Nouvelles Mille et une nuits

Histoire d’un Médecin et d’une Malle

Mr. Silas Q. Scuddamore était un jeune Américain, d’un caractèresimple et inoffensif, ce qui l’honorait d’autant plus qu’il venaitde la Nouvelle-Angleterre, une partie du Nouveau Monde qui n’estpas précisément renommée pour de pareilles qualités. Bien qu’il fûtexcessivement riche, il tenait, sur un petit carnet de poche, lecompte exact de ses dépenses, et il avait fait choix, pours’initier aux plaisirs de Paris, d’un septième étage dans ce qu’onappelle un Hôtel meublé au Quartier-Latin. Il entrait beaucoupd’habitude dans sa parcimonie, et sa vertu fort étonnante, vu lemilieu où il se trouvait, était principalement fondée sur ladéfiance de soi et sur une grande jeunesse.

La chambre voisine de la sienne était habitée par une dame, trèsséduisante d’allure et très élégante de toilette, qu’à son arrivéeil avait prise pour une comtesse. Par la suite, il apprit qu’elleétait connue sous le nom de Zéphyrine. Quelle que fût la situationqu’elle occupât dans le monde, ce n’était assurément pas celled’une personne titrée. Mme Zéphyrine, sans doute dans l’espoirde charmer le jeune Américain, avait pris l’habitude de le croisersur l’escalier ; et là, après un signe de tête gracieux, unmot jeté tout naturellement et un regard fascinateur de ses yeuxnoirs, elle disparaissait avec un froufrou de soie, laissantapercevoir un pied et une cheville incomparables. Mais ces avances,bien loin d’encourager Mr. Scuddamore, le plongeaient dans desabîmes de découragement et de timidité. Plusieurs fois, elle étaitvenue chez lui, demander de la lumière ou s’excuser des méfaitsimaginaires de son caniche. Hélas ! en présence d’une créatureaussi supérieure, la bouche de l’innocent étranger restaitclose ; il oubliait son français, et, jusqu’à ce qu’elle fûtpartie, ne savait plus qu’ouvrir de grands yeux et bégayer.Cependant, leurs rapports si fugitifs suffisaient pour qu’il lançâtparfois des insinuations dignes d’un fat, lorsque, seul avecquelques camarades, il se sentait en sûreté.

La chambre de l’autre côté de celle du jeune Américain, – car ily avait trois chambres par étage dans l’hôtel, – était occupée parun vieux médecin anglais, d’une réputation plutôt équivoque. Ledocteur Noël, tel était son nom, avait été forcé de quitterLondres, où il jouissait d’une clientèle nombreuse et chaque jourcroissante ; on racontait que la police n’avait pas étéétrangère à ce changement de résidence. En tous cas, lui qui avaittenu jadis un certain rang, vivait maintenant au Quartier-Latin,dans la solitude et avec la plus grande simplicité, consacrant lamajeure partie de son temps à l’étude. Mr. Scuddamore avait fait saconnaissance, et il leur arrivait de dîner frugalement ensemble,dans un restaurant, de l’autre côté de la rue.

Silas Q. Scuddamore, quoique vertueux, nous l’avons dit, avaitnombre de petits défauts et, pour les satisfaire, ne reculait pasdevant les moyens les plus répréhensibles. Le premier parmi cesvices, relativement véniels, était la curiosité. Il était bavard denaissance ; la vie, et surtout tels côtés de la vie dont iln’avait pas l’expérience, l’intéressaient passionnément. Ilquestionnait avec audace, et l’opiniâtreté qu’il déployait dans sesenquêtes n’avait d’égale que son indiscrétion. Silas Scuddamoreétait de ceux qui, lorsqu’ils se chargent de porter une lettre à laposte, la soupèsent, la retournent dans tous les sens et enétudient avec soin la suscription. Il ne faut donc pas s’étonnersi, ayant aperçu d’aventure une fente dans la cloison qui séparaitsa chambre de celle de Mme Zéphyrine, il se garda de laboucher, mais l’élargit au contraire et l’augmenta si bien, qu’ilput s’en servir comme d’un observatoire pour espionner les faits etgestes de sa voisine.

Vers la fin de mars, sa curiosité augmentant à mesure qu’il lasatisfaisait, il agrandit encore davantage l’ouverture de manière àpouvoir inspecter un autre coin de la chambre ; mais, cesoir-là, lorsque, comme d’habitude, il voulut se mettre àsurveiller les mouvements de Mme Zéphyrine, Silas fut toutétonné de trouver le trou bouché d’une singulière façon, et encoreplus honteux lorsque, l’obstacle ayant été subitement enlevé, unéclat de rire frappa son oreille. Quelques plâtras avaientévidemment trahi son secret, et sa voisine lui apprenait leproverbe : À bon chat, bon rat ! Scuddamore éprouva unsentiment de vive contrariété ; il blâma impitoyablementMme Zéphyrine et s’adressa même quelques reproches par la mêmeoccasion ; mais, quand il s’aperçut le lendemain qu’on n’avaitpris aucune précaution pour le priver de son passe-temps favori, ilcontinua sans scrupules à profiter d’une négligence si favorable àsa frivole curiosité.

Le jour suivant, Mme Zéphyrine reçut la visite d’un hommegrand et fortement charpenté, d’une cinquantaine d’années oupeut-être davantage, que Silas n’avait encore jamais vu. Soncostume de tweed et sa chemise de couleur, non moins que sesfavoris hérissés, indiquaient un Anglais ; son œil gris etmorne produisit sur Silas une sensation de froid. Pendant toutl’entretien, qui eut lieu à voix basse, le jeune Américain restal’oreille tendue, la figure plaquée contre l’ouverture traîtresse.Plus d’une fois, il lui sembla que les gestes des deuxinterlocuteurs désignaient son propre appartement ; mais laseule phrase complète qu’il pût recueillir, en y apportant unescrupuleuse attention, fut cette remarque faite par l’Anglais surun ton un peu plus haut, comme s’il eût combattu quelque hésitationou quelque refus :

« J’ai étudié ses goûts à fond, et je vous répète que vousêtes l’unique femme sur laquelle je puisse compter. »

Pour toute réponse, Mme Zéphyrine prit l’air triste etrésigné, d’une personne qui cède à une autorité absolue.

Cet après-midi-là, l’observatoire fut définitivement masqué parune armoire placée de l’autre côté. Pendant que Silas se lamentaitsur cette infortune qu’il attribuait à une jalouse suggestion del’Anglais, le concierge lui apporta une lettre d’une écritureféminine. Elle était conçue en français, d’une orthographe peurigoureuse, et, dans les termes les plus engageants, invitaitl’Américain à se trouver vers onze heures, le même soir, dans unendroit indiqué du bal Bullier. La curiosité et la timidité secombattirent longtemps dans son cœur ; tantôt il n’était quevertu puritaine, tantôt il se sentait tout feu et tout audace. Lerésultat de cette lutte intéressante fut que, longtemps avant dixheures, Mr. Silas Q. Scuddamore, dans une tenue irréprochable, seprésenta à la porte des salons de Bullier et paya son entrée avecun sentiment de hardiesse libertine qui ne manquait pas decharme.

