Le Monastère des frères noirs

CHAPITRE XV.

Un silence profond succéda au bruit occasioné par les imprécations des brigands, et leur victime se trouva isolée. Hélas ! en cet instant terrible Lorédan s’affligeait moins pour lui que pour son généreux Luiggi ; il ne doutait pas qu’il ne fût également tombé au pouvoir de son barbare frère, et que peut être un sort aussi affreux lui était préparé ; mais en même temps il ne pouvait concevoir d’où provenait la rage de Ferdinand ; quelle cause avait pu changer cette belle âme en lui prêtant toutes les fureurs de l’enfer ; et pour trouver un motif quelconque, il lui fallut supposer que son ami avait été jaloux de l’attachement du roi de Sicile, qui, d’abord incertain et égal entre Francavilla et Valvano, s’était enfin prononcé plus particulièrement pour le premier.

Cette raison néanmoins était-elle suffisante pour l’emporter sur vingt-cinq ans d’une amitié à toute épreuve. Lorédan ne pouvait le croire, et il se perdait dans une mer d’incertitudes. Longtemps, il demeura immobile assis sur une pierre placée au milieu de son cachot, pouvant se remuer à peine ; car ses bras étaient encore étroitement liés. Peu à peu pourtant il donna un autre cours à ses idées ; il les ramena sur sa position présente et sur le peu de possibilité qu’il pouvait concevoir d’en sortir.

Tout était morne autour de lui : le cachot qui le renfermait paraissait immense, la voûte était très-élevée, et reposait sur d’énormes piliers. Une seule lampe éclairait cette étendue de sa pâle et vacillante lumière ; elle augmentait l’horreur des ténèbres : elle n’avait pas assez de force pour les dissiper. De temps en temps, elle jetait une flamme brillante, puis, tout-à-coup elle semblait disparaître ; et, à cette action, Francavilla fut convaincu qu’elle ne tarderait pas à s’éteindre, il ne se trompait pas. Bientôt les alimens lui manquèrent et sa dernière lueur disparue laissa notre héros dans l’ombre de son sépulcre : on ne pouvait donner d’autre nom à cette prison isolée.

En perdant la faible lumière qui l’éclairait, Lorédan acheva de perdre toute espérance ; il crut déjà sentir les angoisses de la faim dévorante qu’il ne tarderait pas à éprouver ; il apprécia toute l’horreur d’un pareil supplice, et par un mouvement involontaire, il essaya de quitter son siège pour terminer lui-même ses jours en se fracassant la tête contre une colonne voisine ; mais il avait trop présumé de ses forces ; il ne put faire un pas, et il retomba sur la pierre.

En même temps, le feu de son imagination le conduisit en esprit dans les salles du palais des ducs de Ferrandino à Palerme ; il contemplait les préparatifs brillans de ses noces avec la belle Ambrosia ; il voyait cette adorable personne s’asseoir en souriant avec lui, autour d’une table chargée de mets délicieux, flattant également la vue, le goût et l’odorat. Une foule nombreuse animée par la joie les accompagnait en donnant tous les signes de l’allégresse ; les vins circulaient dans de riches coupes ; chaque convive buvait des flots d’un nectar parfait ; et Lorédan bientôt n’aurait pas une goutte d’eau pour étancher sa soif brûlante ; elle l’assiégeait déjà ; elle lui faisait sentir les premières angoisses auxquelles il devait être livré.

Hélas ! l’infortuné, il ne devait pas revoir sa noble amante ; ses noces ne devaient pas faire éclater sa magnificence ; il ne savait pas encore si son cadavre aurait un tombeau. Cette pensée le fit frémir ; il se souleva encore, dans un moment d’indignation ; son cœur se révolta, et il osa insulter la providence en lui reprochant l’horreur de sa situation ; mais son cœur héroïque ne conserva pas long-temps ce levain de rage ; il se le reprocha vivement, et plus son destin paraissait épouvantable, plus il crut devoir s’y montrer supérieur. Il s’humilia donc devant la main puissante qui le frappait, la conjurant de sauver au moins son âme dans l’autre vie, si elle avait résolu d’abandonner son corps en celle-ci.

Cette résignation à la volonté éternelle parut le calmer un instant. Il se remit sur son siège ; et posant sa tête sur sa main, il chercha à éloigner tout ce qui eût pu le ramener vers le désespoir ; et plus que jamais il se félicita d’avoir vu Amédéo s’échapper à une destinée aussi rigoureuse. Mais les heures s’écoulaient, sa position ne changeait pas, et la peine réelle commençait véritablement à lui faire sentir ses tortures.

