et que mes larmes brûlent.

Ma bouche a perdu son coloris et sa fraîcheur : n’a-t-elle pas perdu tes baisers ? Elles se fanent si vite les fleurs du laurier-rose, quand elles sont privées du zéphyr !

— Sanchette, m’a dit ma mère, il faut faire un autre choix, puisque ton Emmanuel est mort. Ma mère m’a dit cela.

Irai-je dire à mon laurier-rose : Il faut prendre une autre terre, et fleurir au milieu des neiges de la montagne ?

Écoute, Emmanuel, mon Emmanuel, il fallait mourir ici. Je serais du moins près de toi ; et quand j’entendrais la terre creuse retentir un peu sous mes pieds, je dirais : c’est peut-être là, et j’y transplanterais mon laurier-rose.

Que sais-je où est ta fosse, et si quelqu’un y a semé des fleurs ?

Elles seront bientôt tombées, les fleurs du laurier-rose ; il n’y en a plus qu’une ; et deux, et trois. Mais il a encore beaucoup de feuilles et ses feuilles donnent la mort.

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