Le malade imaginaire de Molière

Angélique

C’est, mon père, que je connois que vous avez parlé d’une personne, et que j’ai entendu une autre.

Toinette

Quoi ? Monsieur, vous auriez fait ce dessein burlesque ? Et avec tout le bien que vous avez, vous voudriez marier votre fille avec un médecin ?

Argan

Oui. De quoi te mêles-tu, coquine, impudente que tu es ?

Toinette

Mon Dieu ! tout doux : vous allez d’abord aux invectives. Est-ce que nous ne pouvons pas raisonner ensemble sans nous emporter ? Là, parlons de sang-froid. Quelle est votre raison, s’il vous plaît, pour un tel mariage ?

Argan

Ma raison est que, me voyant infirme et malade comme je suis, je veux me faire un gendre et des alliés médecins, afin de m’appuyer de bons secours contre ma maladie, d’avoir dans ma famille les sources des remèdes qui me sont nécessaires, et d’être à même des consultations et des ordonnances.

Toinette

Hé bien ! voilà dire une raison, et il y a plaisir à se répondre doucement les uns aux autres. Mais, Monsieur, mettez la main à la conscience : est-ce que vous êtes malade ?

Argan

Comment, coquine, si je suis malade ? si je suis malade, impudente ?

Toinette

Hé bien ! oui, Monsieur, vous êtes malade, n’ayons point de querelle là-dessus ; oui, vous êtes fort malade, j’en demeure d’accord, et plus malade que vous ne pensez : voilà qui est fait. Mais votre fille doit épouser un mari pour elle ; et, n’étant point malade, il n’est pas nécessaire de lui donner un médecin.

Argan

C’est pour moi que je lui donne ce médecin ; et une fille de bon naturel doit être ravie d’épouser ce qui est utile à la santé de son père.

Toinette

Ma foi ! Monsieur, voulez-vous qu’en amie je vous donne un conseil ?

Argan

Quel est-il ce conseil ?

Toinette

De ne point songer à ce mariage-là.

Argan

Hé la raison ?

Toinette

La raison ? C’est que votre fille n’y consentira point.

Argan

Elle n’y consentira point ?

Toinette

Non.

Argan

Ma fille ?

Toinette

Votre fille. Elle vous dira qu’elle n’a que faire de Monsieur Diafoirus, ni de son fils Thomas Diafoirus, ni de tous les Diafoirus du monde.

Argan

J’en ai affaire, moi, outre que le parti est plus avantageux qu’on ne pense. Monsieur Diafoirus n’a que ce fils-là pour tout héritier ; et, de plus, Monsieur Purgon, qui n’a ni femme, ni enfants, lui donne tout son bien, en faveur de ce mariage ; et Monsieur Purgon est un homme qui a huit mille bonnes livres de rente.

Toinette

Il faut qu’il ait tué bien des gens, pour s’être fait si riche.

Argan

Huit mille livres de rente sont quelque chose, sans compter le bien du père.

Toinette

Monsieur, tout cela est bel et bon ; mais j’en reviens toujours là : je vous conseille, entre nous, de lui choisir un autre mari, et elle n’est point faite pour être Madame Diafoirus.

Argan

Et je veux, moi, que cela soit.

Toinette

Eh fi ! ne dites pas cela.

Argan

Comment, que je ne dise pas cela ?

Toinette

Hé non !

Argan

Et pourquoi ne le dirai-je pas ?

Toinette

On dira que vous ne songez pas à ce que vous dites.

Argan

On dira ce qu’on voudra ; mais je vous dis que je veux qu’elle exécute la parole que j’ai donnée.

Toinette

Non : je suis sûr qu’elle ne le fera pas.

Argan

Je l’y forcerai bien.

Toinette

Elle ne le fera pas, vous dis-je.

Argan

Elle le fera, ou je la mettrai dans un convent.

Toinette

Vous ?

Argan

Moi.

Toinette

Bon.

Argan

Comment, « bon » ?

