— J’espère que vous ne vous attendez pas à d’autres crimes ?
— Oh ! non.
— Tant mieux, car je me demande si une école survivrait à deux assassinats dans le même trimestre.
Miss Bulstrode s’adressa ensuite à Kelsey :
— Vos assistants en ont-ils terminé avec le pavillon ? Ne pouvoir s’en servir deviendrait gênant.
— La perquisition est finie. À notre point de vue, et quel que soit le mobile du crime, il n’y a rien dans ce bâtiment qui puisse nous aider. Tout simplement un gymnase avec son équipement.
— Aucun indice dans les casiers des élèves ?
Kelsey esquissa un sourire :
— Oh ! quelques petites choses, par exemple un livre français : Candide, avec… des illustrations. Un exemplaire coûteux.
— Ainsi, c’est là qu’elle le cachait, ponctua miss Bulstrode. Le casier de Giselle d’Aubray, je suppose ?
Le respect de l’inspecteur s’accrut encore :
— Rien ne vous échappe, madame !
— J’en reviens à ma première question : puis-je vous aider ?
— Je ne le pense pas, du moins pour le moment. En revanche, qu’il me soit permis de vous demander si, depuis le début du trimestre, vous avez remarqué quoi que ce soit d’anormal : un quelconque incident, ou l’attitude d’une personne ?
Un silence pendant quelques instants, puis miss Bulstrode répondit, lentement :
— Sur le plan des faits réels, non.
Adam réagit sur-le-champ :
— Donnez-vous à entendre que vous avez eu… des pressentiments ?
— Peut-être. Je serais incapable de préciser… à moins que…
De nouveau le temps de la réflexion, et elle attira l’attention d’Adam sur la visite d’une certaine Mrs Upjohn, qui accompagnait sa fille, le jour de la rentrée des classes. Cette dame s’était penchée par une fenêtre du salon, et, regardant quelqu’un dans le jardin, avait poussé une exclamation. Qui, miss Bulstrode n’aurait su le dire. Rien de surprenant : il y avait plus de cent élèves et nombreuses étaient les familles qui accompagnaient leur progéniture. Mrs Upjohn aurait pu être en relation avec l’une d’elles. Toutefois, son attitude donnait l’impression qu’il s’agissait d’une personne qu’elle ne se serait pas attendue à voir à Meadowbank.
— Oui, ponctua miss Bulstrode, c’est exactement ce que j’ai pensé. Mais un autre visiteur m’a adressé la parole et, pendant un bon moment, je ne me suis plus préoccupée de Mrs Upjohn. Quand je pus la voir de nouveau, elle s’entretenait avec une autre dame, des missions qu’elle avait remplies, en tant qu’agent secret, pendant la guerre. Dérangée de nouveau, j’ai dû m’éloigner.
— Intéressant ! ponctua Kelsey. La personne d’abord aperçue par elle, de la fenêtre, était sans doute une ancienne collègue, à l’Intelligence Service – la parente d’une pensionnaire, ou l’un de vos professeurs.
— Peu probable, objecta miss Bulstrode.
— De toute façon, il convient que nous nous mettions en rapport avec Mrs Upjohn, reprit Kelsey. Et le plus rapidement possible. Avez-vous son adresse ?
— Évidemment, mais je crois que, pour le moment, elle voyage à l’étranger. Je vais m’en assurer.
Miss Bulstrode sonna, mais, son appel demeurant sans réponse, elle sortit du bureau et interpella une élève qui passait clans le vestibule :
— Paula, voulez-vous aller chercher Julia Upjohn ?
Quand miss Bulstrode revint à sa place, Adam se leva à son tour :
— Il est préférable que je disparaisse d’ici avant l’arrivée de cette jeune demoiselle, estima-t-il. Il semblerait étrange que je participe à l’enquête dont l’inspecteur est chargé. Officiellement, il m’a classé parmi les suspects. S’étant rendu compte qu’il ne peut rien relever contre moi, il m’ordonne de débarrasser le plancher. N’est-ce pas, inspecteur ?
— Vous pouvez disposer, jeune homme, et n’oubliez pas que j’ai l’œil sur vous, ironisa Kelsey.
— À propos, miss Bulstrode, reprit Adam avant d’ouvrir la porte, me permettez-vous d’abuser quelque peu de mon emploi chez vous ? Par exemple, d’être un tantinet trop aimable avec les membres de votre personnel ?
— Lesquelles ?
— Mlle Blanche, par exemple.
— La Française ? Pensez-vous que ?…
— J’ai l’impression qu’elle s’ennuie plutôt à Meadowbank.