On était en plein carnaval, le bal était nombreux et bruyant.D’abord les lumières et la foule intimidèrent notre jeuneaventurier ; mais bientôt, ces influences, lui montant à latête comme une sorte d’ivresse, le rendirent au contraire plusvaillant qu’il ne l’avait jamais été. Il se sentait prêt àaffronter le démon en personne et pénétra fièrement dans la sallede bal avec la crânerie d’un mauvais sujet. Pendant qu’il sepavanait ainsi, il aperçut Mme Zéphyrine et son Anglais enconférence derrière une colonne. Son instinct félin d’espionnage leressaisit aussitôt. À pas de loup, il se glissa par derrière, plusprès du couple, plus près encore, jusqu’à ce qu’il fît à portéed’entendre.

« Voilà l’homme, disait l’Anglais, – là-bas, avec de longscheveux blonds, parlant à cette fille en vert. »

Silas remarqua un charmant garçon de petite taille, quiévidemment était l’objet de cette désignation.

« C’est bien, dit Mme Zéphyrine, je ferai de monmieux ; mais, souvenez-vous-en, les plus adroites peuventéchouer en pareille occurrence.

– Bah ! répliqua son compagnon, je réponds du résultat. Nevous ai-je pas choisie entre trente ? Allez, mais méfiez-vousdu prince. Je ne puis comprendre quelle maudite chance l’a amenéici cette nuit. Comme s’il n’y avait pas à Paris une douzaine debals plus dignes de sa présence que cette orgie d’étudiants et desauteuses de comptoir ! Regardez-le, assis là-bas, plussemblable à un Empereur rendant la justice qu’à une Altesse envacances ! »

Cette fois encore, Silas eut du bonheur. Il aperçut unpersonnage assez corpulent, d’une beauté de traits remarquable etd’un aspect majestueux mais affable, assis devant une table encompagnie d’un autre homme de quelques années plus jeune, quil’entretenait avec une visible déférence. Le nom de prince sonnaagréablement aux oreilles républicaines de Silas, et celui à qui cetitre était donné exerça sur lui un charme particulier. Il laissaMme Zéphyrine et son Anglais se suffire l’un à l’autre, et,coupant à travers la foule, s’approcha de la table que le prince etson confident avaient honorée de leur choix.

« Je vous déclare, Geraldine, disait le premier, que c’estpure folie. Vous-même (je suis aise de m’en souvenir), avez choisivotre frère pour cette mission périlleuse ; vous êtes donctenu en conscience de surveiller sa conduite. Il a consenti às’arrêter trop longtemps à Paris ; ceci déjà était uneimprudence, si l’on considère le caractère de l’homme contre lequelil doit lutter ; mais maintenant qu’il est à quarante-huitheures de son départ, et à deux ou trois jours de l’épreuvedécisive, je vous le demande, est-ce ici l’endroit où il doitpasser son temps ? Sa place serait plutôt dans une salled’armes à se faire la main ; il devrait dormir de longuesheures et s’imposer un exercice modéré ; il devrait se mettreà une diète rigoureuse, ne boire ni vin blanc ni liqueurs. Legaillard s’imagine-t-il que nous jouons tous une comédie ? Lachose est terriblement sérieuse, Geraldine.

– Je connais trop mon frère pour intervenir, répliqua lecolonel ; je lui ferais injure en m’alarmant. Il est pluscirconspect que vous ne pensez et d’une fermeté indomptable. S’ils’agissait d’une femme, je n’en dirais pas autant ; mais jelui ai confié le président sans une minute d’appréhension, d’autantqu’il a deux hommes pour lui prêter main-forte.

– Eh bien, dit le prince, votre confiance ne suffit pas à metranquilliser. Les deux prétendus domestiques sont des policiersémérites, et pourtant le misérable n’a-t-il pas déjà trois foisréussi à tromper leur surveillance ? Il a pu passer plusieursheures en affaires secrètes et probablement fort dangereuses… Non,non, ne croyez pas que ce soit le hasard. Cet homme sait ce qu’ilfait et a en lui-même des ressources exceptionnelles.

– Je pense que l’affaire relève maintenant de mon frère et demoi-même, répondit Geraldine avec une nuance de dépit dans lavoix.

– Je permets qu’il en soit ainsi, colonel, repartit le prince.Peut-être devriez-vous, justement pour cette raison, accepter mesconseils. Mais en voilà assez. Cette petite en jaune dansebien. »

Et la conversation revint aux sujets habituellement traités dansun bal de carnaval à Paris.

Le souvenir de l’endroit où il était revint à Silas ; il serappela que l’heure du rendez-vous était proche. Plus il yréfléchissait, moins il en aimait la perspective ; et unremous du public l’ayant poussé, au moment même, dans la directionde la porte, il se laissa entraîner sans résistance. La houlehumaine le fit échouer dans un coin, sous une galerie, où sonoreille fut immédiatement frappée par le son de la voix deMme Zéphyrine. Elle causait en français avec le jeune hommeblond qui lui avait été signalé par l’étrange Anglais, moins d’unedemi-heure auparavant.

« J’ai une réputation à ménager, disait-elle ; sanscela je n’y mettrais pas d’autres conditions que celles qui me sontdictées par mon cœur. Mais vous n’avez qu’à dire ces mots auconcierge et il vous laissera passer.

– Pourquoi, diable, cette histoire de dette ? objecta soncompagnon.

– Bon ! s’écria Zéphyrine, pensez-vous que je ne sache pasmanœuvrer dans mon hôtel ? »

Et elle passa, tendrement suspendue au bras du jeune homme. Cecirappela d’une façon troublante à Silas Scuddamore le billet qu’ilavait reçu.

« Dans dix minutes ! se dit-il. Pourquoi pas ?…Dans dix minutes, il se peut que je me promène avec une femme nonmoins belle que celle-ci, mieux mise, même, avec une vraie grandedame, – cela s’est vu, – avec une femme titrée. »

Mais il se souvint de l’orthographe et fut un peu découragé.

« Il est possible qu’elle ait fait écrire par sa femme dechambre », pensa-t-il.

L’aiguille de l’horloge n’était plus qu’à quelques secondes del’heure fixée. Chose singulière, l’approche d’un si grand honneur,d’un si grand plaisir, lui procura un battement de cœur désordonné,plutôt pénible. Enfin il se dit, avec un soupir de soulagement,qu’il n’était en aucune manière tenu de se montrer. La vertu et lalâcheté étaient d’accord ; de nouveau il se dirigea vers laporte, mais cette fois de son propre mouvement et en bataillantcontre la foule qui se portait dans la direction contraire.Peut-être cette résistance prolongée l’énerva-t-il, ou bienpeut-être était-il dans cette disposition d’esprit, où le seul faitde poursuivre le même dessein pendant un certain nombre de minutesamène une réaction et un projet différent ; ce qui estcertain, c’est que pour la troisième fois il fit volte-face et nes’arrêta que lorsqu’il eut trouvé une place où il pût sedissimuler, à quelques pas de celle du rendez-vous convenu.

Là, il passa par une véritable agonie d’esprit, pendantlaquelle, à plusieurs reprises, il pria Dieu de lui venir en aide,car Silas avait été dévotement élevé. À ce point de sa bonnefortune, il n’avait plus le moindre désir de rencontrer ladame ; rien ne l’eût empêché de fuir, n’eût été la sottecrainte d’être jugé poltron ; mais cette crainte était sipuissante, qu’elle l’emporta sur toutes les autresconsidérations ; quoiqu’elle ne pût le décider à avancer, ellel’empêcha du moins de se sauver définitivement. À la fin, l’horlogeindiqua que l’heure était dépassée de dix minutes.