Son œil errait languissamment sans apercevoir aucun objet, et le froid et le silence de ces voûtes ignorées, augmentaient l’horreur des ténèbres et de la mort cruelle qui lui était destinée.

Ce fut néanmoins à l’heure où toute consolation lui était sans retour enlevée que cette providence contre laquelle il avait murmuré lui montra qu’elle veillait attentivement sur lui. Qui pourrait exprimer tout ce que dut éprouver Lorédan lorsque tout à coup son œil fut frappé par une clarté subite qui illumina son cachot ? il poussa un cri de joie, éleva ses mains vers le ciel, et son sang refluant avec violence colora son front et ses joues pâlies ; mais combien plus encore sa satisfaction fut augmentée en reconnaissant le grand infirmier Luciani qui s’introduisait dans la prison par une entrée cachée derrière une énorme pierre qui se mouvait facilement.

« Enfin, s’écria ce digne ami, enfin je vous trouve, noble signor, je viens de parcourir toutes les voûtes où notre indigne abbé renferme ceux qu’il veut punir ; et mon effroi était extrême de ne vous rencontrer nulle part ; j’avoue que je n’avais pas imaginé qu’on vous eût précipité dans le lieu où l’on ne jette que les misérables condamnés à une mort affreuse ; et grâce à Dieu, j’y ai songé ; venez que je vous en arrache, et que par une route inconnue à vos persécuteurs, je vous rende au jour et à vous-mêmes. »

Après avoir ainsi parlé, Luciani se hâta de briser les cordes qui liaient Lorédan, et tandis qu’il prenait ce soin, le prisonnier lui témoignait sa reconnaissance, et lui demandait ce qu’était devenu son mystérieux protecteur, qu’il ne lui nomma pas, retenu par un reste de prudence ; comme il ne put se décider non plus à lui apprendre qu’il connaissait le nom du perfide abbé.

« Soyez sans inquiétude sur son compte, répliqua le grand infirmier, les nœuds qui l’unissent à notre supérieur doivent être sa perpétuelle sauve-garde. Il lui a suffi de se faire voir, pour être remis sur le champ en liberté ; mais en même temps trop observé, il ne peut plus agir lui-même en votre faveur, et j’ai pris ce soin ; il s’accuse de tous vos derniers malheurs, les attribuant au retard involontaire qu’il a mis à venir vous rejoindre dans l’église, et il ne sera content qu’après avoir acquis la certitude de votre sortie de ce monastère. Ce n’est pas tout encore, il veut vous prier de lui rendre le plus important service, celui d’emmener avec vous une personne à laquelle il attache son bonheur, et qu’il vous recommande de prendre sous votre protection désormais. »

« Ah ! s’écria Lorédan, il peut être certain de ma tendre amitié ; le terme de ma vie pourra seul mettre des bornes à l’étendue de mon dévouement ; et certes je périrais avant d’exposer le destin de la personne dont il me confiera la garde ; mais où est-elle ? en quel lieu dois-je l’aller chercher ?

« Si vous le voulez, je vais vous y conduire, reprit Luciani ; auparavant reprenez le glaive qu’on vous a ravi, il pourra peut-être vous servir encore ; buvez cette liqueur dont les qualités vous donneront les forces nécessaires pour continuer votre course aventureuse, et quittons ensuite le cachot où vous ne devez plus revenir. »

Après avoir fait ce que Luciani lui indiquait, Lorédan sortit avec ce bon religieux qui referma soigneusement la porte secrète, et ils se trouvèrent dans une longue allée creusée par la main des hommes, et qui des deux côtés paraissait se prolonger dans les entrailles de la terre. Luciani guidait la route ; ils cheminèrent pendant une demi-heure environ, et durant ce temps, le grand infirmier mit Lorédan au fait de ce qu’il avait à faire dans l’entreprise qu’ils allaient tenter.

Enfin après une longue course, ils parvinrent aux extrémités du souterrain et un large escalier de pierre se présenta devant eux ; ils le montèrent rapidement ; et ayant trouvé une porte de fer, ils heurtèrent sept fois à l’énorme marteau qui y était attaché. En même temps Luciani fut vers un pilier voisin agiter un anneau qui par une chaîne ébranlait une cloche intérieure. Ce double signal fut entendu et la porte ne tarda pas à être ouverte.

