Contes

Le Prince Spirituel

Il y avait une fois une fée qui voulaitépouser un roi ; mais comme elle avait une fort mauvaiseréputation, le roi aima mieux s’exposer à toute sa colère, que dedevenir le mari d’une femme que personne n’estimerait ; car iln’y a rien de si fâcheux, pour un honnête homme, que de voir safemme méprisée. Une bonne fée, qu’on nommait Diamantine, fitépouser à ce prince une jeune princesse qu’elle avait élevée, etpromit de le défendre contre la fée Furie ; mais peu de tempsaprès, Furie, ayant été nommée reine des fées, son pouvoir, quisurpassait de beaucoup celui de Diamantine, lui donna le moyen dese venger. Elle se trouva aux couches de la reine, et doua un petitprince qu’elle mit au monde, d’une laideur que rien ne pûtsurpasser. Diamantine, qui s’était cachée à la ruelle du lit de lareine, essaya de la consoler, lorsque Furie fut partie.

« Ayez bon courage, lui dit-elle ;malgré la malice de votre ennemie, votre fils sera fort heureux unjour. Vous le nommerez Spirituel, et non seulement il aura toutl’esprit possible, mais il pourra encore en donner à la personnequ’il aimera le mieux. »

Cependant, le petit prince était si laid,qu’on ne pouvait le regarder sans frayeur : soit qu’ilpleurât, soit qu’il voulût rire, il faisait de si laides grimaces,que les petits enfants, qu’on lui amenait pour jouer avec lui, enavaient peur, et disaient que c’était la Bête. Quand il fut devenuraisonnable, tout le monde souhaitait de l’entendre parler, mais onfermait les yeux, et le peuple, qui ne sait la plupart du temps cequ’il veut, prit pour Spirituel une haine si forte que, la reineayant eu un second fils, on obligea le roi de le nommer sonhéritier ; car dans ce pays-là, le peuple avait droit de sechoisir un maître. Spirituel céda sans murmurer la couronne à sonfrère, et rebuté de la sottise des hommes, qui n’estiment que labeauté du corps, sans se soucier de celle de l’âme, il se retiradans une solitude, où, en s’appliquant à l’étude de la sagesse, ildevint extrêmement heureux. Ce n’était pas là le compte de la féeFurie ; elle voulait qu’il fût misérable, et voici ce qu’ellefit pour lui faire perdre son bonheur. Furie avait un fils nomméCharmant ; elle l’adorait, quoiqu’il fût la plus grande bêtedu monde. Comme elle voulait le rendre heureux, à quelque prix quece fût, elle enleva une princesse qui était parfaitementbelle ; mais, afin qu’elle ne fût point rebutée de la bêtisede Charmant, elle souhaita qu’elle fût aussi sotte que lui. Cetteprincesse, qu’on appelait Astre, vivait avec Charmant, etquoiqu’ils eussent seize ans passés, on n’avait jamais pu leurapprendre à lire. Furie fit peindre la princesse, et portaelle-même son portrait dans une petite maison, où Spirituel vivaitavec un seul domestique. La malice de Furie lui réussit, et quoiqueSpirituel sût que la princesse Astre était dans le palais de sonennemie, il en devint si amoureux qu’il résolut d’y aller ;mais en même temps, se souvenant de sa laideur, il vit bien qu’ilétait le plus malheureux de tous les hommes, puisqu’il était sûr deparaître horrible aux yeux de cette belle fille. Il résistalongtemps au désir qu’il avait de la voir ; mais enfin sapassion l’emporta sur sa raison. Il partit avec son valet, et Furiefut enchantée de lui voir prendre cette résolution, pour avoir leplaisir de le tourmenter tout à son aise. Astre se promenait dansun jardin avec Diamantine, sa gouvernante ; lorsqu’elle vits’approcher le prince, elle fit un grand cri, et voulaits’enfuir ; mais Diamantine l’en ayant empêchée, elle cacha satête dans ses deux mains, et dit à la fée :

« Ma bonne, faites sortir ce vilainhomme, il me fait mourir de peur. »

Le prince voulut profiter du moment où elleavait les yeux fermés pour lui faire un compliment bien arrangé,mais c’était comme s’il lui eût parlé latin, elle était trop bêtepour le comprendre. En même temps, Spirituel entendit Furie quiriait de toute sa force, en se moquant de lui.