Le jeune Scuddamore, reprenant ses esprits, regarda furtivementde son coin, et ne vit personne à l’endroit désigné. Sans doute, sacorrespondante inconnue s’était lassée et avait dû partir.

Il devint alors aussi fanfaron qu’il avait été craintifjusque-là. Il lui sembla que s’il paraissait au lieu durendez-vous, fût-ce tardivement, il échapperait au reproche delâcheté. Maintenant il soupçonnait même une plaisanterie, et secomplimenta sur la finesse avec laquelle il avait deviné et dépistéses mystificateurs. Tellement vaine est la cervelle d’unadolescent !

Enhardi par ces réflexions, il sortit bravement de sonencoignure ; mais il n’avait pas fait plus de deux pas, qu’unemain se posait sur son bras. Silas se retourna et vit une femmerobuste, imposante et de traits altiers, mais sans aucune sévéritédans le regard.

« Je crois que vous êtes un séducteur bien sûr de lui-même,dit-elle, car vous vous faites attendre. N’importe, j’étais décidéeà vous rencontrer. Quand une femme s’est une fois oubliée jusqu’àfaire les premières avances, il y a longtemps qu’elle a laissé decôté toute fausse pudeur. »

La haute taille et les attraits volumineux de sa conquête, ainsique la façon soudaine dont elle était tombée sur lui, avaient ahuriSilas, mais la dame le mit bien vite à son aise. Elle étaitsingulièrement expansive et engageante, le poussant à faire desplaisanteries et applaudissant ses moindres mots ; bref, entrès peu de temps, grâce à ses paroles enjôleuses et à deslibations de punch, elle l’amena, non seulement à se croireamoureux, mais à déclarer sa passion dans les termes les plusvifs.

« Hélas ! répondit-elle, je ne sais si je ne dois pasdéplorer ce moment, quelque plaisir que me fasse votre aveu.Jusqu’ici j’étais seule à souffrir ; maintenant, pauvreenfant, nous serons deux. Je ne suis pas maîtresse de mes actes. Jen’ose vous demander de venir chez moi, car je suis surveillée pardes yeux jaloux. Laissez-moi réfléchir, ajouta-t-elle, je suis plusâgée que vous, quoique tellement plus faible ; et, tout en mefiant à votre courage et à votre résolution, il faut que je vousfasse profiter de mon expérience du monde. »

Elle le questionna sur l’hôtel meublé où il logeait, puis semblase recueillir.

« Je vois, dit-elle enfin. Vous serez loyal et obéissant,n’est-ce pas ? »

Silas protesta avec ardeur de sa soumission à ses moindrescaprices.

« Alors, dans la nuit de demain, continua-t-elle avec unsourire encourageant. Vous resterez chez vous toute lasoirée ; si quelque ami vient vous voir, renvoyez-le aussitôt,sous un prétexte. Votre porte est probablement fermée vers dixheures ? ajouta-t-elle.

– À onze heures, répondit Silas.

– À onze heures et quart, poursuivit l’inconnue, sortez de lamaison. Demandez simplement la porte et surtout ne parlez pas auconcierge, car cela ferait tout manquer. Allez droit au coin où lejardin du Luxembourg rejoint le boulevard ; là vous metrouverez, vous attendant ; je compte sur vous pour suivre mesindications de point en point ; et souvenez-vous que si vous ymanquez par le plus petit détail, vous apporterez le trouble dansl’existence d’une femme dont la seule faute est de vous avoir vu etde vous avoir aimé.

– Je ne puis comprendre l’utilité de toutes ces instructions,dit Silas.

– Je crois que vous commencez déjà à parler en maître,s’écria-t-elle, lui donnant un coup d’éventail sur le bras.Patience, patience ; cela viendra en son temps. Une femme aimeà être obéie d’abord, bien que plus tard elle mette son bonheur àobéir elle-même. Faites comme je vous en prie, pour l’amour duciel, ou je ne réponds de rien. En vérité, ajouta-t-elle, de l’airde quelqu’un qui entrevoit une nouvelle difficulté, à force d’ysonger je découvre un plan meilleur pour vous débarrasser desvisites importunes. Dites au concierge de ne recevoir âme qui vive,excepté une personne qui pourra venir dans la soirée vous réclamerle payement d’une dette et parlez avec émotion, comme si vousredoutiez cette entrevue, de façon à ce qu’il puisse prendre vosparoles au sérieux.

– Je pense que vous pouvez vous fier à moi pour vous défendrecontre les intrus, dit-il, non sans une petite pointe desusceptibilité.

– Voilà comment je préfère que la chose soit arrangée,répondit-elle froidement. Je vous connais, vous autres hommes. Pourvous la réputation d’une femme ne compte pas. »

Silas rougit et baissa la tête ; car, en effet, le projetqu’il avait formé devait lui procurer une petite satisfaction devanité vis-à-vis de ses connaissances.

« Avant tout, ajouta-t-elle, ne parlez point au conciergequand vous sortirez.

– Et pourquoi ? De toutes vos recommandations, celle-ci mesemble la moins essentielle.

– Au commencement, vous avez douté de la sagesse des autresprécautions que maintenant vous jugez comme moi nécessaires,répliqua la dame. Fiez-vous à ma parole, celle-ci a également sonutilité. Et que penserais-je de votre amour si, dès la premièreentrevue, vous me refusiez de semblablesbagatelles ? »

Silas se confondit en explications et en excuses, au milieudesquelles, regardant l’horloge et joignant les mains, la damepoussa un cri étouffé.

« Ciel ! murmura-t-elle, est-il si tard ? Je n’aipas un instant à perdre. Hélas ! pauvres femmes, quellesesclaves nous sommes ! Que de risques n’ai-je pas déjà couruspour vous ! »

Après lui avoir répété ses instructions qu’elle entremêlaitsavamment de caresses et de regards langoureux, elle lui dit adieuet disparut dans la foule.

Toute la journée du lendemain, Silas fut gonflé du sentiment deson importance ; maintenant il en était sûr, c’était unecomtesse ! Quand le soir arriva, il obéit minutieusement à sesordres et fut, à l’heure fixée, au coin du jardin du Luxembourg. Iln’y avait personne. Il attendit près d’une demi-heure, dévisageantchaque passant et chaque flâneur ; il visita même les coinsenvironnants du boulevard et fit tout le tour de la grille dujardin, mais aucune belle comtesse n’était là, prête à se jeterdans ses bras. Enfin, et bien à contre-cœur, il revint sur ses paset se dirigea vers l’hôtel. Chemin faisant, il se souvint desparoles qu’il avait surprises entre Mme Zéphyrine et le jeunehomme blond ; elles lui causèrent un vague malaise.

« Il paraît, se dit-il, que tout le monde s’entend pourdébiter des mensonges à notre portier. »

Il tira la sonnette, la porte s’ouvrit devant lui, et leconcierge, en vêtements de nuit, vint lui offrir une lumière.

« Est-il parti ? demanda cet homme en même temps.

– Qui ?… Que voulez-vous dire ? répondit Silas d’unton sec, car il était irrité de sa mésaventure.

– Je ne l’ai pas vu sortir, continua le concierge ; maisj’espère que vous l’avez payé. Nous ne tenons pas, dans la maison,à avoir des locataires endettés.

– Que le diable m’emporte, dit brutalement Silas, si jecomprends un traître mot à votre galimatias ! De quiparlez-vous ?

