Les Aventures de Sherlock Holmes

Un jour de l’automne dernier, je m’étais rendu chez mon ami Sherlock Holmes. Je l’avais trouvé en conversation sérieuse avec un gentleman d’un certain âge, de forte corpulence, rubicond, et pourvu d’une chevelure d’un rouge flamboyant. Je m’excusai de mon intrusion et j’allais me retirer, lorsque Holmes me tira avec vivacité dans la pièce et referma la porte derrière moi.

« Vous ne pouviez pas choisir un moment plus propice pour venir me voir, mon cher Watson ! dit-il avec une grande cordialité.

– Je craignais de vous déranger en affaires.

– Je suis en affaires. Très en affaires.

– Alors je vous attendrai à côté…

– Pas du tout… Ce gentleman, monsieur Wilson, a été mon associé et il m’a aidé à résoudre beaucoup de problèmes. Sans aucun doute il me sera d’une incontestable utilité pour celui que vous me soumettez. »

Le gentleman corpulent se souleva de son fauteuil et me gratifia d’un bref salut ; une interrogation rapide brilla dans ses petits yeux cernés de graisse.

« Essayez mon canapé, fit Holmes en se laissant retomber dans son fauteuil. (Il rassembla les extrémités de ses dix doigts comme il le faisait fréquemment lorsqu’il avait l’humeur enquêteuse.) Je sais, mon cher Watson, que vous partagez la passion que je porte à ce qui est bizarre et nous entraîne au-delà des conventions ou de la routine quotidienne. Je n’en veux pour preuve que votre enthousiasme à tenir la chronique de mes petites aventures… en les embellissant parfois, ne vous en déplaise !

– Les affaires où vous avez été mêlé m’ont beaucoup intéressé,c’est vrai !

– Vous rappelez-vous ce que je remarquais l’autre jour ?C’était juste avant de nous plonger dans le très simple problème de Mlle Mary Sutherland… Je disais que la vie elle-même, bien plus audacieuse que n’importe quelle imagination, nous pourvoit de combinaisons extraordinaires et de faits très étranges. Il faut toujours revenir à la vie !

– Proposition, que je me suis permis de contester…

– Vous l’avez discutée, docteur ; mais vous devrez néanmoins vous ranger à mon point de vue ! Sinon j’entasserai les preuves sous votre nez jusqu’à ce que votre raison vacille et que vous vous rendiez à mes arguments… Cela dit, M. Jabez Wilson ici présent a été assez bon pour passer chez moi : il a commencé un récit qui promet d’être l’un des plus sensationnels que j’aie entendus ces derniers temps. Ne m’avez-vous pas entendu dire que les choses les plus étranges et pour ainsi dire uniques étaient très souvent mêlées non à de grands crimes, mais à de petits crimes ? Et, quelquefois, là où le doute était possible si aucun crime n’avait été positivement commis ? Jusqu’ici je suis incapable de préciser si l’affaire en question annonce, ou non, un crime ; pourtant les circonstances sont certainement exceptionnelles. Peut-être M. Wilson aura-t-il la grande obligeance de recommencer son récit ?… Je ne vous le demande pas uniquement parce que mon ami le docteur Watson n’a pas entendu le début : mais la nature particulière de cette histoire me fait désirer avoir de votre bouche un maximum de détails. En règle générale, lorsque m’est donnée une légère indication sur le cours des événements, je puis me guider ensuite par moi-même : des milliers de cas semblables me reviennent en mémoire. Mais je suis forcé de convenir en toute franchise qu’aujourd’hui je me trouve devant un cas très à part. »

Le client corpulent bomba le torse avec une fierté visible,avant de tirer de la poche intérieure de son pardessus un journal sale et chiffonné. Tandis qu’il cherchait au bas de la colonne des petites annonces, sa tête s’était inclinée en avant, et je pus le regarder attentivement : tentant d’opérer selon la manière de mon compagnon, je m’efforçai de réunir quelques remarques sur le personnage d’après sa mise et son allure.

Mon inspection ne me procura pas beaucoup de renseignements.Notre visiteur présentait tous les signes extérieurs d’un commerçant britannique moyen : il était obèse, il pontifiait,il avait l’esprit lent. Il portait un pantalon à carreaux qui aurait fait les délices d’un berger (gris et terriblement ample),une redingote noire pas trop propre et déboutonnée sur le devant,un gilet d’un brun douteux traversé d’une lourde chaîne cuivrée, et un carré de métal troué qui trimballait comme un pendentif. De plus, un haut-de-forme effiloché et un manteau jadis marron présentement pourvu d’un col de velours gisaient sur une chaise. En résumé, à le regarder comme je le fis, cet homme n’avait rien de remarquable, si ce n’étaient sa chevelure extra rouge et l’expression de chagrin et de mécontentement qui se lisait sur ses traits.

L’œil vif de Sherlock Holmes me surprit dans mon inspection, et il secoua la tête en souriant lorsqu’il remarqua mon regard chargé de questions.

« En dehors des faits évidents que M. Wilson a quelque temps pratiqué le travail manuel, qu’il prise, qu’il est franc-maçon, qu’il est allé en Chine, et qu’il a beaucoup écrit ces derniers temps, je ne puis déduire rien d’autre ! dit Holmes. »

M. Jabez Wilson sursauta dans son fauteuil ; il garda le doigt sur son journal, mais il dévisagea mon camarade avec ahurissement.

« Comment diable savez-vous tout cela, monsieur Holmes ?

– Comment savez-vous, par exemple, que j’ai pratiqué le travail manuel ? C’est vrai comme l’Évangile ! J’ai débuté dans la vie comme charpentier à bord d’un bateau.

– Vos mains me l’ont dit, cher monsieur. Votre main droite est presque deux fois plus large que la gauche. Vous avez travaillé avec elle, et ses muscles ont pris de l’extension.

– Bon. Mais que je prise ? Et que je suis franc-maçon ?

– Je ne ferai pas injure à votre intelligence en vous disant comment je l’ai vu ; d’autant plus que, en contradiction avec le règlement de votre ordre, vous portez en guise d’épingle de cravate un arc et un compas.

– Ah ! bien sûr ! Je l’avais oublié. Mais pour ce qui est d’écrire ?

– Que peut indiquer d’autre cette manchette droite si lustrée ? Et cette tache claire près du coude gauche, à l’endroit où vous posez votre bras sur votre bureau ?

– Soit. Mais la Chine ?

– Légèrement au-dessus de votre poignet droit, il y a un tatouage : le tatouage d’un poisson, qui n’a pu être fait qu’en Chine. J’ai un peu étudié les tatouages, et j’ai même apporté ma contribution à la littérature qui s’est occupée d’eux. Cette façon de teindre en rose délicat les écailles d’un poisson ne se retrouve qu’en Chine. Quand, de surcroît, je remarque une pièce de monnaie chinoise pendue à votre chaîne de montre, le doute ne m’est plus permis. »

M. Jabez Wilson eut un rire gras :

« Hé bien ! c’est formidable ! Au début, j’ai cru que vous étiez un as, mais je m’aperçois que ça n’était pas si malin, au fond !

– Je commence à me demander, Watson, dit Holmes, si je n’ai pas commis une grave erreur en m’expliquant. Omne ignotum pro magnifico, vous savez ? et ma petite réputation sombrera si je me laisse aller à ma candeur naturelle… Vous ne pouvez pas trouver l’annonce, monsieur Wilson ?

