Robin Hood, le prince des voleurs – Tome I

Chapitre 10

 

Ainsi que l’avait raconté Maude, le fougueuxbaron, suivi de six hommes d’armes, s’était rendu au cachot d’AllanClare.

Plus de prisonnier !

– Ah ! ah ! dit-il en riant comme untigre, si toutefois les tigres peuvent rire, ah ! ah !l’on obéit à mes ordres d’une admirable façon ; vraiment j’ensuis enchanté ! Mais à quoi servent donc mes geôliers et mondonjon ? Par sainte Griselda ! j’exercerai désormais sanseux mes droits de haute et basse justice, et je renfermerai mesprisonniers dans la volière de ma fille… Egbert Lanner, leporte-clefs, où est-il ?

– Le voilà, monseigneur, répondit unsoldat ; je le tiens serré de près, sans quoi il se seraitenfui.

– Et s’il s’était enfui je t’aurais pendu à saplace… Approche ici, Egbert. Tu vois la porte de ce cachot, elleest fermée ; tu vois ce guichet, il est étroit ; ehbien ! me diras-tu comment le prisonnier, qui n’est ni assezmince de corps pour passer par cette ouverture, ni aussi subtil quel’air pour s’évaporer par le trou de la serrure, me diras-tucomment il a fait pour s’échapper ?

Egbert, plus mort que vif, gardait lesilence.

– Me diras-tu pour quel vil intérêt tu asprêté la main à l’évasion de ce criminel ? Je te demande celasans colère, réponds-moi sans crainte. Je suis bon et juste, etpeut-être, si tu avoues ta faute, je pardonnerai…

Le baron faisait de la mansuétude en pureperte ; Egbert avait trop d’expérience pour croire à sasincérité, et, toujours plus mort que vif, il ne répondit pas.

– Ah ! stupides esclaves que vousêtes ! s’écria tout à coup Fitz-Alwine, je gagerais que pas unde vous n’a eu l’esprit d’avertir le concierge du château de ce quise passait ? Vite, vite, qu’un de vous aille ordonner de mapart à Hubert Lindsay d’abaisser le pont-levis et de fermer toutesles portes.

Un soldat partit aussitôt en courant, mais ils’égara à travers les couloirs obscurs de la prison, et tomba latête la première dans l’escalier d’une cave. La chute fut mortelle,personne ne s’en aperçut, et les fugitifs sortirent du château,grâce à cette catastrophe ignorée.

– Milord, dit un des hommes d’armes, quandnous venions ici, il m’a semblé voir les reflets d’une torche àl’extrémité de la galerie qui conduit à la chapelle.

– Et tu attends jusqu’à présent pour me ledire ! s’écria le baron. Ah ! ils ont juré de me fairemourir à petit feu, les coquins ! mais ils mourront avant moi,oui, ajouta-t-il, suffoqué par la colère ; oui, vous mourrezavant moi, et j’inventerai pour vous un supplice terrible, si je nerattrape pas ce mécréant qu’Egbert va d’abord remplacer augibet.

En achevant ces mots, Fitz-Alwine arracha unetorche des mains d’un soldat et se précipita dans la chapelle.Christabel, debout devant le tombeau de sa mère, paraissait plongéedans une profonde méditation.

– Fouillez par tous les coins et recoins,ramenez-le mort ou vif ! dit le baron.

Les soldats obéirent.

– Et vous, ma fille, que faites-vousici ?

– Je prie, mon père.

– Vous priez sans doute pour un mécréant quimérite la corde ?

– Je prie pour vous devant le tombeau de mamère ; ne le voyez-vous pas ?

– Où est votre complice ?

– Quel complice ?

– Ce traître, cet Allan.

– Je l’ignore.

– Vous me trompez ; il est ici.

– Je ne vous ai jamais trompé, mon père.

Le baron scruta du regard le pâle visage de lajeune fille.

– Nous ne trouvons ni l’un ni l’autre, vintdire un des soldats.

