Magdelon
Il faut avouer que je n’ai jamais vu porter si haut l’élégance de l’ajustement.
Mascarille
Attachez un peu sur ces gants la réflexion de votre odorat.
Magdelon
Ils sentent terriblement bon.
Cathos
Je n’ai jamais respiré une odeur mieux conditionnée.
Mascarille
Et celle-là ?
Magdelon
Elle est tout à fait de qualité ; le sublime en est touché délicieusement. Mascarille
Vous ne me dites rien de mes plumes : comment les trouvez-vous ?
Cathos
Effroyablement belles.
Mascarille
Savez-vous que le brin me coûte un louis d’or ? Pour moi, j’ai cette manie de vouloir donner généralement sur tout ce qu’il y a de plus beau.
Magdelon
Je vous assure que nous sympathisons vous et moi : j’ai une délicatesse furieuse pour tout ce que je porte ; et jusqu’à mes chaussettes, je ne puis rien souffrir qui ne soit de la bonne ouvrière.
Mascarille, s’écriant brusquement.
Ahi, ahi, ahi, doucement ! Dieu me damne, Mesdames, c’est fort mal en user ; j’ai à me plaindre de votre procédé ; cela n’est pas honnête.
Cathos
Qu’est-ce donc ? qu’avez-vous ?
Mascarille
Quoi ? toutes deux contre mon coeur, en même temps ! m’attaquer à droit et à gauche ! Ah ! c’est contre le droit des gens ; la partie n’est pas égale ; et je m’en vais crier au meurtre.
Cathos
Il faut avouer qu’il dit les choses d’une manière particulière.
Magdelon
Il a un tour admirable dans l’esprit.
Cathos
Vous avez plus de peur que de mal, et votre coeur crie avant qu’on l’écorche.
Mascarille
Comment diable ! il est écorché depuis la tête jusqu’aux pieds.
LES PRÉCIEUSES RIDICULES – MOLIÈRE > SCÈNE X
Scène X
Marotte, Mascarille, Cathos, Magdelon
Marotte
Madame, on demande à vous voir.
Magdelon
Qui ?
Marotte
Le vicomte de Jodelet.
Mascarille
Le vicomte de Jodelet ?
Marotte
Oui, Monsieur.
Cathos
Le connoissez-vous ?
Mascarille
C’est mon meilleur ami.
Magdelon
Faites entrer vitement. Mascarille
Il y a quelque temps que nous ne nous sommes vus, et je suis ravi de cette aventure.
Cathos
Le voici.
LES PRÉCIEUSES RIDICULES – MOLIÈRE > SCÈNE XI
Scène XI
Jodelet, Mascarille, Cathos, Magdelon, Marotte
Mascarille
Ah ! vicomte !
Jodelet, s’embrassant l’un l’autre.
Ah ! marquis !
Mascarille
Que je suis aise de te rencontrer !
Jodelet
Que j’ai de joie de te voir ici !
Mascarille
Baise-moi donc encore un peu, je te prie.
Magdelon
Ma toute bonne, nous commençons d’être connues ; voilà le beau monde qui prend le chemin de nous venir voir.
Mascarille
Mesdames, agréez que je vous présente ce gentilhomme-ci : sur ma parole, il est digne d’être connu de vous.
Jodelet
Il est juste de venir vous rendre ce qu’on vous doit ; et vos attraits exigent leurs droits seigneuriaux sur toutes sortes de personnes.
Magdelon
C’est pousser vos civilités jusqu’aux derniers confins de la flatterie.
Cathos
Cette journée doit être marquée dans notre almanach comme une journée bienheureuse.
Magdelon
Allons, petit garçon, faut-il toujours vous répéter les choses ? Voyez-vous pas qu’il faut le surcroît d’un fauteuil ?
Mascarille
Ne vous étonnez pas de voir le Vicomte de la sorte ; il ne fait que sortir d’une maladie qui lui a rendu le visage pâle comme vous le voyez.
Jodelet
Ce sont fruits des veilles de la cour et des fatigues de la guerre.
Mascarille
Savez-vous, Mesdames, que vous voyez dans le Vicomte un des plus vaillants hommes du siècle ? C’est un brave à trois poils. Jodelet
Vous ne m’en devez rien, Marquis ; et nous savons ce que vous savez faire aussi.
Mascarille
Il est vrai que nous nous sommes vus tous deux dans l’occasion.
Jodelet
Et dans des lieux où il faisoit fort chaud.
Mascarille, les regardant toutes deux.
Oui ; mais non pas si chaud qu’ici. Hai, hai, hai !
Jodelet
Notre connoissance s’est faite à l’armée ; et la première fois que nous nous vîmes, il commandoit un régiment de cavalerie sur les galères de Malte.
Mascarille
Il est vrai ; mais vous étiez pourtant dans l’emploi avant que j’y fusse ; et je me souviens que je n’étois que petit officier encore, que vous commandiez deux mille chevaux.
Jodelet
La guerre est une belle chose ; mais, ma foi, la cour récompense bien mal aujourd’hui les gens de service comme nous. Mascarille
C’est ce qui fait que je veux pendre l’épée au croc.
Cathos
Pour moi, j’ai un furieux tendre pour les hommes d’épée.
Magdelon
Je les aime aussi ; mais je veux que l’esprit assaisonne la bravoure.
Mascarille
Te souvient-il, Vicomte, de cette demi-lune que nous emportâmes sur les ennemis au siége d’Arras ?
Jodelet
Que veux-tu dire avec ta demi-lune ? C’étoit bien une lune toute entière.
Mascarille
Je pense que tu as raison.
Jodelet
Il m’en doit bien souvenir, ma foi : j’y fus blessé à la jambe d’un coup de grenade, dont je porte encore les marques. Tâtez un peu, de grâce, vous sentirez quelque coup, c’étoit là. Cathos
Il est vrai que la cicatrice est grande.