Robin Hood, le prince des voleurs – Tome I

Chapitre 13

 

Le front, les paupières ou plutôt la figureentièrement endommagée par les flammes de la torche auxquelles ellevenait de servir d’éteignoir, le sergent Lambic eut encore lachance de prendre, en pourchassant Robin, une direction tout à faitopposée à celle du fuyard.

Au temps où se passe cette histoire, lechâteau de Nottingham possédait une quantité prodigieuse depassages souterrains creusés dans les rochers de la colline ausommet de laquelle s’élevaient ses tours et ses muraillescrénelées ; peu d’individus, même parmi les plus ancienshabitants de la citadelle féodale, connaissaient exactement latopographie de ce sombre et mystérieux labyrinthe. Lambic et seshommes y vagabondèrent donc au hasard, et se séparèrent les uns desautres sans s’en apercevoir.

Lambic, presque aveuglé, nous l’avons dit,tourna le dos à Robin, laissa ses hommes s’éloigner à gauche, etarriva devant le grand escalier du château, en haut duquel il crutentendre le pas de ses hommes.

– Bon ! se dit-il, ils ont rattrapé lejeune drôle et le conduisent devant le baron ; il faut quej’arrive en même temps qu’eux, sinon ils se feraient un mérite deleur vigilance aux yeux de monseigneur, les stupidesbrutes !

Tout en grognant ainsi, le brave sergentarriva à la porte de l’antichambre du baron, et, prudent parexpérience, il voulut, avant de se montrer, savoir comment le vieuxFitz-Alwine accueillait le retour de ses hommes en compagnie duprisonnier ; il colla donc son oreille au trou de la serrure,et écouta le dialogue suivant :

– Cette lettre m’annonce, dites-vous, que sirTristram de Goldsborough ne peut venir à Nottingham ?

– Oui, monseigneur ; il est obligéd’aller à la Cour.

– Fâcheux contretemps !

– Et il vous prévient qu’il vous attendra àLondres.

– Tant pis ! Indique-t-il le jour denotre rendez-vous ?

– Non, monseigneur ; il vous prieseulement de vous mettre en route aussitôt que possible.

– Eh bien ! je partirai ce matin ;donnez des ordres pour qu’on prépare mes chevaux ; je veuxêtre accompagné par six hommes d’armes.

– Vous serez obéi, monseigneur.

Lambic, fort étonné de ce que Robin n’étaitpas là, s’imagina que les soldats l’avaient reconduit en prison etcourut s’en assurer ; mais la porte du cachot était toutegrande ouverte, le cachot vide, et la torche fumante encore gisaitpar terre.

– Holà ! je suis perdu ! se dit lesergent. Que faire ?

Et il revint machinalement à la porte du baronen osant espérer encore que les soldats y ramèneraient le damnéforestier. Pauvre Lambic ! il sentait déjà autour de son coul’étreinte d’une corde neuve. Cependant l’espérance, quin’abandonne jamais complètement les malheureux, l’espérance luisourit lorsque, ayant de nouveau collé son oreille au trou de laserrure, il reconnut que tout était calme et silencieux dansl’appartement. Le soldat fit le raisonnement suivant :

– Le baron dort, donc il n’est pas encolère ; il n’est pas en colère, donc il ignore que leforestier m’a glissé entre les mains comme une anguille ; ilignore la fuite du forestier, donc il ne me suppose pasrépréhensible, punissable, pendable ; donc je puis meprésenter devant lui sans crainte aucune, et lui rendre compte dema mission comme si je l’avais remplie à sa plus grandesatisfaction ; je gagnerai ainsi du temps, et pourrai savoirce qu’est devenu ce satané Robin, afin de le réintégrer dans soncachot, ou de l’y maintenir si mes deux stupides bêtes de soldatsont eu la chance de bien faire leur devoir. Je puis donc meprésenter sans crainte… oui, sans crainte, devant mon terrible ettout-puissant seigneur… Entrons. Mais il dort, il dort !Oh ! alors autant vaudrait accoster un tigre affamé et sepermettre de lui caresser le dos ! pas si fou ne suis-jed’éveiller monseigneur. Oh ! oh ! cependant, continuait àse dire le pauvre Lambic, tremblant et rassuré tour à tour, tour àtour timide et fanfaron, cependant si le baron ne dormaitpas ? Tant mieux, ce serait alors le vrai moment d’entrer,cela prouverait derechef qu’il ignore ma mésaventure. Vraiment,s’il ne dort pas, ce calme et ce silence tiennent du prodige !Mais j’y pense, essayons un peu de gratter le bois de la porte, etsi ce bruit est trop mal accueilli, j’aurai le temps de mesauver.

