Arsène Lupin contre Herlock Sholmès

Chapitre 4Quelques lueurs dans les ténèbres

Si bien trempé que soit le caractère d’un homme – et Sholmès estde ces êtres sur qui la mauvaise fortune n’a guère de prises – il ya cependant des circonstances où le plus intrépide éprouve lebesoin de rassembler ses forces avant d’affronter de nouveau leschances d’une bataille.

– Je me donne vacances aujourd’hui, dit-il.

– Et moi ?

– Vous, Wilson, vous achèterez des vêtements et du linge pourremonter notre garde-robe. Pendant ce temps je me repose.

– Reposez-vous, Sholmès. Je veille.

Wilson prononça ces deux mots avec toute l’importance d’unesentinelle placée aux avant-postes et par conséquent exposée auxpires dangers. Son torse se bomba. Ses muscles se tendirent. D’unœil aigu, il scruta l’espace de la petite chambre d’hôtel où ilsavaient élu domicile.

– Veillez, Wilson. J’en profiterai pour préparer un plan decampagne mieux approprié à l’adversaire que nous avons à combattre.Voyez-vous, Wilson, nous nous sommes trompés sur Lupin. Il fautreprendre les choses à leur début.

– Avant même si possible. Mais avons-nous le temps ?

– Neuf jours, vieux camarade ! C’est cinq de trop.

Tout l’après-midi, l’Anglais le passa à fumer et à dormir. Cen’est que le lendemain qu’il commença ses opérations.

– Wilson, je suis prêt, maintenant nous allons marcher.

– Marchons, s’écria Wilson, plein d’une ardeur martiale. J’avoueque pour ma part j’ai des fourmis dans les jambes.

Sholmès eut trois longues entrevues – avec Maître Detinand’abord, dont il étudia l’appartement dans ses moindresdétails ; avec Suzanne Gerbois à laquelle il avait télégraphiéde venir et qu’il interrogea sur la Dame blonde ; avec la sœurAuguste enfin, retirée au couvent des Visitandines depuisl’assassinat du Baron d’Hautrec.

À chaque visite, Wilson attendait dehors, et chaque fois ildemandait :

– Content ?

– Très content.

– J’étais certain, nous sommes sur la bonne voie. Marchons.

Ils marchèrent beaucoup. Ils visitèrent les deux immeubles quiencadrent l’hôtel de l’avenue Henri-Martin, puis s’en allèrentjusqu’à la rue Clapeyron, et tandis qu’il examinait la façade dunuméro 25, Sholmès continuait :

– Il est évident qu’il existe des passages secrets entre toutesces maisons… mais ce que je ne saisis pas…

Au fond de lui, et pour la première fois, Wilson douta de latoute-puissance de son génial collaborateur. Pourquoi parlait-iltant et agissait-il si peu ?

– Pourquoi ? s’écria Sholmès, répondant aux pensées intimesde Wilson, parce que, avec ce diable de Lupin, on travaille dans levide, au hasard, et qu’au lieu d’extraire la vérité de faitsprécis, on doit la tirer de son propre cerveau, pour vérifierensuite si elle s’adapte bien aux événements.

– Les passages secrets pourtant ?

– Et puis quoi ! Quand bien même je les connaîtrais, quandje connaîtrais celui qui a permis à Lupin d’entrer chez son avocat,ou celui qu’a suivi la Dame blonde après le meurtre du Barond’Hautrec, en serais-je plus avancé ? Cela me donnerait-il desarmes pour l’attaquer ?

– Attaquons toujours, s’exclama Wilson.

Il n’avait pas achevé ces mots qu’il recula, avec un cri.Quelque chose venait de tomber à leurs pieds, un sac à moitiérempli de sable, qui eût pu les blesser grièvement.

Sholmès leva la tête au-dessus d’eux, des ouvriers travaillaientsur un échafaudage accroché au balcon du cinquième étage.

– Eh bien ! Nous avons de la chance, s’écria-t-il, un pasde plus et nous recevions sur le crâne le sac d’un de cesmaladroits. On croirait vraiment…

Il s’interrompit, puis bondit vers la maison, escalada les cinqétages, sonna, fit irruption dans l’appartement, au grand effroi duvalet de chambre, et passa sur le balcon. Il n’y avaitpersonne.

– Les ouvriers qui étaient là ?… dit-il au valet dechambre.

– Ils viennent de s’en aller.

– Par où ?

– Mais par l’escalier de service.

Sholmès se pencha. Il vit deux hommes qui sortaient de lamaison, leurs bicyclettes à la main. Ils se mirent en selle etdisparurent.

– Il y a longtemps qu’ils travaillent sur cetéchafaudage ?

– Ceux-là ? depuis ce matin seulement. C’étaient desnouveaux.

Sholmès rejoignit Wilson.

Ils rentrèrent mélancoliquement et cette seconde journée setermina dans un mutisme morne.

Le lendemain, programme identique. Ils s’assirent sur le mêmebanc de l’avenue Henri-Martin, et ce fut, au grand désespoir deWilson qui ne s’amusait nullement, une interminable stationvis-à-vis des trois immeubles.

– Qu’espérez-vous, Sholmès ? Que Lupin sorte de cesmaisons ?

