Le Mystère de la chambre jaune

Chapitre 27Où Joseph Rouletabille apparaît dans toute sa gloire

Il y eut un remous terrible. On entendit des cris de femmes quise trouvaient mal. On n’eût plus aucun égard pour « la majesté dela justice ». Ce fut une bousculade insensée. Tout le monde voulaitvoir Joseph Rouletabille. Le président cria qu’il allait faireévacuer la salle, mais personne ne l’entendit. Pendant ce temps,Rouletabille sautait par-dessus la balustrade qui le séparait dupublic assis, se faisait un chemin à grands coups de coude,arrivait auprès de son directeur qui l’embrassait avec effusion,lui prit « sa » lettre d’entre les mains, la glissa dans sa poche,pénétra dans la partie réservée du prétoire et parvint ainsijusqu’à la barre des témoins, bousculé, bousculant, le visagesouriant, heureux, boule écarlate qu’illuminait encore l’éclairintelligent de ses deux grands yeux ronds. Il avait ce costumeanglais que je lui avais vu le matin de son départ – mais dans quelétat, mon Dieu ! – l’ulster sur son bras et la casquette devoyage à la main. Et il dit :

« Je demande pardon, monsieur le président, le transatlantique aeu du retard ! J’arrive d’Amérique. Je suis JosephRouletabille ! … »

On éclata de rire. Tout le monde était heureux de l’arrivée dece gamin. Il semblait à toutes ces consciences qu’un immense poidsvenait de leur être enlevé. On respirait. On avait la certitudequ’il apportait réellement la vérité… qu’il allait faire connaîtrela vérité…

Mais le président était furieux :

« Ah ! vous êtes Joseph Rouletabille, reprit le président…eh bien, je vous apprendrai, jeune homme, à vous moquer de lajustice… En attendant que la cour délibère sur votre cas, je vousretiens à la disposition de la justice… en vertu de mon pouvoirdiscrétionnaire.

– Mais, monsieur le président, je ne demande que cela : être àla disposition de la justice… je suis venu m’y mettre, à ladisposition de la justice… Si mon entrée a fait un peu de tapage,j’en demande bien pardon à la cour… Croyez bien, monsieur leprésident, que nul, plus que moi, n’a le respect de la justice…Mais je suis entré comme j’ai pu… »

Et il se mit à rire. Et tout le monde rit.

« Emmenez-le ! » commanda le président.

Mais maître Henri-Robert intervint. Il commença par excuser lejeune homme, il le montra animé des meilleurs sentiments, il fitcomprendre au président qu’on pouvait difficilement se passer de ladéposition d’un témoin qui avait couché au Glandier pendant toutela semaine mystérieuse, d’un témoin surtout qui prétendait prouverl’innocence de l’accusé et apporter le nom de l’assassin.

« Vous allez nous dire le nom de l’assassin ? demanda leprésident, ébranlé mais sceptique.

– Mais, mon président, je ne suis venu que pour ça ! fitRouletabille.

On faillit applaudir dans le prétoire, mais les chut !énergiques des huissiers rétablirent le silence.

« Joseph Rouletabille, dit maître Henri-Robert, n’est pas citérégulièrement comme témoin, mais j’espère qu’en vertu de sonpouvoir discrétionnaire, monsieur le président voudra bienl’interroger.

– C’est bien ! fit le président, nous l’interrogerons. Maisfinissons-en d’abord… »

L’avocat général se leva :

« Il vaudrait peut-être mieux, fit remarquer le représentant duministère public, que ce jeune homme nous dise tout de suite le nomde celui qu’il dénonce comme étant l’assassin. »

Le président acquiesça avec une ironique réserve :

« Si monsieur l’avocat général attache quelque importance à ladéposition de M. Joseph Rouletabille, je ne vois pointd’inconvénient à ce que le témoin nous dise tout de suite le nom de« son » assassin ! »

On eût entendu voler une mouche.

Rouletabille se taisait, regardant avec sympathie M. RobertDarzac, qui, lui, pour la première fois, depuis le commencement dudébat, montrait un visage agité et plein d’angoisse.

« Eh bien, répéta le président, on vous écoute, monsieur JosephRouletabille. Nous attendons le nom de l’assassin. »

Rouletabille fouilla tranquillement dans la poche de songousset, en tira un énorme oignon, y regarda l’heure, et dit :

« Monsieur le président, je ne pourrai vous dire le nom del’assassin qu’à six heures et demie ! Nous avons encore quatrebonnes heures devant nous ! »

La salle fit entendre des murmures étonnés et désappointés.Quelques avocats dirent à haute voix :

« Il se moque de nous ! »

Le président avait l’air enchanté ; maîtres Henri-Robert etAndré Hesse étaient ennuyés.

Le président dit :

« Cette plaisanterie a assez duré. Vous pouvez vous retirer,monsieur, dans la salle des témoins. Je vous garde à notredisposition. »

Rouletabille protesta :

« Je vous affirme, monsieur le président, s’écria-t-il, de savoix aiguë et claironnante, je vous affirme que, lorsque je vousaurai dit le nom de l’assassin, vous comprendrez que je ne pouvaisvous le dire qu’à six heures et demie ! Parole d’honnêtehomme ! Foi de Rouletabille ! … Mais, en attendant, jepeux toujours vous donner quelques explications sur l’assassinat dugarde… M. Frédéric Larsan qui m’a vu « travailler » au Glandierpourrait vous dire avec quel soin j’ai étudié toute cette affaire.J’ai beau être d’un avis contraire au sien et prétendre qu’enfaisant arrêter M. Robert Darzac, il a fait arrêter un innocent, ilne doute pas, lui, de ma bonne foi, ni de l’importance qu’il fautattacher à mes découvertes, qui ont souvent corroboré lessiennes ! »

Frédéric Larsan dit :

« Monsieur le président, il serait intéressant d’entendre M.Joseph Rouletabille ; d’autant plus intéressant qu’il n’estpas de mon avis. »

Un murmure d’approbation accueillit cette parole du policier. Ilacceptait le duel en beau joueur. La joute promettait d’êtrecurieuse entre ces deux intelligences qui s’étaient acharnées aumême tragique problème et qui étaient arrivées à deux solutionsdifférentes.

Comme le président se taisait, Frédéric Larsan continua :

« Ainsi nous sommes d’accord pour le coup de couteau au cœur quia été donné au garde par l’assassin de Mlle Stangerson ; mais,puisque nous ne sommes plus d’accord sur la question de la fuite del’assassin, « dans le bout de cour », il serait curieux de savoircomment M. Rouletabille explique cette fuite.

– Évidemment, fit mon ami, ce serait curieux ! »

Toute la salle partit encore à rire. Le président déclaraaussitôt que, si un pareil fait se renouvelait, il n’hésiterait pasà mettre à exécution sa menace de faire évacuer la salle.

« Vraiment, termina le président, dans une affaire commecelle-là, je ne vois pas ce qui peut prêter à rire.

– Moi non plus ! » dit Rouletabille.

Des gens, devant moi, s’enfoncèrent leur mouchoir dans la bouchepour ne pas éclater…

« Allons, fit le président, vous avez entendu, jeune homme, ceque vient de dire M. Frédéric Larsan. Comment, selon vous,l’assassin s’est-il enfui du « bout de cour » ?

Rouletabille regarda Mme Mathieu, qui lui sourit tristement.

« Puisque Mme Mathieu, dit-il, a bien voulu avouer toutl’intérêt qu’elle portait au garde…

– la coquine ! s’écria le père Mathieu.

– Faites sortir le père Mathieu ! « ordonna leprésident.

On emmena le père Mathieu.

Rouletabille reprit :

« … Puisqu’elle a fait cet aveu, je puis bien vous dire qu’elleavait souvent des conversations, la nuit, avec le garde, au premierétage du donjon, dans la chambre qui fut, autrefois un oratoire.Ces conversations furent surtout fréquentes dans les dernierstemps, quand le père Mathieu était cloué au lit par sesrhumatismes.

« Une piqûre de morphine, administrée à propos, donnait au pèreMathieu le calme et le repos, et tranquillisait son épouse pour lesquelques heures pendant lesquelles elle était dans la nécessité des’absenter. Mme Mathieu venait au château, la nuit, enveloppée dansun grand châle noir qui lui servait autant que possible àdissimuler sa personnalité et la faisait ressembler à un sombrefantôme qui, parfois, troubla les nuits du père Jacques. Pourprévenir son ami de sa présence, Mme Mathieu avait emprunté au chatde la mère Agenoux, une vieille sorcière deSainte-Geneviève-des-Bois, son miaulement sinistre ; aussitôt,le garde descendait de son donjon et venait ouvrir la petitepoterne à sa maîtresse. Quand les réparations du donjon furentrécemment entreprises, les rendez-vous n’en eurent pas moins lieudans l’ancienne chambre du garde, au donjon même, la nouvellechambre, qu’on avait momentanément abandonnée à ce malheureuxserviteur, à l’extrémité de l’aile droite du château, n’étantséparée du ménage du maître d’hôtel et de la cuisinière que par unetrop mince cloison.

