Trilby ou le Lutin d’Argail, Contes et Ballades

PRÉFACE.

Le sujet de cette nouvelle est tiré d’une préface ou d’une note des romans de sir Walter Scott, je ne sais pas lequel. Comme toutes les traditions populaires, celle-ci a fait le tour du monde et se trouve partout. C’est le Diable amoureux de toutes les mythologies. Cependant, le plaisir de parler d’un pays que j’aime, et de peindre des sentiments que je n’ai pas oubliés ; le charme d’une superstition qui est, peut-être, la plus jolie fantaisie de l’imagination des modernes ; je ne sais quel mélange de mélancolie douce et de gaîté naïve que présente la fable originale, et qui n’a pas pu passer entièrement dans cette imitation : tout cela m’a séduit au point de ne me laisser, ni le temps, ni la faculté de réfléchir sur le fond trop vulgaire d’une espèce de composition dans laquelle il est naturel de chercher avant tout l’attrait de la nouveauté. J’écrivais, au reste, en sûreté de conscience, puisque je n’ai lu aucune des nombreuses histoires dont celle de mon lutin a pu donner l’idée, et je me promettais d’ailleurs que mon récit, qui diffère nécessairement des contes du même genre, par tous les détails de mœurs et de localités, aurait encore, en cela, un peu de cet intérêt qui s’attache aux choses nouvelles. Je l’abandonne, quoi qu’il en soit, aux lecteurs accoutumés des écrite frivoles, avec cette déclaration faite dans l’intérêt de ma conscience, beaucoup plus que dans celui de mes succès. Il n’est pas de la destinée de mes ouvrages d’être jamais l’objet d’une controverse littéraire.

Quand j’ai logé le lutin d’Argail dans les pierres du foyer, et que je l’ai fait converser avec une fileuse qui s’endort, je connaissais depuis longtemps une jolie composition de M. de Latouche, où cette charmante tradition était racontée en vers enchanteurs ; et comme ce poète est selon moi, dans notre littérature, l’Hésiode des esprits et des Fées, je me suis enchaîné à ses inventions avec le respect qu’un homme qui s’est fait auteur doit aux classiques de son école. Je serai bien fier s’il résulte pour quelqu’un de cette petite explication que j’étais l’ami de M. de Latouche, car j’ai aussi des prétentions à ma part de gloire et d’immortalité.

C’est ici que cet avertissement devait finir, et il pourrait même paraître long, si l’on n’avait égard qu’à l’importance du sujet ; mais j’éprouve la nécessité de répondre à quelques objections qui se sont élevées d’avance contre la forme de mon faible ouvrage, pendant que je m’amusais à l’écrire, et que j’aurais mauvaise grâce de braver ouvertement. Quand il y a déjà tant de chances probables contre un bien modeste succès, il est au moins prudent de ne pas laisser prendre à la critique des avantages trop injustes, ou des droits trop rigoureux. Ainsi, c’est avec raison, peut-être, qu’on s’élève contre la monotonie d’un choix de localité que la multiplicité des excellents romans de sir Walter Scott a rendu populaire jusqu’à la trivialité, et j’avouerai volontiers que ce n’est maintenant ni un grand effort d’imagination, ni un grand ressort de nouveauté, que de placer en Écosse la scène d’un poème ou d’un roman. Cependant, quoique sir Walter Scott ait produit, je crois, dix ou douze volumes depuis que j’ai tracé les premières lignes de celui-ci, distraction rare et souvent négligée de différents travaux plus sérieux, je ne choisirais pas autrement le lieu et les accessoires de la scène, si j’avais à recommencer. Ce n’est toutefois pas la manie à la mode qui m’a assujetti, comme tant d’autres, à cette cosmographie un peu barbare, dont la nomenclature inharmonique épouvante l’oreille et tourmente la prononciation de nos dames. C’est l’affection particulière d’un voyageur pour une contrée qui a rendu à son cœur, dans une suite charmante d’impressions vives et nouvelles, quelques-unes des illusions du jeune âge ; c’est le besoin si naturel à tous les hommes de se rebercer, comme dit Schiller, dans les rêves de leur printemps. Il y a une époque de la vie où la pensée recherche avec un amour exclusif les souvenirs et les images du berceau. Je n’y suis pas encore parvenu. Il y a une époque de la vie où l’âme déjà fatiguée se rajeunit encore dans d’agréables conquêtes sur l’espace et sur le temps. C’est celle-là dont j’ai voulu fixer en courant les sensations prêtes à s’effacer. Que signifieraient, au reste, dans l’état de nos mœurs et au milieu de l’éblouissante profusion, de nos lumières, l’histoire crédule des rêveries d’un peuple enfant, appropriée à notre siècle et à notre pays ? Nous sommes trop perfectionnés pour jouir de ces mensonges délicieux, et nos hameaux sont trop savants pour qu’il soit possible d’y placer avec vraisemblance aujourd’hui les traditions d’une superstition intéressante. Il faut courir au bout de l’Europe, affronter les mers du Nord et les glaces du pôle, et découvrir dans quelques buttes à demi sauvages une tribu tout-à-fait isolée du reste des hommes, pour pouvoir s’attendrir sur de touchantes erreurs, seul reste des âges d’ignorance et de sensibilité.