— Ah ! (La directrice paraissait plutôt choquée.) Peut-être avez-vous raison. Et qui, encore ?
— Je vais user de mes charmes un peu partout, répondit gaiement Adam. Et si vous apprenez que plusieurs de vos pensionnaires se prennent d’un engouement tout spécial pour… le jardinage, soyez certaine que mon empressement est exclusivement dicté par les nécessités de l’enquête.
— Avez-vous idée que les élèves puissent savoir quelque chose ?
— Chacun sait toujours quelque chose, et parfois sans s’en douter.
— Possible, en effet…
On frappa à la porte. Julia Upjohn fit son apparition, à bout de souffle.
Kelsey grogna, en s’adressant à Adam :
— Cela suffira, Goodman. Sortez, et reprenez votre travail.
— Vous avez constaté que je ne sais rien, marmonna le prétendu aide-jardinier.
Et il disparut, non sans murmurer :
— Damnée Gestapo !
— Je suis navrée de me présenter dans cet état, miss Bulstrode, dit Julia, mais j’ai couru depuis le tennis.
— Inutile de vous excuser ; je désire simplement vous demander l’adresse de votre mère, plus exactement l’endroit où je peux lui envoyer une lettre.
— Oh ! le mieux est d’écrire à ma tante Isabelle, car maman est à l’étranger.
— Je connais le domicile de votre tante, mais c’est à Mrs Upjohn, qu’il me faut écrire.
— Je ne vois pas comment je pourrais vous satisfaire. Maman excursionne en Anatolie dans un bus.
— Dans un bus ? répéta miss Bulstrode, stupéfaite.
Julia agita vigoureusement la tête :
— Elle aime cela. Ce genre de locomotion est tellement bon marché ! En revanche, peu confortable. Impossible de la toucher avant trois semaines.
— Regrettable ! Dites-moi, Julia, votre mère vous a-t-elle parlé d’une personne qu’elle a rencontrée ici, et qu’elle aurait fréquentée pendant la guerre ?
— Pas que je sache, miss Bulstrode… non, décidément.
— Mrs Upjohn appartenait aux Services Secrets, je crois ?
— Oui, et elle semblait beaucoup aimer ce genre d’activité. Oh ! elle n’a jamais fait sauter quoi que ce soit, la Gestapo ne l’a jamais arrêtée ; donc, aucune torture. Elle opérait en Suisse, je pense… ou serait-ce au Portugal ?
Julia s’excusait presque :
— Toutes ces histoires de guerre ont fini par me lasser, et je crains de ne pas les avoir toujours écoutées avec attention.
— Je vous remercie, Julia.
— Vraiment, reprit miss Bulstrode, après le départ de la jeune fille, aller en Anatolie dans de telles conditions, voilà qui me dépasse ! Et cette enfant en parle comme s’il s’agissait de prendre le bus 73, pour faire des achats, à Regent Street[5] !
*
* *
Maussade et agitant nerveusement sa raquette, Jennifer Sutcliffe s’éloignait du court. Les fautes qu’elle avait accumulées au cours de la partie l’épouvantaient. Une excuse, peut-être : l’état de sa raquette. Il n’en demeurait pas moins que la jeune fille avait perdu la sûreté du jeu acquise grâce aux leçons de miss Springer. Dommage qu’elle soit morte ! Le tennis comptait pour beaucoup dans la vie de Jennifer…
— Excusez-moi…, entendit-elle soudainement.
Elle eut un sursaut : une femme élégante, à la chevelure d’un blond doré, et portant un paquet long et plat apparut dans l’allée même. Jennifer s’étonnait de ne pas l’avoir entendu marcher sur le gravier, mais il ne lui vint pas à l’esprit que l’inconnue avait pu se cacher derrière un arbre ou un massif de rhododendrons, et surgir à son approche.
Avec un léger accent américain, la nouvelle venue demanda :
— Vous serait-il possible de me dire où je pourrais trouver une jeune fille s’appelant…
Elle jeta un coup d’ail sur un carré de papier :
— … Jennifer Sutcliffe.
— C’est moi, répondit l’interpellée, encore sous le coup de la surprise.
— Vraiment, c’est une coïncidence ! Inouïe, même, de chercher quelqu’un dans une aussi grande école, et de la trouver sur-le-champ. Et on assure que de telles choses n’arrivent jamais !
— Vous avez la preuve du contraire, répliqua Jennifer qui s’était ressaisie.