Lambic gratta légèrement de l’ongle sur lemilieu de la porte à l’endroit où il y a le plus de sonorité. Cetteespèce de provocation demeura sans résultat, et le silence del’intérieur ne fut pas troublé.

– Décidément il dort, pensa de nouveau Lambic.Eh ! non, imbécile que je suis ! il est sorti ; ilest auprès de sa fille, sinon je l’entendrais encore, car il dorten grondant.

Poussé par une diabolique curiosité, lesergent manœuvra doucement la clef de la porte, qui tourna sansgrincer sur ses gonds, et lui permit d’allonger le cou pourembrasser d’un premier coup d’œil l’appartement en son entier.

– Miséricorde !

Ce cri de terreur expira sur les lèvres deLambic, le froid et l’immobilité de la mort le saisirent, et ildemeura enchâssé dans l’entrebâillement de la porte, tandis que lebaron, muet d’étonnement lui-même et stupéfait de tant d’audace, lefoudroyait de ses regards.

Ce malheureux Lambic, la chance lui étaittoujours contraire, un mauvais génie s’acharnait sur sa personne,et la fatalité voulut qu’il troublât le baron juste au moment où levieux pécheur, agenouillé devant son confesseur, demandait uneabsolution avant de partir pour Londres.

– Misérable ! gueux ! infâmesacrilège ! espion du confessionnal ! envoyé deSatan ! traître vendu au diable ! que viens-tu faireici ? s’écria le baron qui pouvait enfin respirer et lâcherles écluses de sa fureur. Qui donc en ce château est le maître oule valet ? est-ce toi le maître ? est-ce moi levalet ? La corde au cou, pâture à corbeau ! et je nemonterai pas à cheval avant que tu n’aies monté l’échelle de mapotence.

– Calmez-vous, mon fils, dit le vieux moineconfesseur, Dieu est miséricordieux.

– Dieu n’est pas servi par de pareilssacripants, reprit le baron en se relevant ivre de fureur. Ici,coquin ! ajouta-t-il après avoir tournoyé dans la chambrecomme une hyène dans sa cage ; ici à genoux, prends ma place,et confesse-toi avant de mourir.

Lambic ne quittait pas le seuil de la porte,et quoiqu’il eût perdu tout esprit d’à-propos, il cherchaitnéanmoins à profiter d’un temps d’arrêt dans la colère de sonmaître pour risquer une justification. Le baron, dont les penséeset les paroles se succédaient incohérentes, lui offrit sans levouloir l’occasion de se disculper.

– Que me voulais-tu ? demanda-t-il tout àcoup, parle.

– Milord, j’ai frappé plusieurs fois à laporte, répondit humblement le sergent, j’ai cru qu’il n’y avaitpersonne, et j’ai pensé…

– Oui, tu as pensé à profiter de mon absencepour me voler.

– Oh ! milord…

– Pour me voler !

– Je suis soldat, milord, répondit Lambic avecfierté.

Cette accusation de vol ranimait son couragenaturel, et il ne redoutait plus la prison, les coups de bâton etla corde.

– Tudieu ! quelle notreindignation ! dit le baron en riant ironiquement.

– Oui, milord, je suis soldat, soldat auservice de Votre Seigneurie, et Votre Seigneurie n’a jamais eu devoleurs pour soldats.

– Ma Seigneurie peut et veut, s’il lui plaît,appeler voleurs ses soldats ; Ma Seigneurie n’a pas às’enquérir de leurs vertus privées ; Ma Seigneurie enfin atrop de bon sens pour supposer que votre visite, messire Lambic,visite dont vous m’honorez juste au moment où vous me croyezabsent, n’ait pas eu un but autre que celui de m’apprendre que vousêtes un honnête homme. Bref, voleur ou honnête homme, pourquoies-tu venu ici ? Tu me rendras compte ensuite del’incarcération de notre jeune loup.

