Robin Hood, le prince des voleurs – Tome I

Chapitre 6

 

Le prisonnier écouta longtemps les millebruits confus du dehors, et lorsque le pas des hommes d’armes netroubla plus le silence des galeries, il se mit à réfléchir sur lagravité de sa position.

La colère, les menaces du tout-puissantchâtelain ne l’épouvantaient guère, et il ne pensait, le nobleenfant, qu’aux inquiétudes et à la douleur de Gilbert et deMarguerite qui l’attendraient en vain, ce soir, demain et pluslongtemps peut-être.

Ces tristes pensées éveillèrent en Robin unviolent désir de liberté, et, de même qu’un lionceau captiftournoie sans cesse autour de sa cage pour découvrir une issue, demême Robin tournoya autour de son cachot, frappant le sol du pied,mesurant la hauteur de la lucarne, étudiant les murailles, etsupputant ce qu’il lui faudrait de force, de ruse ou d’adresse pourbriser ou se faire ouvrir une porte bardée de fer, dont la clefdevait être entre les mains du brutal cerbère.

Le cachot était petit et percé de troisouvertures : la porte, avec une petite lucarne au-dessus, etvis-à-vis une autre lucarne plus grande ; cette dernière,élevée de dix pieds au-dessus du sol, était garnie d’épaisbarreaux ; l’ameublement se composait d’une table, d’un bancet d’une botte de paille.

– Évidemment, se disait Robin, le baron ne semontre pas aussi cruel qu’il est injuste, puisqu’il me laisse piedset mains libres ; profitons-en et voyons un peu ce qui sepasse là-haut.

Et, plaçant le banc sur la table, Robin grimpajusqu’à la lucarne à l’aide de ce banc dressé debout le long de lamuraille.

Ô bonheur ! sa main vient de saisir undes barreaux, et il reconnaît que ces barreaux, au lieu d’être enfer, ne sont qu’en chêne, et en chêne vermoulu. Il les ébranlefacilement, facilement aussi il pourra les briser ; et quandmême ils résisteraient à son poignet, ne sont-ils pas assez espacéspour que sa tête passe entre eux, et ne sait-il pas que là où latête passe le corps peut suivre ?

Enchanté de cette découverte, notre hérosjugea utile de reconnaître la position de l’autre côté, afin de nepas compromettre ses chances d’évasion ; un gardien veillaitpeut-être sournoisement dans le corridor et approcherait au premierbruit suspect.

Le banc fut donc dressé le long de la porte,et la tête intelligente du prisonnier s’encadra dans la lucarne.Mais elle n’y demeura pas une minute, pas une seconde, pas mêmemoins qu’une demi-seconde, car un soldat se glissait le long du murde la galerie et s’approchait de la porte, afin sans doute d’épierpar le trou de la serrure les occupations du prisonnier.

Robin chanta tout à coup une de ses plusjoyeuses ballades, et entre deux couplets il entendit les pas dusoldat qui s’éloignait, puis il revenait avec précaution pours’éloigner de nouveau et revenir encore. Ce manège, ces allées etvenues durèrent un bon quart d’heure.

– Si le gaillard, – pensait Robin, – continuesa promenade pendant toute la nuit, je cours grand risque d’êtreencore là au point du jour. Je ne pourrai jamais prendre mon volpar là-haut sans qu’il m’entende.

Déjà depuis quelques instants un profondsilence régnait dans la galerie, et le promeneur semblait avoirrenoncé à son espionnage ; mais Robin, qui en sa qualité derusé chasseur connaissait toutes les feintes, jugea que dans cettecirconstance il était plus prudent de s’en rapporter au témoignagedes yeux qu’à celui des oreilles, et se hasarda à utiliser uneseconde fois le judas de son cachot.

Et bien lui en prit, car au lieu d’un espionle jeune homme en vit deux, deux aux écoutes et collés nez à nezsur la porte.

Au même instant la jolie Maude, un flambeaud’une main et quelques objets de l’autre, apparaissait à uneextrémité de la galerie et poussait un cri de surprise en voyantpoindre la tête de Robin au-dessus de cette paire de geôliers.

Aussi léger que la feuille qui tombe, Robin selaissa tomber sur le sol, et écouta plein d’anxiété ce qui allaitse passer ; la voix de Maude avait heureusement masqué lebruit de sa chute, et il entendit la jeune fille gourmander lessoldats et babiller avec une volubilité toute féminine afin dedonner des prétextes à son cri de surprise ou d’épouvante.

Robin se hâta alors de remettre le banc et latable à leurs places respectives, ce qu’il fit en chantant àtue-tête, et en se demandant pourquoi Maude errait ainsi dans lechâteau au milieu de la nuit. Maude, la jolie Maude, ne tarda pas àlui donner le mot de cette énigme, car, après quelques pourparlersconciliateurs avec les geôliers, elle entra radieuse dans lecachot, déposa des vivres et des rafraîchissements sur la table, etexigea qu’on la laissât seule avec le prisonnier afin d’échangeravec lui quelques paroles.

