Deux et deux font cinq

Chapitre 37Hommage à un général français

Je viens de recevoir le Temps, un numéro du Temps, vieux pour vous, ô Parisiens altérés d’actualité,mais frais encore pour le relégué que je suis en une sorte de Thébaïde lointaine et méridionale.

Vais-je lire le Temps ?

Ma foi, non ! Pourquoi lirais-je le Temps ?

Et je jette sur les massives colonnes de cet organe  crépusculaire un regard distrait.

Mais soudain mon œil s’allume et voilà qu’une vive liesse  embrase mon vieux cœur.

C’est que j’ai aperçu le nom prestigieux de notre brave général  Poilloüe de Saint-Mars, commandant en chef le 12e corps,à Limoges.

Il s’agit cette fois d’une circulaire de ce guerrier pittoresque  sur les droits et les devoirs des gardes d’écurie.

Je commence par déclarer, très sérieusement et sans permettre à  personne d’en douter, que j’adore le général Poilloüe de  Saint-Mars. Il est un des rares généraux français qui mêlent  profondément aux choses du service un tout paternel souci  d’humanité.

On peut dire de lui que c’est un littérateur rigolo, mais on ne saura jamais prétendre qu’il ne soit pas un brave homme.

Et puis, littérateur rigolo, pourquoi ?

Allons, mettons qu’il soit un poète bien personnel, et nous serons dans le vrai.

Est-ce pas d’un poète exquis, ce mot : La guérite,cet écrin de la sentinelle !

Sa sollicitude pour ses troupes amène, parfois, des épisodes  réjouissants, témoin cette histoire que me contait, récemment, un  officier du 12e corps.

L’année dernière, le général Poilloüe, entre mille autres circulaires, en consacrait une aux droits et aux devoirs des  plantons aux cuisines.

Les plantons devaient s’occuper de ceci et de cela ; mais,par contre, ils avaient droit à ceci et à cela. Principalement, le  cuisinier en pied devait remettre au planton, à chaque repas, une  large tartine de moelle.

Or, il arriva qu’un planton éprouvait pour la moelle une  aversion insurmontable. Mais, fort de la circulaire du général en  chef, le cuisinier força l’infortuné à ingurgiter l’horrible corps  gras.

Voyez-vous d’ici la scène racontée par Courteline ?

Cette fois, comme je l’ai dit, il s’agit des gardes  d’écurie.

Je ne puis publier intégralement cette page magistrale, mais je  vais en détacher les deux phrases types, celle du brave homme et  celle du poète pittoresque.

Celle du brave homme :

«Les écuries doivent être aménagées pour le plus grand  bien-être des chevaux, mais avant tout, il faut organiser dans ces  écuries l’installation confortable des soldats chargés de les   surveiller et dont l’existence est plus précieuse que celle de tous  les animaux réunis.»

Bravo, mon général, et très chic !

Combien différent ce langage de celui que tint(historique) un colonel de chasseurs, lors des dernières  manœuvres :

Un médecin du régiment avait obtenu une permission de  quarante-huit heures. Fort de cet exemple, un vétérinaire demanda  audit colonel la même faveur qu’on lui refusa avec un entrain non  dissimulé.

Et sur l’insistance du vétérinaire :

-Pardon, riposta le colonel, un médecin, ça, on peut toujours  s’en passer ; tandis qu’un vétérinaire !…

Pour clore cette série d’exercices, lisons, relisons, méditons et apprenons par cœur cette phrase, dans la même circulaire du  général Poilloüe, qui fera tressaillir d’aise en sa tombe notre  vieux Buffon :

«Les chevaux sont intelligents et observateurs. Quand ils  voient leurs gardes d’écurie déguenillés et grelottants, ils savent  que les coups vont pleuvoir sur leur dos et que leurs pauvres  couvertures vont leur être dérobées par ceux-là même qui ont  mission de les soigner. Ils sont craintifs, ne se reposent pas,dépérissent et maudissent avec raison le numéro de leur  régiment.»

Ah ! si l’esprit militaire disparaît, même de l’âme des chevaux !

Pauvre France !

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