— Hier, à un cocktail, j’ai mentionné qu’aujourd’hui, je viendrais déjeuner dans les parages, et votre tante qui était présente… ou serait-ce votre marraine ? Ma mémoire est pour ainsi dire nulle… enfin l’une ou l’autre s’est présentée à moi… j’ai oublié son nom. Toujours est-il qu’elle m’a demandé s’il me serait possible d’aller à Meadowbank et de vous apporter une raquette. Il paraît que vous en aviez demandé une.
Le visage de Jennifer s’éclaira : un miracle, rien de moins !
— Il doit s’agir de ma marraine, Mrs Campbell, que j’appelle tante Gina. Ce n’est sûrement pas tante Rosemonde, qui ne me donne qu’un mesquin billet de dix shillings, à Noël.
— Je me souviens du nom maintenant : Campbell.
Jennifer prit le paquet et l’ouvrit sur-le-champ.
— Oh ! formidable ! s’écria-t-elle. Je désirais une nouvelle raquette depuis si longtemps ! Impossible de jouer décemment avec une vieille.
— Je m’en doute.
— Et merci d’avoir bien voulu me l’apporter.
— Aucun dérangement pour moi, je vous assure. Oh ! à propos, on m’a demandé de reprendre l’ancienne.
Toute à sa joie, Jennifer l’avait jetée à terre, mais l’inconnue s’empressa de la ramasser :
— Votre marraine a l’intention de la faire réparer. Je vois qu’elle a besoin d’être recordée.
Déjà Jennifer essayait des swings avec son nouveau trésor. Aussi ne prêtait-elle qu’une attention relative à son interlocutrice :
— Cette antiquité n’en vaut guère la peine, lança-t-elle, sans même se retourner.
— Une raquette de secours peut être utile, reprit l’autre. Mais il se fait tard, et je dois me hâter.
— Désirez-vous un taxi ? suggéra Jennifer, revenue à la réalité. Je peux téléphoner.
— Non, merci. J’ai laissé ma voiture devant la grille, pour éviter des virages trop savants. Vraiment heureuse de vous avoir rencontrée. Au revoir ! Je vous souhaite du plaisir avec le cadeau de votre marraine !
Et elle s’éloigna rapidement, avant que Jennifer n’ait eu le temps de la remercier de nouveau.
Rayonnante, la jeune fille se lança à la recherche de Julia Upjohn. L’ayant rejointe, elle lui montra la raquette :
— Oh ! quelle beauté ! Et d’où vient-elle ? demanda Julia.
— Ma marraine, tante Gina, me l’a fait remettre. Elle est terriblement riche, et maman a dû lui dire que je me plaignais de mon vieil outil.
À ce moment, la princesse Shaila fit son apparition :
— Regardez, lui dit Jennifer. N’est-ce pas merveilleux ?
L’autre l’examina avec soin :
— Elle a dû coûter cher, remarqua-t-elle. Comme je voudrais pouvoir jouer convenablement au tennis !
Hochant la tête, elle s’en alla. Les deux amies se dirigèrent alors vers le pavillon des sports, enfin libéré des policiers, et Jennifer rangea soigneusement sa raquette.
— Qu’avez-vous fait de l’ancienne ? demanda Julia.
— Elle l’a emportée pour la faire recorder.
— Qui, exactement ?
— La femme qui a apporté la neuve, de la part de tante Gina.
— Je vois, répondit Julia, pensive.
— Au fait, reprit Jennifer, que vous voulait miss Bulstrode ?
— Rien de sensationnel : simplement l’adresse actuelle de ma mère. Mais, comment l’aurais-je ? Maman voyage en Anatolie dans un bus !… À propos, ce n’est pas réellement votre raquette que cette femme a prise…
— Que voulez-vous dire ?
— Qu’elle m’appartenait avant notre échange.
Jennifer eut un geste d’impatience :
— Quelle importance !
*
* *
Le troisième week-end du trimestre allait se dérouler selon l’usage : de nombreux parents sortaient leur progéniture et, de ce fait, l’école serait presque déserte. Même, une partie du personnel avait congé jusqu’à lundi matin. Et, exceptionnellement, miss Bulstrode se proposait de se rendre à l’invitation de la duchesse de Welsham, dont les deux filles avaient été envoyées à Meadowbank.
Samedi, dans la matinée, miss Bulstrode achevait de dicter le courrier à miss Shapland, quand le téléphone retentit. La secrétaire prit l’écoute, puis se tourna vers la directrice :
— Un message de l’émir Ibrahim, miss Bulstrode. Il est à l’hôtel Claridge et désirerait voir Shaila, demain.