« Mme Mathieu venait de quitter le garde en parfaite santé,quand le drame du « petit bout de cour » survint. Mme Mathieu et legarde, n’ayant plus rien à se dire, étaient sortis du donjonensemble… Je n’ai appris ces détails, monsieur le président, quepar l’examen auquel je me livrai des traces de pas dans la courd’honneur, le lendemain matin… Bernier, le concierge, que j’avaisplacé, avec son fusil, en observation derrière le donjon, ainsi queje lui permettrai de vous l’expliquer lui-même, ne pouvait voir cequi se passait dans la cour d’honneur. Il n’y arriva un peu plustard qu’attiré par les coups de revolver, et tira à son tour. Voicidonc le garde et Mme Mathieu, dans la nuit et le silence de la courd’honneur. Ils se souhaitent le bonsoir ; Mme Mathieu sedirige vers la grille ouverte de cette cour, et lui s’en retournese coucher dans sa petite pièce en encorbellement, à l’extrémité del’aile droite du château.

« Il va atteindre sa porte, quand des coups de revolverretentissent ; il se retourne ; anxieux, il revient surses pas ; il va atteindre l’angle de l’aile droite du châteauquand une ombre bondit sur lui et le frappe. Il meurt. Son cadavreest ramassé tout de suite par des gens qui croient tenir l’assassinet qui n’emportent que l’assassiné. Pendant ce temps, que fait MmeMathieu ? Surprise par les détonations et par l’envahissementde la cour, elle se fait la plus petite qu’elle peut dans la nuitet dans la cour d’honneur. La cour est vaste, et, se trouvant prèsde la grille, Mme Mathieu pouvait passer inaperçue. Mais elle ne «passa » pas. Elle resta et vit emporter le cadavre. Le cœur serréd’une angoisse bien compréhensible et poussée par un tragiquepressentiment, elle vint jusqu’au vestibule du château, jeta unregard sur l’escalier éclairé par le lumignon du père Jacques,l’escalier où l’on avait étendu le corps de son ami ; elle «vit » et s’enfuit. Avait-elle éveillé l’attention du pèreJacques ? Toujours est-il que celui-ci rejoignit le fantômenoir, qui déjà lui avait fait passer quelques nuits blanches.

« Cette nuit même, avant le crime, il avait été réveillé par lescris de la « Bête du Bon Dieu » et avait aperçu, par sa fenêtre, lefantôme noir… Il s’était hâtivement vêtu et c’est ainsi que l’ons’explique qu’il arriva dans le vestibule, tout habillé, quand nousapportâmes le cadavre du garde. Donc, cette nuit-là, dans la courd’honneur, il a voulu sans doute, une fois pour toutes, regarder detout près la figure du fantôme. Il la reconnut. Le père Jacques estun vieil ami de Mme Mathieu. Elle dut lui avouer ses nocturnesentretiens, et le supplier de la sauver de ce momentdifficile ! L’état de Mme Mathieu, qui venait de voir son amimort, devait être pitoyable. Le père Jacques eut pitié etaccompagna Mme Mathieu, à travers la chênaie, et hors du parc, pardelà même les bords de l’étang, jusqu’à la route d’Épinay. Là, ellen’avait plus que quelques mètres à faire pour rentrer chez elle. Lepère Jacques revint au château, et, se rendant compte del’importance judiciaire qu’il y aurait pour la maîtresse du garde àce qu’on ignorât sa présence au château, cette nuit-là, essayaautant que possible de nous cacher cet épisode dramatique d’unenuit qui, déjà, en comptait tant ! Je n’ai nul besoin, ajoutaRouletabille, de demander à Mme Mathieu et au père Jacques decorroborer ce récit. « Je sais » que les choses se sont passéesainsi ! Je ferai simplement appel aux souvenirs de M. Larsanqui, lui, comprend déjà comment j’ai tout appris, car il m’a vu, lelendemain matin, penché sur une double piste où l’on rencontraitvoyageant de compagnie, l’empreinte des pas du père Jacques et deceux de madame. »

Ici, Rouletabille se tourna vers Mme Mathieu qui était restée àla barre, et lui fit un salut galant.

« Les empreintes des pieds de madame, expliqua Rouletabille, ontune ressemblance étrange avec les traces des « pieds élégants » del’assassin… »

Mme Mathieu tressaillit et fixa avec une curiosité farouche lejeune reporter. Qu’osait-il dire ? Que voulait-ildire ?

« Madame a le pied élégant, long et plutôt un peu grand pour unefemme. C’est, au bout pointu de la bottine près, le pied del’assassin… »

Il y eut quelques mouvements dans l’auditoire. Rouletabille,d’un geste, les fit cesser. On eût dit vraiment que c’était lui,maintenant, qui commandait la police de l’audience.

« Je m’empresse de dire, fit-il, que ceci ne signifie pasgrand’chose et qu’un policier qui bâtirait un système sur desmarques extérieures semblables, sans mettre une idée généraleautour, irait tout de go à l’erreur judiciaire ! M. RobertDarzac, lui aussi, a les pieds de l’assassin, et cependant, iln’est pas l’assassin ! »

Nouveaux mouvements.

Le président demanda à Mme Mathieu :

« C’est bien ainsi que, ce soir-là, les choses se sont passéespour vous, madame ?

– Oui, monsieur le président, répondit-elle. C’est à croire queM. Rouletabille était derrière nous.

– Vous avez donc vu fuir l’assassin jusqu’à l’extrémité del’aile droite, madame ?

– Oui, comme j’ai vu emporter, une minute plus tard, le cadavredu garde.

– Et l’assassin, qu’est-il devenu ? Vous étiez restée seuledans la cour d’honneur, il serait tout naturel que vous l’ayezaperçu alors… Il ignorait votre présence et le moment était venupour lui de s’échapper…

– Je n’ai rien vu, monsieur le président, gémit Mme Mathieu. Àce moment la nuit était devenue très noire.

– C’est donc, fit le président, M. Rouletabille qui nousexpliquera comment l’assassin s’est enfui.

– Évidemment ! » répliqua aussitôt le jeune homme avec unetelle assurance que le président lui-même ne put s’empêcher desourire.

Et Rouletabille reprit la parole :

« Il était impossible à l’assassin de s’enfuir normalement dubout de cour dans lequel il était entré sans que nous levissions ! Si nous ne l’avions pas vu, nous l’eussionstouché ! C’est un pauvre petit bout de cour de rien du tout,un carré entouré de fossés et de hautes grilles. L’assassin eûtmarché sur nous ou nous eussions marché sur lui ! Ce carréétait aussi quasi-matériellement fermé par les fossés, les grilleset par nous-mêmes, que la «Chambre Jaune! »

– Alors, dites-nous donc, puisque l’homme est entré dans cecarré, dites-nous donc comment il se fait que vous ne l’ayez pointtrouvé ! … Voilà une demi-heure que je ne vous demande quecela ! … »

Rouletabille ressortit une fois encore l’oignon qui garnissaitla poche de son gilet ; il y jeta un regard calme, et dit:

« Monsieur le président, vous pouvez me demander cela encorependant trois heures trente, je ne pourrai vous répondre sur cepoint qu’à six heures et demie ! »

Cette fois-ci les murmures ne furent ni hostiles, nidésappointés. On commençait à avoir confiance en Rouletabille. « Onlui faisait confiance. » Et l’on s’amusait de cette prétentionqu’il avait de fixer une heure au président comme il eût fixé unrendez-vous à un camarade.

Quant au président, après s’être demandé s’il devait se fâcher,il prit son parti de s’amuser de ce gamin comme tout le monde.Rouletabille dégageait de la sympathie, et le président en étaitdéjà tout imprégné. Enfin, il avait si nettement défini le rôle deMme Mathieu dans l’affaire, et si bien expliqué chacun de sesgestes, « cette nuit-là », que M. De Rocoux se voyait obligé de leprendre presque au sérieux.

« Eh bien, monsieur Rouletabille, fit-il, c’est comme vousvoudrez ! Mais que je ne vous revoie plus avant six heures etdemie ! »

Rouletabille salua le président, et, dodelinant de sa grossetête, se dirigea vers la porte des témoins.

 

Son regard me cherchait. Il ne me vit point. Alors, je medégageai tout doucement de la foule qui m’enserrait et je sortis dela salle d’audience, presque en même temps que Rouletabille. Cetexcellent ami m’accueillit avec effusion. Il était heureux etloquace. Il me secouait les mains avec jubilation. Je lui dis :

« Je ne vous demanderai point, mon cher ami, ce que vous êtesallé faire en Amérique. Vous me répliqueriez sans doute, comme auprésident, que vous ne pouvez me répondre qu’à six heures etdemie…

– Non, mon cher Sainclair, non, mon cher Sainclair ! Jevais vous dire tout de suite ce que je suis allé faire en Amérique,parce que vous, vous êtes un ami : je suis allé chercher le nom dela seconde moitié de l’assassin !

– Vraiment, vraiment, le nom de la seconde moitié…

– Parfaitement. Quand nous avons quitté le Glandier pour ladernière fois, je connaissais les deux moitiés de l’assassin et lenom de l’une de ces moitiés. C’est le nom de l’autre moitié que jesuis allé chercher en Amérique… »

Nous entrions, à ce moment, dans la salle des témoins. Ilsvinrent tous à Rouletabille avec force démonstrations. Le reporterfut très aimable, si ce n’est avec Arthur Rance auquel il montraune froideur marquée. Frédéric Larsan entrant alors dans la salle,Rouletabille alla à lui, lui administra une de ces poignées de maindont il avait le douloureux secret, et dont on revient avec lesphalanges brisées. Pour lui montrer tant de sympathie, Rouletabilledevait être bien sûr de l’avoir roulé. Larsan souriait, sûr delui-même et lui demandant, à son tour, ce qu’il était allé faire enAmérique. Alors, Rouletabille, très aimable, le prit par le bras etlui conta dix anecdotes de son voyage. À un moment, ilss’éloignèrent, s’entretenant de choses plus sérieuses, et, pardiscrétion, je les quittai. Du reste, j’étais fort curieux derentrer dans la salle d’audience où l’interrogatoire des témoinscontinuait. Je retournai à ma place et je pus constater tout desuite que le public n’attachait qu’une importance relative à ce quise passait alors, et qu’il attendait impatiemment six heures etdemie.