– Non.

– Que la Dame blonde apparaisse ?

– Non.

– Alors ?

– Alors j’espère qu’un petit fait se produira, un tout petitfait quelconque, qui me servira de point de départ.

– Et s’il ne se produit pas ?

– En ce cas, il se produira quelque chose en moi, une étincellequi mettra le feu aux poudres.

Un seul incident rompit la monotonie de cette matinée, mais defaçon plutôt désagréable.

Le cheval d’un Monsieur, qui suivait l’allée cavalière situéeentre les deux chaussées de l’avenue, fit un écart et vint heurterle banc où ils étaient assis, en sorte que sa croupe effleural’épaule de Sholmès.

– Eh ! Eh ! ricana celui-ci, un peu plus j’avaisl’épaule fracassée !

Le Monsieur se débattait avec son cheval. L’Anglais tira sonrevolver et visa. Mais Wilson lui saisit le bras vivement.

– Vous êtes fou, Herlock ! Voyons… quoi … vous allez tuerce gentleman !

– Lâchez-moi donc, Wilson… lâchez-moi.

Une lutte s’engagea, pendant laquelle le Monsieur maîtrisa samonture et piqua des deux.

– Et maintenant tirez dessus, s’exclama Wilson, triomphant,lorsque le cavalier fut à quelque distance.

– Mais, triple imbécile, vous ne comprenez donc pas que c’étaitun complice d’Arsène Lupin ?

Sholmès tremblait de colère. Wilson, piteux, balbutia :

– Que dites-vous ? Ce gentleman ?…

– Complice de Lupin, comme les ouvriers qui nous ont lancé lesac sur la tête.

– Est-ce croyable ?

– Croyable ou non, il y avait là un moyen d’acquérir unepreuve.

– En tuant ce gentleman ?

– En abattant son cheval, tout simplement. Sans vous, je tenaisun des complices de Lupin. Comprenez-vous votre sottise ?

L’après-midi fut morose. Ils ne s’adressèrent pas la parole. Àcinq heures, comme ils faisaient les cent pas dans la rue deClapeyron, tout en ayant soin de se tenir éloignés des maisons,trois jeunes ouvriers qui chantaient et se tenaient par le bras lesheurtèrent et voulurent continuer leur chemin sans se désunir.Sholmès, qui était de mauvaise humeur, s’y opposa. Il y eut unecourte bousculade. Sholmès se mit en posture de boxeur, lança uncoup de poing dans une poitrine, un coup de poing sur un visage etdémolit deux des trois jeunes gens qui, sans insister davantage,s’éloignèrent ainsi que leur compagnon.

– Ah ! s’écria-t-il, ça me fait du bien… J’avais justementles nerfs tendus… excellente besogne…

Mais, apercevant Wilson appuyé contre le mur, il lui dit :

– Eh quoi ! qu’y a-t-il, vieux camarade, vous êtes toutpâle.

Le vieux camarade montra son bras qui pendait inerte, etbalbutia :

– Je ne sais pas ce que j’ai… une douleur au bras.

– Une douleur au bras ? Sérieuse ?

– Oui… oui… le bras droit…

Malgré tous ses efforts il ne parvenait pas à le remuer. Herlockle palpa, doucement d’abord, puis de façon plus rude, « pour voir,dit-il, le degré exact de la douleur ». Le degré exact de ladouleur fut si élevé que, très inquiet, il entra dans une pharmacievoisine où Wilson éprouva le besoin de s’évanouir.

Le pharmacien et ses aides s’empressèrent. On constata que lebras était cassé, et tout de suite il fut question de chirurgien,d’opération et de maison de santé. En attendant, on déshabilla lepatient qui, secoué par la souffrance, se mit à pousser deshurlements.

– Bien… bien… parfait, disait Sholmès qui s’était chargé detenir le bras… un peu de patience, mon vieux camarade… dans cinq ousix semaines, il n’y paraîtra plus… Mais ils me le paieront, lesgredins vous entendez.., lui surtout… car c’est encore ce Lupin demalheur qui a fait le coup… ah ! je vous jure que sijamais…

Il s’interrompit brusquement, lâcha le bras, ce qui causa àWilson un tel sursaut de douleur que l’infortuné s’évanouit denouveau.., et, se frappant le front, il articula :

– Wilson, j’ai une idée… est-ce que par hasard ?…

Il ne bougeait pas, les yeux fixes, et marmottait de petitsbouts de phrase.

– Mais oui, c’est cela… tout s’expliquerait… on cherche bienloin ce qui est à côté de soi… eh parbleu, je le savais qu’il n’yavait qu’à réfléchir… ah mon bon Wilson, je crois que vous allezêtre content !

Et laissant le vieux camarade en plan, il sauta dans la rue etcourut jusqu’au numéro 25.

Au-dessus et à droite de la porte, il y avait, inscrit sur l’unedes pierres :

« Destange, architecte, 1875. »

Au 23, même inscription.

Jusque-là, rien que de naturel. Mais là-bas, avenueHenri-Martin, que lirait-il ?

Une voiture passait.

– Cocher, avenue Henri-Martin, n° 134, et au galop.

