LE MIROIR DU MORT Agatha Christie

Agatha Christie LE MIROIR DU MORT

FEUX D’ARTIFICE

1

— Un penny pour ce pauv’ Guy, m’sieur ?

Un gamin au visage crasseux lui adressait un sourire engageant.

— Certainement pas ! répliqua l’inspecteur Jap. Écoute-moi bien, mon garçon…

Suivit une courte homélie. Le gosse battit précipitamment en retraite avec ce bref commentaire destiné à ses copains :

— Bon Dieu de bois ! si c’est pas un flic sapé en bourgeois…

Et la bande de s’enfuir à toutes jambes en psalmodiant :

N’oubliez, jamais ! n’oubliez jamais

Le 5 novembre désormais.

Conspiration des Poudres

Et trahison.

Il n’y a pas de raison

Pour que complot et trahison

Ne menacent plus à l’horizon.

Le compagnon de l’inspecteur principal, petit homme d’un âge certain, au crâne ovoïde et à la moustache conquérante, semblait sourire aux anges.

— Très bien, Japp, remarqua-t-il. Votre sermon était excellent. Félicitations !

— Répugnant prétexte à mendier, cette fête de Guy Fawkes ! maugréa Japp.

— Troublante réminiscence du passé, au contraire, rétorqua Hercule Poirot, songeur. Dire qu’on tire encore des feux d’artifice… bang ! bang ! bang !… alors que tout le monde a oublié depuis belle lurette en l’honneur de qui et de quoi.

— En effet, je ne pense pas que beaucoup de ces gosses sachent qui était au juste Guy Fawkes, acquiesça l’homme de Scotland Yard.

— Et ce qu’il y a de sûr, c’est que, bientôt, tout le monde confondra tout. Tire-t-on ces feux d’artifice pour glorifier ou pour vilipender ? Vouloir faire sauter le Parlement de Londres, était-ce noble ou criminel ?

Japp gloussa.

— J’en connais qui seraient bien capables de parier pour la première hypothèse !

Quittant l’artère principale, les deux hommes s’enfoncèrent dans le calme relatif des Mews, ces anciennes écuries désormais aménagées en résidences de luxe. Ils avaient dîné ensemble et empruntaient maintenant un raccourci pour regagner l’appartement d’Hercule Poirot.

Tandis qu’ils cheminaient, des explosions de pétards leur parvenaient encore aux oreilles. Et, par moments, une pluie d’étincelles multicolores revenait illuminer le ciel.

— Belle soirée pour un meurtre, fit remarquer Japp en professionnel avisé. Personne n’entendrait un coup de feu par une nuit pareille.

— Cela m’a toujours paru bizarre qu’il n’y ait pas plus de criminels pour en profiter, renchérit Poirot.

— Je vous dois un aveu, Poirot. J’en arrive parfois à souhaiter que ce soit vous, un jour, qui commettiez un meurtre.

— Cher ami !

— Si, si, je vous assure ! Ne serait-ce que pour voir après coup comment vous vous y étiez pris.

— Japp, mon tout bon, si d’aventure je commettais un meurtre, vous n’auriez pas la moindre chance de voir jamais comment je « m’y suis pris », comme vous dites. Vous ne vous apercevriez même pas qu’un meurtre a été commis.

Japp se mit à rire, d’un rire affectueux et bon enfant.

— Quel monstre de suffisance vous faites ! s’attendrit-il, indulgent.

À 11 heures et demie, le lendemain matin, le téléphone sonna chez Poirot.

— Allô, oui ?

— C’est vous, Poirot ?

— Qui croyez-vous que ça puisse être ?

— Japp à l’appareil. Vous vous souvenez que nous sommes rentrés par Bardsley Gardens Mews, hier soir ?

— Oui, et alors ?

— Et que nous avons remarqué à quel point il serait facile de tirer sur quelqu’un avec tout ce vacarme et ces pétards qui partaient dans tous les sens ?

— Évidemment.

— Eh bien il y a eu un suicide dans les Mews. Au n°14. Une jeune veuve, Mrs Allen. J’y file de ce pas. Ça vous dirait de venir m’y retrouver ?

— Excusez-moi, très cher ami, mais est-ce que quelqu’un de votre importance se dérange d’ordinaire pour un suicide ?

— On ne peut rien vous cacher. Non, en général pas. Mais, en l’occurrence, notre légiste a l’air de penser que cette mort est bizarre. Viendrez-vous me rejoindre ? J’ai l’impression que c’est quelque chose pour vous.

— Bien sûr que je vous rejoins. Au n°14, dites-vous ?

— C’est ça.

Poirot arriva à Bardsley Gardens Mews presque en même temps que la voiture qui amenait Japp et trois autres personnages.

Point n’était besoin de se casser la tête pour trouver la maison. La foule des grands jours se pressait déjà sur le trottoir : chauffeurs de maîtres, leurs bourgeoises, garçons livreurs, traîne-savate, promeneurs endimanchés, enfants en pagaille, tous, fascinés et bouche ouverte, regardaient le n°14.

Sur le perron, un constable s’efforçait d’éloigner les curieux. Quelques énergumènes agités, qui s’affairaient avec des appareils-photo, se précipitèrent sur Japp à sa descente de voiture.

— Rien pour l’instant, grommela l’inspecteur en les repoussant. (Il fit un signe de tête à Poirot.) Entrons, si vous voulez bien.

Ils s’engouffrèrent dans la maison, le battant se referma sur eux et ils se retrouvèrent serrés au pied d’un escalier aussi raide et étroit qu’une échelle de pompier.

Un homme apparut en haut, sur le palier, et reconnut Japp.

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