« Vous en avez assez fait pour lapremière fois, dit-elle au prince ; vous pouvez vous retirerdans un appartement, que je vous ai fait préparer, et d’où vousaurez le plaisir de voir la princesse tout à votre aise. »

Vous croyez peut-être que Spirituel s’amusa àdire des injures à cette méchante femme ; mais il avait tropd’esprit pour cela ; il savait qu’elle ne cherchait qu’à lefâcher, et il ne lui donna point le plaisir de se mettre en colère.Il était pourtant bien affligé ; mais ce fut bien pis,lorsqu’il entendit une conversation d’Astre avec Charmant ;car elle dit tant de bêtises, qu’elle ne lui parut plus si belle demoitié, et qu’il prit la résolution de l’oublier, et de retournerdans sa solitude. Il voulut auparavant prendre congé deDiamantine ; quelle fut sa surprise, lorsque cette fée lui ditqu’il ne devait point quitter le palais, et qu’elle savait un moyende le faire aimer de la princesse.

« Je vous suis bien obligé, madame, luirépondit Spirituel ; mais je ne suis pas pressé de me marier.J’avoue qu’Astre est charmante, mais c’est quand elle ne parlepas ; la fée Furie m’a guéri, en me faisant entendre une deses conversations : j’emporterai son portrait, qui estadmirable, parce qu’il garde toujours le silence.

– Vous avez beau faire le dédaigneux, lui ditDiamantine, votre bonheur dépend d’épouser la princesse.

– Je vous assure, madame, que je ne le feraijamais, à moins que je ne devienne sourd ; encore faudrait-ilque je perdisse la mémoire, autrement je ne pourrais m’ôter del’esprit cette conversation. J’aimerais mieux cent fois épouser unefemme plus laide que moi, si cela était possible, qu’une stupideavec laquelle je ne pourrais avoir une conversation raisonnable, etqui me ferait trembler, quand je serais en compagnie avec elle, parla crainte de lui entendre dire une impertinence, toutes les foisqu’elle ouvrirait la bouche.

– Votre frayeur me divertit, lui ditDiamantine, mais, prince, apprenez un secret qui n’est connu que devotre mère et de moi. Je vous ai doué du pouvoir de donner del’esprit à la personne que vous aimeriez le mieux ; ainsi vousn’avez qu’à souhaiter : Astre peut devenir la personne la plusspirituelle, elle sera parfaite alors ; car elle est lameilleure enfant du monde, et a le cœur fort bon.

– Ah ! madame, dit Spirituel, vous allezme rendre bien misérable ; Astre va devenir trop aimable pourmon repos, et je le serai trop peu pour lui plaire ; maisn’importe, je sacrifie mon bonheur au sien, et je lui souhaite toutl’esprit qui dépend de moi.

– Cela est bien généreux, dit Diamantine, maisj’espère que cette belle action ne demeurera pas sans récompense.Trouvez-vous dans les jardins du palais à minuit ; c’estl’heure où Furie est obligée de dormir, et pendant trois heures,elle perd toute sa puissance. »

Le prince s’étant retiré, Diamantine fut dansla chambre d’Astre ; elle la trouva assise, la tête appuyéedans ses mains, comme une personne qui rêve profondément.Diamantine l’ayant appelée, Astre lui dit :

« Ah ! madame, si vous pouviez voirce qui vient de se passer en moi, vous seriez bien surprise. Depuisun moment, je suis comme dans un nouveau monde : je réfléchis,je pense ; mes pensées s’arrangent dans une forme qui me donneun plaisir infini, et je suis bien honteuse en me rappelant marépugnance pour les livres et pour les sciences.