– Eh bien ! jeune forestier, dit la belleenfant dès que la porte fut fermée, vous voilà dans une belleposition ; vous ressemblez à un rossignol en cage, et j’aigrand’peur que cette cage ne s’ouvre pas de sitôt, car le baron estdans une colère épouvantable ; il jure, il tempête, et ilparle de vous traiter comme il a traité les Maures Mécréants de laterre sainte.

– Soyez ma compagne de captivité, charmanteMaude, répliqua Robin en embrassant la jeune fille, et je neregretterai pas ma liberté.

– Pas tant de hardiesse, messire, s’écria lajeune fille en se dégageant de l’étreinte de Robin ; vousn’agissez pas en galant chevalier.

– Pardon, vous êtes si belle que… Mais causonssérieusement ; asseyez-vous là et mettez vos deux mains dansles miennes ; bien, merci. Dites-moi maintenant si vous savezce qu’est devenu Allan Clare, mon compagnon de route, celui qui estentré dans le château avec moi et votre oncle Tuck.

– Hélas ! il est dans un cachot plussombre et plus affreux que celui-ci ; il a osé dire à SaSeigneurie : « Infâme coquin, j’épouserai malgré toi ladyChristabel. » Au moment où votre imprudent ami prononçait cesparoles, j’entrai dans la chambre du baron avec ma jeune maîtresse.À la vue de milady, sir Allan Clare s’est oublié au point des’élancer vers elle, de la prendre dans ses bras, de l’embrasser ens’écriant : « Christabel, ma chère et bien-aiméeChristabel ! » Milady a perdu l’usage de ses sens, et jel’ai entraînée hors de la présence de monseigneur. Par l’ordre dema jeune maîtresse, je me suis informée de messire Allan ;comme je vous l’ai dit, il est prisonnier. Gilles, le joyeux moine,m’a appris votre sort, et je suis venue pour…

– Pour m’aider à fuir, n’est-ce pas, chèreMaude ? Merci, merci, oui, je serai bientôt libre ; avantune heure, si Dieu me protège.

– Vous, libre ! mais commentsortirez-vous d’ici ? il y a deux factionnaires à cetteporte.

– Je voudrais qu’il y en eût mille.

– Êtes-vous donc sorcier, beauforestier ?

– Non, mais j’ai appris à grimper sur lesarbres comme un écureuil et à sauter les fossés comme unlièvre.

Le jeune homme montra du regard la lucarnegrillée, et, se penchant à l’oreille de la jeune fille, se penchantsi bien qu’au contact des lèvres de Robin, Maude rougit, ildit :

– Les barreaux ne sont pas en fer.

Maude comprit, et un sourire de joie éclairason visage.

– Maintenant, il faut que je sache, ajoutaRobin, où je puis retrouver frère Tuck.

– Dans… l’office, répondit Maude un peuhonteuse : si milady a besoin de son secours pour délivrermessire Allan, il est convenu qu’elle l’enverra chercher àl’office.

– Quel chemin suivrai-je pour m’yrendre ?

– Une fois sorti d’ici, vous prendrez lesremparts à gauche, et vous les suivrez jusqu’à ce que vous trouviezune porte ouverte. Cette porte vous conduira à un escalier,l’escalier à une galerie et la galerie à un corridor au bout duquelest l’office. La porte sera fermée ; si vous n’entendez aucunbruit au-dedans, entrez ; si Tuck n’y est pas, c’est quemilady l’aura mandé, cachez-vous alors dans une armoire et attendezmon arrivée ; nous nous occuperons de votre sortie duchâteau.

– Mille grâces vous soient rendues, ma jolieMaude, je n’oublierai jamais vos bontés ! s’écria Robinjoyeusement.

Et le feu qui jaillissait de ses yeux heurtacelui qui jaillissait des yeux de la jeune fille ; ces deuxétincelles se mêlèrent, et entre ces deux êtres si jeunes, sibeaux, il se fit un échange de pensées et de désirs, échange quecouronna un double et brûlant baiser.

– Bravo ! bravissimo, mes amoureux !Voilà donc en quoi consiste cet échange de paroles ! s’écrial’un des geôliers en ouvrant brusquement la porte du cachot.Corbleu ! belle demoiselle, vous apportez d’étrangesrafraîchissements au prisonnier ! Je vous en félicite, et vousvous entendez si bien à donner des consolations que je ne seraispas fâché d’être mis en cage à mon tour.

À cette subite interpellation, la figure deMaude s’empourpra, et la pauvre fille demeura un instant muette ettremblante ; mais le soldat s’étant approché d’elle pour luiintimer l’ordre de sortir du cachot, elle retrouva son aplomb, et,levant sa petite main blanche à la hauteur des joues tannées dusoldat, elle y appliqua d’un air crâne un soufflet bilatéral, ets’enfuit en riant comme une folle de son espièglerie.

– Hum ! hum ! grommela le geôlier sefrottant les joues et jetant sur Robin un regard des moinsaffectueux, le jouvenceau et moi ne sommes pas payés de la mêmemonnaie.