 

Ces six heures et demie sonnèrent et Joseph Rouletabille fut ànouveau introduit. Décrire l’émotion avec laquelle la foule lesuivit des yeux à la barre serait impossible. On ne respirait plus.M. Robert Darzac s’était levé à son banc. Il était « pâle comme unmort ».

Le président dit avec gravité :

« Je ne vous fais pas prêter serment, monsieur ! Vousn’avez pas été cité régulièrement. Mais j’espère qu’il n’est pasbesoin de vous expliquer toute l’importance des paroles que vousallez prononcer ici… »

Et il ajouta, menaçant :

« Toute l’importance de ces paroles… pour vous, sinon pour lesautres ! … »

Rouletabille, nullement ému, le regardait. Il dit :

« Oui, m’sieur !

– Voyons, fit le président. Nous parlions tout à l’heure de cepetit bout de cour qui avait servi de refuge à l’assassin, et vousnous promettiez de nous dire, à six heures et demie, commentl’assassin s’est enfui de ce bout de cour et aussi le nom del’assassin. Il est six heures trente-cinq, monsieur Rouletabille,et nous ne savons encore rien !

– Voilà, m’sieur ! commença mon ami au milieu d’un silencesi solennel que je ne me rappelle pas en avoir « vu » de semblable,je vous ai dit que ce bout de cour était fermé et qu’il étaitimpossible pour l’assassin de s’échapper de ce carré sans que ceuxqui étaient à sa recherche s’en aperçussent. C’est l’exacte vérité.Quand nous étions là, dans le carré de bout de cour, l’assassin s’ytrouvait encore avec nous !

– Et vous ne l’avez pas vu ! … c’est bien ce quel’accusation prétend…

– Et nous l’avons tous vu ! monsieur le président, s’écriaRouletabille.

– Et vous ne l’avez pas arrêté ! …

– Il n’y avait que moi qui sût qu’il était l’assassin. Etj’avais besoin que l’assassin ne fût pas arrêté tout desuite ! Et puis, je n’avais d’autre preuve, à ce moment, que «ma raison » ! Oui, seule, ma raison me prouvait que l’assassinétait là et que nous le voyions ! J’ai pris mon temps pourapporter, aujourd’hui, en cour d’assises, une preuve irréfutable,et qui, je m’y engage, contentera tout le monde.

– Mais parlez ! parlez, monsieur ! Dites-nous quel estle nom de l’assassin, fit le président…

– Vous le trouverez parmi les noms de ceux qui étaient dans lebout de cour », répliqua Rouletabille, qui, lui, ne semblait paspressé…

On commençait à s’impatienter dans la salle…

« Le nom ! Le nom ! murmurait-on…

Rouletabille, sur un ton qui méritait des gifles, dit :

« Je laisse un peu traîner cette déposition, la mienne, m’sieurle président, parce que j’ai des raisons pour cela ! …

– Le nom ! Le nom ! répétait la foule.

– Silence ! » glapit l’huissier.

Le président dit :

« Il faut tout de suite nous dire le nom, monsieur ! … Ceuxqui se trouvaient dans le bout de cour étaient : le garde, mort.Est-ce lui, l’assassin ?

– Non, m’sieur.

– Le père Jacques ? …

– Non m’sieur.

– Le concierge, Bernier ?

– Non, m’sieur…

– M. Sainclair ?

– Non m’sieur…

– M. Arthur William Rance, alors ? Il ne reste que M.Arthur Rance et vous ! Vous n’êtes pas l’assassin,non ?

– Non, m’sieur !

– Alors, vous accusez M. Arthur Rance ?

– Non, m’sieur !

– Je ne comprends plus ! … Où voulez-vous en venir ? …il n’y avait plus personne dans le bout de cour.

– Si, m’sieur ! … il n’y avait personne dans le bout decour, ni au-dessous, mais il y avait quelqu’un au-dessus, quelqu’unpenché à sa fenêtre, sur le bout de cour…

– Frédéric Larsan ! s’écria le président.

– Frédéric Larsan ! » répondit d’une voix éclatanteRouletabille.

Et, se retournant vers le public qui faisait entendre déjà desprotestations, il lui lança ces mots avec une force dont je ne lecroyais pas capable :

« Frédéric Larsan, l’assassin ! »

Une clameur où s’exprimaient l’ahurissement, la consternation,l’indignation, l’incrédulité, et, chez certains, l’enthousiasmepour le petit bonhomme assez audacieux pour oser une pareilleaccusation, remplit la salle. Le président n’essaya même pas de lacalmer ; quand elle fut tombée d’elle-même, sous leschut ! énergiques de ceux qui voulaient tout de suite ensavoir davantage, on entendit distinctement Robert Darzac, qui, selaissant retomber sur son banc, disait :

« C’est impossible ! Il est fou ! … »

Le président :

« Vous osez, monsieur, accuser Frédéric Larsan ! Voyezl’effet d’une pareille accusation… M. Robert Darzac lui-même voustraite de fou ! … Si vous ne l’êtes pas, vous devez avoir despreuves…

– Des preuves, m’sieur ! Vous voulez des preuves !Ah ! je vais vous en donner une, de preuve… fit la voix aiguëde Rouletabille… Qu’on fasse venir Frédéric Larsan ! … »

Le président :

« Huissier, appelez Frédéric Larsan. »

L’huissier courut à la petite porte, l’ouvrit, disparut… Lapetite porte était restée ouverte… Tous les yeux étaient sur cettepetite porte. L’huissier réapparut. Il s’avança au milieu duprétoire et dit :

« Monsieur le président, Frédéric Larsan n’est pas là. Il estparti vers quatre heures et on ne l’a plus revu. »

Rouletabille clama, triomphant :

« Ma preuve, la voilà !

– Expliquez-vous… Quelle preuve ? demanda le président.

– Ma preuve irréfutable, fit le jeune reporter, ne voyez-vouspas que c’est la fuite de Larsan. Je vous jure qu’il ne reviendrapas, allez ! … vous ne reverrez plus Frédéric Larsan… »

Rumeurs au fond de la salle.

« Si vous ne vous moquez pas de la justice, pourquoi, monsieur,n’avez-vous pas profité de ce que Larsan était avec vous, à cettebarre, pour l’accuser en face ? Au moins, il aurait pu vousrépondre ! …

– Quelle réponse eût été plus complète que celle-ci, monsieur leprésident ? … il ne me répond pas ! Il ne me répondrajamais ! J’accuse Larsan d’être l’assassin et il sesauve ! Vous trouvez que ce n’est pas une réponse, ça !…

– Nous ne voulons pas croire, nous ne croyons point que Larsan,comme vous dites, « se soit sauvé »… Comment se serait-ilsauvé ? Il ne savait pas que vous alliez l’accuser ?

– Si, m’sieur, il le savait, puisque je le lui ai apprismoi-même, tout à l’heure…

– Vous avez fait cela ! … Vous croyez que Larsan estl’assassin et vous lui donnez les moyens de fuir ! …

– Oui, m’sieur le président, j’ai fait cela, répliquaRouletabille avec orgueil… Je ne suis pas de la « justice »,moi ; je ne suis pas de la « police », moi ; je suis unhumble journaliste, et mon métier n’est point de faire arrêter lesgens ! Je sers la vérité comme je veux… c’est mon affaire…Préservez, vous autres, la société, comme vous pouvez, c’est lavôtre… Mais ce n’est pas moi qui apporterai une tête aubourreau ! … Si vous êtes juste, monsieur le président – etvous l’êtes – vous trouverez que j’ai raison ! … Ne vous ai-jepas dit, tout à l’heure, « que vous comprendriez que je ne pouvaisprononcer le nom de l’assassin avant six heures et demie ». J’avaiscalculé que ce temps était nécessaire pour avertir Frédéric Larsan,lui permettre de prendre le train de 4 heures 17, pour Paris, où ilsaurait se mettre en sûreté… Une heure pour arriver à Paris, uneheure et quart pour qu’il pût faire disparaître toute trace de sonpassage… Cela nous amenait à six heures et demie… Vous neretrouverez pas Frédéric Larsan, déclara Rouletabille en fixant M.Robert Darzac… il est trop malin… C’est un homme qui vous atoujours échappé… et que vous avez longtemps et vainementpoursuivi… S’il est moins fort que moi, ajouta Rouletabille, enriant de bon cœur et en riant tout seul, car personne n’avait plusenvie de rire… il est plus fort que toutes les polices de la terre.Cet homme, qui, depuis quatre ans, s’est introduit à la Sûreté, ety est devenu célèbre sous le nom de Frédéric Larsan, est autrementcélèbre sous un autre nom que vous connaissez bien. FrédéricLarsan, m’sieur le président, c’est Ballmeyer !

– Ballmeyer ! s’écria le président.

– Ballmeyer ! fit Robert Darzac, en se soulevant…Ballmeyer ! … C’était donc vrai !

– Ah ! ah ! m’sieur Darzac, vous ne croyez plus que jesuis fou, maintenant ! … »

Ballmeyer ! Ballmeyer ! Ballmeyer ! Onn’entendait plus que ce nom dans la salle. Le président suspenditl’audience.