Deux brigands armés de toutes pièces, ayant un cimeterre au poing, se présentèrent. En les voyant, Lorédan s’écria : « À toi marquis Francavilla, à toi. » Les brigands lui répliquèrent : « Vengeance et secret. » Et alors abaissant leurs instrumens de défense, ils introduisirent les deux aventuriers dans une chambre où Luciani demeura. Son compagnon tira de son sein une bague que le religieux lui avait donnée à l’avance, et il la présenta à l’un des bandits ; celui-ci s’approchant de la lumière, l’examina de tous les côtés, la rapprocha d’une pareille qu’il avait au doigt, et s’étant convaincu de sa parfaite ressemblance, dit : « Le père abbé sera obéi. »

En prononçant ces paroles, il s’éloigna, faisant signe à Francavilla de le suivre ; tous les deux montèrent encore un autre escalier, et enfin parvinrent dans une autre pièce. Là, le bandit engagea Lorédan à patienter ; il prit la seule lampe qui les éclairait, et sortit, le laissant dans une obscurité profonde ; ceci ne lui plut guère, et il craignit quelque nouvelle mésaventure. Cependant il lui paraissait impossible qu’on fût en défiance en un lieu où sans doute ne pouvait encore être parvenu le bruit des évènemens qui venaient de se passer dans le couvent des frères noirs, et il chercha à se tranquilliser.

Quelques minutes s’écoulèrent ; enfin un bruit de pas lui annonça le retour du geôlier ; il était suivi d’une jeune personne qui pouvait à peine être dans sa vingtième année, et dont une parure brillante et singulière rehaussait l’incomparable beauté. Pour un moment il crut avoir vu la plus belle femme de toute la Sicile ; et à peine s’avoua-t-il que son Ambrosia lui pouvait être comparée. Tant de charmes pourtant étaient gâtés par l’expression de la mélancolie et de la souffrance ; ses beaux yeux paraissaient ternes, et un plus ample examen prouva à Lorédan qu’il s’était trompé dans sa pensée, que cette belle personne pouvait être la villageoise qu’on avait enlevée presque sous ses yeux.

« Voyez-vous, signora, dit le geôlier en adressant la parole à l’inconnue, si j’ai voulu vous tromper, ne reconnaissez-vous pas en ce religieux un frère noir, et vous savez en quel lieu il doit vous conduire ; ne craignez donc plus les insultes de mon camarade ; s’il vous a offensé, le pauvre garçon est excusable, car il avait bu alors un peu plus de lacrima qu’il n’eut fallu, et maintenant que sa tête est libre, il vous attend pour vous faire la demande d’un généreux pardon. »

La dame ne jugea pas convenable de répondre à ce propos, mais elle parût disposée à suivre celui qui dans son âme brûlait du désir de la sauver. Lorédan se remit en marche sans faire attention à un mouvement de surprise qui échappa au geôlier ; tous les trois descendirent l’escalier, et revinrent dans la première salle où Luciani les attendait ; là, dès qu’il les eût aperçus, il se leva du siège qu’il avait pris, et dit à l’autre bandit d’aller ouvrir la porte ; il se préparait à le faire, mais son compagnon, en jurant d’une manière terrible, lui dit quelques mots dans une langue inconnue a Luciani et à Lorédan, puis allant se placer devant la porte. « Alte-là, révérends pères, leur dit-il, on peut surprendre une partie des mots d’ordre de notre abbé, mais on ne peut les deviner tous. Vous avez manqué, l’un, à faire ce qu’il devait, lorsque j’ai amené la dame ; l’autre a oublié le signe qui devait faire ouvrir le passage ; ainsi vous êtes tous les deux des fourbes, et voici la récompense de votre témérité. »

Il dit, et fond sur Lorédan, le croyant sans défense, tandis que son compagnon court vers Luciani ; mais aux premières paroles prononcées, le marquis n’avait pas tardé à se mettre en mesure, et Luciani, armé comme lui d’une épée cachée sous son vêtement, l’avait également imité. Ici la partie était égale, aussi fût-elle bientôt décidée ; l’adresse, la bravoure de Francavilla, lui donnaient incontestablement le premier rang parmi les chevaliers les plus vantés de la Sicile. Malgré le désavantage des armes, il eût promptement jeté par terre son assaillant, en lui arrachant la vie, et ce soin terminé, il courut au secours de Luciani, qui, ne possédant pas les mêmes avantages, était sur le point de succomber.

Le besoin de sa sûreté, de celle du grand infirmier, et de tous ceux qui s’intéressaient à lui, rendit en ce moment Lorédan impitoyable ; il frappa ce nouvel ennemi sans éprouver pour lui l’ordinaire pitié due au vaincu, et il chercha, en tranchant ses jours, à conserver ceux qui lui étaient bien autrement précieux.