Lambic trembla de nouveau, la demande du baronlui prouvait que la fuite de Robin n’était pas encore connue, et ilredoutait une crise des plus violentes dès qu’il expliquerait aubaron la cause des brûlures de son visage ; il restait doncimmobile devant son terrible maître, les yeux stupidementécarquillés, la bouche béante, les bras pendants.

– Eh ! d’où viens-tu ? s’écria toutà coup le baron examinant la figure de Lambic. Parbleu !j’avais bien raison tout à l’heure de t’appeler évadé del’enfer ; car tu n’as pu roussir ainsi ton museau qu’enrendant visite au diable.

– C’est une torche qui m’a brûlé, milord.

– Une torche !

– Pardon, milord ; mais Votre Seigneuriene sait pas que cette torche…

– Que me chantes-tu là ? Abrège ; dequelle torche parles-tu ?

– De la torche de Robin.

– Encore Robin ! s’écria le baron d’unevoix de tonnerre en allant décrocher son épée.

– Bon ! me voilà décidément emballé etexpédié pour l’autre monde, pensa Lambic, qui se repliainstinctivement sur le seuil de la porte et se tint prêt à fuir àla première botte que lui enverrait le baron.

– Encore Robin ! Où est-il, Robin ?criait le baron battant l’air de sa flamberge ; où est-il queje vous embroche de compagnie ?

Lambic avait déjà la moitié du corps hors del’appartement, et se cramponnait des mains au bord de la porte,afin de la tirer sur lui si la pointe de la flamberge le menaçaitde trop près.

– Mon fils, dit le vieux moine, les Philistinsallaient être frappés ; mais ils prièrent Dieu, et l’épéerentra au fourreau.

Fitz-Alwine jeta son épée sur la table, ets’élança vers Lambic, qui ne faisait plus mine de vouloir sesauver.

– Je demande encore, dit-il en le saisissantpar le collet de son pourpoint et en l’entraînant jusqu’au milieude la chambre, je demande ce que tu viens faire ici ? Jedésire savoir en même temps quels rapports existent entre Robin,une torche et ton hideux visage ? Réponds vivement etclairement, sinon voilà qui n’est pas une épée et que la clémencene fera pas rentrer au fourreau.

En disant cela, Fitz-Alwine montrait du doigt,dans un angle de l’appartement, la longue et grosse canne à pommed’or, je jonc presque phénoménal sur lequel il s’appuyait lors deses promenades sur les remparts.

– Milord, repartit vivement le sergent quivenait d’inventer un biais afin d’éluder une réponse catégorique,je venais, milord, vous demander ce que Votre Seigneurie comptefaire de ce Robin Hood.

– Eh ! morbleu ! je veux qu’il restedans le cachot où il est enfermé.

– Veuillez me dire, milord, où est cecachot ; j’y veillerai.

– Ne le sais-tu pas ? tu l’y as conduitvoici à peine une heure.

– Mais il n’y est plus, milord. J’avais donnéordre à mes soldats de le ramener devant vous, et je pensais quevous aviez fait choix d’une autre prison… C’est dans ce cachot,milord, qu’il m’a brûlé la figure.

– Ah ! c’est trop fort ! hurlaFitz-Alwine qui fit un pas vers le jonc à pomme d’or, tandis queLambic tournait à demi la tête et calculait d’un œil inquiet s’ilaurait le temps de fuir avant que l’orage n’éclatât.

Les coups allaient donc tomber comme grêle,car, malgré sa goutte, le baron n’était pas manchot, lorsqueLambic, poussé à bout, oublia l’inviolabilité de son seigneur,bondit au-devant de lui, lui arracha le jonc des mains, lui saisitles deux bras au-dessus de chaque poignet, et, avec autant derespect que le permettait la circonstance, le fit vivement reculer,le laissa choir dans son grand fauteuil de goutteux, et se sauva àtoutes jambes.