 

Vous pensez si cette suspension d’audience fut mouvementée. Lepublic avait de quoi s’occuper. Ballmeyer ! On trouvait,décidément, le gamin « épatant » ! Ballmeyer ! Mais lebruit de sa mort avait couru, il y avait, de cela, quelquessemaines. Ballmeyer avait donc échappé à la mort comme, toute savie, il avait échappé aux gendarmes. Est-il nécessaire que jerappelle ici les hauts faits de Ballmeyer ? Ils ont, pendantvingt ans, défrayé la chronique judiciaire et la rubrique des faitsdivers ; et, si quelques-uns de mes lecteurs ont pu oublierl’affaire de la «Chambre Jaune», ce nom de Ballmeyer n’estcertainement pas sorti de leur mémoire. Ballmeyer fut le type mêmede l’escroc du grand monde ; il n’était point de gentlemanplus gentleman que lui ; il n’était point de prestidigitateurplus habile de ses doigts que lui ; il n’était point d’ «apache », comme on dit aujourd’hui, plus audacieux et plus terribleque lui. Reçu dans la meilleure société, inscrit dans les cerclesles plus fermés, il avait volé l’honneur des familles et l’argentdes pontes avec une maestria qui ne fut jamais dépassée. Danscertaines occasions difficiles, il n’avait pas hésité à faire lecoup de couteau ou le coup de l’os de mouton. Du reste, iln’hésitait jamais, et aucune entreprise n’était au-dessus de sesforces. Étant tombé une fois entre les mains de la justice, ils’échappa, le matin de son procès, en jetant du poivre dans lesyeux des gardes qui le conduisaient à la cour d’assises. On sutplus tard que, le jour de sa fuite, pendant que les plus finslimiers de la Sûreté étaient à ses trousses, il assistait,tranquillement, nullement maquillé, à une « première » duThéâtre-Français. Il avait ensuite quitté la France pour travailleren Amérique, et la police de l’état d’Ohio avait, un beau jour, misla main sur l’exceptionnel bandit ; mais, le lendemain, ils’échappait encore… Ballmeyer, il faudrait un volume pour parlerici de Ballmeyer, et c’est cet homme qui était devenu FrédéricLarsan ! … Et c’est ce petit gamin de Rouletabille qui avaitdécouvert cela ! … Et c’est lui aussi, ce moutard, qui,connaissant le passé d’un Ballmeyer, lui permettait, une fois deplus, de faire la nique à la société, en lui fournissant le moyende s’échapper ! À ce dernier point de vue, je ne pouvaisqu’admirer Rouletabille, car je savais que son dessein était deservir jusqu’au bout M. Robert Darzac et Mlle Stangerson en lesdébarrassant du bandit sans qu’il parlât.

On n’était pas encore remis d’une pareille révélation, etj’entendais déjà les plus pressés s’écrier : « En admettant quel’assassin soit Frédéric Larsan, cela ne nous explique pas commentil est sorti de la Chambre Jaune ! … » quand l’audience futreprise.

 

Rouletabille fut appelé immédiatement à la barre et soninterrogatoire , car il s’agissait là plutôt d’un interrogatoireque d’une déposition , reprit.

Le président :

« Vous nous avez dit tout à l’heure, monsieur, qu’il étaitimpossible de s’enfuir du bout de cour. J’admets, avec vous, jeveux bien admettre que, puisque Frédéric Larsan se trouvait penchéà sa fenêtre, au-dessus de vous, il fût encore dans ce bout decour ; mais, pour se trouver à sa fenêtre, il lui avait falluquitter ce bout de cour. Il s’était donc enfui ! Etcomment ? »

Rouletabille :

« J’ai dit qu’il n’avait pu s’enfuir « normalement… » Il s’estdonc enfui « anormalement » ! Car le bout de cour, je l’ai ditaussi, n’était que « quasi » fermé tandis que la «Chambre Jaune»l’était tout à fait. On pouvait grimper au mur, chose impossibledans la «Chambre Jaune», se jeter sur la terrasse et de là, pendantque nous étions penchés sur le cadavre du garde, pénétrer de laterrasse dans la galerie par la fenêtre qui donne juste au-dessus.Larsan n’avait plus qu’un pas à faire pour être dans sa chambre,ouvrir sa fenêtre et nous parler. Ceci n’était qu’un jeu d’enfantpour un acrobate de la force de Ballmeyer. Et, monsieur leprésident, voici la preuve de ce que j’avance. »

Ici, Rouletabille tira de la poche de son veston, un petitpaquet qu’il ouvrit, et dont il tira une cheville.

« Tenez, monsieur le président, voici une cheville qui s’adapteparfaitement dans un trou que l’on trouve encore dans le « corbeau» de droite qui soutient la terrasse en encorbellement. Larsan, quiprévoyait tout et qui songeait à tous les moyens de fuite autour desa chambre – chose nécessaire quand on joue son jeu – avait enfoncépréalablement cette cheville dans ce « corbeau ». Un pied sur laborne qui est au coin du château, un autre pied sur la cheville,une main à la corniche de la porte du garde, l’autre main à laterrasse, et Frédéric Larsan disparaît dans les airs… d’autantmieux qu’il est fort ingambe et que, ce soir-là, il n’étaitnullement endormi par un narcotique, comme il avait voulu nous lefaire croire. Nous avions dîné avec lui, monsieur le président, et,au dessert, il nous joua le coup du monsieur qui tombe de sommeil,car il avait besoin d’être, lui aussi, endormi, pour que, lelendemain, on ne s’étonnât point que moi, Joseph Rouletabille,j’aie été victime d’un narcotique en dînant avec Larsan. Du momentque nous avions subi le même sort, les soupçons ne l’atteignaientpoint et s’égaraient ailleurs. Car, moi, monsieur le président,moi, j’ai été bel et bien endormi, et par Larsan lui-même, etcomment ! … Si je n’avais pas été dans ce triste état, jamaisLarsan ne se serait introduit dans la chambre de Mlle Stangerson cesoir-là, et le malheur ne serait pas arrivé ! … »

On entendit un gémissement. C’était M. Darzac qui n’avait puretenir sa douloureuse plainte…

« Vous comprenez, ajouta Rouletabille, que, couchant à côté delui, je gênais particulièrement Larsan, cette nuit-là, car ilsavait ou du moins il pouvait se douter « que, cette nuit-là, jeveillais » ! Naturellement il ne pouvait pas croire uneseconde que je le soupçonnais, lui ! Mais je pouvais ledécouvrir au moment où il sortait de sa chambre pour se rendre danscelle de Mlle Stangerson. Il attendit, cette nuit-là, pour pénétrerchez Mlle Stangerson, que je fusse endormi et que mon ami Sainclairfût occupé dans ma propre chambre à me réveiller. Dix minutes plustard Mlle Stangerson criait à la mort !

– Comment étiez-vous arrivé à soupçonner, alors, FrédéricLarsan ? demanda le président.

– « Le bon bout de ma raison » me l’avait indiqué, m’sieur leprésident ; aussi j’avais l’œil sur lui ; mais c’est unhomme terriblement fort, et je n’avais pas prévu le coup dunarcotique. Oui, oui, le bon bout de ma raison me l’avaitmontré ! Mais il me fallait une preuve palpable ; commequi dirait : « Le voir au bout de mes yeux après l’avoir vu au boutde ma raison ! »

– Qu’est-ce que vous entendez par « le bon bout de votre raison» ?

– Eh ! m’sieur le président, la raison a deux bouts : lebon et le mauvais. Il n’y en a qu’un sur lequel vous puissiez vousappuyer avec solidité : c’est le bon ! On le reconnaît à ceque rien ne peut le faire craquer, ce bout-là, quoi que vousfassiez ! quoi que vous disiez ! Au lendemain de la «galerie inexplicable », alors que j’étais comme le dernier desderniers des misérables hommes qui ne savent point se servir deleur raison parce qu’ils ne savent par où la prendre, que j’étaiscourbé sur la terre et sur les fallacieuses traces sensibles, je mesuis relevé soudain, en m’appuyant sur le bon bout de ma raison etje suis monté dans la galerie.

« Là, je me suis rendu compte que l’assassin que nous avionspoursuivi n’avait pu, cette fois, « ni normalement, ni anormalement» quitter la galerie. Alors, avec le bon bout de ma raison, j’aitracé un cercle dans lequel j’ai enfermé le problème, et autour ducercle, j’ai déposé mentalement ces lettres flamboyantes : «Puisque l’assassin ne peut être en dehors du cercle, il estdedans ! » Qui vois-je donc, dans ce cercle ? Le bon boutde ma raison me montre, outre l’assassin qui doit nécessairements’y trouver : le père Jacques, M. Stangerson, Frédéric Larsan etmoi ! Cela devait donc faire, avec l’assassin, cinqpersonnages. Or, quand je cherche dans le cercle, ou si vouspréférez, dans la galerie, pour parler « matériellement », je netrouve que quatre personnages. Et il est démontré que le cinquièmen’a pu s’enfuir, n’a pu sortir du cercle ! Donc, j’ai, dans lecercle, un personnage qui est deux, c’est-à-dire qui est, outre sonpersonnage, le personnage de l’assassin ! … Pourquoi ne m’enétais-je pas aperçu déjà ? Tout simplement parce que lephénomène du doublement du personnage ne s’était pas passé sous mesyeux. Avec qui, des quatre personnes enfermées dans le cercle,l’assassin a-t-il pu se doubler sans que je l’aperçoive ?Certainement pas avec les personnes qui me sont apparues à unmoment, dédoublées de l’assassin. Ainsi ai-je vu, en même temps,dans la galerie, M. Stangerson et l’assassin, le père Jacques etl’assassin, moi et l’assassin. L’assassin ne saurait donc être niM. Stangerson, ni le père Jacques, ni moi ! Et puis, sic’était moi l’assassin, je le saurais bien, n’est-ce pas, m’sieurle président ? … Avais-je vu, en même temps, Frédéric Larsanet l’assassin ? Non ! … Non ! Il s’était passé deuxsecondes pendant lesquelles j’avais perdu de vue l’assassin, carcelui-ci était arrivé, comme je l’ai du reste noté dans mespapiers, deux secondes avant M. Stangerson, le père Jacques et moi,au carrefour des deux galeries. Cela avait suffi à Larsan pourenfiler la galerie tournante, enlever sa fausse barbe d’un tour demain, se retourner et se heurter à nous, comme s’il poursuivaitl’assassin ! … Ballmeyer en a fait bien d’autres ! etvous pensez bien que ce n’était qu’un jeu pour lui de se grimer detelle sorte qu’il apparût tantôt avec sa barbe rouge à MlleStangerson, tantôt à un employé de poste avec un collier de barbechâtain qui le faisait ressembler à M. Darzac, dont il avait juréla perte ! Oui, le bon bout de ma raison me rapprochait cesdeux personnages, ou plutôt ces deux moitiés de personnage que jen’avais pas vues en même temps : Frédéric Larsan et l’inconnu queje poursuivais… pour en faire l’être mystérieux et formidable queje cherchais : « l’assassin ».