Durant cette lutte terrible, la dame justement effrayée, avait perdu l’usage de ses sens ; elle était tombée sûr le plancher, et dans le premier moment, notre héros craignit qu’elle n’eût reçu quelque blessure de la main des scélérats qu’il venait de punir ; il fut à elle, et la releva ; la prit dans ses bras, et l’asseyant sur une chaise, essaya de la rappeler à la vie ; il vit avec joie que la frayeur était la seule cause de son évanouissement, et que pour elle le danger serait passé dès quelle aurait l’assurance d’être sauvée.

Cependant Luciani se montrait impatient de sortir de ce lieu ; il savait bien que nul autre qu’eux ne se trouvait alors dans les environs ; mais la prudence commandait impérieusement de ne pas se confier à un calme apparent ; et dès que la belle prisonnière eût ouvert ses beaux yeux, il la prit par la main, et tous en silence descendirent le dernier escalier qui devait les ramener dans l’intérieur du souterrain, remerciant le ciel qui leur avait permis de délier par les armes le dernier nœud qui s’opposait à leur délivrance.

Les deux geôliers de la prison, qui n’était autre que la forteresse vue dans la forêt par Amédéo, furent trompés d’abord, comme nous l’avons dit, par les divers signes que Luciani avait enseignés à Lorédan ; mais il restait encore pour celui auquel on confiait le soin d’amener la captive, à prendre la main de l’un des geôliers, à la serrer trois fois en répétant en nombre égal ces mots : « Vengeance et secret. » Puis il fallait, s’approchant du portier, lui faire une profonde salutation, en prononçant d’une voix concentrée : « À toi, marquis Francavilla, à toi ! »

Ces signes omis éveillèrent la défiance des bandits ; la conduite postérieure des deux aventuriers acheva de les convaincre qu’on les trompait, et on a vu le combat qui avait été la suite de cette découverte.

Luciani, après avoir cheminé quelque pas, s’enfonça sous une voûte excessivement basse, ouvrit encore une porte cachée par un rocher pivotant, et là, annonça au marquis qu’il fallait se séparer ; il lui indiqua la route qu’il devait suivre, lui donna la lampe des brigands et une torche qu’il avait apportée ; il fit passer la dame du côté de Lorédan, et après avoir écouté les expressions de la gratitude de notre héros, il replaça le rocher, et reprit avec promptitude la route du monastère, où il arriva sans avoir couru de nouveaux périls, et sans que l’on pût le soupçonner d’être entré pour quelque chose dans les actions qui eurent lieu durant cette mémorable nuit.

Ce n’était plus dans une voûte, ouvrage de l’art, que se trouvaient Lorédan et sa compagne, mais bien dans une caverne naturelle, immense par son étendue, et percée de plusieurs sentiers qui se perdaient dans de vastes profondeurs. Le marquis s’arrêta un moment pour contempler les brillantes cristallisations qui scintillaient autour de lui, et décoraient ce grand espace avec toute la pompe, toute la magnificence que la nature sait déployer dans ses œuvres.

Ce moment de repos permit à la belle inconnue de se remettre entièrement ; et lorsqu’elle eût un peu assis ses idées, elle témoigna de vives craintes de sa présente position ; elle croyait n’avoir évité un péril que pour tomber peut-être dans un pire, et ses regards témoignèrent à Lorédan son nouvel effroi.

La délicatesse de ce noble seigneur lui fit aisément deviner ce qui se passait dans le cœur de sa compagne ; il crut ne pas devoir retarder de lui rendre un peu de tranquillité ; et alors tirant de son sein une lettre que Luciani lui avait remise pour elle, il la pria de la lire attentivement.

La vive rougeur dont fut soudain coloré le beau visage de la dame, lorsqu’elle se fut approchée de la lampe qui l’éclairait, afin de mieux parcourir l’écrit qu’on lui avait donné, la douceur de son sourire, et le calme reparaissant soudain dans ses traits, prouvèrent au marquis que sa compagne était entièrement rassurée et qu’elle ne le comptait plus au rang de ses ennemis.