– Si, je l’ai à présent, répondit-il, avec son gros doigt rougeaud posé au milieu de la colonne. La voici. C’est l’origine de tout. Lisez-la vous-même, monsieur. »

Je pris le journal et je lus :

« A la Ligue des Rouquins. En considération du legs defeu Ezechiah Hopkins, de Lebanon, Penn., USA, une nouvelle vacance est ouverte qui permettrait à un membre de la Ligue de gagner un salaire de quatre livres par semaine pour un emploi purement nominal. Tous les rouquins sains de corps et d’esprit, âgés de plus de vingt et un ans, peuvent faire acte de candidature. Se présenter  personnellement lundi, à onze heures, à M. Duncan Ross, aux  bureaux de la Ligue, 7, Pope’s Court, Fleet Street. »

« Qu’est-ce que ceci peut bien signifier ? »articulai je après avoir relu cette annonce extraordinaire.

Holmes gloussa, et il se tortilla dans son fauteuil :c’était chez lui un signe d’enjouement.

« Nous voici hors des sentiers battus, n’est-ce pas ?Maintenant monsieur Wilson, venons-en aux faits. Racontez-nous  tout : sur vous-même, sur votre famille et sur les  conséquences qu’entraîna cette annonce sur votre existence.Docteur, notez d’abord le nom du journal et la date.

– Morning Chronicle du 11 août 1890. Il y a donc deux mois de cela.

– Parfait ! A vous, monsieur Wilson.

– Hé bien ! les choses sont exactement celles que je viens de vous dire, monsieur Holmes ! dit Jabez Wilson en s’épongeant le front. Je possède une petite affaire de prêts sur gages à Coburg Square, près de la City. Ce n’est pas une grosse affaire : ces dernières années, elle m’a tout juste rapporté de quoi vivre. J’avais pris avec moi deux commis ; mais à présent un seul me suffit. Et je voudrais avoir une affaire qui  marche pour le payer convenablement, car il travaille à mi-traitement comme débutant.

– Comment s’appelle cet obligeant jeune homme ? s’enquit  Holmes.

– Vincent Spaulding, et il n’est plus tellement jeune. Difficile  de préciser son âge !… Je ne pourrais pas souhaiter un  meilleur collaborateur, monsieur Holmes. Et je sais très bien qu’il  est capable de faire mieux, et de gagner le double de ce que je lui donne. Mais après tout, s’il s’en contente, pourquoi lui  mettrais-je d’autres idées dans la tête ?

– C’est vrai : pourquoi ? Vous avez la chance d’avoir un employé qui accepte d’être payé au-dessous du tarif ; à  notre époque il n’y a pas beaucoup d’employeurs qui pourraient en dire autant. Mais est-ce que votre commis est tout aussi  remarquable dans son genre, que l’annonce de tout à  l’heure ?

– Oh ! il a ses défauts, bien sûr ! dit  M. Wilson. Par exemple, je n’ai jamais vu un pareil la photographie. Il disparaît soudain avec un appareil, alors  qu’il devrait plutôt chercher à enrichir son esprit, puis il revient, et c’est pour foncer dans la cave, tel un lièvre dans son  terrier, où il développe ses photos. Voilà son principal  défaut ; mais dans l’ensemble il travaille bien. Je ne lui connais aucun vice.

– Il est encore avec vous, je présume ?

– Oui, monsieur. Lui, plus une gamine de quatorze ans qui nettoie et fait un peu de cuisine. C’est tout ce qu’il y a chez  moi, car je suis veuf et je n’ai jamais eu d’enfants. Nous vivons  tous trois monsieur, très paisiblement ; et au moins, à défaut  d’autre richesse, nous avons un toit et payons comptant.

« Nos ennuis ont commencé avec cette annonce. Spaulding est arrivé au bureau, il y a juste huit semaines aujourd’hui, avec le  journal, et il m’a dit :

“Je voudrais bien être un rouquin, monsieur Wilson !

– Un rouquin ? et pourquoi ? lui ai je demandé.

– Parce qu’il y a un poste vacant à la Ligue des rouquins et que  le type qui sera désigné gagnera une petite fortune. J’ai l’impression qu’il y a plus de postes vacants que de candidats, et  que les administrateurs ne savent pas quoi faire de l’argent du legs. Si seulement mes cheveux consentaient à changer de couleur,ça serait une belle planque pour moi !

– Quoi ? quoi ? qu’est-ce que tu veux dire ?…demandai je. Parce que, monsieur Holmes, je suis très casanier,moi ; et comme les affaires viennent à mon bureau sans que  j’aie besoin d’aller au devant elles, la fin de la semaine arrive  souvent avant que j’aie mis un pied dehors. De cette façon je ne me  tiens pas très au courant de ce qui se passe à l’extérieur, mais je  suis toujours content d’avoir des nouvelles.

– Jamais entendu parler de la Ligue des Rouquins ?interroge Spaulding en écarquillant les yeux.

– Jamais !

– Eh bien ! ça m’épate ! En tout cas, vous pourriez  obtenir l’un des postes vacants.

– Et qu’est-ce que ça me rapporterait ?

– Oh ! pas loin de deux cents livres par an ! Et le travail est facile : il n’empêche personne de s’occuper en  même temps d’autre chose.”

« Bon. Vous devinez que je dresse l’oreille ; d’autant  plus que depuis quelques années les affaires sont très calmes. Deux  cents livres de plus ? cela m’arrangerait bien !

“Vide ton sac ! dis je à mon commis.

– Voilà… (il me montre le journal et l’annonce). Vous voyez bien  qu’à la Ligue, il y a un poste vacant ; ils donnent même  l’adresse où se présenter. Pourtant que je me souvienne, la Ligue  des rouquins a été fondée par un millionnaire américain, du nom  d’  Ezechiah Hopkins. C’était un type qui avait des manies : il  avait des cheveux roux et il aimait bien tous les rouquins ;quand il mourut, on découvrit qu’il avait laissé son immense  fortune à des curateurs qui avaient pour instruction de fournir des  emplois de tout repos aux rouquins. D’après ce que j’ai entendu  dire, on gagne beaucoup d’argent pour ne presque rien faire.

– Mais, dis-je, des tas et des tas de rouquins vont se  présenter ?

– Pas tant que vous pourriez le croire. D’ailleurs c’est un job  qui est pratiquement réservé aux Londoniens. L’Américain a démarré de Londres quand il était jeune, et il a voulu témoigner sa  reconnaissance à cette bonne vieille ville. De plus, on m’a raconté  qu’il était inutile de se présenter si l’on avait des cheveux d’un  roux trop clair ou trop foncé ; il faut avoir des cheveux  vraiment rouges : rouges flamboyants, ardents, brûlants !Après tout, monsieur Wilson, qu’est-ce que vous risquez à vous  présenter ? Vous n’avez qu’à y aller : toute la question  est de savoir si vous estimez que quelques centaines de livres  valent le dérangement d’une promenade.”