Toinette

Vous ne la mettrez point dans un convent.

Argan

Je ne la mettrai point dans un convent ?

Toinette

Non.

Argan

Non ?

Toinette

Non.

Argan

Ouais ! voici qui est plaisant : je ne mettrai pas ma fille dans un convent, si je veux ?

Toinette

Non, vous dis-je.

Argan

Qui m’en empêchera ?

Toinette

Vous-même.

Argan

Moi ?

Toinette

Oui, vous n’aurez pas ce coeur-là.

Argan

Je l’aurai.

Toinette

Vous vous moquez.

Argan

Je ne me moque point.

Toinette

La tendresse paternelle vous prendra.

Argan

Elle ne me prendra point.

Toinette

Une petite larme ou deux, des bras jetés au cou, un « mon petit papa mignon », prononcé tendrement, sera assez pour vous toucher.

Argan

Tout cela ne fera rien.

Toinette

Oui, oui.

Argan

Je vous dis que je n’en démordrai point.

Toinette

Bagatelles.

Argan

Il ne faut point dire « bagatelles ».

Toinette

Mon Dieu ! je vous connois, vous êtes bon naturellement.

Argan, avec emportement.

Je ne suis point bon, et je suis méchant quand je veux.

Toinette

Doucement, Monsieur : vous ne songez pas que vous êtes malade.

Argan

Je lui commande absolument de se préparer à prendre le mari que je dis.

Toinette

Et moi, je lui défends absolument d’en faire rien.

Argan

Où est-ce donc que nous sommes ? et quelle audace est-ce là à une coquine de servante de parler de la sorte devant son maître ?

Toinette

Quand un maître ne songe pas à ce qu’il fait, une servante bien sensée est en droit de le redresser.

Argan court après Toinette.

Ah ! insolente, il faut que je t’assomme.

Toinette se sauve de lui.

Il est de mon devoir de m’opposer aux choses qui vous peuvent déshonorer.

Argan, en colère, court après elle autour de sa chaise, son bâton à la main.

Viens, viens, que je t’apprenne à parler.

Toinette, courant, et se sauvant du côté de la chaise où n’est pas Argan.

Je m’intéresse, comme je dois, à ne vous point laisser faire de folie.

Argan

Chienne !

Toinette

Non, je ne consentirai jamais à ce mariage.

Argan

Pendarde !

Toinette

Je ne veux point qu’elle épouse votre Thomas Diafoirus.

Argan

Carogne !

Toinette

Et elle m’obéira plutôt qu’à vous.

Argan

Angélique, tu ne veux pas m’arrêter cette coquine-là ?

Angélique

Eh ! mon père, ne vous faites point malade.

Argan

Si tu ne me l’arrêtes, je te donnerai ma malédiction.

Toinette

Et moi, je la déshériterai, si elle vous obéit.

Argan se jette dans sa chaise, étant las de courir après elle.

Ah ! ah ! je n’en puis plus : Voilà pour me faire mourir.

Scène VI

Béline, Angélique, Toinette, Argan

Argan

Ah ! ma femme, approchez.

Béline

Qu’avez-vous, mon pauvre mari ?

Argan

Venez-vous-en ici à mon secours.

Béline

Qu’est-ce que c’est donc qu’il y a, mon petit fils ?

Argan

Mamie.

Béline

Mon ami.

Argan

On vient de me mettre en colère !

Béline

Hélas ! pauvre petit mari. Comment donc, mon ami ?

Argan

Votre coquine de Toinette est devenue plus insolente que jamais.

Béline

Ne vous passionnez donc point.

Argan

Elle m’a fait enrager, mamie.

Béline

Doucement, mon fils.

Argan

Elle a contrecarré, une heure durant, les choses que je veux faire.

Béline

Là, là, tout doux.

Argan

Et a eu l’effronterie de me dire que je ne suis point malade.

Béline

C’est une impertinente.

Argan

Vous savez, mon coeur, ce qui en est.

Béline

Oui, mon coeur, elle a tort.