« Pardon, seigneur, lui dit-elle, si, effrayée par le nombre et la puissance des êtres coupables qui m’ont depuis un temps environnée, j’ai pu redouter de n’être pas délivrée de leurs mains en tombant dans les vôtres. Ma meilleure excuse sera de vous faire remarquer l’habit que vous portez ; j’ai appris à ne le voir revêtir que par mes ennemis, ou par ceux du cavalier, seul digne de mon estime et de toute ma tendresse. C’est lui qui me faisait trouver des charmes dans la sombre prison où j’étais renfermée, et c’est lui qui, par vous, me procurant ma délivrance, m’ordonne de vous suivre et de me confier à vous. Mais en même temps, par des motifs que plus tard il m’expliquera sans doute, il m’engage à vous taire son nom, se réservant lui-même de vous l’apprendre lorsque le moment favorable en sera venu. »

Elle dit et posant, la lettre sur la flamme de la lampe, elle la réduit entièrement en cendres.

« Madame, répliqua Lorédan, malgré toute la reconnaissance que mon cœur doit éprouver pour mon libérateur, qui sans doute doit être pareillement le vôtre, je ne puis m’empêcher de lui en vouloir au sujet de ce mystère dont il s’enveloppe ; se méfierait-il de ma discrétion ? sa tendresse me ferait-elle cette pénible injure ? Il est vrai que j’ose attribuer à d’autres causes ce silence dont il veut s’environner ; je respecte son motif. Hélas ! pensant en tout comme lui, moi non plus, je n’aurais garde de faire connaître ni mon protecteur, ni le nom de celui qui me poursuit avec un acharnement inexprimable.

Quant à vous, madame, croyez que désormais je veillerai sur vous avec la tendre vigilance d’un frère ; puissé-je par mes soins respectueux reconnaître un peu ce que fait pour moi le meilleur et le plus cher des hommes. »

Après avoir ainsi parlé, Francavilla fit observer à l’inconnue, qu’elle devait, si elle en avait le pouvoir, consentir à poursuivre leur route. « nous devons, dit-il, parcourir encore un vaste espace de chemin, avant d’avoir dépassé la forêt sombre, et s’il était possible, il faudrait que le jour naissant nous rencontrât bien au-delà de son enceinte.

La dame lui dit qu’elle était prête à le suivre, et Lorédan se mit à chercher dans cette immense caverne, un ruisseau dont le cours lui servît de guide ; il le trouva vers la droite, et les deux voyageurs le suivirent dans ses divers détours. Tantôt d’énormes colonnades de stalactites brillantes se développaient en portiques étincelans ; tantôt des masses de rochers, par leur noirceur, servaient de contraste à cette magnifique décoration. La voûte, tour-à-tour, ou s’élevait à perte de vue, où venait presque toucher la tête du couple aventurier. Il suivait constamment un sentier assez large, pratiqué le long du ruisseau, obstrué quelquefois par des décombres, mais le plus souvent net et parsemé d’un sable fin et blanc. Demi-heure encore se passa dans cette marche, enfin ils arrivèrent à un lieu où le ruisseau se précipitait sous une voûte, trop basse pour livrer un passage, et c’était l’endroit où Lorédan devait chercher à sortir de cette grotte merveilleuse.

Il examina avec attention tous les objets qui frappèrent ses yeux, et une énorme stalactite, imitant dans ses formes une gigantesque pyramide, attira son attention ; il passa derrière, aperçut à une élévation de près de six pieds, un anneau de cuivre, couvert de mousse ; il s’y éleva au moyen de deux grosses pierres, déjà placées sans affectation au dessous, et secouant avec force cet anneau, il ébranla une porte de cuivre pareillement, qui venant à s’ouvrir, lui montra sa partie intérieure découpée inégalement, et revêtue d’une pierre brute, paraissant faire partie du rocher.

Lorédan, charmé d’avoir atteint le but de son voyage, passa le premier par cette ouverture, puis y fit passer sa compagne, et ensuite referma solidement la porte secrète, se promettant bien de s’en servir encore quelque jour, s’il lui devenait nécessaire de rentrer dans le monastère de Santo-Génaro.

Tandis que le marquis prenait ce soin, l’inconnue en jetant un coup-d’œil dans la caverne nouvelle où ils se trouvaient, vit avec surprise un lit dans lequel reposait un homme, et tout auprès, sur une escabelle, était placé l’odieux vêtement des frères noirs. Sa frayeur fut extrême à cette vue ; elle se rapprocha précipitamment de Francavilla, et d’une voix étouffée par la terreur, elle lui fit part de sa découverte.

Lorédan, s’étant convaincu qu’elle ne se trompait point, s’arma promptement de son épée et courut vers ce religieux, prêt à l’immoler peut-être, si l’intérêt de leur sûreté l’exigeait ; mais quand la lampe eut mieux frappé les traits de ce personnage, quel fut le sentiment de joie du marquis, en reconnaissant non un ennemi, mais son cousin Amédéo Grimani.

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