– Ni l’un ni l’autre ? répétaFitz-Alwine, qui commençait à se douter de la fuite de Robin.

– Mais oui, seigneur, ni l’un ni l’autre.Est-ce qu’on ne parle pas des deux prisonniers évadés ?

Exaspéré de voir Robin lui échapper,l’insolent Robin qui l’avait bravé en face et duquel il espéraitobtenir plus tard par la torture certains renseignements sur Allan,le baron appliqua sa large main sur l’épaule de l’indiscret soldat,et lui dit :

– Ni l’un ni l’autre ? Explique-moi lavaleur de ces quatre mots.

Le soldat frissonnait sous la pressionviolente de cette main et ne savait que répondre.

– Mais d’abord, qui es-tu ?

– S’il plaît à Votre Seigneurie, je me nommeGaspard Steinkoff ; j’étais en faction sur le rempart, etc’est…

– Misérable ! c’est donc toi qui étais degarde derrière la porte du cachot de ce jeune loup deSherwood ? Ne me dis pas que tu l’as laissé fuir, sinon je tepoignarde.

Nous nous abstiendrons désormais d’indiquerles innombrables nuances de la colère du baron ; qu’il suffiseà nos lecteurs de savoir que la colère était passée chez lui àl’état d’habitude, de nécessité, et qu’il aurait cessé de respirers’il avait cessé d’être en colère.

– Ainsi, tu avoues qu’il s’est échappé pendantque tu étais de faction sur le rempart de l’est ? reprit lebaron après un instant de silence ; allons,réponds-moi !

– Milord, vous m’avez menacé de votre poignardsi j’avouais, répondit le pauvre diable.

– Et certes j’exécuterai ma menace.

– Alors je me tais.

Le baron levait le poignard sur le malheureuxquand lady Christabel retint son bras en s’écriant :

– Oh ! je vous en conjure, mon père,n’ensanglantez pas ce tombeau !

Cette prière fut écoutée ; le baron,repoussa brusquement Gaspard, rengaina son poignard, et dit à lajeune fille d’un ton sévère :

– Rentrez dans votre appartement,milady ; et vous autres, montez à cheval et courez sur laroute de Mansfeldwoohaus ; les prisonniers ont dû suivre cettedirection, vous pourrez les rattraper facilement ; je lesveux, il me les faut à tout prix, entendez-vous ? il me lesfaut !

Les hommes d’armes obéirent, et Christabels’éloignait quand Maude rentra dans la chapelle, courut à samaîtresse, et, se mettant un doigt sur les lèvres, dit àmi-voix :

– Sauvés ! sauvés !

La jeune lady joignit pieusement les mainspour remercier Dieu, et partit suivie de Maude.

– Arrêtez ! cria le baron qui avaitentendu le chuchotement de la camériste. Demoiselle Hubert Lindsay,je désirerais m’entretenir un instant avec vous. Eh bien !approchez donc ; avez-vous peur qu’on vous dévore ?

– Je ne sais, répondit Maude épouvantée ;mais vous me paraissez si en colère, si furieux, monseigneur, queje n’ose.

– Demoiselle Hubert Lindsay, on connaît votreastuce et on sait que vous ne vous épouvantez pas d’un froncementde sourcils. Cependant, si on le voulait, on vous ferait tremblerréellement, et prenez garde qu’on ne le veuille… Or çà, dites-moiqui es sauvé ? J’ai entendu vos paroles, ma belleeffrontée !

– Je n’ai point dit que quelqu’un était sauvé,monseigneur, répondit Maude en jouant d’un air candide avec leslongues manches de sa robe.

– Ah ! vous n’avez pas dit que quelqu’unétait sauvé, charmante comédienne ! vous avez dit peut-êtrequ’ils étaient sauvés ; pas un, mais plusieurs.

La camériste secoua la tête en signe denégation.

– Oh ! la menteuse, la menteuse prise enflagrant délit !