« C’est un fait, messieurs, dont vous pouvez vous rendre  compte : j’ai des cheveux d’une couleur voyante, mais pure. Il  m’a donc semblé que, dans une compétition entre rouquins, j’avais  autant de chances que n’importe qui. Vincent Spaulding paraissait  si au courant que je me dis qu’il pourrait m’être utile :alors je lui commandai de fermer le bureau pour la journée et devenir avec moi. Un jour de congé n’a jamais fait peur à un  commis : nous partîmes donc tous les deux pour l’adresse  indiquée par le journal. Je ne reverrai certainement jamais un  spectacle pareil, monsieur Holmes ! Venus du nord, du sud, de  l’est, de l’ouest, tous les hommes qui avaient une vague teinte de  roux dans leurs cheveux s’étaient précipités vers la City. Fleet  Street était bondé de rouquins, Pope ’s Court ressemblait à un  chargement d’oranges. Je n’aurais pas cru qu’une simple petite  annonce déplacerait tant de gens ! Toutes les nuances étaient  représentées : jaune paille, citron, orange, brique, setter  irlandais, argile, foie malade… Mais Spaulding avait raison :il n’y en avait pas beaucoup à posséder une chevelure réellement  rouge et flamboyante. Lorsque je vis toute cette cohue, j’aurais  volontiers renoncé ; mais Spaulding ne voulut rien entendre.Comment se débrouilla-t-il pour me pousser, me tirer, me faire  fendre la foule et m’amener jusqu’aux marches qui conduisaient au  bureau, je ne saurais le dire ! Dans l’escalier, le flot des  gens qui montaient pleins d’espérance côtoyait le flot de ceux qui  redescendaient blackboulés ; bientôt nous pénétrâmes dans le  bureau.

– C’est une aventure passionnante ! déclara Holmes tandis  que son client s’interrompait pour rafraîchir sa mémoire à l’aide  d’une bonne prise de tabac. Je vous en prie, continuez votre récit.Vous ne pouvez pas savoir à quel point vous m’intéressez !

– Dans le bureau, reprit Jabez Wilson, le mobilier se composait  de deux chaises de bois et d’une table en sapin ; derrière  cette table était assis un petit homme ; il était encore plus  rouquin que moi. A chaque candidat qui défilait devant lui, il  adressait quelques paroles, mais il s’arrangeait toujours pour  trouver un défaut éliminatoire. Obtenir un emploi ne paraissait pas  du tout à la portée de n’importe qui, à cette ligue !Pourtant, quand vint notre tour, le petit homme me fit un accueil  plus chaleureux qu’aux autres. Il referma la porte derrière  nous ; nous eûmes ainsi la possibilité de discuter en  privé.

« “M. Jabez Wilson ambitionne, déclara mon commis,d’obtenir le poste vacant à la Ligue.

– Ambition qui me semble très légitime ! répondit l’autre.Il possède à première vue les qualités requises, et même je ne me  rappelle pas avoir vu quelque chose d’aussi beau !”

« Il recula d’un pas, pencha la tête de côté, et contempla  mes cheveux avec une sorte de tendresse. Je commençai à ne plus  savoir où me mettre. Tout à coup il plongea littéralement en avant,me secoua la main et, avec une chaleur extraordinaire, me félicita  de mon succès.

« “La moindre hésitation serait une injustice, dit-il. Vous  voudrez bien m’excuser, cependant, si je prends cette  précaution…”

« Il s’était emparé de ma tignasse, et il la tirait si  vigoureusement à deux mains que je ne pus réprimer un hurlement de  douleur.

« “Il y a de l’eau dans vos yeux, dit-il en me relâchant.Tout est donc comme il faut que cela soit. Que voulez-vous !la prudence est nécessaire : deux fois nous avons été abusés  par des perruques, et une fois par une teinture… Je pourrais vous  raconter des histoires sur la poix de cordonnier qui vous  dégoûteraient de la nature humaine !”

« Il se pencha par la fenêtre pour annoncer, du plus haut  de savoir, que la place était prise. Un sourd murmure de  désappointement parcourut la foule qui s’égailla dans toutes les  directions. Quelques secondes plus tard, il ne restait plus, dans  Pope’ s Court, en fait de rouquins, que moi-même et mon  directeur.

« “Je m’appelle Duncan Ross. Je suis moi-même l’un des  bénéficiaires du fonds qu’a laissé notre noble bienfaiteur.Êtes-vous marié, monsieur Wilson ? Avez-vous des  enfants ?”

« Je répondis que je n’avais ni femme, ni enfant. La  satisfaction disparut de son visage.

« “Mon Dieu ! soupira-t-il. Voilà qui est très  grave ! Je suis désolé d’apprendre que vous n’avez ni femme ni  enfants. Le fonds est destiné, bien entendu, non seulement à  maintenir la race des rouquins, mais aussi à aider à sa propagation  et à son extension. C’est un grand malheur que vous soyez  célibataire !”

« Ma figure s’allongea, monsieur Holmes ; je crus que  j’allais perdre cette place. Après avoir médité quelques instants,il me dit que néanmoins je demeurais agréé.

« “S’il s’agissait d’un autre, déclara-t-il, je serais  inflexible. Mais nous devons nous montrer indulgents à l’égard d’un  homme qui a de tels cheveux. Quand serez-vous à même de prendre  votre poste ?

– Hé bien ! c’est un petit peu délicat, car j’ai déjà une  occupation.

– Oh ! ne vous tracassez pas à ce sujet, monsieur  Wilson ! dit Vincent Spaulding. Je veillerai sur votre affaire  à votre place.

– Quelles seraient mes heures de travail ? demandai-je.

– De dix heures à deux heures.”

« Vous savez, monsieur Holmes : les affaires d’un  prêteur sur gages se traitent surtout le soir, spécialement le  jeudi et le vendredi, qui précèdent le jour de la paie. C’est  pourquoi cela me convenait tout à fait de gagner un peu d’argent le  matin ! De plus, mon commis était un brave garçon, sur qui je  pouvais compter.

« “D’accord pour les heures, dis je. Et pour l’argent ?

– Vous toucherez quatre livres par semaine.

– Pour quel travail ?

– Le travail est purement nominal.

– Qu’est-ce que vous entendez par purement  nominal ?

– Hé bien ! vous devrez être présent au bureau pendant vos  heures. Si vous sortez, le contrat sera automatiquement rompu sans  recours. Le testament est formel là-dessus. Pour peu que vous  bougiez du bureau entre dix heures et deux heures, vous ne vous  conformeriez pas à cette condition.

– Il ne s’agit que de quatre heures par jour. Je ne devrais donc  même pas songer à sortir.

– Aucune excuse ne sera acceptée, précisa M. Duncan  Ross : ni une maladie, ni votre affaire personnelle, ni  rien ! Vous devrez rester ici, faute de quoi vous perdrez  votre emploi.

– Et le travail ?

– Il consiste à recopier l’Encyclopédie britannique. Le premier volume est là. A vous de vous procurer votre encre, votre plume et  votre papier. Nous vous fournissons cette table et une chaise.Serez-vous prêt demain ?

– Certainement.

– Alors, au revoir, monsieur Jabez Wilson ; et encore une  fois acceptez tous mes compliments pour la situation importante que  vous avez conquise !”

« Il s’inclina en me congédiant. Me voilà rentrant chez  moi, accompagné de mon commis : je ne savais plus très bien ce  que je faisais ou disais, tant j’étais heureux !

