Deux et deux font cinq

Chapitre 26Le clou de l’exposition de 1900

-Dites-moi, Captain, êtes-vous au courant des différents projets  déposés en vue de l’Exposition de 1900 ?

-Je les connais depuis longtemps. Tous font preuve d’une imagination assez misérable, sauf, pourtant, celui de mon ami Otto,qui consiste en une immense escarpolette balançant des familles entières du Trocadéro à l’École militaire. Ça, ça n’est pas banal !

-En effet !… Et vous, Captain, prendrez-vous pas part à ce pacifique tournoi ?

-J’y compte bien… Pour le moment, j’ai deux entreprises, une petite et une grande.

-La petite, d’abord ?

-Oh ! rien. Un nouveau pneu à musique.

-Tiens, tiens !

-Oui, une série de petits accordéons que j’introduis dans l’intérieur du pneu, et qui font une musique fort divertissante, ma foi.

-Mais ce sera toujours le même air ?

-Pas du tout ! Au moyen d’un mécanisme ingénieux et grâce à un simple déclic, le veloceman pourra changer d’air à son gré.

-Mes félicitations, Captain, pour cette à la fois simple et charmante idée. Voilà des pneus [6] qui seront plus gais que les pneus Mony, une bien détestable marque,principalement la nuit, sur route, par les temps humides.

D’habitude, le Captain Cap se refuse à goûter des plaisanteries qui résident seulement en un jeu de mots. Cette fois il ne broncha pas et même il ajouta :

-Tenez, un bon et solide pneu, c’est le pneu gordien. On n’envient à bout qu’à coups de sabre.

Après avoir souri, comme il convenait, de chacun notre plaisanterie, nous revînmes à des sujets plus austères.

-Et votre grande idée, Cap ?

-Ah voilà !

Je dus insister.

-Ma grande idée, oui, vous avez raison, c’est une grande idée,car c’est la solution de la navigation aérienne, tout bêtement !

-Un ballon dirigeable ?

-Pauvre enfant !

-Un aérostat avec force motrice tournant des ailes ?

-Idiot !

-Soyez poli, Captain !

-Idiot, vous dis-je !… Avez-vous jamais vu des nuées de sauterelles ?

-Jamais !

-Eh bien, mon appareil, c’est une nuée de sauterelles, dix millions de sauterelles que j’enferme dans un immense sac de gaze(de la gaze verte, bien entendu, pour ne pas fatiguer la vue de mes sauterelles).

-Bonne précaution !

-Ce sac de gaze est maintenu par une gigantesque armature en bambou, à laquelle Comiot est en train de travailler.

-Excellent constructeur, ce Comiot !

-Et non seulement il y des sauterelles dans mon sac, mais aussi des puces, parce que les puces ont la singulière propriété d’aviver fortement l’activité des sauterelles. Le saviez-vous ?

-J’ignorais ce détail.

-Chaque sauterelle représente environ, et sans se fatiguer, un excédent de force ascensionnelle de 1gramme. Dix millions de sauterelles représentent donc une force utilisable de dix mille kilos. Hein ?

-Épatant !… Mais une simple objection, Captain ?

-Allez-y.

-Comment dirigez-vous tout ce petit monde-là, quand vous voulez  aller au Nord et que les sauterelles se sentent un goût prononcé  plutôt pour le Sud ?

-Rien de plus simple ! Les sauterelles ont l’horreur du  sulfure de carbone. Alors, au moyen d’un vaporisateur adhoc, j’empoisonne l’atmosphère de la direction adverse à celle  que je souhaite. Veux-je me diriger vers l’Est ? je pulvérise  cette puanteur sur le côté Ouest du sac, et si vous les voyiez se tirer des ailes !…

-Et quand vous voulez vous arrêter ?

-Des courroies, à ma volonté, compriment la gaze et paralysent  graduellement les efforts de mes insectes.

-Tous mes compliments, Captain ; votre idée est  géniale.

-Ah ! voilà, c’est que je ne suis pas sorti de  Polytechnique, moi !

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