Debout dans la voiture, il excitait le cheval, offrait despourboires au cocher. Plus vite !… Encore plus vite !

Quelle fut son angoisse au détour de la rue de la Pompe !Était-ce un peu de la vérité qu’il avait entrevu ?

Sur l’une des pierres de l’hôtel, ces mots étaient gravés : »Destange, architecte, 1874. »

Sur les immeubles voisins, même inscription : « Destange,architecte, 1874. »

Le contrecoup de ces émotions fut tel qu’il s’affaissa quelquesminutes au fond de sa voiture, tout frissonnant de joie. Enfin, unepetite lueur vacillait au milieu des ténèbres ! Parmi lagrande forêt sombre où mille sentiers se croisaient, voilà qu’ilrecueillait la première marque d’une piste suivie parl’ennemi !

Dans un bureau de poste, il demanda la communicationtéléphonique avec le château de Crozon. La comtesse lui réponditelle-même.

– Allô !… C’est vous, Madame ?

– Monsieur Sholmès, n’est-ce pas ? Tout va bien ?

– Très bien, mais, en toute hâte, veuillez me dire… allô … unmot seulement…

– J’écoute.

– Le château de Crozon a été construit à quelleépoque ?

– Il a été brûlé il y a trente ans, et reconstruit.

– Par qui ? Et en quelle année ?

– Une inscription au-dessus du perron porte ceci : « LucienDestange, architecte, 1877. »

– Merci, madame, je vous salue.

Il repartit en murmurant :

– Destange… Lucien Destange… ce nom ne m’est pas inconnu.

Ayant aperçu un cabinet de lecture, il consulta un dictionnairede biographie moderne et copia la note consacrée à « LucienDestange, né en 1840, Grand-Prix de Rome, officier de la Légiond’honneur, auteur d’ouvrages très appréciés sur l’architecture…etc. »

Il se rendit alors à la pharmacie, et, de là, à la maison desanté où l’on avait transporté Wilson. Sur son lit de torture, lebras emprisonné dans une gouttière, grelottant de fièvre, le vieuxcamarade divaguait :

– Victoire ! Victoire ! s’écria Sholmès, je tiens uneextrémité du fil.

– De quel fil ?

– Celui qui me mènera au but ! Je vais marcher sur unterrain solide, où il y aura des empreintes, des indices…

– De la cendre de cigarette ? demanda Wilson, que l’intérêtde la situation ranimait.

– Et bien d’autres choses ! Pensez donc, Wilson, j’aidégagé le lien mystérieux qui unissait entre elles les différentesaventures de la Dame blonde. Pourquoi les trois demeures où se sontdénouées ces trois aventures ont-elles été choisies parLupin ?

– Oui, pourquoi ?

– Parce que ces trois demeures, Wilson, ont été construites parle même architecte. C’était facile à deviner, direz-vous ?Certes… aussi personne n’y songeait-il.

– Personne, sauf vous.

– Sauf moi, qui sais maintenant que le même architecte, encombinant des plans analogues, a rendu possible l’accomplissementde trois actes, en apparence miraculeux, en réalité simples etfaciles.

– Quel bonheur !

– Et il était temps, vieux camarade, je commençais à perdrepatience… c’est que nous en sommes déjà au quatrième jour.

– Sur dix.

– Oh ! Désormais…

Il ne tenait pas en place, exubérant et joyeux contre sonhabitude.

– Non, mais quand je pense que, tantôt, dans la rue, cesgredins-là auraient pu casser mon bras tout aussi bien que levôtre. Qu’en dites-vous, Wilson ?

Wilson se contenta de frissonner à cette horriblesupposition.

Et Sholmès reprit :

– Que cette leçon nous profite ! Voyez-vous, Wilson, notregrand tort a été de combattre Lupin à visage découvert, et de nousoffrir complaisamment à ses coups. Il n’y a que demi-mal, puisqu’iln’a réussi qu’à vous atteindre…

– Et que j’en suis quitte pour un bras cassé, gémit Wilson.

– Alors que les deux pouvaient l’être. Mais plus defanfaronnades. En plein jour et surveillé, je suis vaincu. Dansl’ombre, et libre de mes mouvements, j’ai l’avantage, quelles quesoient les forces de l’ennemi.

– Ganimard pourrait vous aider.

– Jamais ! Le jour où il me sera permis de dire ArsèneLupin est là, voici son gîte, et voici comment il faut s’emparer delui, j’irai relancer Ganimard à l’une des deux adresses qu’il m’adonnées : son domicile, rue Pergolèse, ou la taverne suisse, placedu Châtelet. D’ici là, j’agis seul.

Il s’approcha du lit, posa sa main sur l’épaule de Wilson – surl’épaule malade naturellement – et lui dit avec une grandeaffection :

– Soignez-vous, mon vieux camarade. Votre rôle consistedésormais à occuper deux ou trois hommes d’Arsène Lupin, quiattendront vainement, pour retrouver ma trace, que je vienneprendre de vos nouvelles. C’est un rôle de confiance.

– Un rôle de confiance et je vous en remercie, répliqua Wilson,pénétré de gratitude ; je mettrai tous mes soins à le remplirconsciencieusement. Mais, d’après ce que je vois, vous ne revenezplus ?

