Contes

La Veuve et ses deux filles

Il y avait une veuve, assez bonne femme, quiavait deux filles, toutes deux fort aimables ; l’aînée senommait Blanche, la seconde Vermeille. On leur avait donné cesnoms, parce qu’elles avaient, l’une le plus beau teint du monde, etla seconde des joues et des lèvres vermeilles comme du corail. Unjour la bonne femme, étant près de sa porte, à filer, vit unepauvre vieille, qui avait bien de la peine à se traîner avec sonbâton.

« Vous êtes bien fatiguée, dit la bonnefemme à la vieille. Asseyez-vous un moment pour vousreposer » ; et aussitôt, elle dit à ses filles de donnerune chaise à cette femme. Elles se levèrent toutes les deux ;mais Vermeille courut plus fort que sa sœur, et apporta la chaise.«Voulez-vous boire un coup ? dit la bonne femme à lavieille.

– De tout mon cœur, répondit-elle ; il mesemble même que je mangerais bien un morceau, si vous pouviez medonner quelque chose pour me ragoûter.

– Je vous donnerai tout ce qui est en monpouvoir, dit la bonne femme ; mais, comme je suis pauvre, cene sera pas grand-chose. »

En même temps, elle dit à ses filles de servirla bonne vieille, qui se mit à table : et la bonne femmecommanda à l’aînée d’aller cueillir quelques prunes qu’elle avaitplanté elle-même et qu’elle aimait beaucoup. Blanche, au lieud’obéir de bonne grâce à sa mère, murmura contre cet ordre, et diten elle- même : Ce n’est pas pour cette vieille gourmande quej’ai eu tant de soin de mon prunier. Elle n’osa pourtant pasrefuser quelques prunes, mais elle les donna de mauvaise grâce et àcontrecœur.

« Et vous, Vermeille, dit la bonne femmeà la seconde de ses filles, vous n’avez pas de fruit à donner àcette bonne dame, car vos raisins ne sont pas mûrs.

– Il est vrai, dit Vermeille, mais j’entendsma poule qui chante, elle vient de pondre un œuf, et si madame veutl’avaler tout chaud, je le lui offre de tout moncœur . »

En même temps, sans attendre la réponse de lavieille, elle courut chercher son œuf ; mais dans le momentqu’elle le présentait à cette femme, elle disparut, et l’on vit àsa place une belle dame, qui dit à la mère :

« Je vais récompenser vos deux fillesselon leur mérite. L’aînée deviendra une grande reine, et laseconde une fermière. »  Et en même temps, ayant frappéla maison de son bâton, elle disparut, et l’on vit à la place unejolie ferme. « Voilà votre partage, dit-elle à Vermeille. Jesais que je vous donne à chacune ce que vous aimez lemieux. »

La fée s’éloigna en disant ces paroles ;et la mère, aussi bien que les deux filles, restèrent fortétonnées. Elles entrèrent dans la ferme, et furent charmées de lapropreté des meubles. Les chaises n’étaient que de bois ; maiselles étaient si propres, qu’on s’y voyait comme dans un miroir.Les lits étaient de toile, blanche comme la neige. Il y avait dansles étables vingt moutons, autant de brebis, quatre bœufs, quatrevaches ; et dans la cour, toutes sortes d’animaux, comme despoules, des canards, des pigeons et autres. Il y avait aussi unjoli jardin, rempli de fleurs et de fruits. Blanche voyait sansjalousie le don qu’on avait fait à sa sœur, et elle n’était occupéeque du plaisir qu’elle aurait d’être reine. Tout d’un coup, elleentendit passer des chasseurs, et, étant allée sur la porte pourles voir, elle parut si belle aux yeux du roi, qu’il résolut del’épouser. Blanche, étant devenue reine, dit à sa sœurVermeille :

« Je ne veux pas que vous soyezfermière ; venez avec moi, ma sœur, je vous ferai épouser ungrand seigneur.

– Je vous suis bien obligée, ma sœur, réponditVermeille ; je suis accoutumée à la campagne, et je veux yrester. »