« Toute la journée, j’ai tourné et retourné l’affaire dans  ma tête. Le soir, le cafard m’a pris. A force de réfléchir, je  m’étais en effet persuadé que cette combinaison ne pouvait être  qu’une mystification ou une supercherie d’envergure, mais je ne  distinguais pas dans quel but. Il me semblait incroyable que  quelqu’un pût laisser de semblables dispositions testamentaires, et  impensable que des gens paient si cher un travail aussi simple que  de recopier l’Encyclopédie britannique. Vincent Spaulding fit  l’impossible pour me réconforter ; mais dans mon lit, je pris  la décision de renoncer. Le lendemain matin, toutefois, je me disque ce serait trop bête de ne pas voir d’un peu plus près de quoi  il retournait. J’achetai donc une petite bouteille d’encre, une  plume d’oie, quelques feuilles de papier écolier, puis, je partis  pour Pope ’s Court.

« Hé bien ! je dois dire qu’à mon grand étonnement  tout se passa le plus correctement du monde. La table était dressée  pour me recevoir ; M. Duncan Ross se trouvait là pour  contrôler que je me mettais au travail. Il me fit commencer par la  lettre A, et me laissa à ma besogne. Pourtant il revint me  voir plusieurs fois pour le cas où j’aurais eu besoin de lui. A  deux heures, il me souhaita une bonne journée, me félicita pour le  travail que j’avais abattu, et quand je sortis, il referma à clé la  porte du bureau.

« Ce manège se répéta tous les jours, monsieur Holmes.Chaque samedi, mon directeur m’apportait quatre souverains d’or  pour mon travail de la semaine. Le matin, j’étais là à dix heures  et je partais l’après-midi à deux heures. M. Duncan Ross espaça peu à peu ses visites : d’abord il ne vint plus qu’une  fois le matin ; au bout d’un certain temps il n’apparut plus  du tout. Naturellement je n’osais pas quitter la pièce un seul  instant : je ne savais jamais à quel moment il  arriverait ; l’emploi n’était pas compliqué, il me convenait à  merveille : je ne voulais pas risquer de le perdre.

« Huit semaines s’écoulèrent ainsi. J’avais écrit des tas  de choses sur Abbé, Archer, Armure, Architecture, Attique,et je comptais être mis bientôt sur la lettre B. Je  dépensai pas mal d’argent pour mon papier écolier, et j’avais  presque bourré une étagère de mes grimoires, lorsque soudain tout  cassa.

– Cassa ?

– Oui, monsieur ! Et pas plus tard que ce matin. Je suis allé à mon travail comme d’habitude à dix heures, mais la porte  était fermée, cadenassée : sur le panneau était fiché un petit  carré de carton. Le voici : lisez vous-même ! »

Il nous tendit un morceau de carton blanc, de la taille d’une  feuille de bloc-notes. Je lus :

« La Ligue des Rouquins est dissoute.

9 octobre 1890. »

Sherlock Holmes et moi considérâmes successivement ce bref faire-part et le visage lugubre de Jabez Wilson, jusqu’à ce que  l’aspect comique de l’affaire vînt supplanter tous les  autres : alors nous éclatâmes d’un rire qui n’en finissait  plus.

« Je regrette : je ne vois pas ce qu’il y a de si  drôle ! s’écria notre client, que notre hilarité fit rougir  jusqu’à la racine de ses cheveux flamboyants. Si vous ne pouvez  rien d’autre pour moi que rire, j’irai m’adresser ailleurs.

– Non, non ! cria Holmes en le repoussant dans le fauteuil  d’où il avait commencé à s’extraire. Pour rien au monde je ne  voudrais manquer cette affaire : elle est…rafraîchissante ! Mais elle comporte, pardonnez-moi de  m’exprimer ainsi, des éléments plutôt amusants. Veuillez nous dire  maintenant ce que vous avez fait lors que vous avez trouvé ce  carton sur la porte.

– J’avais reçu un coup de massue, monsieur. Je ne savais pas à  quel saint me vouer. Je fis le tour des bureaux voisins, mais tout  le monde ignorait la nouvelle. En fin de compte, je me rendis chez  le propriétaire : c’est un comptable qui habite aurez-de-chaussée ; je lui ai demandé s’il pouvait me dire ce  qui était arrivé à la Ligue des rouquins. Il me répondit qu’il  n’avait jamais entendu parler d’une semblable association. Alors je  lui demandai qui était M. Duncan Ross. Il m’affirma que  c’était la première fois que ce nom était prononcé devant lui.

« “Voyons, lui dis je : le gentleman du N°14 !

– Ah ! le rouquin ?

– Oui.

– Oh ! fit-il, il s’appelle William Morris. C’est un  conseiller juridique : il se servait de cette pièce pour un  usage provisoire ; Je la lui avais louée jusqu’à ce que ses  nouveaux locaux fussent prêts. Il a déménagé hier.

– Où pourrais je le trouver ?

– Oh ! à son nouveau bureau. J’ai son adresse quelque part…Oui, 17, King Edward Street, près de Saint-Paul.

– Je courus, monsieur Holmes ! Mais quand j’arrivai à cette  adresse, je découvris une fabrique de rotules artificielles, et  personne ne connaissait ni M. William Morris, ni  M. Duncan Ross.”

– Et ensuite, qu’avez-vous fait ? demanda Holmes.

– Je suis rentré chez moi à Saxe-Coburg Square pour prendre  l’avis de mon commis. Mais il se contenta de me répéter que, si  j’attendais, j’aurais des nouvelles par la poste. Alors ça ne m’a  pas plu, monsieur Holmes ! Je ne tiens pas à perdre un emploi  pareil sans me défendre… Comme j’avais entendu dire que vous étiez  assez bon pour conseiller des pauvres gens qui avaient besoin d’un  avis, je me suis rendu droit chez vous.

– Vous avez bien fait ! dit Holmes. Votre affaire est  exceptionnelle, et je serai heureux de m’en occuper. D’après votre  récit, je crois possible que les suites soient plus graves qu’on ne  le croirait à première vue.

– Plus graves ! s’exclama M. Jabez Wilson. Quoi !j’ai perdu cette semaine quatre livres sterling…

– En ce qui vous concerne personnellement, observa Holmes, je ne  vois pas quel grief vous pourriez formuler contre cette ligue  extraordinaire. Bien au contraire ! Ne vous êtes-vous pas  enrichi de quelque trente livres ? Et je ne parle pas des  connaissances que vous avez acquises gratuitement sur tous les  sujets dont l’initiale était un A. Ces gens de la Ligue ne vous ont  lésé en rien.

– Non, monsieur. Mais je tiens à apprendre la vérité sur leur  compte, qui ils sont, et pourquoi il m’ont joué cette farce, car  c’en est une ! Ils se sont bien amusés pour trente-deux  livres !

– Nous nous efforcerons donc d’éclaircir à votre intention ces  problèmes, monsieur Wilson. D’abord, une ou deux questions, s’il  vous plaît. Ce commis, qui vous a soumis le texte de l’annonce  depuis combien de temps l’employiez-vous ?

– Un mois, à peu près, à l’époque.

– Comment l’avez-vous embauché ?

– A la suite d’une petite annonce.

– Fut-il le seul à se présenter ?

– Non, il y avait une douzaine de candidats.

– Pourquoi l’avez-vous choisi ?