Argan

Mamour, cette coquine-là me fera mourir.

Béline

Eh là, eh là !

Argan

Elle est la cause de toute la bile que je fais.

Béline

Ne vous fâchez point tant.

Argan

Et il y a je ne sais combien que je vous dis de me la chasser.

Béline

Mon Dieu ! mon fils, il n’y a point de serviteurs et de servantes qui n’ayent leurs défauts. On est contraint parfois de souffrir leurs mauvaises qualités à cause des bonnes. Celle-ci est adroite, soigneuse, diligente, et surtout fidèle, et vous savez qu’il faut maintenant de grandes précautions pour les gens que l’on prend. Holà ! Toinette.

Toinette

Madame.

Béline

Pourquoi donc est-ce que vous mettez mon mari en colère ?

Toinette, d’un ton doucereux.

Moi, Madame, hélas ! Je ne sais pas ce que vous me voulez dire, et je ne songe qu’à complaire à Monsieur en toutes choses.

Argan

Ah ! la traîtresse !

Toinette

Il nous a dit qu’il vouloit donner sa fille en mariage au fils de Monsieur Diafoirus ; je lui ai répondu que je trouvois le parti avantageux pour elle ; mais que je croyois qu’il feroit mieux de la mettre dans un convent.

Béline

Il n’y a pas grand mal à cela, et je trouve qu’elle a raison.

Argan

Ah ! mamour, vous la croyez. C’est une scélérate : elle m’a dit cent insolences.

Béline

Hé bien ! je vous crois, mon ami. Là, remettez-vous. Ecoutez Toinette, si vous fâchez jamais mon mari, je vous mettrai dehors. Çà, donnez-moi son manteau fourré et des oreillers, que je l’accommode dans sa chaise. Vous voilà je ne sais comment. Enfoncez bien votre bonnet jusque sur vos oreilles : il n’y a rien qui enrhume tant que de prendre l’air par les oreilles.

Argan

Ah ! mamie, que je vous suis obligé de tous les soins que vous prenez de moi !

Béline, accommodant les oreillers qu’elle met autour d’Argan.

Levez-vous, que je mette ceci sous vous. Mettons celui-ci pour vous appuyer, et celui-là de l’autre côté. Mettons celui-ci derrière votre dos, et cet autre-là pour soutenir votre tête.

Toinette, lui mettant rudement un oreiller sur la tête, et puis fuyant.

Et celui-ci pour vous garder du serein.

Argan, se lève en colère, et jette tous les oreillers à Toinette.

Ah ! coquine, tu veux m’étouffer.

Béline

Eh là, eh là ! Qu’est-ce que c’est donc ?

Argan, tout essoufflé, se jette dans sa chaise.

Ah, ah, ah ! je n’en puis plus.

Béline

Pourquoi vous emporter ainsi ? Elle a cru faire bien.

Argan

Vous ne connoissez pas, mamour, la malice de la pendarde. Ah ! elle m’a mis tout hors de moi ; et il faudra plus de huit médecines, et de douze lavements, pour réparer tout ceci.

Béline

Là, là, mon petit ami, apaisez-vous un peu.

Argan

Mamie, vous êtes toute ma consolation.

Béline

Pauvre petit fils.

Argan

Pour tâcher de reconnoître l’amour que vous me portez, je veux, mon coeur, comme je vous ai dit, faire mon testament.

Béline

Ah ! mon ami, ne parlons point de cela, je vous prie : je ne saurois souffrir cette pensée ; et le seul mot de testament me fait tressaillir de douleur.

Argan

Je vous avois dit de parler pour cela à votre notaire.

Béline

Le voilà là-dedans, que j’ai amené avec moi.

Argan

Faites-le donc entrer, mamour.

Béline

Hélas ! mon ami, quand on aime bien un mari, on n’est guère en état de songer à tout cela.