À toutes jambes aussi le vieux Fitz-Alwine,auquel l’excitation du moment rendait un peu d’agilité, voulutpoursuivre cet audacieux vassal ; mais les deux soldats quirevenaient de leur expédition à la recherche de Robin luiépargnèrent cette fatigue, car, aux cris poussés par lui :« Arrêtez ! arrêtez ! » ils barrèrent lepassage au sergent, qui n’était pas encore sorti del’antichambre.

– Arrière ! fit le sergent en repoussantses deux subordonnés, arrière !

Mais Fitz-Alwine courut fermer la porte desortie ; toute résistance était donc inutile désormais, et lemalheureux Lambic attendait, plongé dans une morne stupeur, qu’ilplût à son haut et puissant seigneur de se prononcer sur sonsort.

Par un de ces phénomènes bizarres,inexplicables, et qui peut-être sont dans l’ordre moral ce que sontleurs analogues dans l’ordre physique de la nature, la colère dubaron sembla calmée après cet épisode de rébellion, de même que legrand vent s’abat après une pluie légère.

– Demande-moi pardon, dit tranquillementFitz-Alwine, qui, tout essoufflé, se laissa tomber, volontairementcette fois-ci, dans son grand fauteuil ; allons, maîtreLambic, demande-moi pardon ?

Le baron ne manifestait peut-être cettetranquillité, cette mansuétude que parce qu’il n’avait plus laforce de maintenir ses fureurs à leur diapason habituel ; maiscela ne pouvait durer longtemps ainsi, et, à mesure que leshésitations craintives de Lambic se prolongeaient, à mesure aussique la respiration du baron se régularisait, les bouillonnements desa colère augmentaient d’intensité, et l’explosion de cette colèredevenait imminente.

– Ah ! tu refuses de me demanderpardon ! eh bien ! ajouta Fitz-Alwine d’un toncruellement sardonique, fais un acte de contrition : c’estfort utile avant la mort.

– Milord, voilà ce qui s’est passé, et cesdeux hommes pourront témoigner de la vérité.

– Deux coquins comme toi !

– Je ne suis pas si coupable que vous lepensez, milord ; j’allais fermer la porte du cachot, quandRobin Hood…

Nous ne suivrons pas le sergent dans sonverbeux récit, entrecoupé de réticences à son avantage, noslecteurs n’apprendraient rien de nouveau ; le baron l’écouta,non sans hurler de fureur, en trépignant et en se démenant dans sonfauteuil autant que le diable, dit-on, quand un bénitier lui sertde baignoire, et il résuma ses menaces de châtiment par cettephrase d’un effrayant laconisme :

– Si Robin s’est échappé du château, vous nem’échapperez pas, vous autres ! À lui la liberté, à vous lamort.

Soudain retentit un coup violemment frappé àla porte de la chambre.

– Entrez ! cria le comte.

Un soldat entra et dit :

– Que le très-honorable lord me pardonne sij’ose me présenter devant Sa très-honorable personne sans êtremandé par Sa très-honorable Seigneurie ; mais l’événement quivient de se passer est si extraordinaire, si terrible, que j’ai cruobéir au devoir en venant l’annoncer immédiatement autrès-honorable maître de ce château.

– Parle ; mais pas d’histoire sansfin.

– Votre très-honorable Seigneurie serasatisfaite ; l’histoire que j’ai à raconter a une fin, et ellesera aussi courte qu’elle est effrayante ; je sais qu’un bonsoldat doit fatiguer son arc et ménager sa langue, et comme je suisun bon…

– À l’histoire, à l’histoire, imbécile !cria le baron.

Le soldat s’inclina courtoisement etreprit :

– Et comme je suis un bon soldat, je n’oubliejamais ce principe.

– Bavard infernal ! tais-toi si tu n’asqu’à nous parler de ton mérite, ou raconte ton histoire.

Le soldat s’inclina de nouveau et repritimperturbablement :

– Mon devoir m’ordonnait…

– Encore ! vociféra Fitz-Alwine.

– Mon devoir m’ordonnait de relever lefactionnaire de la chapelle…

– Ah ! nous y sommes, pensa le baron, etil écouta attentivement.