– Je parle du petit monsieur blond venu pour sa créance,répliqua le bonhomme. C’est de lui que je parle ; de qui celapourrait-il être puisque j’avais reçu vos ordres de ne laisserentrer aucun autre ?

– Mais, grand Dieu ! il n’est pas venu… jesuppose !

– Je sais ce que je sais, reprit le portier en faisant claquersa langue contre sa joue d’un air passablement goguenard.

– Vous êtes un insolent coquin, riposta Silas, et, sentant qu’ilmontrait une mauvaise humeur tout à fait ridicule, affolé deterreur en même temps, sans bien savoir pourquoi, il se retourna etse mit à monter l’escalier en courant.

– Vous n’avez donc pas besoin de lumière ? » cria leportier.

Mais Silas ne s’arrêta que sur le palier du septième étage,devant sa propre porte. Là, il reprit haleine, assailli par lesplus funestes pressentiments et redoutant presque d’entrer dans sachambre. Lorsqu’enfin il s’y décida, il éprouva un soulagement enla trouvant sombre et, selon toute apparence, vide. Enfin il étaitdonc de retour chez lui en sûreté !… Cette première folieserait la dernière. Les allumettes étaient sur une petite tableprès de son lit, et il se mit à marcher à tâtons dans cettedirection. Comme il avançait, ses craintes lui revinrent denouveau, et, son pied rencontrant un obstacle, il fut heureux deconstater que ce n’était rien de plus effrayant qu’une chaise.Enfin il effleura des rideaux. D’après la situation de la fenêtre,qui était faiblement visible, il reconnut qu’il devait se trouverau pied du lit et qu’il n’avait qu’à continuer le long de ce litpour atteindre la table en question.

Il abaissa la main, mais ce qu’il toucha n’était pas seulementune courte-pointe, c’était une courte-pointe avec quelque chosedessous ayant la forme d’une jambe humaine. Silas retira son bras,et s’arrêta pétrifié.

« Qu’est-ce donc ? se dit-il. Qu’est-ce que celasignifie ? »

Il écouta anxieusement ; on n’entendait aucun bruit derespiration. De nouveau, par un grand effort de volonté, il étenditle bout de son doigt jusqu’à l’endroit qu’il avait déjàtouché ; mais cette fois, il fit un bond en arrière, puisresta cloué au sol, frissonnant de terreur. Il y avait quelquechose dans le lit. Ce que c’était, il n’en savait rien, maisquelque chose était là. Plusieurs secondes s’écoulèrent sans qu’ilpût remuer. Alors, guidé par un instinct, il tomba droit sur lesallumettes, et, tournant le dos au lit, alluma un flambeau.Aussitôt que la flamme eut brillé, il se retourna lentement etregarda ce qu’il craignait de voir. En vérité, ses piresimaginations étaient réalisées. La couverture, soigneusementremontée sur l’oreiller, dessinait les contours d’un corps humaingisant inerte… Il rejeta de côté les draps ; le jeune hommeblond, qu’il avait vu la nuit précédente au bal Bullier, luiapparut, les yeux ouverts et sans regard, la figure enflée,noircie, un léger filet de sang coulant de ses narines…

Silas poussa un long et douloureux gémissement, laissa échapperle flambeau et tomba à genoux près du lit.

Il fut tiré de la stupeur dans laquelle l’avait plongé cettehorrible découverte, par des coups discrets frappés à sa porte. Illui fallut quelques secondes pour se rappeler sa situation, et,lorsqu’il se précipita pour empêcher qui que ce fût d’entrer, ilétait déjà trop tard. Le docteur Noël, coiffé d’un haut bonnet denuit, portant une lampe qui éclairait sa longue silhouette blanche,regardant à droite, à gauche, avec des mouvements de tête quifaisaient songer à quelque grand oiseau, poussa doucement la porte,puis se glissa jusqu’au milieu de la chambre.

« J’ai cru entendre un cri, commença le docteur, et,craignant que vous ne fussiez souffrant, je n’ai pas hésité à mepermettre cette indiscrétion… »

Silas, la figure bouleversée, se tenait entre le docteur et lelit, mais ne trouvait pas la force de répondre.

« Vous êtes dans l’obscurité, poursuivit le docteur, etvous n’avez même pas commencé à vous déshabiller. Vous ne mepersuaderez pas aisément contre toute apparence que vous n’ayezbesoin en ce moment ni d’un ami ni d’un médecin. Voyons lequel desdeux doit se mettre à votre service ? Laissez-moi vous tâterle pouls ; il est souvent l’indice certain de l’état ducœur. »

Le docteur s’avança vers Silas qui continuait à reculer devantlui et essaya de le saisir par le poignet ; mais la tensiondes nerfs du jeune Américain était devenue insupportable. Ils’échappa, d’un mouvement fébrile, se jeta sur le parquet, éclataen sanglots.

Aussitôt que le docteur Noël aperçut le cadavre sur le lit, safigure s’assombrit. Courant vers la porte qu’il avait laisséeentr’ouverte, il la ferma vivement à double tour.

« Debout ! cria-t-il à Silas d’un ton de commandement.Ce n’est pas l’heure de pleurer. Qu’avez-vous fait ? Commentce corps est-il dans votre chambre ? Parlez franchement à unhomme qui saura vous aider. Croyez-vous que ce morceau de chairmorte sur votre oreiller puisse diminuer en quoi que ce soit lasympathie que vous m’avez inspirée ? Non, l’odieux qu’une loiinjuste et aveugle attache à certaines actions ne retombe pas surleur auteur aux yeux de quiconque aime celui-là ; si je voyaisun ami revenir vers moi à travers des flots de sang, mon affectionpour lui n’en serait nullement altérée. Relevez-vous,répéta-t-il ; le bien et le mal sont des chimères ; iln’y a rien dans la vie, si ce n’est la fatalité, et, quoi qu’ilarrive, quelqu’un est auprès de vous qui vous soutiendra jusqu’à lafin. »

Ainsi encouragé, Silas rassembla ses forces, et, d’une voixentrecoupée, réussit enfin, grâce aux questions du docteur, àexpliquer les faits tant bien que mal. Cependant il omit lecolloque entre le prince et Geraldine, ayant à peine saisi le sensde cet entretien et ne pensant guère qu’il pût avoir quelquerapport avec son propre malheur.

« Hélas ! s’écria le docteur Noël, ou je me trompefort ou vous êtes tombé entre les mains les plus dangereuses detoute l’Europe. Pauvre, pauvre garçon ! Quel abîme a étécreusé devant votre crédulité ! Vers quel mortel péril vos pasimprudents ont-ils été conduits ! Cet homme, cet Anglais quevous avez vu deux fois, et que je soupçonne d’être l’âme de cetteténébreuse affaire, pouvez-vous me le décrire ? Était-il jeuneou vieux, grand ou petit ? »

Mais Silas, qui, malgré toute sa curiosité, était incapable dela moindre remarque judicieuse, ne put fournir aucun renseignementen dehors de généralités insignifiantes, d’après lesquelles ilétait impossible de reconnaître quelqu’un.

« Je voudrais que ceci fût dans le programme d’éducation detoutes les écoles, s’écria le docteur avec rage. À quoi servent etla vue et la parole, si un homme n’est capable ni d’observer ni dese souvenir des traits de son ennemi ? Moi, qui connais tousles antres de l’Europe, j’aurais pu fixer son identité et acquérirde nouvelles armes pour votre défense. Cultivez cet art dansl’avenir, mon pauvre enfant, vous en retirerez d’énormesavantages.