« Cette révélation me bouleversa. J’essayai de me ressaisir enm’occupant un peu des traces sensibles, des signes extérieurs quim’avaient, jusqu’alors, égaré, et qu’il fallait, normalement, «faire entrer dans le cercle tracé par le bon bout de maraison ! »

« Quels étaient, tout d’abord, les principaux signes extérieurs,cette nuit-là, qui m’avaient éloigné de l’idée d’un Frédéric Larsanassassin :

« 1° J’avais vu l’inconnu dans la chambre de Mlle Stangerson,et, courant à la chambre de Frédéric Larsan, j’y avais trouvéFrédéric Larsan, bouffi de sommeil.

« 2° L’échelle ;

« 3° J’avais placé Frédéric Larsan au bout de la galerietournante en lui disant que j’allais sauter dans la chambre de MlleStangerson pour essayer de prendre l’assassin. Or, j’étais retournédans la chambre de Mlle Stangerson où j’avais retrouvé moninconnu.

« Le premier signe extérieur ne m’embarrassa guère. Il estprobable que, lorsque je descendis de mon échelle, après avoir vul’inconnu dans la chambre de Mlle Stangerson, celui-ci avait déjàfini ce qu’il avait à y faire. Alors, pendant que je rentrais dansle château, il rentrait, lui, dans la chambre de Frédéric Larsan,se déshabillait en deux temps, trois mouvements, et, quand jevenais frapper à sa porte, montrait un visage de Frédéric Larsanensommeillé à plaisir…

« Le second signe : l’échelle, ne m’embarrassa pas davantage. Ilétait évident que, si l’assassin était Larsan, il n’avait pasbesoin d’échelle pour s’introduire dans le château, puisque Larsancouchait à côté de moi ; mais cette échelle devait fairecroire à la venue de l’assassin, « de l’extérieur », chosenécessaire au système de Larsan puisque, cette nuit-là, M. Darzacn’était pas au château. Enfin, cette échelle, en tout état decause, pouvait faciliter la fuite de Larsan.

« Mais le troisième signe extérieur me déroutait tout à fait.Ayant placé Larsan au bout de la galerie tournante, je ne pouvaisexpliquer qu’il eût profité du moment où j’allais dans l’ailegauche du château trouver M. Stangerson et le père Jacques, pourretourner dans la chambre de Mlle Stangerson ! C’était là ungeste bien dangereux ! Il risquait de se faire prendre… Et ille savait ! … Et il a failli se faire prendre… n’ayant pas eule temps de regagner son poste, comme il l’avait certainementespéré… Il fallait qu’il eût, pour retourner dans la chambre, uneraison bien nécessaire qui lui fût apparue tout à coup, après mondépart, car il n’aurait pas sans cela prêté son revolver !Quant à moi, quand « j’envoyai » le père Jacques au bout de lagalerie droite, je croyais naturellement que Larsan était toujoursà son poste au bout de la galerie tournante et le père Jacqueslui-même, à qui, du reste, je n’avais point donné de détails, en serendant à son poste, ne regarda pas, lorsqu’il passa àl’intersection des deux galeries, si Larsan était au sien. Le pèreJacques ne songeait alors qu’à exécuter mes ordres rapidement.Quelle était donc cette raison imprévue qui avait pu conduireLarsan une seconde fois dans la chambre ? Quelleétait-elle ? … Je pensai que ce ne pouvait être qu’une marquesensible de son passage qui le dénonçait ! Il avait oubliéquelque chose de très important dans la chambre ! Quoi ?… Avait-il retrouvé cette chose ? … Je me rappelai la bougiesur le parquet et l’homme courbé… Je priai Mme Bernier, qui faisaitla chambre, de chercher… et elle trouva un binocle… Ce binocle,m’sieur le président ! »

Et Rouletabille sortit de son petit paquet le binocle que nousconnaissons déjà…

« Quand je vis ce binocle, je fus épouvanté… Je n’avais jamaisvu de binocle à Larsan… S’il n’en mettait pas, c’est donc qu’iln’en avait pas besoin… Il en avait moins besoin encore alors dansun moment où la liberté de ses mouvements lui était chose siprécieuse… Que signifiait ce binocle ? … Il n’entrait pointdans mon cercle. À moins qu’il ne fût celui d’un presbyte,m’exclamai-je, tout à coup ! … En effet, je n’avais jamais vuécrire Larsan, je ne l’avais jamais vu lire. Il « pouvait » doncêtre presbyte ! On savait certainement à la Sûreté qu’il étaitpresbyte, « s’il l’était… » on connaissait sans doute son binocle…Le binocle du « presbyte Larsan » trouvé dans la chambre de MlleStangerson, après le mystère de la galerie inexplicable, celadevenait terrible pour Larsan ! Ainsi s’expliquait le retourde Larsan dans la chambre ! … Et, en effet, Larsan-Ballmeyerest bien presbyte, et ce binocle, que l’on reconnaîtra « peut-être» à la Sûreté, est bien le sien…

« Vous voyez, monsieur, quel est mon système, continuaRouletabille ; je ne demande pas aux signes extérieurs dem’apprendre la vérité ; je leur demande simplement de ne pasaller contre la vérité que m’a désignée le bon bout de maraison ! …

« Pour être tout à fait sûr de la vérité sur Larsan, car Larsanassassin était une exception qui méritait que l’on s’entourât dequelque garantie, j’eus le tort de vouloir voir sa « figure ». J’enai été bien puni ! Je crois que c’est le bon bout de ma raisonqui s’est vengé de ce que, depuis la galerie inexplicable, je ne mesois pas appuyé solidement, définitivement et en toute confiance,sur lui… négligeant magnifiquement de trouver d’autres preuves dela culpabilité de Larsan que celle de ma raison ! Alors, MlleStangerson a été frappée… »

Rouletabille s’arrêta… se mouche… vivement ému.

 

« Mais qu’est-ce que Larsan, demanda le président, venait fairedans cette chambre ? Pourquoi a-t-il tenté d’assassiner à deuxreprises Mlle Stangerson ?

– Parce qu’il l’adorait, m’sieur le président…

– Voilà évidemment une raison…

– Oui, m’sieur, une raison péremptoire. Il était amoureux fou…et à cause de cela, et de bien d’autres choses aussi, capable detous les crimes.

– Mlle Stangerson le savait ?

– Oui, m’sieur, mais elle ignorait, naturellement, quel’individu qui la poursuivait ainsi fût Frédéric Larsan… sans quoiFrédéric Larsan ne serait pas venu s’installer au château, etn’aurait pas, la nuit de la galerie inexplicable, pénétré avec nousauprès de Mlle Stangerson, « après l’affaire ». J’ai remarqué dureste qu’il s’était tenu dans l’ombre et qu’il avaitcontinuellement la face baissée… ses yeux devaient chercher lebinocle perdu… Mlle Stangerson a eu à subir les poursuites et lesattaques de Larsan sous un nom et sous un déguisement que nousignorions mais qu’elle pouvait connaître déjà.

– Et vous, monsieur Darzac ! demanda le président… vousavez peut-être, à ce propos, reçu les confidences de MlleStangerson… Comment se fait-il que Mlle Stangerson n’ait parlé decela à personne ? … Cela aurait pu mettre la justice sur lestraces de l’assassin… et si vous êtes innocent, vous aurait épargnéla douleur d’être accusé !

– Mlle Stangerson ne m’a rien dit, fit M. Darzac.

– Ce que dit le jeune homme vous paraît-il possible ? »demanda encore le président.

Imperturbablement, M. Robert Darzac répondit :

« Mlle Stangerson ne m’a rien dit…

– Comment expliquez-vous que, la nuit de l’assassinat du garde,reprit le président, en se tournant vers Rouletabille, l’assassinait rapporté les papiers volés à M. Stangerson ? … Commentexpliquez-vous que l’assassin se soit introduit dans la chambrefermée de Mlle Stangerson ?