Maude regarda fixement le baron en affectantun grand air de stupidité, comme si elle ne comprenait pas ce quesignifiaient ces mots flagrant délit.

– Je ne suis point dupe de ta feinteimbécillité, reprit le baron. Je sais que tu as favorisé la fuitede mes prisonniers ; mais ne chante pas victoire, ils ne sontpas encore tellement éloignés du château que mes gens ne puissentles rattraper, et nous verrons dans une heure si tu les empêchesd’être attachés l’un à l’autre dos à dos, et jetés du haut desremparts dans les fossés.

– Pour les attacher dos à dos, monseigneur, ilfaut d’abord les ramener ici, répliqua Maude, toujours avec unenaïveté stupide que démentaient des yeux pétillants de malice.

– Et avant de leur faire faire le plongeondans les fossés, on les confessera ; et s’il est prouvé quevous avez été leur complice, nous essayerons un peu de vous fairetrembler, demoiselle Hubert Lindsay.

– À vos souhaits, monseigneur.

– Mais ce ne sera guère aux vôtres… vousverrez.

– Par saint Valentin ! monseigneur, jeserais bien contente d’être instruite à l’avance de vos projets surmoi ; j’aurais au moins le temps de me préparer, ajouta-t-elleavec une révérence.

– Insolente !

– Milady, reprit la camériste d’un tonparfaitement calme, et se rapprochant de sa maîtresse, qui dans sonimmobilité ressemblait à une statue de la Douleur ; milady, sivous voulez m’en croire, Votre Honneur regagnera sonappartement ; la nuit devient froide… Votre Honneur n’a pas lagoutte… mais…

L’irascible baron, démonté par tant desang-froid railleur, interrompit la camériste et lui demanda unedernière fois de qui elle avait voulu parler en disant :Sauvés ! sauvés !

Cette demande fut faite presque sans colère,et Maude comprit qu’il était temps d’y répondre d’une façon oud’une autre ; aussi s’écria-t-elle, comme vaincue par lapersistance du baron :

– Je vais vous le dire, monseigneur, puisquevous l’exigez. oui, j’ai prononcé ces mots : Il estsauvé ! et je les ai prononcés à voix basse, pour ne pasmontrer mon émotion devant vos hommes d’armes. Mais bien fin quipourrait vous cacher quelque chose, monseigneur. Je disais donc àmilady : Il est sauvé ! il est sauvé ! et je parlaisde ce pauvre Egbert que vous aviez l’intention de pendre,monseigneur, et que vous n’avez pas pendu, Dieu soit loué !ajouta Maude en fondant en larmes.

– Voilà qui est fort ! s’écria le baron.Mais vous me prenez donc pour un idiot, Maude ? Ah !ah ! c’est absurde, et vous abusez de ma patience ! Ehbien ! Egbert sera pendu, et, puisque vous l’aimez, vous serezpendue avec lui.

– Grand merci, monseigneur, riposta lacamériste, en éclatant de rire ; et, pirouettant après unerévérence, elle courut rejoindre Christabel qui venait de sortir dela chapelle.

Lord Fitz-Alwine suivit Maude en improvisantun long monologue rempli d’objurgations contre l’astuce des femmes.La rieuse insolence de Maude avait surexcité les instincts férocesdu baron ; il ne savait ni sur qui ni comment décharger sacolère ; il aurait abandonné la moitié de sa fortune pourqu’on lui livrât sur-le-champ Allan et Robin ; et, pour tuerle temps qui devait s’écouler jusqu’au retour des soldats lancés àla poursuite des fugitifs, le baron résolut d’aller épancher samauvaise humeur dans la compagnie de lady Christabel.

Maude, qui sentait le baron venir sur sestraces, redouta quelque violence et s’enfuit au plus vite avec latorche, de sorte qu’il se trouva tout à coup plongé dans uneprofonde obscurité, et débita une nouvelle série de malédictionscontre Maude, et contre l’univers entier.