– Pour quoi faire ? demanda froidement Sholmès.

– En effet… en effet… je vais aussi bien que possible. Alors, undernier service, Herlock : ne pourriez-vous me donner àboire ?

– À boire ?

– Oui, je meurs de soif, et avec ma fièvre…

– Mais comment donc ! Tout de suite…

Il tripota deux ou trois bouteilles, aperçut un paquet de tabac,alluma sa pipe, et soudain, comme s’il n’avait même pas entendu laprière de son ami, il s’en alla pendant que le vieux camaradeimplorait du regard un verre d’eau inaccessible.

– M. Destange !

Le domestique toisa l’individu auquel il venait d’ouvrir laporte de l’hôtel – le magnifique hôtel qui fait le coin de la placeMalesherbes et de la rue Montchanin – et à l’aspect de ce petithomme à cheveux gris, mal rasé, et dont la longue redingote noire,d’une propreté douteuse, se conformait aux bizarreries d’un corpsque la nature avait singulièrement disgracié, il répondit avec ledédain qui convenait :

– M. Destange est ici, ou n’y est pas. Ça dépend. Monsieur a sacarte ?

Monsieur n’avait pas sa carte, mais il avait une lettred’introduction, et le domestique dut porter cette lettre à M.Destange, lequel M. Destange donna l’ordre qu’on amenât auprès delui le nouveau venu.

Il fut donc introduit dans une immense pièce en rotonde quioccupe une des ailes de l’hôtel et dont les murs étaient recouvertsde livres, et l’architecte lui dit :

– Vous êtes Monsieur Stickmann ?

– Oui, Monsieur.

– Mon secrétaire m’annonce qu’il est malade et vous envoie pourcontinuer le catalogue général des livres qu’il a commencé sous madirection, et plus spécialement le catalogue des livres allemands.Vous avez l’habitude de ces sortes de travaux ?

– Oui, Monsieur, une longue habitude, répondit le sieurStickmann avec un fort accent tudesque.

Dans ces conditions l’accord fut vite conclu, et M. Destange,sans plus tarder, se mit au travail avec son nouveausecrétaire.

Herlock Sholmès était dans la place.

Pour échapper à la surveillance de Lupin et pour pénétrer dansl’hôtel que Lucien Destange habitait avec sa fille Clotilde,l’illustre détective avait dû faire un plongeon dans l’inconnu,accumuler les stratagèmes, s’attirer, sous les noms les plusvariés, les bonnes grâces et les confidences d’une foule depersonnages, bref vivre, pendant quarante-huit heures, de la vie laplus compliquée.

Comme renseignement il savait ceci : M. Destange, de santémédiocre et désireux de repos, s’était retiré des affaires etvivait parmi les collections de livres qu’il a réunies surl’architecture. Nul plaisir ne l’intéressait, hors le spectacle etle maniement des vieux tomes poudreux.

Quant à sa fille Clotilde, elle passait pour originale. Toujoursenfermée, comme son père, mais dans une autre partie de l’hôtel,elle ne sortait jamais.

« Tout cela, se disait-il, en inscrivant sur un registre destitres de livres que M. Destange lui dictait, tout cela n’est pasencore décisif, mais quel pas en avant ! Il est possible queje ne découvre point la solution d’un de ces problèmes passionnants: M. Destange est-il l’associé d’Arsène Lupin ? Continue-t-ilà le voir ? Existe-t-il des papiers relatifs à la constructiondes trois immeubles ? Ces papiers ne me fourniront-ils pasl’adresse d’autres immeubles, pareillement truqués, et que Lupin seserait réservés, pour lui et sa bande ? »

M. Destange, complice d’Arsène Lupin ! Cet homme vénérable,officier de la Légion d’honneur, travaillant aux côtés d’uncambrioleur, l’hypothèse n’était guère admissible. D’ailleurs, enadmettant cette complicité, comment M. Destange aurait-il puprévoir, trente ans auparavant, les évasions d’Arsène Lupin, alorsen nourrice ?

N’importe ! L’Anglais s’acharnait. Avec son flairprodigieux, avec cet instinct qui lui est particulier, il sentaitun mystère qui rôdait autour de lui. Cela se devinait à de petiteschoses qu’il n’eût pu préciser, mais dont il subissait l’impressiondepuis son entrée dans l’hôtel.

Le matin du deuxième jour il n’avait encore fait aucunedécouverte intéressante. À deux heures, il aperçut pour la premièrefois Clotilde Destange qui venait chercher un livre dans labibliothèque. C’était une femme d’une trentaine d’années, brune, degestes lents et silencieux, et dont le visage gardait cetteexpression indifférente de ceux qui vivent beaucoup en eux-mêmes.Elle échangea quelques paroles avec M. Destange, et se retira sansmême avoir regardé Sholmès.

L’après-midi se traîna, monotone. À cinq heures, M. Destangeannonça qu’il sortait. Sholmès resta seul sur la galerie circulaireaccrochée à mi-hauteur de la rotonde. Le jour s’atténua. Il sedisposait, lui aussi, à partir, quand un craquement se fitentendre, et, en même temps, il eut la sensation qu’il y avaitquelqu’un dans la pièce. De longues minutes s’ajoutèrent les unesaux autres. Et soudain il frissonna : une ombre émergeait de lademi-obscurité, tout près de lui, sur le balcon. Était-cecroyable ? Depuis combien de temps ce personnage invisible luitenait-il compagnie ? Et d’où venait-il ?