– Parce qu’il avait l’air débrouillard, et qu’il consentait à  entrer comme débutant.

– En fait, à demi-salaire ?

– Oui.

– Comment est-il fait, ce Vincent Spaulding ?

– Il est petit, fortement charpenté, très vif, chauve,  bien qu’il n’ait pas trente ans. Sur le front il a une tache  blanche : une brûlure d’acide. »

Holmes se souleva de son fauteuil ; une excitation  considérable s’était emparée de lui.

« Je n’en pensais pas moins ! dit-il. N’avez-vous pas  observé que ses lobes sont percés comme par des boucles  d’oreilles ?

– Si, monsieur. Il m’a dit qu’une sorcière les lui avait trouées  quand il était petit.

– Hum ! fit Holmes en retombant dans ses pensées. Et il est encore à votre service ?

– Oh ! oui, monsieur ! Je viens de le quitter.

– Et pendant votre absence, il a bien géré votre affaire ?

– Rien à dire là-dessus, monsieur. D’ailleurs il n’y a jamais  grand-chose à faire le matin.

– Cela suffit, monsieur Wilson. Je serai heureux de vous faire  connaître mon opinion d’ici un jour ou deux. Nous sommes  aujourd’hui samedi. J’espère que la conclusion interviendra  lundi. »

Quand notre visiteur eut prit congé, Holmes  m’interrogea :

« Hé bien ! Watson, qu’est-ce que vous pensez de tout  cela ?

– Je n’en pense rien, répondis je franchement. C’est une affaire  fort mystérieuse.

– En règle générale, dit Holmes, plus une chose est bizarre,moins elle comporte finalement de mystères. Ce sont les crimes  banals, sans traits originaux, qui sont vraiment  embarrassants : de même qu’un visage banal est difficile à  identifier. Mais il faut que je règle rapidement cela.

– Qu’allez-vous faire ?

– Fumer, répondit-il. C’est le problème idéal pour trois pipes,et je vous demande de ne pas me distraire pendant cinquante  minutes. »

Il se roula en boule sur son fauteuil, avec ses genoux minces  ramenés sous son nez aquilin puis il demeura assis ainsi, les yeux  fermés ; sa pipe en terre noire proéminait comme le bec d’un  oiseau étrange. Je finis par conclure qu’il s’était endormi, et  j’allais moi aussi faire un petit somme quand il bondit hors de son siège : à en juger par sa mine, il avait pris une décision. Il  posa sa pipe sur la cheminée.

« Il y a un beau concert cet après-midi à Saint-James ’s  Hall, dit-il. Qu’en pensez-vous, Watson ? Vos malades  pourront-ils se passer de vos services quelques heures ?

– Je suis libre aujourd’hui. Ma clientèle n’est jamais très  absorbante.

– Dans ce cas, prenez votre chapeau et partons. D’abord pour un  petit tour dans la City ; nous mangerons quelque chose en  route. Il y a beaucoup de musique allemande au programme, et elle  est davantage à mon goût que la musique française ou italienne : elle est introspective, et j’ai grand besoin de  m’ introspecter. Venez ! »

Nous prîmes le métro jusqu’à Aldergate. Une courte marche nous  mena à Saxe-Coburg Square, l’une des scènes où s’était déroulée  l’histoire peu banale que nous avions entendue. C’était une petite  place de rien du tout, suant la misère sans l’avouer tout à  fait ; quatre rangées crasseuses de maisons de briques à deux  étages contemplaient une pelouse minuscule entourée d’une grille : un sentier herbeux et quelques massifs de lauriers  fanés y défendaient leur existence contre une atmosphère enfumée et  ingrate. Trois boules dorées et un écriteau marron avec Jabez  Wilson écrit en lettres blanches, à l’angle d’une maison,révélèrent le lieu où notre client rouquin tenait boutique.Sherlock Holmes s’arrêta devant la façade. Il pencha la tête de  côté et la contempla ; entre ses paupières plissées, ses yeux  brillaient. Lentement, il remonta la rue puis la redescendit sans  cesser de regarder les maisons, comme s’il voulait en percer les  murs. Finalement, il retourna vers la boutique du prêteur sur  gages ; il cogna vigoureusement deux ou trois fois le trottoir  avec sa canne, avant d’aller à la porte et d’y frapper. Presque  instantanément, on ouvrit : un jeune garçon imberbe, à  l’aspect fort éveillé, le pria d’entrer.

« Merci, dit Holmes. Je voudrais seulement que vous  m’indiquiez, s’il vous plaît, le chemin pour regagner le Strand  d’ici.

– La troisième à droite, et la quatrième à gauche, répondit  aussitôt le commis en refermant la porte. »

« Il a l’esprit vif, ce type ! observa Holmes quand  nous nous fûmes éloignés. Selon moi, il est, au royaume de  l’habileté, le quatrième homme dans Londres ; quant à  l’audace, il pourrait même prétendre à la troisième place. J’ai  déjà eu affaire à lui autrefois.

– De toute évidence, dis je, le commis de M. Wilson tient  un rôle important dans cette mystérieuse affaire de la Ligue des  rouquins. Je parierais que vous n’avez demandé votre chemin que  pour le voir.

– Pas lui

– Qui alors ?

– Les genoux de son pantalon.

– Ah !… Et qu’y avez-vous vu ?

– Ce que je m’attendais à voir.

– Pourquoi avez-vous cogné le trottoir avec votre  canne ?

– Mon cher docteur, c’est l’heure d’observer, non de parler.Nous sommes des espions en pays ennemi. Nous avons appris quelque  chose sur Saxe-Coburg Square. Explorons maintenant les ruelles qui  se trouvent derrière. »

La rue où nous nous retrouvâmes lorsque nous eûmes contourné  l’angle de ce Saxe-Coburg Square contrastait autant avec lui que  les deux faces d’un tableau. C’était l’une des artères principales  où se déversait le trafic de la City vers le nord et l’ouest. La  chaussée était obstruée par l’énorme flot commercial qui s’écoulait  en un double courant : l’un allant vers la City, l’autre  venant de la City. Nous avions du mal à réaliser que d’aussi beaux  magasins et d’aussi imposants bureaux s’adossaient à ce square  minable et crasseux que nous venions de quitter.

« Laissez-moi bien regarder, dit Holmes qui s’était arrêté  au coin pour observer. Je voudrais tout simplement me rappeler  l’ordre des maisons ici. Il y a Mortimer  ’s, le bureau de tabac, la  boutique du marchand de journaux, la succursale Coburg de la Banque  de la City et de la Banlieue, le restaurant végétarien, et le dépôt de voitures Mc Farlane. Ceci nous mène droit vers l’autre bloc.Voilà, docteur : le travail est fini, c’est l’heure de nous distraire ! Un sandwich et une tasse de café, puis en route vers le pays du violon où tout est douceur, délicatesse,harmonie : là, il n’y aura pas de rouquins pour nous assommer de devinettes. »

Mon ami était un mélomane enthousiaste ; il exécutait passablement, et il composait des œuvres qui n’étaient pas  dépourvues de mérite. Tout l’après-midi, il resta assis sur son  fauteuil d’orchestre ; visiblement, il jouissait du bonheur le  plus parfait ; ses longs doigts minces battaient de temps en  temps la mesure ; un sourire s’étalait sur son visage ;ses yeux exprimaient de la langueur et toute la poésie du rêve…Qu’ils étaient donc différents des yeux de Holmes le limier, de  Holmes l’implacable, l’astucieux, de Holmes le champion des policiers ! Son singulier caractère lui permettait cette dualité. J’ai souvent pensé que sa minutie et sa pénétration représentaient une sorte de réaction de défense contre l’humeur qui le portait vers la poésie et la contemplation. L’équilibre de sa  nature le faisait passer d’une langueur extrême à l’énergie la plus dévorante. Je savais bien qu’il n’était jamais si réellement formidable que certains soirs où il venait de passer des heures dans son fauteuil parmi les improvisations ou ses éditions en gothique. Alors l’appétit de la chasse s’emparait de lui, et sa  logique se haussait au niveau de l’intuition : si bien que les gens qui n’étaient pas familiarisés avec ses méthodes le regardaient de travers, avec méfiance, comme un homme différent du commun des mortels.