– Tempête, tempête, baron ! se disaitMaude en s’éloignant ; mais la jeune fille, plus espiègle queméchante, fut prise d’un remords en pensant à ce vieillard infirmequ’elle abandonnait dans ces noires galeries ; elle s’arrêta,et elle crut entendre des cris de détresse.

– Au secours ! au secours ! criaitune voix sourde et étouffée.

– Il me semble reconnaître la voix du baron,s’écria Maude, en retournant bravement en arrière. Où êtes-vousdonc, monseigneur ? demanda la jeune fille.

– Ici, coquine, ici ! réponditFitz-Alwine ; et sa voix semblait sortir de dessous terre.

– Dieu du ciel ! comment êtes-vousdescendu là ? s’écria Maude en s’arrêtant au haut del’escalier, et à l’aide de sa torche la jeune fille entrevit lebaron étendu sur les marches et arrêté dans sa descente par unobjet qui lui barrait le passage.

Le furibond personnage avait fait fausseroute, comme le malheureux soldat qui s’était tué en allantordonner la fermeture des portes du château ; mais, grâce à lacuirasse qu’il portait toujours sous son pourpoint, le baron avaitglissé sur les marches de l’escalier sans se blesser, et ses piedsavaient trouvé un point d’appui contre le cadavre du soldat.

Cette chute produisit sur la colère duchâtelain l’effet que produit la pluie sur un grand vent.

– Maude, dit-il en se relevant avec peine etsoutenu par la main de la jeune fille, Maude, Dieu vous punira dem’avoir manqué de respect au point de m’abandonner sans lumièredans l’obscurité.

– Pardon, monseigneur ; je suivaismilady, et je croyais qu’un de vos soldats vous accompagnait avecune torche. Dieu soit loué ! vous êtes sain et sauf, et laProvidence n’a pas permis que notre bon maître nous fût enlevé…Appuyez-vous sur mon bras, monseigneur.

– Maude, dit le baron qui n’avait garde dereprendre ses allures de fou furieux tant que le secours de lacamériste lui était nécessaire, Maude, tu rappelleras à ma mémoireque l’ivrogne endormi sur l’escalier de ma cave doit être réveillépar cinquante coups de fouet.

– Soyez tranquille, monseigneur, je nel’oublierai pas.

Ils étaient loin de penser que cet ivrognen’était plus qu’un cadavre ; les lueurs vacillantes de latorche ne l’éclairaient que faiblement, et le baron était troppréoccupé de l’accident arrivé à sa précieuse personne pourremarquer que les marches de l’escalier n’étaient pas tachées devin, mais de sang.

– Où allons-nous, monseigneur ? demandaMaude.

– Chez ma fille.

– Ah ! pauvre milady ! pensa lacamériste, il va recommencer à la torturer dès qu’il se sentira àl’aise dans un bon fauteuil.

Assise devant une petite table éclairée parune lampe de bronze, Christabel contemplait attentivement un petitobjet placé dans le creux de sa main ; cet objet, elle lecacha au bruit de l’entrée du baron.

– Quelle est cette bagatelle que vous venez desoustraire si prestement à mes regards ? demanda le baron ens’asseyant dans le fauteuil le plus moelleux de l’appartement.

– Bon, voilà déjà qu’il commence, murmuraMaude.

– Que dites-vous, Maude ?

– Je dis, monseigneur, que vous me paraissezéprouver de grandes souffrances.

Le soupçonneux baron lança à la jeune fille unregard plein de colère.

– Répondez, ma fille : quelle est cettebagatelle ?

– Ce n’est pas une bagatelle, mon père.

– Ce ne peut être autre chose.

– Nos opinions alors ne sont pas les mêmes,répliqua Christabel en s’efforçant de sourire.

– Une bonne fille n’a pas d’autres opinionsque celles de son père. Quelle est cette bagatelle ?

– Mais je vous jure que ce n’en est pasune.