– Oh ! quant à cette dernière question, il est facile, jecrois, d’y répondre. Un homme comme Larsan-Ballmeyer devait seprocurer ou faire faire facilement les clefs qui lui étaientnécessaires… Quant au vol des documents, « je crois » que Larsann’y avait pas d’abord songé. Espionnant partout Mlle Stangerson,bien décidé à empêcher son mariage avec M. Robert Darzac, il suitun jour Mlle Stangerson et M. Robert Darzac dans les grandsmagasins de la Louve, s’empare du réticule de Mlle Stangerson, quecelle-ci perd ou se laisse prendre. Dans ce réticule, il y a uneclef à tête de cuivre. Il ne sait pas l’importance qu’a cette clef.Elle lui est révélée par la note que fait paraître Mlle Stangersondans les journaux. Il écrit à Mlle Stangerson poste restante, commela note l’en prie. Il demande sans doute un rendez-vous en faisantsavoir que celui qui a le réticule et la clef est celui qui lapoursuit, depuis quelque temps, de son amour. Il ne reçoit pas deréponse. Il va constater au bureau 40 que la lettre n’est plus là.Il y va, ayant pris déjà l’allure et autant que possible l’habit deM. Darzac, car, décidé à tout pour avoir Mlle Stangerson, il a toutpréparé, pour que, quoi qu’il arrive, M. Darzac, aimé de MlleStangerson, M. Darzac qu’il déteste et dont il veut la perte, passepour le coupable.

« Je dis : quoi qu’il arrive, mais je pense que Larsan nepensait pas encore qu’il en serait réduit à l’assassinat. Dans tousles cas, ses précautions sont prises pour compromettre MlleStangerson sous le déguisement Darzac. Larsan a, du reste, à peuprès la taille de Darzac et quasi le même pied. Il ne lui seraitpas difficile, s’il est nécessaire, après avoir dessiné l’empreintedu pied de M. Darzac, de se faire faire, sur ce dessin, deschaussures qu’il chaussera. Ce sont là trucs enfantins pourLarsan-Ballmeyer.

« Donc, pas de réponse à sa lettre, pas de rendez-vous, et il atoujours la petite clef précieuse dans sa poche. Eh bien, puisqueMlle Stangerson ne vient pas à lui, il ira à elle ! Depuislongtemps son plan est fait. Il s’est documenté sur le Glandier etsur le pavillon. Un après-midi, alors que M. et Mlle Stangersonviennent de sortir pour la promenade et que le père Jacqueslui-même est parti, il s’introduit dans le pavillon par la fenêtredu vestibule. Il est seul, pour le moment, il a des loisirs… ilregarde les meubles… l’un d’eux, fort curieux, et ressemblant à uncoffre-fort, a une toute petite serrure… Tiens ! Tiens !Cela l’intéresse… Comme il a sur lui la petite clef de cuivre… il ypense… liaison d’idées. Il essaye la clef dans la serrure ; laporte s’ouvre… Des papiers ! Il faut que ces papiers soientbien précieux pour qu’on les ait enfermés dans un meuble aussiparticulier… pour qu’on tienne tant à la clef qui ouvre ce meuble…Eh ! Eh ! cela peut toujours servir… à un petit chantage…cela l’aidera peut-être dans ses desseins amoureux… Vite, il faitun paquet de ces paperasses et va le déposer dans le lavatory duvestibule. Entre l’expédition du pavillon et la nuit del’assassinat du garde, Larsan a eu le temps de voir ce qu’étaientces papiers. Qu’en ferait-il ? Ils sont plutôt compromettants…Cette nuit-là, il les rapporta au château… Peut-être a-t-il espérédu retour de ces papiers, qui représentaient vingt ans de travaux,une reconnaissance quelconque de Mlle Stangerson… Tout estpossible, dans un cerveau comme celui-là ! … Enfin, quellequ’en soit la raison, il a rapporté les papiers et il en était biendébarrassé !

Rouletabille toussa et je compris ce que signifiait cette toux.Il était évidemment embarrassé, à ce point de ses explications, parla volonté qu’il avait de ne point donner le véritable motif del’attitude effroyable de Larsan vis-à-vis de Mlle Stangerson. Sonraisonnement était trop incomplet pour satisfaire tout le monde, etle président lui en eut certainement fait l’observation, si, malincomme un singe, Rouletabille ne s’était écrié : « Maintenant, nousarrivons à l’explication du mystère de la Chambre Jaune! »

 

Il y eut, dans la salle, des remuements de chaises, de légèresbousculades, des « chut ! » énergiques. La curiosité étaitpoussée à son comble.

« Mais, fit le président, il me semble, d’après votre hypothèse,monsieur Rouletabille, que le mystère de la «Chambre Jaune» esttout expliqué. Et c’est Frédéric Larsan qui nous l’a expliquélui-même en se contentant de tromper sur le personnage, en mettantM. Robert Darzac à sa propre place. Il est évident que la porte dela «Chambre Jaune» s’est ouverte quand M. Stangerson était seul, etque le professeur a laissé passer l’homme qui sortait de la chambrede sa fille, sans l’arrêter, peut-être même sur la prière de safille, pour éviter tout scandale ! …

– Non, m’sieur le président, protesta avec force le jeune homme.Vous oubliez que Mlle Stangerson, assommée, ne pouvait plus fairede prière, qu’elle ne pouvait plus refermer sur elle ni le verrouni la serrure… Vous oubliez aussi que M. Stangerson a juré sur latête de sa fille à l’agonie que la porte ne s’était pasouverte !

– C’est pourtant, monsieur, la seule façon d’expliquer leschoses ! La Chambre Jaune était close comme un coffre-fort.Pour me servir de vos expressions, il était impossible à l’assassinde s’en échapper « normalement ou anormalement ». Quand on pénètredans la chambre, on ne le trouve pas ! Il faut bien pourtantqu’il s’échappe ! …

– C’est tout à fait inutile, m’sieur le président…

– Comment cela ?

– Il n’avait pas besoin de s’échapper, s’il n’y était pas !»

Rumeurs dans la salle…

« Comment, il n’y était pas ?

– Évidemment non ! Puisqu’il ne pouvait pas y être, c’estqu’il n’y était pas ! Il faut toujours, m’sieur l’président,s’appuyer sur le bon bout de sa raison !

– Mais toutes les traces de son passage ! protesta leprésident.

– Ça, m’sieur le président, c’est le mauvais bout de laraison ! … Le bon bout nous indique ceci : depuis le moment oùMlle Stangerson s’est enfermée dans sa chambre jusqu’au moment oùl’on a défoncé la porte, il est impossible que l’assassin se soitéchappé de cette chambre ; et, comme on ne l’y trouve pas,c’est que, depuis le moment de la fermeture de la porte jusqu’aumoment où on la défonce, l’assassin n’était pas dans lachambre !

– Mais les traces ?

– Eh ! m’sieur le président… Ça, c’est les marquessensibles, encore une fois… les marques sensibles avec lesquelleson commet tant d’erreurs judiciaires parce qu’elles vous font direce qu’elles veulent ! Il ne faut point, je vous le répète,s’en servir pour raisonner ! Il faut raisonner d’abord !Et voir ensuite si les marques sensibles peuvent entrer dans lecercle de votre raisonnement… J’ai un tout petit cercle de véritéincontestable : l’assassin n’était point dans la ChambreJaune ! Pourquoi a-t-on cru qu’il y était ? À cause desmarques de son passage ! Mais il peut être passé avant !Que dis-je : il « doit » être passé avant. La raison me dit qu’ilfaut qu’il soit passé là, avant ! Examinons les marques et ceque nous savons de l’affaire, et voyons si ces marques vont àl’encontre de ce passage avant… avant que Mlle Stangerson s’enfermedans sa chambre, devant son père et le père Jacques !

« Après la publication de l’article du Matin et une conversationque j’eus dans le trajet de Paris à Épinay-sur-Orge avec le juged’instruction, la preuve me parut faite que la «Chambre Jaune»était mathématiquement close et que, par conséquent, l’assassin enavait disparu avant l’entrée de Mlle Stangerson dans sa chambre, àminuit.

« Les marques extérieures se trouvaient alors être terriblement« contre ma raison ». Mlle Stangerson ne s’était pas assassinéetoute seule, et ces marques attestaient qu’il n’y avait pas eusuicide. L’assassin était donc venu avant ! Mais comment MlleStangerson n’avait-elle été assassinée qu’après ? ou plutôt «ne paraissait-elle » avoir été assassinée qu’après ? Il mefallait naturellement reconstituer l’affaire en deux phases, deuxphases bien distinctes l’une de l’autre de quelques heures : lapremière phase pendant laquelle on avait réellement tentéd’assassiner Mlle Stangerson, tentative qu’elle avaitdissimulée ; la seconde phase pendant laquelle, à la suited’un cauchemar qu’elle avait eu, ceux qui étaient dans lelaboratoire avaient cru qu’on l’assassinait !

« Je n’avais pas encore, alors, pénétré dans la «Chambre Jaune».Quelles étaient les blessures de Mlle Stangerson ? Des marquesde strangulation et un coup formidable à la tempe… Les marques destrangulation ne me gênaient pas. Elles pouvaient avoir été faites« avant » et Mlle Stangerson les avait dissimulées sous unecollerette, un boa, n’importe quoi ! Car, du moment que jecréais, que j’étais obligé de diviser l’affaire en deux phases,j’étais acculé à la nécessité de me dire que Mlle Stangerson avaitcaché tous les événements de la première phase ; elle avaitdes raisons, sans doute, assez puissantes pour cela, puisqu’ellen’avait rien dit à son père et qu’elle dut raconter naturellementau juge d’instruction l’agression de l’assassin dont elle nepouvait nier le passage, comme si cette agression avait eu lieu lanuit, pendant la seconde phase ! Elle y était forcée, sansquoi son père lui eût dit : « Que nous as-tu caché là ? Quesignifie « ton silence après une pareille agression » ? »

« Elle avait donc dissimulé les marques de la main de l’homme àson cou. Mais il y avait le coup formidable de la tempe ! Ça,je ne le comprenais pas ! Surtout quand j’appris que l’onavait trouvé dans la chambre un os de mouton, arme du crime… Ellene pouvait avoir dissimulé qu’on l’avait assommée, et cependantcette blessure apparaissait évidemment comme ayant dû être faitependant la première phase puisqu’elle nécessitait la présence del’assassin ! J’imaginai que cette blessure était beaucoupmoins forte qu’on ne le disait – en quoi j’avais tort – et jepensai que Mlle Stangerson avait caché la blessure de la tempe sousune coiffure en bandeaux !