Et l’homme descendit les marches et se dirigea du côté d’unegrande armoire de chêne. Dissimulé derrière les étoffes quipendaient à la rampe de la galerie, à genoux, Sholmès observa, etil vit l’homme qui fouillait parmi les papiers dont l’armoire étaitencombrée. Que cherchait-il ?

Et voilà tout à coup que la porte s’ouvrit et que Mlle Destangeentra vivement, en disant à quelqu’un qui la suivait :

– Alors décidément tu ne sors pas, père ?… En ce cas,j’allume… une seconde… ne bouge pas…

L’homme repoussa les battants de l’armoire et se cacha dansl’embrasure d’une large fenêtre dont il tira les rideaux sur lui.Comment Mlle Destange ne le vit-elle pas ? Comment nel’entendit-elle pas ? Très calmement, elle tourna le bouton del’électricité et livra passage à son père. Ils s’assirent l’un prèsde l’autre. Elle prit un volume qu’elle avait apporté et se mit àlire.

– Ton secrétaire n’est donc plus là ? dit-elle au bout d’uninstant.

– Non… tu vois…

– Tu en es toujours content ? reprit-elle, comme si elleignorait la maladie du véritable secrétaire et son remplacement parStickmann.

– Toujours… toujours…

La tête de M. Destange ballottait de droite et de gauche. Ils’endormit.

Un moment s’écoula. La jeune fille lisait. Mais un des rideauxde la fenêtre fut écarté, et l’homme se glissa le long du mur, versla porte, mouvement qui le faisait passer derrière M. Destange,mais en face de Clotilde, et de telle façon que Sholmès put le voirdistinctement. C’était Arsène Lupin.

L’Anglais frissonna de joie. Ses calculs étaient justes, ilavait pénétré au cœur même de la mystérieuse affaire, et Lupin setrouvait à l’endroit prévu.

Clotilde ne bougeait pas cependant, quoiqu’il fût inadmissiblequ’un seul geste de cet homme lui échappât. Et Lupin touchaitpresque à la porte, et déjà il tendait le bras vers la poignée,quand un objet tomba d’une table, frôlé par son vêtement. M.Destange se réveilla en sursaut. Arsène Lupin était déjà devantlui, le chapeau à la main, et souriant.

– Maxime Bermond, s’écria M. Destange avec joie… ce cherMaxime ! … Quel bon vent vous amène ?

– Le désir de vous voir, ainsi que Mlle Destange.

– Vous êtes donc revenu de voyage ?

– Hier.

– Et vous nous restez à dîner ?

– Non, je dîne au restaurant avec des amis.

– Demain, alors ? Clotilde, insiste pour qu’il viennedemain. Ah ! ce bon Maxime… justement je pensais à vous cesjours-ci.

– C’est vrai ?

– Oui, je rangeais mes papiers d’autrefois, dans cette armoire,et j’ai retrouvé notre dernier compte.

– Quel compte ?

– Celui de l’avenue Henri-Martin.

– Comment ! Vous gardez ces paperasses ! À quoibon ! …

Ils s’installèrent tous trois dans un petit salon qui attenait àla rotonde par une large baie.

– Est-ce Lupin ? se dit Sholmès, envahi d’un doutesubit.

Oui, en toute évidence, c’était lui, mais c’était un autre hommeaussi, qui ressemblait à Arsène Lupin par certains points, et quipourtant gardait son individualité distincte, ses traitspersonnels, son regard, sa couleur de cheveux…

En habit, cravaté de blanc, la chemise souple moulant son torse,il parlait allégrement, racontant des histoires dont M. Destangeriait de tout cœur et qui amenaient un sourire sur les lèvres deClotilde. Et chacun de ces sourires paraissait une récompense querecherchait Arsène Lupin et qu’il se réjouissait d’avoir conquise.Il redoublait d’esprit et de gaieté, et, insensiblement, au son decette voix heureuse et claire, le visage de Clotilde s’animait etperdait cette expression de froideur qui le rendait peusympathique.

« Ils s’aiment, pensa Sholmès, mais que diable peut-il y avoirde commun entre Clotilde Destange et Maxime Bermond ?Sait-elle que Maxime n’est autre qu’Arsène Lupin ? »

Jusqu’à sept heures, il écouta anxieusement, faisant son profitdes moindres paroles. Puis, avec d’infinies précautions, ildescendit et traversa le côté de la pièce où il ne risquait pasd’être vu du salon.

Dehors, Sholmès s’assura qu’il n’y avait ni automobile, nifiacre en station, et s’éloigna en boitillant par le boulevardMalesherbes. Mais, dans une rue adjacente, il mit sur son dos lepardessus qu’il portait sur son bras, déforma son chapeau, seredressa et, ainsi métamorphosé, revint vers la place où ilattendit, les yeux fixés à la porte de l’hôtel Destange.