– Ma fille, reprit le baron d’une voix calmepar extraordinaire, mais très sévère, ma fille, si l’objet que vousvenez de soustraire à mes regards ne se rattache à aucune fautecommise, ou ne vous rappelle aucun souvenir blâmable,montrez-le-moi ; je suis votre père, et comme tel je doisveiller sur votre conduite ; si au contraire c’est une espècede talisman, et si vous avez à rougir de sa possession,montrez-le-moi encore ; après mes droits j’ai des devoirs àremplir : vous empêcher de tomber dans l’abîme si vous marchezau bord, vous en retirer si vous y êtes déjà tombée. Encore unefois, ma fille, je vous demande quel est l’objet que vous cachezdans votre corsage.

– C’est un portrait, milord, répondit la jeunefille tremblante et rouge d’émotion.

– Et ce portrait est celui ?…

Christabel baissa les yeux sans répondre.

– N’abusez pas de ma patience… j’en aibeaucoup aujourd’hui, c’est vrai, mais n’en abusez pas ;répondez, c’est le portrait de…

– Je ne puis vous le dire, mon père.

Les larmes étouffèrent la voix deChristabel ; mais bientôt elle reprit d’un ton plusferme :

– Oui, mon père, vous avez le droit de mequestionner, mais, moi, j’oserai me donner celui de ne pas vousrépondre ; car ma conscience ne me reproche rien de contraireni à ma dignité ni à la vôtre.

– Bah ! votre conscience ne vous reprocherien parce qu’elle est d’accord avec vos sentiments ; c’esttrès joli, très moral ce que vous dites, ma fille.

– Veuillez me croire, mon père ; je nedéshonorerai jamais votre nom, je me souviens trop de ma pauvresainte mère.

– Ce qui veut dire que je suis un vieuxcoquin… Ah ! c’est convenu depuis longtemps, hurla lebaron ; mais je ne veux pas qu’on me le dise en face.

– Mais, mon père, je n’ai pas dit cela.

– Vous le pensez, alors. Bref, je me souciefort peu de la précieuse relique que vous me cachez avec tant depersistance ; c’est le portrait du mécréant que vous aimezmalgré ma volonté, et je n’ai déjà que trop vu sa diaboliquephysionomie. Maintenant, écoutez-moi bien, lady Christabel :vous n’épouserez jamais Allan Clare : je vous tuerais tousdeux de ma propre main plutôt que d’y consentir, et vous épouserezsir Tristram de Goldsborough…Il n’est pas très jeune, c’estvrai, mais il a quelques années de moins que moi, et je ne suis pasvieux… il n’est pas très beau, c’est encore vrai ; mais depuisquand la beauté donne-t-elle le bonheur en ménage ? Je n’étaispas beau, moi, et cependant milady Fitz-Alwine ne m’eût pas troquécontre le plus brillant chevalier de la cour de Henri II, etd’ailleurs la laideur de Tristram de Goldsborough est unesolide garantie pour votre future tranquillité… il ne vous sera pasinfidèle ; sachez aussi qu’il est immensément riche et trèsinfluent en cour ; en un mot, c’est l’homme qui me… qui vousconvient le mieux sous tous les rapports ; demain je luienverrai votre consentement ; dans quatre jours il viendralui-même vous remercier, et, avant la fin de la semaine vous serezune grande dame, milady.

– Je n’épouserai jamais cet homme, milord,s’écria la jeune fille, jamais ! jamais !

Le baron éclata de rire.

– On ne vous demande pas votre consentement,milady, mais on se charge de vous faire obéir.

Christabel, jusqu’alors pâle comme une morte,rougit, et pressant convulsivement ses mains l’une contre l’autre,parut prendre une détermination irrévocable.

– Je vous laisse à vos réflexions, ma fille,reprit le baron, si toutefois vous croyez qu’il soit utile deréfléchir. Mais rappelez-vous bien ceci : je veux, j’exige devotre part une obéissance entière, passive, absolue.

– Mon Dieu ! mon Dieu ! prenez pitiéde moi ! s’écria douloureusement Christabel.