Scène VII

Le Notaire, Béline, Argan

Argan

Approchez, Monsieur de Bonnefoy, approchez. Prenez un siége, s’il vous plaît. Ma femme m’a dit, Monsieur, que vous étiez fort honnête homme, et tout à fait de ses amis ; et je l’ai chargée de vous parler pour un testament que je veux faire.

Béline

Hélas ! je ne suis point capable de parler de ces choses-là.

Le Notaire

Elle m’a, Monsieur, expliqué vos intentions, et le dessein où vous êtes pour elle ; et j’ai à vous dire là-dessus que vous ne sauriez rien donner à votre femme par votre testament.

Argan

Mais pourquoi ?

Le Notaire

La Coutume y résiste. Si vous étiez en pays de droit écrit, cela se pourroit faire ; mais, à Paris, et dans les pays coutumiers, au moins dans la plupart, c’est ce qui ne se peut, et la disposition seroit nulle. Tout l’avantage qu’homme et femme conjoints par mariage se peuvent faire l’un à l’autre, c’est un don mutuel entre-vifs ; encore faut-il qu’il n’y ait enfants, soit des deux conjoints, ou de l’un d’eux, lors du décès du premier mourant.

Argan

Voilà une Coutume bien impertinente, qu’un mari ne puisse rien laisser à une femme dont il est aimé tendrement, et qui prend de lui tant de soin. J’aurois envie de consulter mon avocat, pour voir comment je pourrois faire.

Le Notaire

Ce n’est point à des avocats qu’il faut aller, car ils sont d’ordinaire sévères là-dessus, et s’imaginent que c’est un grand crime que de disposer en fraude de la loi. Ce sont gens de difficultés, et qui sont ignorants des détours de la conscience. Il y a d’autres personnes à consulter, qui sont bien plus accommodantes, qui ont des expédients pour passer doucement par-dessus la loi, et rendre juste ce qui n’est pas permis ; qui savent aplanir les difficultés d’une affaire, et trouver des moyens d’éluder la Coutume par quelque avantage indirect. Sans cela, où en serions-nous tous les jours ? Il faut de la facilité dans les choses ; autrement nous ne ferions rien, et je ne donnerois pas un sou de notre métier.

Argan

Ma femme m’avoit bien dit, Monsieur, que vous étiez fort habile, et fort honnête homme. Comment puis-je faire, s’il vous plaît, pour lui donner mon bien, et en frustrer mes enfants ?

Le Notaire

Comment vous pouvez faire ? Vous pouvez choisir doucement un ami intime de votre femme, auquel vous donnerez en bonne forme par votre testament tout ce que vous pouvez ; et cet ami ensuite lui rendra tout. Vous pouvez encore contracter un grand nombre d’obligations, non suspectes, au profit de divers créanciers, qui prêteront leur nom à votre femme, et entre les mains de laquelle ils mettront leur déclaration que ce qu’ils en ont fait n’a été que pour lui faire plaisir. Vous pouvez aussi, pendant que vous êtes en vie, mettre entre ses mains de l’argent comptant, ou des billets que vous pourrez avoir, payables au porteur.

Béline

Mon Dieu ! il ne faut point vous tourmenter de tout cela. S’il vient faute de vous, mon fils, je ne veux plus rester au monde.

Argan

Mamie !

Béline

Oui, mon ami, si je suis assez malheureuse pour vous perdre…

Argan

Ma chère femme !

Béline

La vie ne me sera plus de rien.

Argan

Mamour !

Béline

Et je suivrai vos pas, pour vous faire connoître la tendresse que j’ai pour vous.

Argan

Mamie, vous me fendez le coeur. Consolez-vous, je vous en prie.

Le Notaire

Ces larmes sont hors de saison, et les choses n’en sont point encore là.

Béline

Ah ! Monsieur, vous ne savez pas ce que c’est qu’un mari qu’on aime tendrement.

Argan

Tout le regret que j’aurai, si je meurs, mamie, c’est de n’avoir point un enfant de vous. Monsieur Purgon m’avoit dit qu’il m’en feroit faire un.

Le Notaire

Cela pourra venir encore.