– Je m’y transportai voilà cinq ou dixminutes, comme il plaira à Votre très-honorable Seigneurie ;arrivé à la porte du saint lieu, je n’y trouvai point desentinelle ; il devait y en avoir cependant, puisque je venaispour la relever. « Elle y est », pensai-je, « Allonsau poste, allons requérir main-forte afin d’appréhender ledélinquant, pour qu’il lui soit infligé une punition exemplaire,nonobstant la punition infligée de mon chef. » J’arrivai auposte en criant : « Sergent, hors la garde ! »personne ne sortit du poste ; j’y entrai ; personneau-dedans. « Oh ! oh ! » pensai-je…

– Au diable tes pensées ! bavard !Arrive au fait ! cria le baron impatienté.

Le soldat exécuta de nouveau son salutmilitaire, et reprit :

– « Oh ! oh ! pensai-je »,les devoirs du soldat sont méconnus dans la garnison du châtimentde Nottingham. La discipline s’est relâchée, et les conséquences dece relâchement…

– Mille dieux ! tu divagueras donctoujours, crétin bavard ! chien prolixe ! s’exclama lebaron.

– Chien prolixe ! murmura à part lui lesoldat qui s’interrompit à cette épithète, chien prolixe ! moiqui suis grand chasseur, je ne connais pas encore cette race dechiens. C’est égal, continuons. Les conséquences de ce relâchementpeuvent être funestes ; je n’eus pas de peine à retrouver leshommes du poste attablés dans la cantine, et nous entreprîmesimmédiatement une visite minutieuse et intelligente des abords dusaint lieu et de son intérieur. Aux abords, rien de particulier,sauf l’absence continue de la sentinelle ; mais à l’intérieur,cette même sentinelle était présente, et dans quel état, grandDieu ! présente comme les morts sur le champ de bataille,c’est-à-dire couchée par terre, sans vie, baignée dans son sang etle crâne traversé par une flèche…

– Grand Dieu ! s’écria le baron. Qui a pucommettre ce crime ?

– Je l’ignore, je n’étais pas présent ;mais…

– Qui est mort ainsi ?

– Gaspard Steinkoff… un rude soldat.

– Et tu ne connais pas l’assassin ?

– J’ai déjà eu l’honneur de dire à Votrehonorable Seigneurie que je n’étais pas présent lors de laconsommation du crime ; mais, afin de favoriser les recherchesde Monseigneur, j’ai eu l’esprit de m’emparer de la flèchehomicide… la voilà.

– Cette flèche ne sort pas de mon arsenal, ditle baron après l’avoir examinée attentivement.

– Mais, avec tout le respect que je dois à Sonhonorable Seigneurie, reprit le soldat, je lui ferai observer quecette flèche, ne sortant pas de son arsenal, doit sortird’ailleurs, et que je crois en avoir remarqué de semblables dans uncarquois que portait ce soir un de novices écuyers.

– Quel novice ?

– Halbert. Le carquois et l’arc que nous avonsvus entre les mains de ce jeune garçon appartiennent à l’un desprisonniers de Sa Seigneurie, au nommé Robin Hood.

– Vite, allez chercher Halbert, et amenez-ledevant moi, ordonna le baron.

– J’ai vu, ajouta le même soldat, Hal serendre il y a une heure, en compagnie de la demoiselle Maude, versla demeure de lady Christabel.

– Allumez une torche et suivez-moi ! criale baron.

Suivi de Lambic et de l’escorte, le baron, quine se ressentait plus de sa goutte, marcha rapidement versl’appartement de sa fille. Arrivé à la porte, il frappa ; maisne recevant pas de réponse, il ouvrit et se précipita àl’intérieur. Obscurité profonde, silence complet. En vain le baronparcourut-il le cabinet et les autres chambres dépendant del’appartement : partout même silence et même obscurité.

– Partie ! elle est partie, s’écria lebaron avec angoisse ; et, d’une voix déchirante, ilappela : Christabel ! Christabel !

Mais Christabel ne répondit pas.