« Quant à la marque, sur le mur, de la main de l’assassinblessée par le revolver de Mlle Stangerson, cette marque avait étéfaite évidemment « avant » et l’assassin avait été nécessairementblessé pendant la première phase, c’est-à-dire pendant qu’il étaitlà ! Toutes les traces du passage de l’assassin avaient éténaturellement laissées pendant la première phase : L’os de mouton,les pas noirs, le béret, le mouchoir, le sang sur le mur, sur laporte et par terre… De toute évidence, si ces traces étaient encorelà, c’est que Mlle Stangerson, qui désirait qu’on ne sût rien etqui agissait pour qu’on ne sût rien de cette affaire, n’avait pasencore eu le temps de les faire disparaître ! Ce qui meconduisait à chercher la première phase de l’affaire dans un tempstrès rapproché de la seconde. Si, après la première phase,c’est-à-dire après que l’assassin se fût échappé, aprèsqu’elle-même eût en hâte regagné le laboratoire où son père laretrouvait, travaillant, – si elle avait pu pénétrer à nouveau uninstant dans la chambre, elle aurait au moins fait disparaître,tout de suite, l’os de mouton, le béret et le mouchoir quitraînaient par terre. Mais elle ne le tenta pas, son père nel’ayant pas quittée. Après, donc, cette première phase, elle n’estentrée dans sa chambre qu’à minuit. Quelqu’un y était entré à dixheures : le père Jacques, qui fit sa besogne de tous les soirs,ferma les volets et alluma la veilleuse. Dans son anéantissementsur le bureau du laboratoire où elle feignait de travailler, MlleStangerson avait sans doute oublié que le père Jacques allaitentrer dans sa chambre ! Aussi elle a un mouvement : elle priele père Jacques de ne pas se déranger ! De ne pas pénétrerdans la chambre ! Ceci est en toutes lettres dans l’article duMatin. Le père Jacques entre tout de même et ne s’aperçoit de rien,tant la «Chambre Jaune» est obscure ! … Mlle Stangerson a dûvivre là deux minutes affreuses ! Cependant, je crois qu’elleignorait qu’il y avait tant de marques du passage de l’assassindans sa chambre ! Elle n’avait sans doute, après la premièrephase, eu le temps que de dissimuler les traces des doigts del’homme à son cou et de sortir de sa chambre ! … Si elle avaitsu que l’os, le béret et le mouchoir fussent sur le parquet, elleles aurait également ramassés quand elle est rentrée à minuit danssa chambre… Elle ne les a pas vus, elle s’est déshabillée à laclarté douteuse de la veilleuse… Elle s’est couchée, brisée partant d’émotions, et par la terreur, la terreur qui ne l’avait faitregagner cette chambre que le plus tard possible…

« Ainsi étais-je obligé d’arriver de la sorte à la seconde phasedu drame, avec Mlle Stangerson seule dans la chambre, du momentqu’on n’avait pas trouvé l’assassin dans la chambre… Ainsidevais-je naturellement faire entrer dans le cercle de monraisonnement les marques extérieures.

« Mais il y avait d’autres marques extérieures à expliquer. Descoups de revolver avaient été tirés, pendant la seconde phase. Descris : « Au secours ! À l’assassin ! » avaient étéproférés ! … Que pouvait me désigner, en une telle occurrence,le bon bout de ma raison ? Quant aux cris, d’abord : du momentoù il n’y a pas d’assassin dans la chambre, il y avait forcémentcauchemar dans la chambre !

« On entend un grand bruit de meubles renversés. J’imagine… jesuis obligé d’imaginer ceci : Mlle Stangerson s’est endormie,hantée par l’abominable scène de l’après-midi… elle rêve… lecauchemar précise ses images rouges… elle revoit l’assassin qui seprécipite sur elle, elle crie : « À l’assassin ! Ausecours ! » et son geste désordonné va chercher le revolverqu’elle a posé, avant de se coucher, sur sa table de nuit. Maiscette main heurte la table de nuit avec une telle force qu’elle larenverse. Le revolver roule par terre, un coup part et va se logerdans le plafond… Cette balle dans le plafond me parut, dès l’abord,devoir être la balle de l’accident… Elle révélait la possibilité del’accident et arrivait si bien avec mon hypothèse de cauchemarqu’elle fut une des raisons pour lesquelles je commençai à ne plusdouter que le crime avait eu lieu avant, et que Mlle Stangerson,douée d’un caractère d’une énergie peu commune, l’avait caché…Cauchemar, coup de revolver… Mlle Stangerson, dans un état moralaffreux, est réveillée ; elle essaye de se lever ; elleroule par terre, sans force, renversant les meubles, râlant même… «À l’assassin ! Au secours ! » et s’évanouit…

« Cependant, on parlait de deux coups de revolver, la nuit, lorsde la seconde phase. À moi aussi, pour ma thèse – ce n’était plus,déjà, une hypothèse – il en fallait deux ; mais « un » danschacune des phases et non pas deux dans la dernière… un coup pourblesser l’assassin, avant, et un coup lors du cauchemar,après ! Or, était-il bien sûr que, la nuit, deux coups derevolver eussent été tirés ? Le revolver s’était fait entendreau milieu du fracas de meubles renversés. Dans un interrogatoire,M. Stangerson parle d’un coup sourd d’abord, d’un coup éclatantensuite ! Si le coup sourd avait été produit par la chute dela table de nuit en marbre sur le plancher ? Il est nécessaireque cette explication soit la bonne. Je fus certain qu’elle étaitla bonne, quand je sus que les concierges, Bernier et sa femme,n’avaient entendu, eux qui étaient tout près du pavillon, qu’unseul coup de revolver. Ils l’ont déclaré au juge d’instruction.

« Ainsi, j’avais presque reconstitué les deux phases du dramequand je pénétrai, pour la première fois, dans la «Chambre Jaune».Cependant la gravité de la blessure à la tempe n’entrait pas dansle cercle de mon raisonnement. Cette blessure n’avait donc pas étéfaite par l’assassin avec l’os de mouton, lors de la premièrephase, parce qu’elle était trop grave, que Mlle Stangerson n’auraitpu la dissimuler et qu’elle ne l’avait pas dissimulée sous unecoiffure en bandeaux ! Alors, cette blessure avait été «nécessairement » faite lors de la seconde phase, au moment ducauchemar ? C’est ce que je suis allé demander à la «ChambreJaune» et la «Chambre Jaune» m’a répondu ! »

Rouletabille tira, toujours de son petit paquet, un morceau depapier blanc plié en quatre, et, de ce morceau de papier blanc,sortit un objet invisible, qu’il tint entre le pouce et l’index etqu’il porta au président :

« Ceci, monsieur le président, est un cheveu, un cheveu blondmaculé de sang, un cheveu de Mlle Stangerson… Je l’ai trouvé colléà l’un des coins de marbre de la table de nuit renversée… Ce coinde marbre était lui-même maculé de sang. Oh ! un petit carrérouge de rien du tout ! mais fort important ! car ilm’apprenait, ce petit carré de sang, qu’en se levant, affolée, deson lit, Mlle Stangerson était tombée de tout son haut et fortbrutalement sur ce coin de marbre qui l’avait blessée à la tempe,et qui avait retenu ce cheveu, ce cheveu que Mlle Stangerson devaitavoir sur le front, bien qu’elle ne portât pas la coiffure enbandeaux ! Les médecins avaient déclaré que Mlle Stangersonavait été assommée avec un objet contondant et, comme l’os demouton était là, le juge d’instruction avait immédiatement accusél’os de mouton mais le coin d’une table de nuit en marbre est aussiun objet contondant auquel ni les médecins ni le juge d’instructionn’avaient songé, et que je n’eusse peut-être point découvert moi-même si le bon bout de ma raison ne me l’avait indiqué, ne mel’avait fait pressentir. »

La salle faillit partir, une fois de plus, enapplaudissements ; mais, comme Rouletabille reprenait tout desuite sa déposition, le silence se rétablit sur-le-champ.