Quand je le vis ce soir-là s’envelopper de musique à  Saint-James ’s Hall, je sentis que de multiples désagréments se  préparaient pour ceux qu’il s’était donné pour mission de  pourchasser.

« Vous désirez sans doute rentrer chez vous, docteur ?me demanda-t-il après le concert.

– Oui, ce serait aussi bien.

– De mon côté, j’ai devant moi plusieurs heures de travail.L’affaire de Coburg Square est grave.

– Grave ?

– Un crime considérable se mijote. J’ai toutes raisons de croire  que nous pourrons le prévenir. Mais c’est aujourd’hui samedi, et  cela complique les choses. J’aurais besoin de votre concours ce  soir

– A quelle heure ?

– Dix heures ; ce sera assez tôt.

– Je serai à Baker Street à dix heures.

– Très bien… Ah ! dites-moi, docteur : il se peut  qu’un petit danger nous menace ; alors, s’il vous plaît,mettez donc votre revolver d’officier dans votre poche. »

Il me fit signe de la main, vira sur ses talons, et disparut  dans la foule. Je ne crois pas avoir un esprit plus obtus que la  moyenne, mais j’ai toujours été oppressé par le sentiment de ma  propre stupidité au cours de mon commerce avec Sherlock Holmes.Dans ce cas-ci j’avais entendu ce qu’il avait entendu, j’avais vu  ce qu’il avait vu ; et cependant !… Il ressortait de ses  propos qu’il discernait non seulement ce qui s’était passé, mais  encore ce qui pouvait survenir, alors que, de mon point de vue,l’affaire se présentait sous un aspect confus et grotesque. Tandis  que je roulais vers ma maison de Kensington, je me remémorai le  tout, depuis l’extraordinaire récit du copieur roux de  l’Encyclopédie britannique jusqu’à notre visite à Saxe-Coburg  Square, sans oublier la petite phrase de mauvais augure qu’il  m’avait lancée en partant. Qu’est-ce que c’était que cette  expédition nocturne ? Pourquoi devrais je y participer  armé ? Où irions-nous ? Et que ferions-nous ? Holmes m’  avait indiqué que le commis du prêteur sur gages était un  as : un homme capable de jouer un jeu subtil et dur. J’essayai  de démêler cet écheveau mais j’y renonçai bientôt : après  tout, la nuit m’apporterait l’explication que je  cherchais !

A neuf heures et quart, je sortis de chez moi et, par le parc et  Oxford Street, je me dirigeai vers Baker Street. Devant la porte,deux fiacres étaient rangés. Passant dans le couloir, j’entendis au  dessus un bruit de voix : de fait, quand j’entrai dans la  pièce qui servait de bureau à Holmes, celui-ci était en  conversation animée avec deux hommes. J’en reconnus un  aussitôt : c’était Peter Jones, officier de police criminelle.L’autre était long et mince ; il avait le visage triste, un  chapeau neuf et une redingote terriblement respectable.

« Ah ! nous sommes au complet ! s’exclama Holmes  en prenant son lourd stick de chasse, Watson, je crois que vous   connaissez M. Jones, de Scotland Yard ? Permettez-moi de  vous présenter M. Merryweather, qui va nous accompagner dans nos  aventures nocturnes.

– Vous voyez, docteur, dit Jones avec l’air important qui ne le  quittait jamais, encore une fois nous voici partant pour une chasse  à deux. Notre ami est merveilleux pour donner le départ. Il n’a  besoin que d’un vieux chien pour l’aider à dépister le gibier.

– J’espère, murmura lugubrement M. Merryweather, que nous  trouverons en fin de compte autre chose qu’un canard sauvage.

– Vous pouvez avoir pleine et entière confiance en  M. Holmes ! dit fièrement l’officier de police. Il a ses  petites méthodes qui sont, s’il me permet de l’avouer, un tout  petit peu trop théoriques et bizarres. mais c’est un détective-né.Il n’est pas exagéré de dire qu’une fois ou deux, notamment dans  cette affaire de meurtre à Brixton Road ou dans le trésor d’ Agra,il a vu plus clair que la police officielle.

– Oh ! si vous êtes de cet avis, monsieur Jones, tout est  parfait ! s’écria l’étranger avec déférence. Pourtant, je vous  confesse que mon bridge me manque. C’est depuis vingt-sept ans la  première fois que je ne joue pas ma partie le samedi soir.

– Je crois que vous ne tarderez pas à vous apercevoir, dit  Holmes, que vous n’avez jamais joué aussi gros jeu ; la partie  de ce soir sera donc passionnante ! Pour vous, monsieur  Merryweather, il s’agit de quelque trente mille livres. Pour vous  Jones, il s’agit de l’homme que vous voulez tant prendre sur le  fait.

– John Clay, assassin, voleur, faussaire, faux-monnayeur. C’est  un homme jeune, monsieur Merryweather, et cependant il est à la  tête de sa profession. Il n’y a pas un criminel dans Londres à qui  je passerais les menottes avec plus de plaisir. Un type  remarquable, ce John Clay ! Son grand-père était un duc  royal ; lui-même a fait ses études à Eton et à Oxford. Il a le  cerveau aussi agile que ses doigts ; à chaque instant, nous repérons sa trace, mais quant à trouver l’homme ! Un jour, il  fracturera un coffre en Écosse, et le lendemain il quêtera dans les  Cornouailles pour la construction d’un orphelinat. Il y a des  années que je le piste, et je ne suis jamais parvenu à l’apercevoir !

– J’espère que j’aurai la joie de vous le présenter cette nuit.J’ai eu moi aussi affaire une ou deux fois à M. John Clay, et  je vous concède que c’est un as. Mais il est plus de dix  heures : il faut partir. Prenez tous deux le premier  fiacre ; Watson et moi suivrons dans le second. »

Tout au long de notre route, Sherlock Holmes ne se montra guère  enclin à la conversation : du fond du fiacre, il fredonnait  les airs qu’il avait entendus l’après-midi. Nous nous engageâmes  dans un interminable labyrinthe de ruelles éclairées au gaz,jusqu’à ce que nous nous retrouvions dans Farrington Street.