– Partie ! partie ! répétait lebaron en se tordant les mains et en se laissant tomber sur le mêmesiège où il l’avait surprise écrivant à Allan Clare. Partie aveclui ! ma fille, ma Christabel !

Cependant l’espoir de rejoindre la jeune filledans sa fuite rendit au pauvre père un peu de sang-froid.

– Alerte ! vous autres, cria-t-il d’unevoix de tonnerre ; alerte ! partagez-vous en deuxbandes : l’une fouillera le château du haut en bas, de long enlarge, partout enfin elle fouillera, partout… l’autre à cheval, etque pas un taillis, pas un fourré, pas un buisson de la forêt deSherwood n’échappe à vos investigations… Allez…

Les soldats s’ébranlaient pour sortir quand lebaron reprit :

– Qu’on dise à Hubert Lindsay, le porte-clefs,de venir ici ; c’est Maude Jézabel, sa damnée fille, qui acomploté la fuite et il va payer pour elle. Dites aussi à vingt demes cavaliers de seller leurs courtauds et de se tenir prêts àpartir au premier ordre. Allez, mais allez donc,misérables !

Les soldats partirent en toute hâte, et Lambicprofita de l’événement pour s’éloigner hors de portée des griffesde son irascible maître.

Resté seul, le baron divagua tour à tour,emporté par les frénésies de la colère et par les désolations deson cœur. Il aimait sincèrement sa fille, et la honte qu’ilressentait de sa fuite avec un homme était moins grande encore quesa douleur en pensant que désormais il ne la verrait plus, nel’embrasserait plus, et même ne la tyranniserait plus.

Ce fut durant ces alternatives de fureur et dedésespoir que le vieil Hubert Lindsay parut. Malheureusement pourlui il arrivait avant la fin d’un accès de colère.

– Puisqu’ils ne savent pas faire leur métierde soldat, je les exterminerai tous ! vociférait le baron, etje ne laisserai pas sur terre l’ombre d’un fantôme, d’un seul deces mécréants, car cette ombre pourrait dire : « J’aiaidé Christabel à tromper son père ! » Oui, oui, je lejure par tous les saints apôtres et par les barbes de mes aïeux, jen’en épargnerai pas un seul ! Ah ! te voilà, maîtreHubert Lindsay, gardien porte-clefs du château de Nottingham !te voilà !

– Votre Seigneurie m’a fait demander, dit levieillard d’une voix calme.

Le baron ne répondit pas, mais il lui sauta àla gorge comme sauterait une bête féroce, le traîna au milieu de lachambre, et lui dit en le secouant rudement :

– Scélérat ! ma fille, où est-elle ?réponds, ou je t’étrangle !

– Votre fille, milord ? mais je n’en saisrien, répondit Hubert plus surpris qu’épouvanté de la colère de sonmaître.

– Imposteur !

Hubert se dégagea de l’étreinte du baron, etrépondit froidement :

– Milord, faites-moi l’honneur de m’expliquerle motif de votre étrange question, et j’y répondrai… Mais sachezbien, milord, que je ne suis qu’un pauvre homme, honnête, franc etloyal, qui de sa vie n’a eu à rougir d’aucune faute. Vous metueriez sur-le-champ qu’il me serait égal de mourir sansconfession, car je n’ai rien à me reprocher ; vous êtes monseigneur et maître, interrogez-moi, je répondrai à toutes vosquestions, non par crainte, mais par devoir, par respect…

– Qui est sorti du château depuis deuxheures ?

– Je l’ignore, milord ; depuis deuxheures j’ai remis les clefs à mon second, Michaël Walden.

– Est-ce bien vrai ?

– Aussi vrai que vous êtes mon seigneur etmaître.

– Qui est sorti pendant que tu étais encore degarde ?

– Halbert, le jeune écuyer ; il m’adit : « Milady est malade, et j’ai ordre d’aller chercherun médecin. »

–Ah ! voilà le complot ! s’écria lebaron. Il t’a menti : Christabel n’était pas malade, Halsortait pour préparer sa fuite.

– Quoi ! milady vous a quitté,monseigneur ?

– Oui, l’ingrate a abandonné son vieux père,et ta fille est partie avec elle.