Argan

Il faut faire mon testament, mamour, de la façon que Monsieur dit ; mais, par précaution, je veux vous mettre entre les mains vingt mille francs en or, que j’ai dans le lambris de mon alcôve, et deux billets payables au porteur, qui me sont dus, l’un par Monsieur Damon, et l’autre par Monsieur Gérante.

Béline

Non, non, je ne veux point de tout cela. Ah ! combien dites-vous qu’il y a dans votre alcôve ?

Argan

Vingt mille francs, mamour.

Béline

Ne me parlez point de bien, je vous prie. Ah ! de combien sont les deux billets ?

Argan

Ils sont, mamie, l’un de quatre mille francs, et l’autre de six.

Béline

Tous les biens du monde, mon ami, ne me sont rien au prix de vous.

Le Notaire

Voulez-vous que nous procédions au testament ?

Argan

Oui, Monsieur ; mais nous serons mieux dans mon petit cabinet. Mamour, conduisez-moi, je vous prie.

Béline

Allons, mon pauvre petit fils.

Scène VIII

Angélique, Toinette

Toinette

Les voilà avec un notaire, et j’ai ouï parler de testament. Votre belle-mère ne s’endort point, et c’est sans doute quelque conspiration contre vos intérêts où elle pousse votre père.

Angélique

Qu’il dispose de son bien à sa fantaisie, pourvu qu’il ne dispose point de mon coeur. Tu vois, Toinette, les desseins violents que l’on fait sur lui. Ne m’abandonne point, je te prie, dans l’extrémité où je suis.

Toinette

Moi, vous abandonner ? j’aimerois mieux mourir. Votre belle-mère a beau me faire sa confidente, et me vouloir jeter dans ses intérêts, je n’ai jamais pu avoir d’inclination pour elle, et j’ai toujours été de votre parti. Laissez-moi faire : j’emploierai toute chose pour vous servir ; mais pour vous servir avec plus d’effet, je veux changer de batterie, couvrir le zèle que j’ai pour vous, et feindre d’entrer dans les sentiments de votre père et de votre belle-mère.

Angélique

Tâche, je t’en conjure, de faire donner avis à Cléante du mariage qu’on a conclu.

Toinette

Je n’ai personne à employer à cet office, que le vieux usurier Polichinelle, mon amant, et il m’en coûtera pour cela quelques paroles de douceur, que je veux bien dépenser pour vous. Pour aujourd’hui il est trop tard ; mais demain, du grand matin, je l’envoierai querir, et il sera ravi de…

Béline

Toinette.

Toinette

Voilà qu’on m’appelle. Bonsoir. Reposez-vous sur moi.

LE MALADE IMAGINAIRE – MOLIÈRE > PREMIER INTERMÈDE

Premier intermède

Polichinelle…

Polichinelle, dans la nuit, vient pour donner une sérénade à sa maîtresse. Il est interrompu d’abord par des violons, contre lesquels il se met en colère, et ensuite par le Guet, composé de musiciens et de danseurs.

Polichinelle

O amour, amour, amour, amour ! Pauvre Polichinelle, quelle diable de fantaisie t’es-tu allé mettre dans la cervelle ? A quoi t’amuses-tu, misérable insensé que tu es ? Tu quittes le soin de ton négoce, et tu laisses aller tes affaires à l’abandon. Tu ne manges plus, tu ne bois presque plus, tu perds le repos de la nuit ; et tout cela pour qui ? Pour une dragonne, franche dragonne, une diablesse qui te rembarre, et se moque de tout ce que tu peux lui dire. Mais il n’y a point à raisonner là-dessus. Tu le veux, amour : il faut être fou comme beaucoup d’autres. Cela n’est pas le mieux du monde à un homme de mon âge ; mais qu’y faire ? On n’est pas sage quand on veut, et les vieilles cervelles se démontent comme les jeunes. Je viens voir si je ne pourrai point adoucir ma tigresse par une sérénade. Il n’y a rien parfois qui soit si touchant qu’un amant qui vient chanter ses doléances aux gonds et aux verrous de la porte de sa maîtresse. Voici de quoi accompagner ma voix. O nuit ! ô chère nuit ! porte mes plaintes amoureuses jusque dans le lit de mon inflexible.