Le baron s’éloigna en haussant lesépaules.

Pendant une heure entière, Fitz-Alwine arpentasa chambre en pensant aux événements de la soirée.

Les menaces d’Allan Clare effrayaient lebaron, et la volonté de sa fille lui paraissait indomptable.

– Je ferais peut-être mieux, se disait-il, detraiter cette question de mariage avec douceur. Après tout, j’aimecette enfant ; c’est ma fille, c’est mon sang ; je neveux pas qu’elle se regarde comme une victime de mesexigences ; je veux qu’elle soit heureuse, mais je veux aussiqu’elle épouse mon vieil ami Tristram, mon ancien compagnond’armes. Voyons, je vais essayer de réussir en la prenant par ladouceur.

Arrivé à la porte de Christabel, le barons’arrêta, et un sanglot déchirant parvint jusqu’à lui.

– Pauvre petite, pensa le baron en ouvrantdoucement la porte de la chambre.

La jeune fille écrivait.

– Ah ! ah ! se dit le baron qui necomprenant guère pourquoi sa fille avait acquis le talent d’écrire,réservé à cette époque au clergé seul. C’est encore ce sot d’AllanClare qui lui a mis en tête d’apprendre à barbouiller dupapier.

Et Fitz-Alwine s’avança sans bruit vers latable.

– À qui donc écrivez-vous, mademoiselle ?demanda-t-il d’un ton furieux.

Christabel poussa un cri et voulut cacher lepapier là où elle avait déjà caché le précieux portrait ; maisplus prompt qu’elle, le baron s’en empara. Éperdue, et oubliant queson noble père n’avait jamais pris la peine d’ouvrir un livre ni detenir une plume, et que par conséquent il ne savait pas lire, lajeune fille voulut s’échapper de l’appartement ; mais le baronla saisie par le bras, et, l’enlevant comme une plume, la retintprès de lui. Christabel s’évanouit. Les yeux brillants de fureur,le baron chercha à déchiffrer les caractères tracés par la main desa fille ; mais, ne pouvant y parvenir, il abaissa son regardsur le visage décoloré de la pauvre enfant, qui s’appuyait inaniméecontre sa poitrine.

– Oh ! les femmes ! lesfemmes ! vociféra le baron en portant Christabel sur unlit.

Cela fait, Fitz-Alwine ouvrit la porte enappelant d’une voix retentissante :

– Maude ! Maude !

La jeune fille accourut.

– Déshabillez votre maîtresse : et lebaron s’éloigna en grondant.

– Je suis seule avec vous, milady, dit Maudeen ranimant sa maîtresse ! ne craignez rien.

Christabel ouvrit les yeux et promena autourd’elle des regards éperdus ; mais, ne voyant plus auprès deson lit que sa fidèle servante, elle lui jeta les bras autour ducou en s’écriant :

– Oh, Maude ! je suis perdue,Maude !

– Chère lady, confiez-moi votre malheur.

– Mon père s’est emparé d’une lettre quej’écrivais à Allan.

– Mais il ne sait pas lire, votre noble père,milady.

– Il se fera lire ma lettre par sonconfesseur.

– Oui, si nous lui en laissons le temps ;donnez-moi vite un autre papier, un papier dont la forme soitsemblable à celui qui vous a été enlevé.

– Tiens, cette feuille volante a quelquesrapports…

– Soyez tranquille, milady, séchez vos beauxyeux ; les pleurs en ternissent l’éclat.

L’audacieuse Maude fit irruption dansl’appartement du baron au moment où celui-ci prêtait l’oreille àson vénérable confesseur, qui déjà tenait entre ses mains, pour lalire, la lettre de Christabel à Allan.

– Monseigneur, s’écria vivement Maude, miladym’envoie vous demander le papier que Votre Seigneurie a pris sur satable.

Et en disant cela la jeune fille glissait versle confesseur avec des allures de chatte.