– Maude ? Oh, non, monseigneur, c’estimpossible ; je vais la chercher, elle est dans sachambre.

Le sergent Lambic, qui était bien aise demontrer son zèle, entra précipitamment.

– Milord, s’écria-t-il, vos cavaliers sontprêts. J’ai vainement cherché Halbert par tout le château ; ily était rentré avec moi et Robin, et n’en est pas ressorti par lagrande porte, Michaël Walden l’affirme sous serment ; personnen’a franchi le pont-levis depuis deux heures.

– Qu’importe tout cela ! reprit le baron.La mort de Gaspard n’est pas un crime inutile. Lambic ! ajoutaFitz-Alwine après un instant de silence.

– Milord.

– Tu es allé cette nuit jusqu’à la maison d’ungarde nommé Gilbert Head, non loin de Mansfeldwoohaus ?

– Oui, milord.

– Eh bien c’est là que demeure l’infernalRobin Hood, et c’est là sans doute que mon ingrate fille doitretrouver un mécréant qui… Ne parlons plus de cela… Lambic, monte àcheval avec tes hommes, cours à cette maison, empare-toi desfugitifs, et ne reviens ici qu’après avoir brûlé ce repaire debrigands.

– Oui, milord.

Et Lambic disparut.

Hubert Lindsay, rentré depuis quelquesminutes, demeurait debout à l’écart, morne, silencieux, les brascroisés et la tête penchée.

– Mon vieux serviteur, lui dit Fitz-Alwine, jene veux pas que la colère me fasse oublier que depuis longuesannées nous vivons près l’un de l’autre ; tu m’as toujours étéfidèle ; tu m’as sauvé deux fois la vie ; eh bien !mon vieux frère d’armes, oublie mes colères, mes brutalités, mesinjustices peut-être, et, si tu aimes ta fille comme j’aime lamienne, prête-moi encore le secours de ton courage et de tonexpérience pour ramener au bercail les brebis égarées… car Maudeest sans doute partie avec Christabel.

– Hélas ! monseigneur, sa chambre estvide, dit le vieillard en sanglotant.

Cette sincère affliction aurait dû prouver aubaron que Hubert n’était pas complice de la fuite des jeunesfilles, mais ce singulier gentilhomme, aussi soupçonneuxqu’irascible, avait la conviction qu’un inférieur doit toujourstromper un supérieur, un vilain un noble, un prêtre un prélat, unsoldat un officier, et ainsi de suite. Il crut donc tendre un piègeà Hubert en lui disant :

– N’existe-t-il pas dans les passagessouterrains du château une issue qui donne dans la forêt deSherwood ?

Le baron connaissait parfaitement l’existencede cette sortie, mais il ignorait sa position exacte ; Hubertet sans doute aussi sa fille étaient mieux renseignés que lui.

– Ah ! pensait-il en faisant cettequestion, si mademoiselle Maude a piloté ma fille par-dessousterre, je lui payerai au grand jour ses frais de conduite.

Hubert, franc et loyal, nous l’avons dit, crutdevoir aider son maître à retrouver la jeune lady : il étaitd’ailleurs intéressé autant que le baron à rattraper les fugitives,aussi s’empressa-t-il de répondre :

– Oui, milord, les souterrains ont une sortiesur la forêt, et je connais tous les détours qui y conduisent.

– Maude est-elle aussi savante quetoi ?

– Non, milord, du moins je ne le pensepas.

– Personne autre que toi ne possède donc cesecret ?

– Il y en a trois autres, milord :Michaël Walden, Gaspard Steinkoff et Halbert.

– Halbert ! s’écria le baron pris d’unnouvel accès de rage, Halbert ! mais c’est lui qui leur aservi de guide ! Holà ! une torche, des torches,fouillons le souterrain !

Hubert était récompensé de sa franchise ;le baron, ne se méfiant plus de lui, lui prodiguait des nomsd’amitié et des serments de reconnaissance.

– Courage, maître, disait le vieillard pendantqu’on préparait les torches et que les hommes accouraient pourservir d’escorte : courage, Dieu nous les rendra !