Miss Bulstrode se saisit de l’appareil et, après une brève conversation interpella Ann Shapland :
— Shaila devra être prête à onze heures trente, et rentrer à vingt heures. Ces Orientaux ne préviennent jamais à temps. Il avait été décidé que Shaila sortirait avec Giselle d’Aubray, et il me faut annuler cette promenade. Ai-je répondu à toutes les lettres ?
— Oui, miss Bulstrode.
— Bien. Je partirai donc en toute quiétude. Expédiez le tout et, après, vous pourrez disposer du week-end. Je n’aurai pas besoin de vous avant l’heure du déjeuner, lundi.
— Merci, miss Bulstrode.
— Un jeune homme en vue ?
Ann rougit quelque peu.
— Oui, mais rien de sérieux.
— Il devrait pourtant en être ainsi. Si vous avez l’intention de vous marier, n’attendez pas trop longtemps.
— Oh ! il s’agit d’un vieil ami. Rien d’excitant !
— Excitant ? Voilà qui ne convient guère pour fonder un foyer. Allez me chercher miss Chadwick.
Une courte attente et celle-ci fit son apparition, toujours empressée.
— L’émir Ibrahim convoque sa nièce, dit la directrice. S’il vient en personne, n’oubliez pas de lui dire qu’elle fait des progrès satisfaisants.
— Elle n’est pas très brillante, murmura miss Chadwick.
— Sur le plan intellectuel, peut-être. Mais dans d’autres domaines, sa précocité ne fait aucun doute. Et, parfois, elle donne l’impression d’avoir vingt-cinq ans. Je suppose que la sophistication pratiquée à Téhéran, au Caire, à Istanbul et ailleurs en est la cause. Dans notre pays, nous avons tendance à laisser aux jeunes l’empreinte de l’adolescence, à dire : « Oh ! ce n’est encore qu’une enfant », et, dans la vie, c’est un grave handicap.
— Je ne saurais affirmer que je suis complètement d’accord avec vous, sur ce point, ma chère. Quoi qu’il en soit, vous pouvez disposer de votre week-end sans la moindre crainte.
— Oh ! je n’en aurai aucune ! Après tout, c’est une excellente occasion de laisser les rênes à Eleanor, et de me rendre compte de son comportement. Avec elle, et vous à ses côtés, il ne semble pas que les choses tourneront mal.
— Je l’espère bien ! Mais il me faut voir Shaila.
La jeune princesse parut surprise et nullement contente de l’arrivée de son parent dans la capitale britannique.
— Il veut me faire sortir demain ? s’écria-t-elle. Mais, miss Chadwick, il était décidé que j’irais me promener avec Giselle d’Aubray et sa mère.
— Ce sera partie remise.
— Je préférerais de beaucoup sortir avec Giselle, répliqua Shaila avec vivacité. Mon oncle n’est pas du tout amusant. Il mange, grogne, et tout cela est monotone.
— Il ne convient pas de s’exprimer ainsi, s’indigna miss Chadwick. Ce n’est pas poli. Votre oncle ne restera en Angleterre qu’une semaine et, naturellement, il entend vous voir.
— Peut-être a-t-il arrangé un nouveau mariage pour moi, reprit Shaila, dont le visage se détendit. S’il en est ainsi, cela m’amusera.
— Vous êtes encore trop jeune pour vous marier. Il vous faut d’abord parfaire votre éducation.
— Voilà qui est déprimant !
*
* *
Une matinée dominicale dans toute sa splendeur estivale. Miss Shapland était partie la veille, peu après miss Bulstrode. Trois professeurs : miss Johnson, miss Rich et miss Blake quittèrent Meadowbank vers 10 heures, laissant miss Vansittart, miss Chadwick, Mlle Blanche et miss Rowan à leurs postes habituels.
— J’espère que les élèves en congé ne vont pas trop parler, dit miss Chadwick, avec une certaine appréhension. J’entends de cette pauvre Springer.
— Il est à souhaiter, répondit miss Vansittart, que toute l’affaire soit bientôt oubliée.
Après le service religieux, les parents commencèrent à arriver pour emmener les « permissionnaires ». À la fois gracieuse et digne, miss Vansittart les accueillait, et, faisant avancer leurs filles, écartait adroitement toute référence à la récente tragédie :
— Devant cette jeunesse, il ne convient pas d’insister, disait-elle.
Nez collés aux vitres d’une fenêtre, Julia et Jennifer surveillaient les allées et venues :
— Quelqu’un aurait dû venir me chercher, murmura Julia. Ne serait-ce que tante Isabelle.
— Je verrai maman la semaine prochaine répondit Jennifer. Ce week-end, papa reçoit des personnes importantes et a besoin d’elle.