« Nous approchons ! constata mon ami. Ce Merryweather  est un directeur de banque et cette affaire l’intéresse  personnellement. J’ai pensé qu’il ne serait pas mauvais d’avoir  Jones avec nous aussi. Ce n’est pas un mauvais bougre, quoique  professionnellement je le considère comme un imbécile. Mais il aune qualité positive : il est aussi courageux qu’un  bouledogue, et aussi tenace qu’un homard s’il pose ses pinces sur  quelqu’un. Nous voici arrivés : ils nous attendent. »

Nous avions atteint la même grande artère populeuse où nous  avions déambulé le matin. Nous quittâmes nos fiacres et, guidés par M. Merryweather, nous nous engouffrâmes dans un passage  étroit. Il nous ouvrit une porte latérale. Au bout d’un couloir, il  y avait une porte en fer massif. Celle-ci aussi fut ouverte ;elle débouchait sur un escalier de pierre en colimaçon qui se  terminait sur une nouvelle porte formidable. M. Merryweather  s’arrêta pour allumer une lanterne, et il nous mena vers un passage  sombre, qui puait la terre mouillée. Encore une porte, la  troisième, et nous aboutîmes à une grande cave voûtée où étaient  empilées tout autour des caisses et des boîtes de grande taille.

« Par le haut, vous n’êtes pas trop vulnérable !remarqua Holmes en levant la lanterne et en regardant autour de lui.

– Ni par le bas ! dit M. Merryweather en frappant de son stick les dalles du sol… Mon Dieu ! s’écria-t-il, elles  sonnent creux…

– Je dois réellement vous prier de vous tenir un peu plus  tranquille, dit Holmes avec sévérité. Vous venez de compromettre le  succès de notre expédition. Pourrais-je vous demander d’être assez bon pour vous asseoir sur l’une de ces caisses et de ne vous mêler  de rien ? » Le solennel M. Merryweather se percha  sur une caisse, avec un air de dignité offensée. Holmes s’agenouilla sur le sol : à l’aide de la lanterne et d’une loupe, il examina les interstices entre les dalles. Quelques  secondes lui suffirent ; il se remit debout et rangea la loupe dans sa poche.

« Nous avons une bonne heure devant nous, déclara-t-il. En  effet, ils ne prendront aucun risque avant que le prêteur sur gages  soit couché. Seulement, ils ne perdront plus une minute, car plus  tôt ils auront fini leur travail, plus ils auront de temps pour se  mettre à l’abri. Nous nous trouvons actuellement, docteur, et vous  l’avez certainement deviné, dans la cave d’une succursale, pour la  City, de l’une des principales banques de Londres.M. Merryweather est le président du conseil d’administration,et il vous expliquera les raisons pour lesquelles les criminels les  plus audacieux de la capitale n’auraient pas tort de s’intéresser à  présent à cette cave.

– C’est notre or français, chuchota le président. Et nous avons  été avertis à plusieurs reprises qu’un coup était en  préparation.

– Votre or français ?

– Oui. Il y a quelques mois, nous avons eu occasion de  consolider nos ressources ; à cet effet, nous avons emprunté  trente mille napoléons à la Banque de France. Mais, dans la City,on a appris que nous n’avons jamais eu besoin de cet argent frais,et qu’il était dans notre cave. La caisse sur laquelle je suis  assis contient deux mille napoléons enveloppés de papier de plomb.Notre réserve métallique est beaucoup plus forte en ce moment que  celle qui est généralement affectée à une simple succursale, et la  direction redoute quelque chose…

– Craintes tout à fait justifiées ! ponctua Holmes.Maintenant, il serait temps d’arranger nos petits plans. Je  m’attends à ce que l’affaire soit mûre dans une heure. D’ici là,monsieur Merryweather, faites tomber le volet de votre lanterne.

– Alors nous resterons… dans le noir ?

– J’en ai peur ! J’avais emporté un jeu de cartes, monsieur  Merryweather, et je pensais que, puisque nous serions quatre, vous  auriez pu faire quand même votre partie de bridge. Mais l’ennemi a poussé si loin ses préparatifs que toute lumière nous est  interdite. Première chose à faire : choisir nos places. Nos  adversaires sont gens audacieux ; nous aurons l’avantage de la  surprise, c’est entendu ; mais si nous ne prenons pas le maximum de précautions, gare à nous ! Je me tiendrai derrière cette caisse. Vous autres, dissimulez-vous derrière celles-là.Quand je projetterai de la lumière sur eux, cernez-les en vitesse.Et s’ils tirent, Watson, n’ayez aucun scrupule, abattez-les comme  des chiens ! »

Je posai mon revolver, armé, sur la caisse en bois derrière  laquelle je m’accroupis. Holmes abaissa le volet de la lanterne.Nous fûmes plongés dans l’obscurité ; et cette obscurité me  parut effroyablement opaque. L’odeur du métal chauffé demeurait  pour nous convaincre que la lumière n’était pas éteinte et qu’elle  jaillirait au moment propice. Mes nerfs, exaspérés par cet affût  particulier, me rendaient plus sensible à l’atmosphère glacée et  humide de la cave.

« Ils n’ont qu’une retraite possible, chuchota Holmes. La  maison de Saxe-Coburg Square. Je pense que vous avez fait ce que je  vous avais demandé, Jones ?

– Un inspecteur et deux agents font le guet devant la porte.

– Par conséquent, tous les trous sont bouchés. Il ne nous reste plus qu’à nous taire et à attendre. » Comme le temps nous  sembla long ! En confrontant nos souvenirs, ensuite, nous  découvrîmes qu’il ne s’était écoulé qu’une heure et quart avant  l’action ; nous aurions juré que la nuit entière avait passé  et que l’aube blanchissait déjà le ciel au-dessus de nos têtes.J’avais les membres raides et endoloris, car j’avais peur de faire du bruit en changeant de position. Quant à mes nerfs, ils étaient  tellement tendus que je percevais la respiration de mes trois compagnons : je distinguais même celle de Jones, plus lourde,de celle du président du conseil d’administration de la banque, qui ressemblait à une poussée régulière de soupirs. De ma place, je  pouvais observer les dalles par-dessus la caisse. Soudain, mes yeux aperçurent le trait d’une lumière.

D’abord ce ne fut qu’une étincelle rougeâtre sur le sol dallé.Puis elle s’allongea jusqu’à devenir une ligne jaune. Et alors,sans le moindre bruit, une fente se produisit et une main apparut : blanche, presque féminine, cette main se posa au  centre de la petite surface éclairée ; elle tâtonna à l’entoure. Pendant une minute ou deux, la main, avec ses doigts  crispés, émergea du sol. Puis elle se retira aussi subitement  qu’elle était apparue. Tout redevint noir, à l’exception de cette  unique lueur rougeâtre qui marquait une fente entre deux  dalles.

La disparition de la main, cependant, ne fut que momentanée.Dans un bruit de déchirement, d’arrachement, l’une des grosses   dalles blanches se souleva sur un côté : un trou carré, béant,se creusa et une lanterne l’éclaira. Par-dessus le rebord, un  visage enfantin, imberbe, surgit. Il inspecta les caisses du  regard. De chaque côté de l’ouverture ainsi pratiquée dans le sol,une main s’agrippa. Les épaules émergèrent, puis la taille. Un  genou prit appui sur le rebord. L’homme se mit debout à côté du  trou. Presque au même instant se dressa derrière lui un  complice : aussi agile et petit que lui, avec un visage blême  et une tignasse d’un rouge flamboyant.