(Il chante ces paroles : )

Notte e dì v’ amo e v’ adoro,

Cerco un sì per mio ristoro ;

Ma se voi dite di no,

Bell’ ingrata, io morirò.

Fra la speranza

S’ afflige il cuore,

In lontananza

Consuma l’ hore ;

Si dolce inganno

Che mi figura

Breve l’ affanno

Ahi ! troppo dura !

Cosi per tropp’ amar languisco e muoro.

Notte e dì v’ amo e v’ adoro,

Cerco un sì per mio ristoro ;

Ma se voi dite di no,

Bell’ ingrata, io morirò.

Se non dormite,

Almen pensate

Alle ferite

Ch’ al cuor mi fate ;

Deh ! almen fingete,

Per mio conforto,

Se m’ uccidete,

D’ haver il torto :

Vostra pietà mi scemerà il martoro.

Notte e dì v’ amo e v’ adoro,

Cerco un si per mio ristoro,

Ma se voi dite di no,

Bell’ ingrata, io morirò.

Une vieille se présente à la fenêtre, et répond au seignor Polichinelle en se moquant de lui.

Zerbinetti, ch’ ogn’ hor con finti sguardi,

Mentiti desiri,

Fallaci sospiri,

Accenti buggiardi,

Di fede vi preggiate,

Ah ! che non m’ ingannate,

Che già so per prova

Ch’ in voi non si trova

Constanza ne fede :

Oh ! quanto è pazza colei che vi crede !

Quei sguardi languidi

Non m’ innamorano,

Quei sospir fervidi

Più non m’ infiammano,

Vel giuro a fè.

Zerbino misero,

Del vostro piangere

Il mio cor libero

Vuol sempre ridere,

Credet’ a me :

Che già so per prova

Ch’ in voi non si trova

Constanza ne fede :

Oh ! quanto è pazza colei che vi crede !

Violons

Polichinelle

Quelle impertinente harmonie vient interrompre ici ma voix ?

Violons

Polichinelle

Paix là, taisez-vous, violons. Laissez-moi me plaindre à mon aise des cruautés de mon inexorable.

Violons

Polichinelle

Taisez-vous vous dis-je. C’est moi qui veux chanter.

Violons

Polichinelle

Paix donc !

Violons

Polichinelle

Ouais !

Violons

Polichinelle

Ahi !

Violons

Polichinelle

Est-ce pour rire ?

Violons

Polichinelle

Ah ! que de bruit !

Violons

Polichinelle

Le diable vous emporte !

Violons

Polichinelle

J’enrage.

Violons

Polichinelle

Vous ne vous tairez pas ? Ah, Dieu soit loué !

Violons

Polichinelle

Encore ?

Violons

Polichinelle

Peste des violons !

Violons

Polichinelle

La sotte musique que voilà !

Violons

Polichinelle

La, la, la, la, la, la.

Violons

Polichinelle

La, la, la, la, la, la.

Violons

Polichinelle

La, la, la, la, la, la, la, la.

Violons

Polichinelle

La, la, la, la, la.

Violons

Polichinelle

La, la, la, la, la, la.

Violons

Polichinelle, avec un luth, dont il ne joue que des lèvres et de la langue, en disant : plin pan plan, etc.

Par ma foi ! cela me divertit. Poursuivez, Messieurs les Violons, vous me ferez plaisir. Allons donc, continuez. Je vous en prie. Voilà le moyen de les faire taire. La musique est accoutumée à ne point faire ce qu’on veut. Ho sus, à nous ! Avant que de chanter, il faut que je prélude un peu, et joue quelque pièce, afin de mieux prendre mon ton. Plan, plan, plan. Plin, plin, plin. Voilà un temps fâcheux pour mettre un luth d’accord, Plin, plin, plin. Plin tan plan. Plin, plin. Les cordes ne tiennent point par ce temps-là. Plin, plan. J’entends du bruit, mettons mon luth contre la porte.

Archers, passans dans la rue, accourent au bruit qu’ils entendent et demandent :

Qui va là, qui va là ?

Polichinelle, tout bas :

Qui diable est cela ? Est-ce que c’est la mode de parler en musique ?

Archers

Qui va là, qui va là, qui va là ?

Polichinelle, épouvanté.

Moi, moi, moi.

Archers

Qui va là, qui va là ? vous dis-je.

Polichinelle

Moi, moi, vous dis-je.

Archers

Et qui toi ? et qui toi ?

Polichinelle

Moi, moi, moi, moi, moi, moi.

Archers

Dis ton nom, dis ton nom, sans davantage attendre.

Polichinelle, feignant d’être bien hardi.

Mon nom est : « Va te faire pendre. »

Archers

Ici, camarades, ici.

Saisissons l’insolent qui nous répond ainsi.

Entrée de Ballet

Tout le Guet vient, qui cherche Polichinelle dans la nuit.

Violons et Danseurs

Polichinelle

Qui va là ?

Violons et Danseurs

Polichinelle

Qui sont les coquins que j’entends ?

Violons et Danseurs

Polichinelle

Euh ?

Violons et Danseurs

Polichinelle

Holà, mes laquais, mes gens !

Violons et Danseurs

Polichinelle

Par la mort !

Violons et Danseurs

Polichinelle

Par la sang !

Violons et Danseurs

Polichinelle

J’en jetterai par terre.

Violons et Danseurs

Polichinelle

Champagne, Poitevin, Picard, Basque, Breton !

Violons et Danseurs

Polichinelle

Donnez-moi mon mousqueton.

Violons et Danseurs

Polichinelle tire un coup de pistolet

Poue.

(Ils tombent tous et s’enfuient.)

Polichinelle, en se moquant.

Ah, ah, ah, ah, comme je leur ai donné l’épouvante ! Voilà de sottes gens d’avoir peur de moi, qui ai peur des autres. Ma foi ! il n’est que de jouer d’adresse en ce monde. Si je n’avois tranché du grand seigneur, et n’avois fait le brave, ils n’auroient pas manqué de me happer. Ah, ah, ah.

(Les archers se rapprochent, et ayant entendu ce qu’il disoit, ils le saisissent au collet.)

Archers

Nous le tenons. A nous, camarades, à nous,

Dépêchez, de la lumière.

Ballet

Tout le Guet vient avec des lanternes.

Archers

Ah, traître ! ah, fripon ! c’est donc vous ?

Faquin, maraud, pendard, impudent, téméraire,

Insolent, effronté, coquin, filou, voleur,

Vous osez nous faire peur ?

Polichinelle

Messieurs, c’est que j’étois ivre.

Archers

Non, non, non, point de raison ;

Il faut vous apprendre à vivre.

En prison, vite, en prison.

Polichinelle

Messieurs, je ne suis point voleur.

Archers

En prison.

Polichinelle

Je suis un bourgeois de la ville.

Archers

En prison.

Polichinelle

Qu’ai-je fait ?

Archers

En prison, vite, en prison.

Polichinelle

Messieurs, laissez-moi aller.

Archers

Non.

Polichinelle

Je vous prie.

Archers

Non.

Polichinelle

Eh !

Archers

Non.

Polichinelle

De grâce.

Archers

Non, non.

Polichinelle

Messieurs.

Archers

Non, non, non.

Polichinelle

S’il vous plaît.

Archers

Non, non.

Polichinelle

Par charité.

Archers

Non, non.

Polichinelle

Au nom du Ciel !

Archers

Non, non.

Polichinelle

Miséricorde !

Archers

Non, non, non, point de raison ;

Il faut vous apprendre à vivre.

En prison vite, en prison.

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