– L’avenir ! répéta Silas ; quel avenir m’est réservé,sauf les galères ?

– La jeunesse est toujours lâche, répliqua le docteur, et àchacun ses propres difficultés paraissent plus grosses qu’elles nele sont en effet. Je suis vieux, moi, et cependant je ne désespèrejamais.

– Puis-je raconter une semblable histoire à la police ?demanda Silas…

– Assurément non, répondit le docteur. D’après ce que je vois dela machination dans laquelle vous êtes pris, votre cas, de cecôté-là, serait désespéré ; pour des juges vulgaires vous êtesle coupable. Et souvenez-vous que nous ne connaissons qu’une partiedu complot ; les mêmes artisans infâmes ont dû combinermaintes autres circonstances, qui, mises au jour par une enquête depolice, rejetteraient le crime encore plus sûrement sur votreinnocence.

– Alors, je suis perdu en vérité !

– Je n’ai pas dit cela, répliqua le docteur Noël, car je suis unhomme prudent.

– Mais, regardez ! sanglota Silas en montrant le cadavre.Là, dans mon lit, cette chose impossible à expliquer… impossible àvoir sans horreur !

– Sans horreur, dites-vous ? Non ; quand cette sorted’horloge s’arrête, ce n’est plus pour moi qu’une ingénieuse piècede mécanique bonne à fouiller au scalpel. Lorsque le sang est unefois figé, ce n’est plus du sang humain ; lorsque la chair estmorte, elle n’est plus cette chair que nous désirons chez nosmaîtresses et que nous respectons chez nos amis. La grâce, lecharme, la terreur, tout en est sorti avec l’esprit qui l’animait.Habituez-vous à contempler cela tranquillement, car, si mon projetest praticable, il vous faudra vivre plusieurs jours en compagnieconstante avec ce qui, à cette heure, vous effraie.

– Votre projet ? s’écria Silas. Quel est-il ?Dites-le-moi vite, docteur, car, il me reste à peine assez decourage pour continuer à vivre. »

Sans répondre, le docteur Noël s’approcha du lit et se mit àpalper le cadavre.

« Absolument mort, murmura-t-il ; oui, ainsi que je lesupposais… les poches vides… le chiffre de la chemise coupé. Leurœuvre a été accomplie tout entière. Heureusement il est de petitetaille. »

Silas recueillait ces paroles avec une ardente anxiété. Sonexamen terminé, le docteur prit une chaise et s’adressa au jeunehomme en souriant :

« Depuis que je suis dans cette chambre, dit-il, bien quemes oreilles et ma langue aient été si occupées, mes yeux ne sontpas restés inactifs. J’ai remarqué tout à l’heure, que vous aviezlà, dans un coin, une de ces monstrueuses constructions que voscompatriotes emportent avec eux dans toutes les parties du globe, –en un mot une malle de Saratoga. Jusqu’à présent, je n’avais jamaispu deviner l’utilité de ces monuments ; mais aujourd’hui jecommence à la soupçonner. Était-ce pour plus de commodité dans latraite des esclaves, était-ce pour obvier aux conséquences d’unemploi trop prompt du couteau, je ne sais… Mais je vois clairementune chose, – le but d’une pareille caisse est de contenir un corpshumain.

– En vérité, s’écria Silas, ce n’est pas le moment deplaisanter !

– Bien que je m’exprime avec une sorte de gaieté, répliqua ledocteur, le sens de mes paroles est extrêmement sérieux. Et lapremière chose que nous ayons à faire, mon jeune ami, est dedébarrasser votre coffre de tout ce qu’il contient… »

Silas céda docilement à l’autorité du docteur Noël. La malle deSaratoga une fois vidée, – ce qui produisit un désordreconsidérable sur le plancher, – le cadavre fut retiré du lit, Silasle prenant par les talons et le docteur le tenant par les épaules,puis, après quelques difficultés, on le plia en deux et on l’insératout entier dans le coffre. Grâce à un effort vigoureux des deuxhommes, le couvercle se rabattit sur ce singulier bagage et lacaisse fut fermée, cadenassée, cordée par la propre main dudocteur, pendant que Silas chargeait tout ce qu’elle avait contenu,dans un cabinet et dans la commode.

« Maintenant, dit le docteur, le premier pas vers ladélivrance est fait. Demain, ou plutôt aujourd’hui, votre tâchesera d’apaiser les soupçons de votre portier en lui payant tout ceque vous devez ; pendant ce temps, vous pourrez vous fier àmoi pour prendre d’autres dispositions nécessaires. En attendant,accompagnez-moi dans ma chambre, où je vous donnerai un narcotiqueindispensable, car, quoi que vous deviez faire, il vous faut durepos… »

La journée suivante fut la plus longue dont Silas put sesouvenir. Il semblait qu’elle ne dût jamais s’achever, cettejournée maudite…

L’Américain défendit sa porte et s’assit à l’écart, les yeuxfixés sur la malle de Saratoga, dans une lugubre contemplation. Sesanciennes indiscrétions lui furent rendues avec usure : letrou dans la muraille ayant été ouvert de nouveau, il eutconscience d’une surveillance presque continuelle dirigée sur luide l’appartement de Mme Zéphyrine. Ce sentiment d’être épiédevint même si pénible, qu’à la fin il se vit obligé de boucherl’ouverture de son côté. Lorsque, par ce moyen, il fut à l’abri detout regard importun, Scuddamore passa son temps en larmes derepentir et en prières.

La soirée était fort avancée quand le docteur Noël entra dans lachambre, portant à la main deux enveloppes cachetées, sansadresses, l’une, plutôt volumineuse, l’autre si mince qu’ellesemblait vide.

« Silas, dit-il en s’asseyant devant la table, le momentest venu de vous expliquer le plan que j’ai formé pour vous sauver.Demain matin, de très bonne heure, le prince Florizel de Bohêmeretourne à Londres, après avoir passé quelques jours dans letourbillon du carnaval parisien. Il m’a été donné, il y a longtempsdéjà, de rendre au colonel Geraldine, son écuyer, un de cesservices, si fréquents dans ma profession et qui ne sont jamaisoubliés, ni d’un côté ni de l’autre. Je n’ai pas besoin de vousexpliquer la nature de l’obligation sous laquelle il setrouve ; qu’il me suffise de dire que je le sais prêt àm’aider de toutes manières. Or il était urgent que vous pussiezgagner Londres sans que votre malle fût ouverte ; à cela,n’est-ce pas, la douane semblait opposer une difficultéinsurmontable. Mais il me revint à l’esprit, que, par courtoisie,les bagages de l’héritier d’un trône devaient être exempts de lavisite ordinaire. Je m’adressai au colonel Geraldine et obtins uneréponse favorable. Demain, si vous vous trouvez avant six heures àl’hôtel où demeure le prince, vos bagages seront transportés avecles siens, dont ils sembleront faire partie, et vous-même ferez levoyage comme membre de la suite de Son Altesse.

– Je crois avoir déjà vu le prince de Bohême et le colonelGeraldine ; j’ai même entendu par hasard une partie de leurconversation, l’autre soir, au bal Bullier.

– C’est possible, car le prince veut connaître tous les milieux.Une fois arrivé à Londres, votre tâche est presque terminée. Danscette grosse enveloppe, j’ai remis une lettre que je n’ose adresserà son destinataire ; mais dans l’autre, vous trouverez ladésignation de la maison où vous devez porter cette lettre avecvotre malle, qui vous sera alors enlevée et ne vous embarrasserapas davantage.

– Hélas ! dit Silas, j’ai un vif désir de vous croire, maiscomment serait-ce possible ? Vous m’ouvrez une perspectiveirréalisable, je le crains bien ! Soyez généreux, faites-moimieux comprendre votre dessein. »

Le docteur Noël parut péniblement impressionné.

« Enfant, répondit-il, vous ne savez pas quelle cruellechose vous me demandez. N’importe, qu’il en soit ainsi ! Jesuis aguerri désormais contre l’humiliation, et il serait étrangede vous refuser cela, après vous avoir tant accordé. Sachez doncque, bien que je sois maintenant d’apparence si tranquille, sobre,solitaire, adonné à l’étude, mon nom, quand j’étais plus jeune,servait de cri de ralliement aux esprits les plus hardis et lesplus dangereux de Londres. Pendant qu’extérieurement j’étaisentouré de respect, ma véritable puissance s’appuyait sur lesrelations les plus secrètes, les plus terribles, les pluscriminelles. C’est à un de ceux qui m’obéissaient alors que jem’adresse aujourd’hui pour vous délivrer de votre fardeau. Ceshommes étaient de nationalités et d’aptitudes diverses, mais tousliés par un serment formidable ; tous agissaient dans le mêmebut ; ce but était l’assassinat ; et, moi qui vous parle,j’étais, si peu que j’en aie l’air, le chef de cette banderedoutable.

– Quoi, s’écria Silas, un assassin ?… et un assassin pourqui le meurtre était un métier ?… Puis-je toucher votre maindésormais ? Dois-je même accepter vos services ?Vieillard sinistre, voudriez-vous abuser de ma détresse pour vousgagner un complice ? »

Le docteur se mit à rire amèrement.

« Vous êtes difficile à contenter, Mr. Scuddamore, dit-il.Soit ! je vous laisse le choix entre la société de l’assassinéet celle d’un assassin. Si votre conscience est trop timorée pouraccepter mon aide, dites-le, et je vous quitte sur-le-champ.Dorénavant vous pourrez agir avec votre caisse et son contenu commeil conviendra le mieux à votre âme délicate.

– Je reconnais mes torts, répliqua Silas ; j’aurais dû mesouvenir de la générosité avec laquelle vous avez offert de meprotéger, avant même que je ne vous eusse convaincu de moninnocence ; pardon, je continuerai à écouter vos conseils et àen être reconnaissant.

– C’est bien, répondit le docteur, vous commencez à profiter desleçons de l’expérience.

– Mais, reprit l’Américain, puisque vous êtes, d’après votrepropre aveu, habitué à ces besognes tragiques, puisque les gensauxquels vous me recommandez sont vos anciens associés et vos amis,ne pourriez-vous, monsieur, vous charger vous-même du transport dela malle et me délivrer tout de suite de sa présenceabhorrée ?

– Par ma foi, répliqua le docteur, je vous admire, jeunehomme ! Si vous trouvez que je ne me suis pas déjàsuffisamment mêlé de vos affaires, moi, du fond du cœur, je pensele contraire. Prenez ou dédaignez mes services tels que je lesoffre, et ne m’ennuyez pas davantage avec vos remerciements, car jefais encore moins de cas de votre estime que de votre intelligence.Un temps viendra où, s’il vous est donné de vivre sain d’esprit uncertain nombre d’années, vous jugerez différemment tout ceci etrougirez de votre conduite de cette nuit. »

En prononçant ces mots, le docteur se leva, répéta brièvement etclairement ses indications, puis quitta la chambre sans laisser àSilas le temps de répondre.

Le lendemain matin, Silas Scuddamore se présenta à l’hôtel, oùil fut poliment reçu par le colonel Geraldine et délivré de toutecrainte immédiate au sujet de la malle et de son hideux contenu. Levoyage se passa sans incident, quoique le jeune homme fut terrifiéd’entendre les matelots et les porteurs du chemin de fer seplaindre entre eux du poids extraordinaire des bagages. Silas montadans la voiture de suite, le prince voyageant seul avec son écuyer.À bord du paquebot cependant, Florizel remarqua l’attitudemélancolique de ce jeune homme, debout, en contemplation devant unepile de malles.

« Voilà un individu, dit-il, qui doit avoir quelque sujetde chagrin.

– C’est l’Américain pour lequel j’ai obtenu la permission devoyager avec votre suite, répondit Geraldine.

– Vous me rappelez que j’ai manqué de courtoisie », dit leprince.

S’avançant vers Silas, avec la plus parfaite urbanité, il luiadressa la parole :

« J’ai été charmé, monsieur, de pouvoir satisfaire le désirque vous m’avez fait exprimer par le colonel Geraldine. »

Après cette entrée en matière, il lui fit quelques questions surla situation politique de l’Amérique, auxquelles Silas réponditavec tact et bon sens.

« Vous êtes encore un très jeune homme, dit leprince ; je vous trouve bien sérieux pour votre âge. Peut-êtrelaissez-vous votre esprit s’absorber outre mesure dans des étudesardues. Mais peut-être, d’autre part, suis-je moi-même indiscret entouchant à quelque sujet pénible.

– J’ai, en effet, une excellente raison pour être au désespoir,dit Silas ; jamais un être plus innocent que moi ne fut plusabominablement trompé.

– Je ne veux pas forcer vos confidences, répliqua Florizel, maisn’oubliez pas que la recommandation du colonel Geraldine est unpasseport assuré, et que je suis non seulement désireux de vousrendre service à l’occasion, mais peut-être plus en état quebeaucoup d’autres de le faire. »

Silas fut charmé de l’amabilité d’un si grand personnage ;néanmoins son esprit revint bientôt à ses sombrespréoccupations ; car rien, pas même la courtoisie d’un princeà l’égard d’un républicain, ne peut décharger de ses soucis un cœursouffrant.

Le train arriva à Charing-Cross ; la douane eut les égardshabituels pour l’auguste bagage. Des voitures attendaient, et Silasfut conduit, en même temps que toute la suite, à la résidence duprince. Là, le colonel Geraldine alla le chercher et lui exprima sasatisfaction d’avoir pu obliger un ami du docteur Noël, pour lequelil professait la plus haute considération.

« J’espère, ajouta-t-il, que vous ne trouverez aucune devos porcelaines brisées. Des ordres spéciaux ont été donnés le longde la ligne, afin que les bagages de Son Altesse fussent traitésavec précaution. »

Puis, commandant aux domestiques de mettre une voiture à ladisposition du jeune homme, le colonel lui serra la main et s’enalla vaquer aux devoirs de sa charge.

Alors, Silas ouvrit l’enveloppe qui cachait l’adresse de sonprotecteur inconnu et dit au majestueux laquais de le conduire àBox-Court, du côté du Strand. L’endroit n’était probablement pasinconnu à celui-ci, car il parut stupéfait et se fit répéterl’ordre en question. Ce fut l’âme pleine d’alarmes poignantes queSilas monta dans le carrosse princier et fut mené à destination.L’entrée de Box-Court était trop étroite pour le passage d’unevoiture ; c’était un simple chemin de piétons, entre deuxbarrières, avec une borne à chaque bout ; sur l’une de cesbornes était assis un homme, qui aussitôt sauta à terre et échangeaun signe amical avec le cocher, pendant que le valet de piedouvrait la portière et demandait à Silas s’il devait descendre lamalle, et à quel numéro elle devait être portée.

« S’il vous plaît, dit Silas, au numéro trois. »

Le valet de pied et l’homme qui venait de quitter la borneeurent beaucoup de peine, même avec l’aide de Silas, à transporterla caisse ; avant qu’on ne l’eût déposée devant la porte dunuméro trois, le jeune Américain fut terrifié de voir une vingtainede badauds le considérer d’un œil curieux. Cependant il souleva lemarteau en gardant la meilleure contenance possible, et présenta laseconde enveloppe à celui qui vint lui ouvrir.

« Il n’est pas à la maison, monsieur ; si vous voulezme remettre votre lettre et revenir demain matin, je m’informeraide l’heure à laquelle il pourra vous recevoir. Désirez-vous laisserla caisse ?

– De tout mon cœur ! » s’écria Silas.

Mais aussitôt il regretta sa précipitation et déclara avec uneégale énergie qu’il préférait emporter sa malle avec lui àl’hôtel.

La foule se moqua de son indécision et le suivit jusqu’à lavoiture avec force quolibets insultants ; et Silas, couvert dehonte, éperdu de terreur, supplia les domestiques de le conduire àquelque hôtel tranquille des environs.

L’équipage du prince déposa ce malheureux à l’hôtel Craven, dansCraven-Street, puis s’éloigna immédiatement, le laissant seul avecles gens de l’hôtel. L’unique chambre vacante, lui dit-on, était uncabinet, au quatrième étage, donnant sur le derrière. À cetteespèce de cellule, avec des peines et des plaintes infinies, deuxsolides porteurs montèrent la malle. Il est superflu d’ajouter que,pendant toute l’ascension, Silas les suivit de près, ne quittantpas leurs talons, et qu’à chaque marche son cœur défaillait. – Unsimple faux pas, se disait-il, et la caisse peut, en passantpar-dessus la rampe, rejeter son fatal contenu, révélé au grandjour, sur le pavé du vestibule.

Dans sa chambre, il s’assit au pied du lit, pour se remettre del’angoisse qu’il venait de subir ; mais il avait à peine priscette position qu’il fut épouvanté de nouveau par le mouvement d’undes porteurs, qui, à genoux près de la malle, était en train d’endéfaire les attaches compliquées.

« N’y touchez pas ! cria Silas. Je n’aurai besoin derien de ce qu’elle renferme, pendant mon séjour ici.

– Vous auriez pu la laisser dans le vestibule, alors !grommela le porteur. Une malle aussi grosse et aussi lourde qu’unecathédrale ! Ce que vous avez dedans, je ne peux l’imaginer.Si tout est de l’argent, vous êtes plus riche que moi.

– De l’argent ? répéta Silas très troublé. Qu’entendez-vouspar de l’argent ? Je n’ai pas d’argent et vous parlez comme unsot !

– Très bien, capitaine, répliqua le porteur avec un clignementd’œil. Personne n’en veut à ce qui vous appartient. Je suis aussisûr que la Banque elle-même, ajouta-t-il ; mais, comme lacaisse est lourde, je boirais volontiers quelque chose à la santéde Votre Seigneurie. »

Silas lui présenta deux napoléons, non sans exprimer son regretde l’embarrasser de monnaie étrangère. Et l’homme, grognant encoreplus fort, et portant ses regards, avec mépris, de l’argent qu’ilfaisait sauter dans sa main, à la malle monumentale, puis encore dela malle à l’argent, finit par consentir à s’en aller.

Depuis tantôt deux jours, le cadavre était emballé dans lacaisse de Silas ; à peine fut-il seul que l’infortunéAméricain approcha son nez de toutes les fentes et de toutesouvertures, avec l’attention la plus angoissée. Mais le temps étaitfroid et la malle réussissait encore à cacher son abominablesecret.

Il prit une chaise et médita, la tête ensevelie entre ses mains.À moins qu’il ne fût promptement délivré, toute illusion étaitimpossible, sa perte paraissait certaine. Seul dans une villeétrangère, sans amis ni complices, si la recommandation du docteurlui manquait, il n’avait plus de ressource.

Pathétiquement, il repassa dans son esprit ses ambitieuxdesseins pour l’avenir ; il ne deviendrait plus le héros,l’homme célèbre de sa ville natale, Bangor (Maine), il ne monteraitplus, ainsi qu’il l’avait amoureusement rêvé, de charge en chargeet d’honneurs en honneurs. Il pouvait aussi bien abandonner tout desuite l’espoir d’être élu président des États-Unis et de laisserderrière lui une statue, dans le plus mauvais style possible, pourorner le Capitole à Washington. Quelle destinée que celle de cetAméricain enchaîné à un Anglais mort et plié en deux au fond d’unemalle de Saratoga ! S’il ne réussissait pas à se débarrasserde ce cadavre importun, c’en était fait. Il n’y avait plus la pluspetite place pour lui dans les annales des gloiresnationales !

Je n’oserais pas répéter ses imprécations contre le docteur,l’homme assassiné, Mme Zéphyrine, les porteurs de l’hôtel, lesserviteurs du prince, en un mot, contre tous ceux qui avaient étémêlés, même de la façon la plus lointaine, à son horribleinfortune.

Vers sept heures, il s’échappa et descendit dîner ; mais lasalle du restaurant le glaça d’effroi ; les yeux des autresdîneurs semblaient s’arrêter sur lui avec méfiance et son espritdemeurait obstinément là-haut, près de la malle. Lorsque le garçonvint lui présenter du fromage, ses nerfs étaient tellement excités,qu’il sauta en l’air et renversa le reste d’une pinte d’ale sur lanappe.

Le garçon lui proposa de le conduire au fumoir ; quoiqu’ileût préféré de beaucoup retourner tout de suite auprès de sondangereux trésor, il n’eut pas le courage de refuser et se laissaconduire dans un sous-sol sans jour, éclairé au gaz, qui servait,et sert peut-être encore, de café à l’hôtel Craven.

Deux hommes jouaient tristement au billard ; assistés parun marqueur hâve et phtisique ; un moment Silas crut qu’ilsétaient les seuls occupants de la salle. Mais, au second coupd’œil, son regard tomba sur un individu qui, dans un coin, fumait,les yeux baissés, de l’air le plus modeste et le plus respectable.Il se souvint d’avoir déjà rencontré cette figure ; malgré lechangement complet de costume, il reconnut l’homme qu’il avaittrouvé assis sur la borne de Box-Court et qui avait aidé àtransporter sa malle. Aussitôt l’Américain se retourna et, semettant à courir, ne s’arrêta que lorsqu’il se fut enfermé etverrouillé dans sa chambre.

Là, pendant toute la nuit, en proie aux plus terriblesimaginations, il veilla auprès de la caisse fatale remplie de chairmorte. L’allusion du porteur à sa malle pleine d’or le tenait enémoi, et la présence dans le fumoir, sous un déguisement évident,de l’homme de Box-Court, lui prouvait qu’il était, une fois deplus, le centre de ténébreuses machinations.

Minuit était déjà sonné depuis quelque temps quand Silas, poussépar le soupçon, ouvrit la porte de sa chambre et regarda dans lecorridor faiblement éclairé par un seul bec de gaz. À quelquedistance, il aperçut un garçon d’hôtel, endormi sur le plancher. Ils’approcha furtivement, à pas de loup, et se pencha sur ledormeur ; celui-ci était couché de côté, son bras droit relevélui cachant la figure. Tout à coup, il déplaça ce bras et ouvritles yeux ; Silas se trouva de nouveau face à face avecl’espion de Box-Court.

« Bonsoir, monsieur », dit l’homme d’un ton de bonnehumeur.

Mais Silas était trop profondément impressionné pour trouver uneréponse et il regagna sa chambre silencieusement.

Vers le matin, épuisé par la peur, il s’endormit dans sonfauteuil et tomba, la tête en avant, sur la malle. En dépit d’uneposition aussi contrainte et d’un si hideux oreiller, son sommeilfut long et profond ; il ne fut réveillé qu’à une heuretardive par un coup violent frappé à sa porte.

Se hâtant d’ouvrir, il vit un domestique qui attendait.

« C’est Monsieur qui est allé hier àBox-Court ? » demanda celui-ci.

Silas, avec un frisson, reconnut qu’il y était allé.

« Alors, cette lettre est pour vous », ajouta ledomestique, lui présentant une enveloppe cachetée.

Silas la déchira précipitamment et y trouva ce mot :« Midi. »

Il fut exact à l’heure dite ; la malle fut portée devantlui par plusieurs vigoureux gaillards et on l’introduisit dans unechambre, où un homme se chauffait, assis devant le feu, le dostourné à la porte. Le bruit de tant de monde, entrant et sortant,et le grincement de la malle quand on la déposa sur le plancher, neréussirent pas à attirer l’attention de celui-ci ; Silasattendit debout, dans une véritable agonie, qu’il daignâts’apercevoir de sa présence.

Cinq minutes peut-être s’écoulèrent, avant que se retournâtlentement le prince Florizel de Bohême.

« Ainsi monsieur, dit-il, en interpellant Scuddamore avecla plus grande sévérité, c’est de cette manière que vous abusez dema complaisance ! Vous vous joignez à des personnes dequalité, dans le seul but d’échapper aux conséquences de voscrimes ; je puis facilement comprendre votre embarras, lorsqueje vous adressai la parole hier.

– Je jure, s’écria Silas, que je suis innocent de tout, si cen’est de mon infortune ! »

Là-dessus, d’une voix entrecoupée, avec la plus parfaiteingénuité, il raconta au prince toute l’histoire de sesmalheurs.

« Je vois que j’ai été induit en erreur, dit Florizellorsqu’il eut écouté jusqu’au bout. Vous n’êtes qu’une victime etpuisque je ne suis pas forcé de punir, vous pouvez être sûr que jeferai mes efforts pour vous aider. Maintenant, continua-t-il, àl’œuvre ! Ouvrez immédiatement votre caisse et laissez-moivoir ce qu’elle contient. »

Silas changea de couleur et gémit tout bas :

« J’ose à peine…

– Quoi, répliqua le prince, ne l’avez-vous pas déjàregardé ? Ceci est une espèce de sensiblerie à laquelle ilfaut résister, monsieur. La vue d’un malade que l’on peut secourirdoit nous émouvoir plus fortement que celle d’un mort, auquel on nepeut plus faire ni bien ni mal. Commandez à vos nerfs. »

Et, voyant que Silas hésitait de plus belle :

« Je voudrais, cependant, ne pas être obligé de donner unautre nom à ma requête », ajouta-t-il.

Le jeune Américain se réveilla comme d’un rêve et, avec unfrisson d’horreur, se mit à ouvrir la serrure de sa malle. Leprince se tenait auprès de lui, le surveillant d’un air calme, lesmains derrière le dos. Le corps était complètement raidi et ilfallut à Silas un grand effort, à la fois physique et moral, pourle déloger de sa position et découvrir le visage.

Aussitôt Florizel recula, en jetant une exclamation dedouloureuse surprise.

« Hélas ! s’écria-t-il, vous ne savez pas quel présentcruel vous m’apportez. Ceci est un jeune homme de ma propre suite,le frère de mon plus fidèle ami ; et c’est dans une affairerelevant de mon service qu’il a péri par les mains de malfaiteursinfâmes. Pauvre Geraldine, continua-t-il, comme s’il se fût parlé àlui-même, dans quels termes vous apprendrai-je le sort de votrefrère ? Comment pourrai-je m’excuser à vos yeux et aux yeux deDieu des projets présomptueux qui l’ont mené à cette mort sanglanteet prématurée ? Ah Florizel ! Florizel ! quandapprendrez-vous la prudence qu’il faut dans cette viemortelle ? quand ne serez-vous plus ébloui par le fantôme depuissance qui est à votre disposition ? La puissance !cria-t-il ; qui donc est plus impuissant que moi ? Jeregarde ce jeune homme que j’ai sacrifié, oui, sacrifié, Mr.Scuddamore, et je sens combien c’est peu de chose que d’êtreprince. »

L’Américain, très ému, essaya de balbutier quelques paroles deconsolation et fondit en larmes. Florizel, touché de sa bonneintention évidente, se rapprocha et lui prit la main.

« Calmez-vous, dit-il. Nous avons tous deux beaucoup àapprendre, et tous deux nous deviendrons, je gage, meilleurs parsuite de notre entrevue d’aujourd’hui. »

Silas remercia silencieusement d’un regard affectueux.

« Écrivez-moi l’adresse du docteur Noël sur ce morceau depapier, continua le prince. Et laissez-moi vous recommanderd’éviter la société de cet homme dangereux, lorsque vous serez deretour à Paris. Dans cette affaire, cependant, il a, je crois, agid’après une inspiration généreuse ; s’il eût été complice dela mort du jeune Geraldine, il n’aurait jamais expédié son cadavreà l’assassin lui-même.

– À l’assassin lui-même ! répéta Silas stupéfait.

– C’est ainsi, reprit le prince. Cette lettre, que la volonté deDieu a si étrangement fait tomber entre mes mains, était adressée àun homme qui n’est autre que le criminel en personne, l’infâmeprésident du Suicide Club. Ne cherchez pas à pénétrer plusprofondément dans ces périlleux labyrinthes, contentez-vous d’avoirmiraculeusement échappé et quittez cette maison sans perdre uneminute. J’ai des affaires pressantes, je dois m’occuper tout desuite de cette pauvre dépouille, qui, il y a si peu de tempsencore, était le corps bien vivant d’un beau et noble jeunehomme. »

Silas prit congé du prince Florizel avec gratitude etdéférence ; mais, poussé par sa curiosité ordinaire, ils’attarda dans Box-Court, jusqu’à ce qu’il l’eût vu s’éloigner enéquipage, se rendant chez le colonel Henderson, de la police.Républicain comme il l’était, ce fut avec un sentiment presque dedévotion que le jeune Américain ôta son chapeau pendant que lavoiture disparaissait. Et, le soir même, il prit le train pourretourner à Paris.

Voilà (fait observer mon auteur arabe) la fin del’Histoire d’un médecin et d’une malle. Passantsous silence quelques réflexions sur la toute puissanteintervention de la Providence, très convenables dans l’original,mais peu appropriées à notre goût d’Occident, j’ajouterai que Mr.Scuddamore a déjà commencé à monter les degrés de la renomméepolitique, et que, d’après les dernières nouvelles, il était shérifde sa ville natale.

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