« Tout va bien, murmura-t-il. Tu as les ciseaux, les  sacs ?… Oh ! bon Dieu ! Saute, Archie, saute !Je m’en débrouillerai tout seul. »

Sherlock Holmes avait bondi et empoigné l’homme. L’autre plongea  par le trou et je perçus le bruit d’une étoffe qui se déchirait car  Jones l’avait happé par son vêtement. La lumière fit luire le canon  d’un revolver, mais Holmes frappa le poignet d’un coup de stick, et  l’arme tomba sur le sol.

« Inutile, John Clay ! articula Holmes avec calme.Vous n’avez plus aucune chance.

– J’ai compris, répondit le bandit avec le plus grand  sang-froid. J’espère que mon copain s’en est tiré, bien que vous  ayez eu les pans de sa veste…

– Il y a trois hommes qui l’attendent à la porte, dit  Holmes.

– Oh ! vraiment ? Vous me paraissez n’avoir rien  oublié. Puis-je vous féliciter ?

– Moi aussi, je vous félicite ! dit Holmes. Votre idée des  rouquins était très originale… et efficace !

– Vous retrouverez bientôt votre copain, dit Jones. Il descend  dans les trous plus vite que moi. Tendez-moi les poignets, afin que  j’attache les menottes.

– Je vous prie de ne pas me toucher avec vos mains  crasseuses ! observa notre prisonnier tandis que les cercles  d’acier se refermaient autour de ses poignets. Vous ignorez  peut-être que j’ai du sang royal dans les veines ? Ayez la  bonté, quand vous vous adresserez à moi, de m’appeler “Monsieur” et  de me dire “s’il vous plaît”.

– D’accord ! répondit Jones, ahuri mais ricanant. Hé  bien ! voulez-vous, s’il vous plaît, Monsieur, monter par  l’escalier ? Nous trouverons en haut un carrosse qui  transportera Votre Altesse au poste de police.

– Voilà qui est mieux, dit John Clay avec sérénité. »

Il s’inclina devant nous trois et sortit paisiblement sous la garde du policier.

« Réellement, monsieur Holmes, dit M. Merryweather  pendant que nous remontions de la cave, je ne sais comment la banque pourra vous remercier et s’acquitter envers vous. Sans aucun doute, vous avez découvert et déjoué une tentative de cambriolage  comme je n’en avais encore jamais vu dans une banque !

– J’avais un petit compte à régler avec M. John Clay,sourit Holmes. Dans cette affaire, mes frais ont été minimes :j’espère néanmoins que la banque me les remboursera. En dehors de cela, je suis largement récompensé parce que j’ai vécu une  expérience pour ainsi dire unique, et que la Ligue des rouquins m’a  été révélée ! Elle était très remarquable !

– Voyez-vous, Watson, m’expliqua-t-il dans les premières heures  de la matinée, alors que nous étions assis à Baker Street devant un  bon verre de whisky, une chose me sauta aux yeux tout  d’abord : cette histoire assez incroyable d’une annonce  publiée par la soi-disant Ligue des rouquins, et de la copie de  l’encyclopédie britannique, ne pouvait avoir d’autre but que de  retenir chaque jour hors de chez lui notre prêteur sur gages. Le  moyen utilisé n’était pas banal ; en fait, il était difficile  d’en trouver de meilleur ! C’est indubitablement la couleur  des cheveux de son complice qui inspira l’esprit subtil de Clay.Quatre livres par semaine constituaient un appât sérieux ;mais qu’était-ce, pour eux, que quatre livres puisqu’ils en  espéraient des milliers ? Ils insérèrent l’annonce : l’un  des coquins loua provisoirement le bureau, l’autre poussa le prêteur sur gages à se présenter, et tous deux profitaient chaque  matin de son absence. A partir du moment où j’ai su que le commis  avait accepté de travailler à mi-salaire, j’ai compris qu’il avait  un sérieux motif pour accepter l’emploi.

– Mais comment avez-vous découvert de quel motif il  s’agissait ?

– S’il y avait eu des femmes dans la maison, j’aurais songé à  une machination plus vulgaire. Mais il ne pouvait en être question.D’autre part, le bureau de notre prêteur sur gages rendait peu.Enfin, rien chez lui ne justifiait une préparation aussi minutieuse  longue et coûteuse. Il fallait donc chercher dehors. Mais chercher  quoi ? Je réfléchis à la passion du commis pour la  photographie, et à son truc de disparaître dans la cave. La  cave ! C’était là qu’aboutissaient les fils de l’énigme que  m’avait apportée M. Jabez Wilson. Je posai alors quelques  questions sur ce commis mystérieux, et je me rendis compte que  j’avais affaire à l’un des criminels de Londres les plus audacieux  et les plus astucieux. Il était en train de manigancer quelque  chose dans la cave : quelque chose qui lui prenait plusieurs  heures par jour depuis des mois. Encore une fois, quoi ? Je ne  pouvais qu’envisager un tunnel, destiné à le conduire vers un autre  immeuble.

« J’en étais arrivé là quand nous nous rendîmes sur les  lieux. Je vous ai étonné quand j’ai cogné le sol avec mon  stick ; mais je me demandais si la cave était située sur le  devant ou sur l’arrière de la maison. Au son, je sus qu’elle  n’était pas sur le devant. Ce fut alors que je sonnai ;j’espérais bien que le commis se dérangerait pour ouvrir. Nous  avions eu quelques escarmouches, mais nous ne nous étions jamais  vus. Je regardai à peine son visage : c’était ses genoux qui  m’intéressaient. Vous avez pu remarquer vous-même combien à cet  endroit le pantalon était usé, chiffonné, et taché : de tels  genoux étaient révélateurs du genre de travail auquel il se livrait  pendant des heures. Le seul point mystérieux qui restait à élucider  était le pourquoi de ce tunnel. En me promenant dans le coin, je  constatai que la Banque de la City et de la Banlieue attenait à la  maison de Jabez Wilson. Quand vous rentrâtes chez vous après le  concert, j’alertai Scotland Yard et le président du conseil  d’administration de la banque ; et la conclusion fut ce que  vous avez vu.

– Et comment avez-vous pu prévoir qu’ils feraient dès le soir  leur tentative ?

– A partir du moment où le bureau de la Ligue était fermé, il  était certain qu’ils ne se souciaient plus que Jabez Wilson fût  absent de chez lui. Par ailleurs, il était capital de leur point de  vue qu’ils se dépêchassent, car le tunnel pouvait être découvert,ou l’or changé de place. Le samedi leur convenait bien, car ils avaient deux jours pour disparaître. C’est pour toutes ces raisons  que je les attendais pour hier soir.

– Votre logique est merveilleuse ! m’écriai je avec une  admiration non feinte. La chaîne est longue, et cependant chaque  anneau se tient.

– La logique me sauve de l’ennui, répondit-il en bâillant.Hélas ! je le sens qui me cerne encore !… Ma vie est un  long effort pour m’évader des banalités de l’existence. Ces petits  problèmes m’y aident.

– Et de plus, vous êtes un bienfaiteur de la société, ajoutai  je.

Il haussa les épaules : « Peut-être, après tout, cela  sert-il à quelque chose ! “L’homme n’est rien ; c’est  l’œuvre qui est tout”, comme Flaubert l’écrivait à George  Sand. »

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