« Il me restait à savoir, en dehors du nom de l’assassin que jene devais connaître que quelques jours plus tard, à quel momentavait eu lieu la première phase du drame. L’interrogatoire de MlleStangerson, bien qu’arrangé pour tromper le juge d’instruction, etcelui de M. Stangerson, devaient me le révéler. Mlle Stangerson adonné exactement l’emploi de son temps, ce jour-là. Nous avonsétabli que l’assassin s’est introduit entre cinq et six dans lepavillon ; mettons qu’il fût six heures et quart quand leprofesseur et sa fille se sont remis au travail. C’est donc entrecinq heures et six heures et quart qu’il faut chercher. Que dis-je,cinq heures ! mais le professeur est alors avec sa fille… Ledrame ne pourra s’être passé que loin du professeur ! Il mefaut donc, dans ce court espace de temps, chercher le moment où leprofesseur et sa fille seront séparés ! … Eh bien, ce moment,je le trouve dans l’interrogatoire qui eut lieu dans la chambre deMlle Stangerson, en présence de M. Stangerson. Il y est marqué quele professeur et sa fille rentrent vers six heures au laboratoire.M. Stangerson dit : « À ce moment, je fus abordé par mon garde quime retint un instant. » il y a donc conversation avec le garde. Legarde parle à M. Stangerson de coupe de bois ou debraconnage ; Mlle Stangerson n’est plus là ; elle a déjàregagné le laboratoire puisque le professeur dit encore : « Jequittai le garde et je rejoignis ma fille qui était déjà autravail ! »

« C’est donc dans ces courtes minutes que le drame se déroula.C’est nécessaire ! Je vois très bien Mlle Stangerson rentrerdans le pavillon, pénétrer dans sa chambre pour poser son chapeauet se trouver en face du bandit qui la poursuit. Le bandit étaitlà, dans le pavillon, depuis un certain temps. Il devait avoirarrangé son affaire pour que tout se passât la nuit. Il avait alorsdéchaussé les chaussures du père Jacques qui le gênaient, dans lesconditions que j’ai dites au juge d’instruction, il avait opéré larafle des papiers, comme je vous l’ai dit tout à l’heure, et ils’était ensuite glissé sous le lit quand le père Jacques étaitrevenu laver le vestibule et le laboratoire… Le temps lui avaitparu long… il s’était relevé, après le départ du père Jacques,avait à nouveau erré dans le laboratoire, était venu dans levestibule, avait regardé dans le jardin, et avait vu venir, vers lepavillon – car, à ce moment-là, la nuit qui commençait était trèsclaire – Mlle Stangerson, toute seule ! Jamais il n’eût osél’attaquer à cette heure-là s’il n’avait cru être certain que MlleStangerson était seule ! Et, pour qu’elle lui apparût seule,il fallait que la conversation entre M. Stangerson et le garde quile retenait eût lieu à un coin détourné du sentier, coin où setrouve un bouquet d’arbres qui les cachait aux yeux du misérable.Alors, son plan est fait. Il va être plus tranquille, seul avecMlle Stangerson dans ce pavillon, qu’il ne l’aurait été, en pleinenuit, avec le père Jacques dormant dans son grenier. Et il dutfermer la fenêtre du vestibule ! ce qui explique aussi que niM. Stangerson, ni le garde, du reste assez éloignés encore dupavillon, n’ont entendu le coup de revolver.

« Puis il regagna la «Chambre Jaune». Mlle Stangerson arrive. Cequi s’est passé a dû être rapide comme l’éclair ! … MlleStangerson a dû crier… ou plutôt a voulu crier son effroi ;l’homme l’a saisie à la gorge… Peut-être va-t-il l’étouffer,l’étrangler… Mais la main tâtonnante de Mlle Stangerson a saisi,dans le tiroir de la table de nuit, le revolver qu’elle y a cachédepuis qu’elle redoute les menaces de l’homme. L’assassin branditdéjà, sur la tête de la malheureuse, cette arme terrible dans lesmains de Larsan-Ballmeyer, un os de mouton… Mais elle tire… le couppart, blesse la main qui abandonne l’arme. L’os de mouton roule parterre, ensanglanté par la blessure de l’assassin… l’assassinchancelle, va s’appuyer à la muraille, y imprime ses doigts rouges,craint une autre balle et s’enfuit…

« Elle le voit traverser le laboratoire… Elle écoute… Quefait-il dans le vestibule ? … Il est bien long à sauter parcette fenêtre… Enfin, il saute ! Elle court à la fenêtre et lareferme ! … Et maintenant, est-ce que son père a vu ? aentendu ? Maintenant que le danger a disparu, toute sa penséeva à son père… douée d’une énergie surhumaine, elle lui cacheratout, s’il en est temps encore ! … Et, quand M. Stangersonreviendra, il trouvera la porte de la «Chambre Jaune» fermée, et safille, dans le laboratoire, penchée sur son bureau, attentive, autravail, déjà ! »

Rouletabille se tourne alors vers M. Darzac :

« Vous savez la vérité, s’écria-t-il, dites-nous donc si lachose ne s’est pas passée ainsi ?

– Je ne sais rien, répond M. Darzac.

– Vous êtes un héros ! fait Rouletabille, en se croisantles bras… Mais si Mlle Stangerson était, hélas ! en état desavoir que vous êtes accusé, elle vous relèverait de votre parole…elle vous prierait de dire tout ce qu’elle vous a confié… quedis-je, elle viendrait vous défendre elle-même ! … »

M. Darzac ne fit pas un mouvement, ne prononça pas un mot. Ilregarda tristement Rouletabille.

« Enfin, fit celui-ci, puisque Mlle Stangerson n’est pas là, ilfaut bien que j’y sois, moi ! Mais, croyez-moi, monsieurDarzac, le meilleur moyen, le seul, de sauver Mlle Stangerson et delui rendre la raison, c’est encore de vous faire acquitter !»

Un tonnerre d’applaudissements accueillit cette dernière phrase.Le président n’essaya même pas de réfréner l’enthousiasme de lasalle. Robert Darzac était sauvé. Il n’y avait qu’à regarder lesjurés pour en être certain ! Leur attitude manifestaithautement leur conviction.

Le président s’écria alors :

« Mais enfin, quel est ce mystère qui fait que Mlle Stangerson,que l’on tente d’assassiner, dissimule un pareil crime à sonpère ?

– Ça, m’sieur, fit Rouletabille, j’sais pas ! … Ça ne meregarde pas ! … »

Le président fit un nouvel effort auprès de M. RobertDarzac.

« Vous refusez toujours de nous dire, monsieur, quel a étél’emploi de votre temps pendant qu’ « on » attentait à la vie deMlle Stangerson ?

– Je ne peux rien vous dire, monsieur… »

Le président implora du regard une explication de Rouletabille:

« On a le droit de penser, m’sieur le président, que lesabsences de M. Robert Darzac étaient étroitement liées au secret deMlle Stangerson… Aussi M. Darzac se croit-il tenu à garder lesilence ! … Imaginez que Larsan, qui a, lors de ses troistentatives, tout mis en train pour détourner les soupçons sur M.Darzac, ait fixé, justement, ces trois fois-là, des rendez-vous àM. Darzac dans un endroit compromettant, rendez-vous où il devaitêtre traité du mystère… M. Darzac se fera plutôt condamner qued’avouer quoi que ce soit, que d’expliquer quoi que ce soit quitouche au mystère de Mlle Stangerson. Larsan est assez malin pouravoir fait encore cette « combinaise-là ! … »

Le président, ébranlé, mais curieux, répartit encore :

« Mais quel peut bien être ce mystère-là ?

– Ah ! m’sieur, j’pourrais pas vous dire ! fitRouletabille en saluant le président ; seulement, je crois quevous en savez assez maintenant pour acquitter M. RobertDarzac ! … À moins que Larsan ne revienne ! mais j’croispas ! » fit-il en riant d’un gros rire heureux.

Tout le monde rit avec lui.

« Encore une question, monsieur, fit le président. Nouscomprenons, toujours en admettant votre thèse, que Larsan ait vouludétourner les soupçons sur M. Robert Darzac, mais quel intérêtavait-il à les détourner aussi sur le père Jacques ? …

– « L’intérêt du policier ! » m’sieur ! L’intérêt dese montrer débrouillard en annihilant lui-même ces preuves qu’ilavait accumulées. C’est très fort, ça ! C’est un truc qui luia souvent servi à détourner les soupçons qui eussent pu s’arrêtersur lui-même ! Il prouvait l’innocence de l’un, avantd’accuser l’autre. Songez, monsieur le président, qu’une affairecomme celle-là devait avoir été longuement « mijotée « à l’avancepar Larsan. Je vous dis qu’il avait tout étudié et qu’ilconnaissait les êtres et tout. Si vous avez la curiosité de savoircomment il s’était documenté, vous apprendrez qu’il s’était fait unmoment le commissionnaire entre « le laboratoire de la Sûreté » etM. Stangerson, à qui on demandait des « expériences ». Ainsi, il apu, avant le crime, pénétrer deux fois dans le pavillon. Il étaitgrimé de telle sorte que le père Jacques, depuis, ne l’a pasreconnu ; mais il a trouvé, lui, Larsan, l’occasion de chiperau père Jacques une vieille paire de godillots et un béret horsd’usage, que le vieux serviteur de M. Stangerson avait noués dansun mouchoir pour les porter sans doute à un de ses amis,charbonnier sur la route d’Épinay ! Quand le crime futdécouvert, le père Jacques, reconnaissant les objets à part lui,n’eut garde de les reconnaître immédiatement ! Ils étaienttrop compromettants, et c’est ce qui vous explique son trouble, àcette époque, quand nous lui en parlions. Tout cela est simplecomme bonjour et j’ai acculé Larsan à me l’avouer. Il l’a du restefait avec plaisir, car, si c’est un bandit – ce qui ne fait plus,j’ose l’espérer, de doute pour personne – c’est aussi unartiste ! … C’est sa manière de faire, à cet homme, sa manièreà lui… Il a agi de même lors de l’affaire du « Crédit universel »et des « Lingots de la Monnaie ! » Des affaires qu’il faudraréviser, m’sieur le président, car il y a quelques innocents dansles prisons depuis que Ballmeyer-Larsan appartient à laSûreté ! »

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