Une autre objection dont j’avais à parler, et qui est beaucoup moins naturelle, mais qui vient de plus haut, et qui offrait des consolations trop douces à la médiocrité didactique et à l’impuissance ambitieuse pour n’en être pas accueillie avec empressement, est celle qui s’est nouvellement développée dans des considérations d’ailleurs fort spirituelles sur les usurpations réciproques de la poésie et de la peinture, et dont le genre qu’on appelé romantique a été le prétexte. Personne n’est plus disposé que moi à convenir que le genre romantique est un fort mauvais genre, surtout tant qu’il ne sera pas défini, et que tout ce qui est essentiellement détestable appartiendra, comme par une nécessité invincible, au genre romantique ; mais c’est pousser la proscription un peu loin que de l’étendre au style descriptif ; et je tremble de penser que si on enlève ces dernières ressources, empruntées d’une nature physique invariable, aux nations avancées chez lesquelles les plus précieuses ressources de l’inspiration morale n’existent plus, il faudra bientôt renoncer aux arts et à la poésie. Il est généralement vrai que la poésie descriptive est la dernière qui vienne à briller chez les peuples, mais c’est que chez les peuples vieillis, il n’y a plus rien à décrire que la nature qui ne vieillit jamais. C’est de là que résulte à la fin de toutes les sociétés le triomphe inévitable des talents d’imitation sur les arts d’imagination, sur l’invention et le génie. La démonstration rigoureuse de ce principe serait, du reste, fort déplacée ici.

Je conviens d’ailleurs que cette question ne vient pas jusqu’à moi, dont les essais n’appartiennent à aucun genre avoué. Et que m’importe ce qu’on en pensera dans mon intérêt ? C’est pour un autre Chateaubriand, pour un Bernardin de Saint-Pierre à venir, qu’il faut décider si le style descriptif est une usurpation ambitieuse sur l’art de peindre la pensée, comme certains tableaux de David, de Gérard et de Girodet sur l’art de l’écrire ; et si l’inspiration circonscrite dans un cercle qu’il ne lui est plus permis de franchir n’aura jamais le droit de s’égarer sous le frigus opacum et à travers les gelidœ fontium perennitates des poètes paysagistes qui ont trouvé ces heureuses expressions sans la permission de l’Académie.

N. B. L’orthographe propre des sites écossais, qui doit être inviolable dans un ouvrage de relation, me paraissant fort indifférente dans un ouvrage d’imagination qui n’est pas plus destiné à fournir des autorités en cosmographie qu’en littérature, je me suis permis de l’altérer en quelques endroits, pour éviter de ridicules équivoques de prononciation, ou des consonances désagréables. Ainsi, j’ai écrit Argail pour Argyle, et Balva pour Balvaig, exemples qui seraient au moins justifiés, le premier par celui de l’Arioste et de ses traducteurs, le second par celui de Macpherson et de ses copistes, mais qui peuvent heureusement se passer de leur appui aux yeux du public sagement économe de son temps qui ne lit pas les préfaces.

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