Arsène Lupin sortit presque aussitôt, et par les rues deConstantinople et de Londres, se dirigea vers le centre de Paris. Àcent pas derrière lui marchait Herlock.

Minutes délicieuses pour l’Anglais ! Il reniflait avidementl’air, comme un bon chien qui sent la piste toute fraîche.Vraiment, cela lui semblait une chose infiniment douce que desuivre son adversaire. Ce n’était plus lui qui était surveillé,mais Arsène Lupin, l’invisible Arsène Lupin. Il le tenait pourainsi dire au bout de son regard, comme attaché par des liensimpossibles à briser. Et il se délectait à considérer, parmi lespromeneurs, cette proie qui lui appartenait.

Mais un phénomène bizarre ne tarda pas à le frapper au milieu del’intervalle qui le séparait d’Arsène Lupin, d’autres genss’avançaient dans la même direction, notamment deux grandsgaillards en chapeau rond sur le trottoir de gauche, deux autressur le trottoir de droite en casquette et la cigarette auxlèvres.

Il n’y avait là peut-être qu’un hasard. Mais Sholmès s’étonnadavantage quand Lupin, ayant pénétré dans un bureau de tabac, lesquatre hommes s’arrêtèrent – et davantage encore – quand ilsrepartirent en même temps que lui, mais isolément, chacun suivantde son côté la Chaussée d’Antin.

« Malédiction, pensa Sholmès, il est donc filé ! »

L’idée que d’autres étaient sur la trace d’Arsène Lupin, qued’autres lui raviraient, non pas la gloire – il s’en inquiétait peu– mais le plaisir immense, l’ardente volupté de réduire, à luiseul, le plus redoutable ennemi qu’il eût jamais rencontré, cetteidée l’exaspérait. Cependant l’erreur n’était pas possible, leshommes avaient cet air détaché, cet air trop naturel de ceux qui,tout en réglant leur allure sur l’allure d’une autre personne, neveulent pas être remarqués.

« Ganimard en saurait-il plus long qu’il ne le dit ?murmura Sholmès… se joue-t-il de moi ? »

Il eut envie d’accoster l’un des quatre individus, afin de seconcerter avec lui. Mais aux approches du boulevard, la fouledevenant plus dense, il craignit de perdre Lupin et pressa le pas.Il déboucha au moment où Lupin gravissait le perron du restauranthongrois, à l’angle de la rue Helder. La porte en était ouverte detelle façon que Sholmès, assis sur un banc du boulevard, de l’autrecôté de la rue, le vit qui prenait place à une table luxueusementservie, ornée de fleurs, et où se trouvaient déjà trois messieursen habit et deux dames d’une grande élégance, qui l’accueillirentavec des démonstrations de sympathie.

Herlock chercha des yeux les quatre individus et les aperçut,disséminés dans des groupes qui écoutaient l’orchestre de tziganesd’un café voisin. Chose curieuse, ils ne paraissaient pas s’occuperd’Arsène Lupin, mais beaucoup plus des gens qui lesentouraient.

Tout à coup, l’un d’eux tira de sa poche une cigarette et abordaun Monsieur en redingote et en chapeau haut de forme. Le Monsieurprésenta son cigare, et Sholmès eut l’impression qu’ils causaient,et plus longtemps même que ne l’eût exigé le fait d’allumer unecigarette. Enfin, le Monsieur monta les marches du perron et jetaun coup d’œil dans la salle du restaurant. Avisant Lupin, ils’avança, s’entretint quelques instants avec lui, puis il choisitune table voisine, et Sholmès constata que ce Monsieur n’étaitautre que le cavalier de l’avenue Henri-Martin.

Alors il comprit. Non seulement Arsène Lupin n’était pas filé,mais ces hommes faisaient partie de sa bande ! Ces hommesveillaient à sa sûreté !

C’était sa garde du corps, ses satellites, son escorteattentive. Partout où le maître courait un danger, les complicesétaient là, prêts à l’avertir, prêts à le défendre. Complices lesquatre individus ! Complice le Monsieur enredingote !

Un frisson parcourut l’Anglais. Se pouvait-il que jamais ilréussît à s’emparer de cet être inaccessible ? Quellepuissance illimitée représentait une pareille association, dirigéepar un tel chef !

Il déchira une feuille de son carnet, écrivit au crayon quelqueslignes qu’il inséra dans une enveloppe, et dit à un gamin d’unequinzaine d’années qui s’était couché sur le banc :

– Tiens, mon garçon, prends une voiture et porte cette lettre àla caissière de la taverne suisse, place du Châtelet. Etrapidement…

Il lui remit une pièce de cinq francs. Le gamin disparut.

Une demi-heure s’écoula. La foule avait grossi, et Sholmès nedistinguait plus que de temps en temps les acolytes de Lupin. Maisquelqu’un le frôla, et une voix lui dit à l’oreille :

– Eh bien ! Qu’y a-t-il, Monsieur Sholmès ?

– C’est vous, Monsieur Ganimard ?

– Oui, j’ai reçu votre mot à la taverne. Qu’y a-t-il ?

– Il est là.

– Que dites-vous ?

– Là-bas… au fond du restaurant… penchez-vous à droite… vous levoyez ?

– Non.

