Les Misérables – Tome II – Cosette

Chapitre II – Il est heureux que le pontd’Austerlitz porte voitures

[79]L’incertitude cessait pour JeanValjean ; heureusement elle durait encore pour ces hommes. Ilprofita de leur hésitation ; c’était du temps perdu pour eux,gagné pour lui. Il sortit de dessous la porte où il s’était tapi,et poussa dans la rue des Postes vers la région du Jardin desPlantes. Cosette commençait à se fatiguer, il la prit dans sesbras, et la porta. Il n’y avait point un passant, et l’on n’avaitpas allumé les réverbères à cause de la lune.

Il doubla le pas.

En quelques enjambées, il atteignit la poterieGoblet sur la façade de laquelle le clair de lune faisait trèsdistinctement lisible la vieille inscription :

De Goblet fils c’est ici la fabrique ;

Venez choisir des cruches et des brocs,

Des pots à fleurs, des tuyaux, de la brique.

À tout venant le Cœur vend des Carreaux.

Il laissa derrière lui la rue de la Clef, puisla fontaine Saint-Victor, longea le Jardin des Plantes par les ruesbasses, et arriva au quai. Là il se retourna. Le quai était désert.Les rues étaient désertes. Personne derrière lui. Il respira.

Il gagna le pont d’Austerlitz[80].

Le péage y existait encore à cette époque.

Il se présenta au bureau du péager, et donnaun sou.

– C’est deux sous, dit l’invalide dupont. Vous portez là un enfant qui peut marcher. Payez pourdeux.

Il paya, contrarié que son passage eût donnélieu à une observation. Toute fuite doit être un glissement.

Une grosse charrette passait la Seine en mêmetemps que lui et allait comme lui sur la rive droite. Cela lui fututile. Il put traverser tout le pont dans l’ombre de cettecharrette.

Vers le milieu du pont, Cosette, ayant lespieds engourdis, désira marcher. Il la posa à terre et la repritpar la main.

Le pont franchi, il aperçut un peu à droitedes chantiers devant lui ; il y marcha. Pour y arriver, ilfallait s’aventurer dans un assez large espace découvert etéclairé. Il n’hésita pas. Ceux qui le traquaient étaient évidemmentdépistés et Jean Valjean se croyait hors de danger. Cherché,oui ; suivi, non.

Une petite rue, la rue duChemin-Vert-Saint-Antoine, s’ouvrait entre deux chantiers enclos demurs. Cette rue était étroite, obscure, et comme faite exprès pourlui. Avant d’y entrer, il regarda en arrière.

Du point où il était, il voyait dans toute salongueur le pont d’Austerlitz.

Quatre ombres venaient d’entrer sur lepont.

Ces ombres tournaient le dos au Jardin desPlantes et se dirigeaient vers la rive droite.

Ces quatre ombres, c’étaient les quatrehommes.

Jean Valjean eut le frémissement de la bêtereprise.

Il lui restait une espérance ; c’est queces hommes peut-être n’étaient pas encore entrés sur le pont et nel’avaient pas aperçu au moment où il avait traversé, tenant Cosettepar la main, la grande place éclairée.

En ce cas-là, en s’enfonçant dans la petiterue qui était devant lui, s’il parvenait à atteindre les chantiers,les marais, les cultures, les terrains non bâtis, il pouvaitéchapper.

Il lui sembla qu’on pouvait se confier à cettepetite rue silencieuse. Il y entra.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer