LES DEUX MUSES
J’ai vu…, oh ! dites-moi, était-ce leprésent que je voyais, ou l’avenir ? J’ai vu dans la lice lamuse anglaise s’élancer vers une couronne.
À peine distinguait-on deux buts à l’extrémitéde la carrière : des chênes ombrageaient l’un, autour del’autre des palmiers se dessinaient dans l’éclat du soir.
Accoutumée à de semblables luttes, la mused’Albion descendit fièrement dans l’arène, ainsi qu’elle y étaitvenue ; elle y avait jadis concouru glorieusement avec le filsde Méon, le chantre du Capitole.
Elle jeta un coup d’œil à sa jeune rivale,tremblante, mais avec une sorte de noblesse, dont l’ardeur de lavictoire enflammait les joues et qui abandonnait aux vents sachevelure d’or.
Déjà elle retient à peine le souffle resserrédans sa poitrine ardente, et se penche avidement vers le but… Latrompette déjà résonne à ses oreilles, et ses yeux dévorentl’espace.
Fière de sa rivale, plus fière d’elle-même,l’altière Bretonne mesure encore des yeux la fille deThuiskon : « Je m’en souviens, dit-elle, je naquis avectoi chez les Bardes, dans la forêt sacrée ;
» Mais le bruit était venu jusqu’à moique tu n’existais plus : pardonne, ô muse, si tu esimmortelle, pardonne-moi de l’apprendre si tard ; mais au butj’en serai plus sûre. »
« Le voici là bas !… Le vois-tu dansle lointain avec sa couronne ?… Oh ! ce courage contenu,cet orgueilleux silence, ce regard qui se fixe à terre tout en feu…je le connais !
» Cependant réfléchis encore avant queretentisse la trompette du héraut… C’est moi, moi-même qui luttainaguère avec la muse des Thermopyles, avec celle descollines ! »
Elle dit ; le moment suprême est venu etle héraut s’approche : « Muse bretonne, s’écrie, lesardents, la fille de la Germanie, je t’aime, oh ! je t’aime ent’admirant…
» Mais moins que l’immortalité, moins quela palme de la victoire ! Saisis-la avant moi, si ton génie leveut, mais que je puisse la partager et porter aussi unecouronne.
» Et… quel frémissement m’agite !…Dieux immortels !… Si j’y arrivais la première à ce butéclatant… alors je sentirais ton haleine agiter de bien près mescheveux épars ! »
Le héraut donna le signal… Elles s’envolèrent, aigles rapides, et la poussière, comme un nuage, les eutbientôt enveloppées… Près du but elle s’épaissit encore, et jefinis par les perdre de vue.