– Il verse du champagne à sa voisine.

– Mais ce n’est pas lui.

– C’est lui.

– Moi, je vous réponds… ah cependant… en effet il se pourrait…ah ! le gredin, comme il se ressemble ! murmura Ganimardnaïvement… et les autres, des complices ?

– Non, sa voisine c’est lady Cliveden, l’autre, c’est laduchesse de Cleath, et, vis-à-vis, l’ambassadeur d’Espagne àLondres.

Ganimard fit un pas. Herlock le retint.

– Quelle imprudence ! Vous êtes seul.

– Lui aussi.

– Non, il a des hommes sur le boulevard qui montent la garde…sans compter, à l’intérieur de ce restaurant, ce Monsieur…

– Mais moi, quand j’aurai mis la main au collet d’Arsène Lupinen criant son nom, j’aurai toute la salle pour moi, tous lesgarçons.

– J’aimerais mieux quelques agents.

– C’est pour le coup que les amis d’Arsène Lupin ouvriraientl’œil… non, voyez-vous, Monsieur Sholmès, nous n’avons pas lechoix.

Il avait raison, Sholmès le sentit. Mieux valait tenterl’aventure et profiter de circonstances exceptionnelles. Ilrecommanda seulement à Ganimard :

– Tâchez qu’on vous reconnaisse le plus tard possible…

Et lui-même se glissa derrière un kiosque de journaux, sansperdre de vue Arsène Lupin qui, là-bas, penché sur sa voisine,souriait.

L’inspecteur traversa la rue, les mains dans ses poches, enhomme qui va droit devant lui. Mais, à peine sur le trottoiropposé, il bifurqua vivement et d’un bond escalada le perron.

Un coup de sifflet strident… Ganimard se heurta contre le maîtred’hôtel, planté soudain en travers de la porte et qui le repoussaavec indignation, comme il aurait fait d’un intrus dont la miseéquivoque eût déshonoré le luxe du restaurant. Ganimard chancela.Au même instant, le Monsieur en redingote sortait. Il prit partipour l’inspecteur, et tous deux, le maître d’hôtel et lui,disputaient violemment, tous deux d’ailleurs accrochés à Ganimard,l’un le retenant, l’autre le poussant, et de telle manière que,malgré tous ses efforts, malgré ses protestations furieuses, lemalheureux fut expulsé jusqu’au bas du perron.

Un rassemblement se produisit aussitôt. Deux agents de police,attirés par le bruit, essayèrent de fendre la foule, mais unerésistance incompréhensible les immobilisa, sans qu’ils parvinssentà se dégager des épaules qui les pressaient, des dos qui leurbarraient la route…

Et tout à coup, comme par enchantement, le passage estlibre !… Le maître d’hôtel, comprenant son erreur, se confonden excuses, le Monsieur en redingote renonce à défendrel’inspecteur, la foule s’écarte, les agents passent, Ganimard foncesur la table aux six convives… il n’y en a plus que cinq. Ilregarde autour de lui… pas d’autre issue que la porte.

– La personne qui était à cette place, crie-t-il aux cinqconvives stupéfaits ?… Oui, vous étiez six… où se trouve lasixième personne ?

– M. Destro ?

– Mais non, Arsène Lupin !

Un garçon s’approche :

– Ce Monsieur vient de monter à l’entresol.

Ganimard se précipite. L’entresol est composé de salonsparticuliers et possède une sortie spéciale sur leboulevard !

– Allez donc le chercher maintenant, gémit Ganimard, il estloin !

Il n’était pas très loin, à deux cents mètres tout au plus, dansl’omnibus Madeleine-Bastille, lequel omnibus roulait paisiblementau petit trot de ses trois chevaux, franchissait la place del’Opéra et s’en allait par le boulevard des Capucines. Sur laplate-forme, deux grands gaillards à chapeau melon devisaient. Surl’impériale, au haut de l’escalier, somnolait un vieux petitbonhomme : Herlock Sholmès.

Et la tête dodelinante, bercé par le mouvement du véhicule,l’Anglais monologuait :

« Si mon brave Wilson me voyait, comme il serait fier de soncollaborateur !… Bah !… Il était facile de prévoir aucoup de sifflet que la partie était perdue, et qu’il n’y avait riende mieux à faire que de surveiller les alentours du restaurant.Mais, en vérité, la vie ne manque pas d’intérêt avec ce diabled’homme ! »

Au point terminus, Herlock s’étant penché, vit Arsène Lupin quipassait devant ses gardes du corps, et il l’entendit murmurer : « Àl’Étoile. »

« À l’Étoile, parfait, on se donne rendez-vous. J’y serai.Laissons-le filer dans ce fiacre automobile, et suivons en voitureles deux compagnons. »

Les deux compagnons s’en furent à pied, gagnèrent en effetl’Étoile et sonnèrent à la porte d’une étroite maison située aunuméro 40 de la rue Chaigrin. Au coude que forme cette petite ruepeu fréquentée, Sholmès put se cacher dans l’ombre d’unrenfoncement.

Une des deux fenêtres du rez-de-chaussée s’ouvrit, un homme enchapeau rond ferma les volets. Au-dessus des volets, l’impostes’éclaira.