Le désespoir de ces deux vieillards étaitnavrant. Séparés par leur naissance, par l’orgueil de la race, parleur genre de vie, ils se réunissaient pour conjurer un malheurcommun, ils étaient égaux dans la douleur.

Le baron et Hubert, suivis de six hommesd’armes, traversèrent la chapelle sans s’arrêter au cadavre deGaspard, et s’enfoncèrent dans le souterrain. À peine y avaient-ilsfait quelques pas qu’un bruit lointain de voix parvint aux oreillesde Fitz-Alwine.

– Ah ! s’écria-t-il, nous lestenons ! Avance, Hubert, avance !

Hubert marchait en tête.

Le bruit entendu par le baron recommença.

– Monseigneur, dit le vieillard, ce que vousentendez ne provient pas du passage conduisant à la forêt.

– N’importe, ce sont eux, avance, avancedonc !

Le passage se bifurquait en cet endroit, etils se dirigèrent du côté du bruit. Le bruit augmenta ; descris retentirent.

– Bien, bien, ils crient au secours !Nous voilà, mes enfants, nous voilà !

– Alors ils se sont trompés de chemin, ditHubert.

– Tant mieux, répliqua le baron, dont latendresse paternelle faisait déjà place à une soif de vengeance desplus ardentes ; tant mieux !

Hubert, qui marchait quelques pas en avant,s’arrêta pour écouter.

– Milord, dit-il, je vous jure que cesclameurs ne sont pas poussées par les fugitifs ; nous quittonsle bon chemin en allant de ce côté et nous perdons du temps.

– Viens avec moi ! s’écria le baron,lançant un regard furieux au porte-clefs, qu’il recommençait àsoupçonner d’intelligence avec les fugitifs. Viens, et vous,attendez-nous ici !

– À vos ordres, milord, répondit Hubert.

Les deux vieillards s’avancèrent du côté dubruit : de minute en minute les cris devenaient plusdistincts.

– Sur mon âme, murmurait Hubert, mon maîtredevient fou ! croit-il donc qu’en fuyant on fasse tant debruit ? Les gens qui font ce bruit parlent à tue-tête, et, mafoi ! je crois qu’ils viennent au-devant de nous.

À peine achevait-il ces mots que deux soldatsapparurent aux yeux étonnés du baron.

– Et d’où venez-vous, mécréants ?

– De poursuivre le prisonnier Robin Hood,répondirent ces malheureux, épuisés de fatigue et saisis deterreur. Nous nous sommes égarés, milord, ajoutèrent-ils ;nous nous croyions perdus à jamais quand la Providence a envoyéVotre honorable Seigneurie à notre secours ; nous vous avonsentendus venir de loin, et nous sommes accourus au-devant de vouspour vous épargner du chemin.

Fitz-Alwine ne savait plus à quel diable sevouer dans son désappointement, quand un des soldats entreprit delui raconter la fuite de Robin Hood.

– Assez, assez, imbéciles ! s’écria-t-il.Depuis que vous vous êtes perdus dans ce souterrain, où vousdevriez être condamnés à mourir de faim, depuis lors, dites-moi sivous avez entendu quelque bruit suspect dans ces galeries.

– Rien absolument, milord.

– Courons, Hubert, courons, il faut rattraperle temps perdu !

Ce temps perdu avait sauvé les fugitifs. Unquart d’heure après la petite troupe débouchait dans la forêt, etil n’était plus permis de douter que les fugitifs n’eussent suivicette voie. La porte du souterrain, fermée d’ordinaire, était toutegrande ouverte.

– Mes pressentiments ne m’avaient pastrompé ! s’écria le baron. Allez, soldats, partez, battez laforêt en tous sens ; je promets cent pièces d’or à quiramènera au château lady Christabel et les infâmes qui l’ontentraînée.

Le baron, accompagné d’Hubert seul, revint surses pas et rentra dans son appartement ; puis, au lieu deprendre un repos dont il avait grand besoin, il revêtit une cottede mailles, ceignit sa flamberge, et, brandissant sa lance aupennon bigarré des couleurs de sa maison, monta prestement àcheval, et s’élança en tête de vingt hommes sur la route deMansfeldwoohaus.

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