La reine Blanche partit donc, et elle était sicontente qu’elle passa plusieurs nuits sans dormir, de joie. Lespremiers mois, elle fut si occupée de ses beaux habits, des bals,des comédies, qu’elle ne pensait à autre chose. Mais bientôt elles’accoutuma à tout cela, et rien ne la divertissait plus ; aucontraire, elle eut de grands chagrins. Toutes les dames de la courlui rendaient de grands respects, quand elles étaient devantelle ; mais elle savait qu’elles ne l’aimaient pas, etqu’elles disaient : « Voyez cette petite paysanne, commeelle fait la grande dame ; le roi a le cœur bien bas, d’avoirpris telle femme » . Ce discours fit faire des réflexionsau roi. Il pensa qu’il avait eu tort d’épouser Blanche ; etcomme son amour pour elle était passé, il eut un grand nombre demaîtresses. Quand on vit que le roi n’aimait plus sa femme, oncommença à ne plus lui rendre aucun devoir. Elle était trèsmalheureuse, car elle n’avait pas une seule bonne amie, à qui ellepût conter ses chagrins. Elle voyait que c’était la mode, à lacour, de trahir ses amis par intérêt ; de faire bonne mine àceux que l’on haïssait, et de mentir à tout moment. Il fallait êtresérieuse, parce qu’on lui disait qu’une reine doit avoir un airgrave et majestueux. Elle eut plusieurs enfants ; et pendanttout ce temps, elle avait un médecin auprès d’elle, qui examinaittout ce qu’elle mangeait, et lui ôtait toutes les choses qu’elleaimait. On ne mettait point de sel dans ses bouillons ; on luidéfendait de se promener, quand elle en avait envie ; en unmot, elle était contredite depuis le matin jusqu’au soir. On donnades gouvernantes à ses enfants, qui les élevaient tout de travers,sans qu’elle eût la liberté d’y trouver à redire. La pauvre Blanchese mourait de chagrin, et elle devint si maigre, qu’elle faisaitpitié à tout le monde. Elle n’avait pas vu sa sœur, depuis troisans qu’elle était reine, parce qu’elle pensait qu’une personne deson rang serait déshonorée d’aller rendre visite à unefermière ; mais, se voyant accablée de mélancolie, ellerésolut d’aller passer quelques jours à la campagne, pour sedésennuyer. Elle en demanda la permission au roi, qui la luiaccorda de bon cœur, parce qu’il pensait qu’il serait débarrasséd’elle pendant quelque temps. Elle arriva sur le soir à la ferme deVermeille, et elle vit de loin, devant la porte, une troupe debergers et de bergères, qui dansaient, et se divertissaient de toutleur cœur.

« Hélas ! dit la reine en soupirant,où est le temps que je me divertissais comme ces pauvresgens ? Personne n’y trouvait à redire. »

D’abord qu’elle parut, sa sœur accourut pourl’embrasser. Elle avait un air si content, elle était si fortengraissée, que la reine ne put s’empêcher de pleurer en laregardant. Vermeille avait épousé un jeune paysan, qui n’avait pasde fortune, mais il se souvenait toujours que sa femme lui avaitdonné tout ce qu’il avait, et il cherchait par ses manièrescomplaisantes à lui en marquer sa reconnaissance. Vermeille n’avaitpas beaucoup de domestiques, mais ils l’aimaient, comme s’ilseussent été ses enfants, parce qu’elle les traitaient bien. Tousses voisins l’aimaient aussi, et chacun s’empressait à lui endonner des preuves. Elle n’avait pas beaucoup d’argent, mais ellen’en avait pas besoin ; car elle recueillait dans ses terres,du blé, du vin, et de l’huile. Ses troupeaux lui fournissaient dulait, dont elle faisait du beurre et du fromage. Elle filait lalaine de ses moutons pour se faire des habits, aussi bien qu’à sonmari, et à deux enfants qu’elle avait. Ils se portaient àmerveille, et le soir, quand le temps du travail était passé, ilsse divertissaient à toutes sortes de jeux.

« Hélas ! s’écria la reine, la féem’a fait un mauvais présent, en me donnant une couronne. On netrouve point la joie dans les palais magnifiques, mais dans lesoccupations innocentes de la campagne. » A peine eut-elle ditces paroles, que la fée parut.

« Je n’ai pas prétendu vous récompenser,en vous faisant reine, lui dit la fée, mais vous punir, parce quevous m’aviez donné vos prunes à contrecœur. Pour être heureux, ilfaut comme votre sœur, ne posséder que les choses nécessaires, etn’en point souhaiter davantage.

– Ah ! madame, s’écria Blanche, vous vousêtes assez vengée ; finissez mon malheur.

– Il est fini, reprit la fée. Le roi, qui nevous aime plus, vient d’épouser une autre femme ; et demain,ses officiers viendront vous ordonner de sa part, de ne pointretourner à son palais. »

Cela arriva comme la fée l’avait prédit :Blanche passa le reste de ses jours avec sa sœur Vermeille, avectoutes sortes de contentements et de plaisirs ; et elle nepensa jamais à la cour, que pour remercier la fée de l’avoirramenée dans son village.

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