— Oh ! voilà Shaila ! reprit Julia. Toute pomponnée pour se rendre à Londres. Regardez les hauts talons de ses chaussures.
À ce moment, un chauffeur en livrée ouvrait la porte d’une imposante Cadillac. La princesse sauta prestement à l’intérieur de la voiture qui démarra aussitôt.
— Et qu’allez-vous faire cet après-midi ? demanda Jennifer. Votre correspondance, sans doute. Pour ma part, inutile d’écrire à maman, puisqu’elle vient la semaine prochaine.
— Vous n’aimez guère écrire, Jennifer.
— L’inspiration me fait défaut.
— Pas à moi, mais à qui pourrais-je adresser une lettre ? Vous savez que ma mère n’a pas d’adresse fixe. Au fait, je me demande pourquoi miss Bulstrode tenait tant à entrer en contact avec elle ; elle paraissait bouleversée, quand je lui ai dit dans quel pays elle se trouvait.
— Il ne s’agit certainement pas de vous. Vous n’avez pas commis une faute grave, je suppose ?
— Pas que je sache. Peut-être voulait-elle l’aviser à propos de Springer.
— Et pourquoi ? Du moins, doit-elle se réjouir qu’il y ait au moins une mère qui ne soit pas au courant.
Julia réfléchissait.
— Savez-vous, dit-elle enfin, qu’on doit nous cacher beaucoup de choses à propos de ce crime.
— Quoi, par exemple ?
— Il semble que des incidents assez curieux se succèdent… Tenez, celui de la raquette.
— À ce sujet, j’allais précisément vous informer, répondit Jennifer, que j’ai écrit à tante Gina pour la remercier, et que sa réponse m’a surprise. Figurez-vous qu’elle est très heureuse que j’aie eu satisfaction, mais, ajoute-t-elle, « ce n’est pas moi qui vous ai fait un « cadeau ».
— Et je viens de vous souligner que cette histoire de raquette me paraît bizarre ! D’autre part, vous m’aviez parlé d’un cambriolage chez vos parents.
— Mais on n’a rien volé !
— Ce qui le rend encore plus suspect. Les deux faits incitent à croire que vous et votre famille devriez être sur vos gardes.
— Quelle idée !
— N’avez-vous jamais lu un roman policier ? Eh bien ! d’une façon ou d’une autre, vous êtes dans le bain ! Interrogez votre mère, la semaine prochaine. Peut-être a-t-elle reçu des papiers secrets avant de quitter Ramat…
— Certainement pas !
— En êtes-vous certaine ? Pensez à toutes ces histoires sur les documents atomiques. Décidément, vous ne lisez rien !
Jennifer haussa les épaules. « Un peu folle, ma camarade », devait-elle penser.
*
* *
Miss Vansittart et miss Chadwick se tenaient dans le salon réservé aux professeurs, quand miss Rowan, fort agitée, surgit :
— La voiture de l’émir vient d’arriver et on demande Shaila.
— Quoi ! s’exclama « Chaddy ». Vous devez vous tromper. Cette auto est déjà venue il y a trois quarts d’heure et repartie avec la princesse.
— Peut-être une erreur : on a dû donner deux ordres successifs. Avec ces Orientaux, sait-on jamais ? déclara miss Vansittart.
Elle se rendit sur le perron et interpella le chauffeur :
— On est venu prendre la princesse il y a trois quarts d’heure, lui dit-elle.
L’homme parut surpris.
— Je suppose qu’il y a confusion, répondit-il. Cependant les instructions que j’ai reçues étaient précises : me rendre à Meadowbank pour aller chercher la jeune personne. Il est vrai que cet émir dispose d’un tel entourage que son message a pu nous être téléphoné par plusieurs personnes. C’est sûrement ce qui a dû arriver.
Après son départ, miss Vansittart hésita pendant quelques instants, puis, s’étant convaincue qu’il s’agissait d’un simple hasard, elle se prépara à passer un après-midi calme au possible.
Installée sous un cèdre du parc, elle faisait sa correspondance quand, à seize heures trente, le téléphone retentit dans l’école. Miss Chadwick, restée sur place, se saisit de l’appareil.
— Meadowbank ?… Miss Bulstrode est-elle là ? entendit-elle.
— Non, ici miss Chadwick. La directrice est absente.
— Je vous parle du Claridge, de la part de l’émir Ibrahim qui est fort surpris qu’on ne l’ait pas averti.
— Averti ?… Mais de quoi ?
— De l’impossibilité dans laquelle se trouvait la princesse Shaila de venir le voir.
— Donnez-vous à entendre qu’elle n’est pas arrivée au Claridge ?