– Ma fille est folle, par saint Dunstan !Quoi, elle ose te charger d’un pareil message ?

– Oui, monseigneur, et ce message, le voilàrempli ! s’écria Maude en s’emparant lestement du papier quele moine tenait déjà placé au bout de son nez pour mieux déchiffrerl’écriture.

– Insolente ! vociféra le baron ens’élançant à la poursuite de Maude.

La jeune fille bondit comme un faon jusqu’à laporte, mais sur le seuil elle se laissa atteindre.

– Rends-moi ce papier, ou jet’étrangle !

Maude baissa la tête, parut trembler de peur,et le baron arracha d’une des poches de son tablier, où elle tenaitses deux mains plongées, un papier en tout semblable à celui que leconfesseur devait déchiffrer.

– Tu mériterais une paire de soufflets,maudite pécore ! reprit le baron, levant une main sur Maude etde l’autre rendant le papier au moine.

– Je n’ai fait qu’obéir aux ordres demilady.

– Eh bien ! dis à ma fille qu’ellesupportera la peine de tes insolences.

– Je salue humblement monseigneur, répliquaMaude en ajoutant à ses paroles une révérence des plusironiques.

Enchantée de la réussite de son stratagème, lajeune fille rentra joyeusement dans la chambre de sa maîtresse.

– Voyons, mon père, nous sommes tranquillesmaintenant ; lisez-moi ce que mon indigne fille écrit à cepaïen d’Allan Clare.

Le moine commença d’une voixnasillarde :

– « Quand l’hiver moins rigoureux permetaux violettes de s’ouvrir,

« Quand les fleurs sont écloses et queles perce-neige annoncent le printemps,

« Quand ton cœur appelle les doux regardset les douces paroles,

« Quand tu souris de joie, penses-tu àmoi, mon amour ? »

– Qu’est-ce que vous me lisez là, monpère ? s’écria le baron : des sottises, Dieu medamne !

– Je déchiffre mot à mot ce qui est sur cepapier, mon fils ; vous plaît-il que je continue ?

– Certainement, mon père ; mais il mesemble que ma fille était trop agitée pour n’avoir point écritautre chose qu’une chanson stupide.

Le moine reprit sa lecture.

– « Quand le printemps couvre la terre deroses parfumées,

« Quand le soleil sourit dans leciel,

« Quand les jasmins fleurissent sous lesfenêtres,

« Envoies-tu vers celui qui t’aime unepensée d’amour ? »

– Au diable ! s’écria le baron ; onappelle cela des vers ; y en a-t-il encore beaucoup, monpère ?

– Quelques lignes, et rien autre chose.

– Cherchez, voyez à la dernière page.

– « Quand l’automne… »

– Assez ! assez ! hurlaFitz-Alwine ; la romance passe en revue les quatresaisons ; assez.

Néanmoins le vieillard continua :

– « Quand les feuilles détachées couvrentle gazon,

« Quand le ciel est couvert denuages,

« Quand le givre et la neige tombent,

« Penses-tu à celui qui t’aime, monamour ? »

– Mon amour, mon amour ! répéta lebaron ; mais ce n’est pas possible, Christabel n’écrivait pascette chanson quand je l’ai surprise. Je suis dupé, biendupé ; mais par saint Pierre ! ce ne sera pas pourlongtemps. Mon père, je désirerais être seul ; bonsoir, bonnenuit.

– Que la paix soit avec vous, mon fils, dit lemoine en se retirant.

Laissons le baron ruminer ses plans devengeance, et retournons auprès de Christabel et de l’espiègleMaude.

La jeune fille écrivait à Allan qu’elle étaitprête à quitter la maison de son père, et que les projets du baronrelativement à son mariage avec Tristram Goldsborough rendaientnécessaire cette cruelle détermination.

– Je me charge de faire parvenir cette lettreà messire Allan, dit Maude en prenant la missive ; et dans cebut, la jeune fille alla réveiller un jeune garçon de seize àdix-sept ans, son frère de lait.