Au bout de dix minutes, un Monsieur vint sonner à cette mêmeporte, puis, tout de suite après, un autre individu. Et enfin, unfiacre automobile s’arrêta, d’où Sholmès vit descendre deuxpersonnes : Arsène Lupin et une dame enveloppée d’un manteau etd’une voilette épaisse.

« La Dame blonde, sans aucun doute », se dit Sholmès, tandis quele fiacre s’éloignait.

Il laissa s’écouler un instant, s’approcha de la maison,escalada le rebord de la fenêtre, et, haussé sur la pointe despieds, il put, par l’imposte, jeter un coup d’œil dans lapièce.

Arsène Lupin, appuyé à la cheminée, parlait avec animation.Debout autour de lui, les autres l’écoutaient attentivement. Parmieux, Sholmès reconnut le Monsieur à la redingote et crutreconnaître le maître d’hôtel du restaurant. Quant à la Dameblonde, elle lui tournait le dos, assise dans un fauteuil.

« On tient conseil, pensa-t-il… les événements de ce soir lesont inquiétés et ils éprouvent le besoin de délibérer. Ah !Les prendre tous à la fois, d’un coup !… »

Un des complices ayant bougé, il sauta à terre et se renfonçadans l’ombre. Le Monsieur en redingote et le maître d’hôtelsortirent de la maison. Aussitôt le premier étage s’éclaira,quelqu’un tira les volets des fenêtres. Et ce fut l’obscurité enhaut comme en bas.

« Elle et lui sont restés au rez-de-chaussée, se dit Herlock.Les deux complices habitent le premier étage. »

Il attendit une partie de la nuit sans bouger, craignantqu’Arsène Lupin ne s’en allât pendant son absence. À quatre heures,apercevant deux agents de police à l’extrémité de la rue, il lesrejoignit, leur expliqua la situation et leur confia lasurveillance de la maison.

Alors il se rendit au domicile de Ganimard, rue Pergolèse, et lefit réveiller.

– Je le tiens encore.

– Arsène Lupin ?

– Oui.

– Si vous le tenez comme tout à l’heure, autant me recoucher.Enfin, passons au commissariat.

Ils allèrent jusqu’à la rue Mesnil, et de là, au domicile ducommissaire, M. Decointre. Puis, accompagnés d’une demi-douzained’hommes, ils s’en revinrent rue Chaigrin.

– Du nouveau ? demanda Sholmès aux deux agents enfaction.

– Rien.

Le jour commençait à blanchir le ciel lorsque, ses dispositionsprises, le commissaire sonna et se dirigea vers la loge de laconcierge. Effrayée par cette invasion, toute tremblante, cettefemme répondit qu’il n’y avait pas de locataires aurez-de-chaussée.

– Comment, pas de locataire ! s’écria Ganimard.

– Mais non, c’est ceux du premier, les messieurs Leroux… ils ontmeublé le bas pour des parents de province…

– Un Monsieur et une dame ?

– Oui.

– Qui sont venus hier soir avec eux ?

– Peut-être bien… je dormais… pourtant, je ne crois pas, voicila clef… ils ne l’ont pas demandée…

Avec cette clef le commissaire ouvrit la porte qui se trouvaitde l’autre côté du vestibule. Le rez-de-chaussée ne contenait quedeux pièces : elles étaient vides.

– Impossible ! proféra Sholmès, je les ai vus, elle etlui.

Le commissaire ricana :

– Je n’en doute pas, mais ils n’y sont plus.

– Montons au premier étage. Ils doivent y être.

– Le premier étage est habité par des messieurs Leroux.

– Nous interrogerons les messieurs Leroux.

Ils montèrent tous l’escalier, et le commissaire sonna. Ausecond coup, un individu, qui n’était autre qu’un des gardes ducorps, apparut, en bras de chemise et l’air furieux.

– Eh bien, quoi ! En voilà du tapage… est-ce qu’on réveilleles gens…

Mais il s’arrêta, confondu :

– Dieu me pardonne… en vérité, je ne rêve pas ? C’estMonsieur Decointre !… Et vous aussi, Monsieur Ganimard ?Qu’y a-t-il donc pour votre service ?

Un éclat de rire formidable jaillit. Ganimard pouffait, dans unecrise d’hilarité qui le courbait en deux et lui congestionnait laface.

– C’est vous, Leroux, bégayait-il… oh ! que c’est drôle…Leroux, complice d’Arsène Lupin… ah ! j’en mourrai… et votrefrère, Leroux, est-il visible ?

– Edmond, tu es là ? C’est M. Ganimard qui nous rendvisite…

Un autre individu s’avança dont la vue redoubla la gaieté deGanimard.

– Est-ce possible ! On n’a pas idée de ça ! Ah !Mes amis, vous êtes dans de beaux draps… qui se serait jamaisdouté ! Heureusement que le vieux Ganimard veille, et surtoutqu’il a des amis pour l’aider… des amis qui viennent deloin !

Et se tournant vers Sholmès, il présenta :

– Victor Leroux, inspecteur de la Sûreté, un des bons parmi lesmeilleurs de la brigade de fer… Edmond Leroux, commis principal auservice anthropométrique…

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