– Eh bien, lui dit Diamantine, vous pourrezvous en corriger : vous épouserez dans deux jours le princeCharmant, et vous étudierez ensuite tout à votre aise.

– Ah ! ma bonne, répondit Astre ensoupirant, serait-il bien possible que je fusse condamnée à épouserCharmant ? Il est si bête, si bête, que cela me faittrembler ; mais dites-moi, je vous prie, pourquoi est-ce queje n’ai pas connu plus tôt la bêtise de ce prince ?

– C’est que vous étiez vous-même une sotte,dit la fée ; mais voici justement le princeCharmant. »

Effectivement, il entra dans sa chambre avecun nid de moineaux dans son chapeau.

« Tenez, dit-il, je viens de laisser monmaître dans une grande colère, parce qu’au lieu de lire ma leçon,j’ai été dénicher ce nid.

– Mais votre maître a raison d’être en colère,lui dit Astre ; n’est-ce pas honteux qu’un garçon de votre âgene sache pas lire ?

– Oh ! vous m’ennuyez aussi bien que lui,répondit Charmant, j’ai bien affaire de toute cette science :moi, j’aime mieux un cerf-volant, ou une boule, que tous les livresdu monde. Adieu, je vais jouer au volant.

– Et je serais la femme de ce stupide ?dit Astre, lorsqu’il fut sorti. Je vous assure, ma bonne, quej’aimerais mieux mourir que de l’épouser. Quelle différence de lui,à ce prince que j’ai vu tantôt ! Il est vrai qu’il est bienlaid ; mais quand je me rappelle son discours, il me semblequ’il n’est plus si horrible : pourquoi n’a-t-il pas le visagecomme Charmant ? Mais, après tout, que sert la beauté duvisage ? Une maladie peut l’ôter ; la vieillesse la faitperdre à coup sûr, et que reste-t-il alors à ceux qui n’ont pasd’esprit ? En vérité, ma bonne, s’il fallait choisir,j’aimerais mieux ce prince, malgré sa laideur, que ce stupide qu’onveut me faire épouser.

– Je suis bien aise de vous voir penser d’unemanière si raisonnable, dit Diamantine ; mais j’ai un conseilà vous donner. Cachez soigneusement à Furie tout votreesprit ; tout est perdu si vous lui laissez connaître lechangement qui s’est fait en vous. »

Astre obéit à sa gouvernante, et sitôt queminuit fut sonné, la bonne fée proposa à la princesse de descendredans les jardins : elles s’assirent sur un banc, et Spirituelne tarda pas à les joindre. Quelle fut sa joie lorsqu’ilentendit parler Astre, et qu’il fut convaincu qu’il lui avait donnéautant d’esprit qu’il en avait lui-même ! Astre de son côtéétait enchantée de la conversation du prince ; mais lorsqueDiamantine lui eut appris l’obligation qu’elle avait à Spirituel,sa reconnaissance lui fit oublier sa laideur, quoiqu’elle le vîtparfaitement car il faisait clair de lune.

« Que je vous ai d’obligation, luidit-elle, et comment pourrai-je m’acquitter envers vous ?

– Vous le pouvez facilement, répondit la fée,en devenant l’épouse de Spirituel, il ne tient qu’à vous de luidonner autant de beauté qu’il vous a donné d’esprit.

– J’en serais bien fâchée, réponditAstre ; Spirituel me plaît tel qu’il est ; je nem’embarrasse guère qu’il soit beau, il est aimable, cela mesuffit.

– Vous venez de finir tous ses malheurs, ditDiamantine ; si vous eussiez succombé à la tentation de lerendre beau, vous restiez sous le pouvoir de Furie ; mais àprésent, vous n’avez rien à craindre de sa rage. Je vais voustransporter dans le royaume de Spirituel : son frère est mort,et la haine que Furie avait inspirée contre lui au peuple nesubsiste plus. » Effectivement, on vit revenir Spirituel avecjoie, et il n’eut pas demeuré trois mois dans son royaume qu’ons’accoutuma à son visage ; mais on ne cessa jamais d’admirerson esprit.

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