– Halbert, lui dit-elle, veux-tu me rendre ungrand service, c’est-à-dire à lady Christabel ?

– Avec plaisir, répondit l’enfant.

– Je te préviens d’abord qu’il y a quelquesdangers à courir.

– Tant mieux, Maude.

– Je puis donc avoir confiance en toi, ajoutaMaude passant un de ses bras autour du cou de l’enfant et leregardant fixement de ses beaux yeux noirs.

– Confiance comme en Dieu, répliqua l’enfantnaïvement présomptueux, comme en Dieu, ma chère Maude.

– Oh ! je savais bien que je pouvaiscompter sur toi, cher frère ; merci.

– De quoi s’agit-il ?

– Il s’agit de te lever, de t’habiller et demonter à cheval.

– Rien de plus facile.

– Mais il faut que tu prennes le meilleurcoureur de l’écurie.

– Rien de plus facile encore. Ma jument, quiporte votre joli nom, Maude, est la première trotteuse ducomte.

– Je sais cela, cher enfant. Dépêche-toi, et,dès que tu seras prêt, viens me trouver dans la cour qui précède lepont-levis ; je t’y attendrai.

Dix minutes après, Halbert, tenant sa monturepar la bride, écoutait attentivement les instructions de l’adroitecamériste.

– Ainsi, disait-elle, tu traverseras la villeet une partie de la forêt, et de là tu gagneras une maison situéequelques milles en avant du bourg de Mansfeldwoohaus. Dans cettemaison habite un garde forestier nommé Gilbert Head ; tu luidonneras ce billet en le priant de le remettre à messire AllanClare ; et tu rendras au fils du forestier Robin Hood cet arcet ces flèches qui lui appartiennent. Voilà mes instructions ;les as-tu bien comprises ?

– Parfaitement, ma jolie Maude, répondit lejeune garçon ; vous n’avez pas d’autres ordres à medonner ?

– Non. Ah ! si, j’oubliais… Tu diras à ceRobin Hood, le propriétaire de cet arc et de ces flèches, tu luidiras… que l’on s’empressera de lui faire savoir à quel moment ilpourra venir au château sans courir de danger, car il y a ici unepersonne qui attend impatiemment son retour. Comprends-tu,Hal ?

– Certes, oui, je comprends.

– Fais bien en sorte d’éviter la rencontre dessoldats du baron.

– Pourquoi les éviterais-je, Maude ?

– Je te dirai pourquoi à ton retour, et, si lafatalité te jette sur leur route, invente un prétexte pourjustifier ta promenade nocturne, et garde-toi bien de leur parlerdu but de ton voyage. Va, mon brave cœur !

Halbert avait déjà le pied dans l’étrier dansMaude ajouta :

– Mais si tu rencontrais trois personnes dontl’une est un moine…

– Frère Tuck, n’est-ce pas ?

– Oui, tu n’irais pas bien loin ; sesdeux compagnons Allan Clare et Robin Hood, et tu t’acquitteraisaussitôt de tes commissions et reviendrais en toute hâte. Allons,en route ! ne manque pas de répondre à mon père, quand il tedemandera le motif de ta sortie du château, que tu vas à la villechercher un médecin pour lady Christabel qui est malade. Adieu,Hal, adieu ! je dirai à Grâce May que tu es le plus aimable etle plus courageux de tous les garçons de Christendon.

– Vraiment, Maude, répliqua Halbert en semettant en selle, tu auras la bonté de dire tout cela àGrâce ?

– Mais oui, et de plus, je la prierai de tepayer elle-même tous les baisers que je te dois pour le service quetu me rends.

– Hourra ! hourra ! cria l’enfant enéperonnant sa bête ; hourra pour Maude ! hourra pourGrâce !

Le pont-levis s’abaissa : Hal descenditau galop la colline, et, plus légère que l’hirondelle, Maudes’envola vers l’appartement de lady Christabel et annonçajoyeusement le départ du messager.

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