Et le geôlier sortit, puis affecta deverrouiller la porte avec fracas et de multiplier les tours de clefdans la serrure.

Quant au prisonnier, il buvait, riait etmangeait à cœur joie.

Bientôt une sentinelle armée de pied en capvint remplacer le guichetier, et Robin, pour ne pas paraîtresoucieux ni préoccupé, recommença à chanter aussi fort que le luipermettaient ses poumons.

La sentinelle, déjà irritée de monter lagarde, lui intima durement l’ordre de garder le silence. Robinobéit, c’était son plan, et d’un ton moqueur il souhaita aufactionnaire une bonne nuit et des rêves heureux.

Une heure après, la lune à son zénithannonçait à Robin qu’il était temps de fuir, et Robin, maîtrisantles pulsations précipitées de son cœur, improvisa une échelle avecson banc et atteignit sans peine les barreaux de la lucarne ;un d’eux tout vermoulu céda promptement à quelques secousses et luilivra passage ; il s’accroupit alors sur le rebord de lalucarne, et mesura d’un œil inquiet la distance qui le séparait dusol ; cette distance lui ayant paru trop grande de plusieurspieds, il pensa à utiliser son ceinturon en l’attachant par une deses extrémités au barreau le plus solide.

Ces préparatifs, qui ne demandaient qu’uneminute, étaient achevés et il allait opérer sa descente, quand ilaperçut à quelques pas de lui sur la terrasse un soldat luitournant le dos et contemplant, accoudé sur sa pique, leslointaines profondeurs de la vallée.

– Holà ! se dit-il, j’allais tomber dansla gueule du loup. Attention !

Par bonheur, un nuage passa entre la lune etle château, la terrasse rentra dans l’obscurité tandis que lavallée resplendissait de lumière. Le soldat, un enfant de cettevallée peut-être, la contemplait toujours immobile.

– Allons, à la garde de Dieu ! murmuraRobin, qui, après un fervent signe de croix, se laissa glisser lelong de la muraille en se tenant au ceinturon.

Malheureusement le ceinturon était trop court,et, arrivé à son extrémité, il sentit que ses pieds étaient encoreéloignés du sol, et Robin craignit d’éveiller l’attention dufactionnaire en tombant trop lourdement. Que faire ? remonterdans la prison ? mais les barreaux qui servaient de pointd’appui pouvaient ne pas résister aux efforts d’uneascension ; mieux valait donc pousser l’aventure jusqu’aubout ; aussi, confiant en la Providence, et se faisant aussiléger que possible, le jeune homme s’abandonna à son proprepoids.

Un fracas épouvantable, quelque chose comme leretentissement d’une trappe retombant sur un soupirail de cave, telfut le bruit qui troubla les rêveries de la sentinelle au moment oùnotre héros touchait terre.

La sentinelle poussa le cri d’alarme et marchala pique en avant vers l’endroit signalé par le bruitinsolite ; mais elle ne vit rien, n’entendit rien, et sansplus s’inquiéter des causes d’un tel fracas, elle regagna son posteet contempla de nouveau sa chère vallée.

Robin, ne se sentant pas blessé, avait profitéde l’ébahissement du factionnaire pour gagner du terrain, sanss’inquiéter lui aussi des causes de ce fracas ; il venaitcependant de courir un grand danger. Les souterrains du châteauprenaient jour directement au-dessous de la fenêtre de son cachot,et la trappe de ce soupirail n’était pas fermée ; le hasardvoulut qu’il la repoussât du pied en tombant, sans quoi ildisparaissait à jamais dans les profondeurs du souterrain. Autrehasard heureux, il ne pouvait échapper au factionnaire si la trappeeût été fermée, car il eût été trahi par sa sonorité en sautant surelle.

La chance tournait donc en sa faveur, et, d’unpas rapide, mais silencieux, il suivait la route indiquée parMaude.

Ainsi que l’avait annoncé la jeune fille, iltrouva une porte ouverte à sa gauche, et après l’avoir franchie, ilprit un escalier, puis une galerie, puis un immense corridor.

Arrivé à la bifurcation de deux galeries,notre héros, plongé dans une profonde obscurité, tâtait le sol dupied et palpait la muraille afin de ne pas faire fausse route,lorsqu’il entendit quelqu’un demander à voix basse :

– Qui est là ? que faites-vouslà ?

Robin se blottit le long du mur et retint sarespiration. Également arrêté, l’inconnu fouillait légèrement lesdalles avec la pointe de son épée, et cherchait à se rendre comptedu bruit causé par l’approche de Robin.

– C’est sans doute un grincement de la porte,se dit le promeneur nocturne ; puis il continua sonchemin.

Pensant avec raison que, précédé d’un guide,il lui serait plus facile de sortir du dédale où il errait depuisun quart d’heure, Robin suivit l’étranger à une distancerespectueuse.

Bientôt ce dernier ouvrit une porte etdisparut.

Cette porte conduisait dans la chapelle.

Robin hâta le pas, s’élança légèrementderrière l’inconnu, et se glissa sans bruit derrière un des piliersdu saint lieu.

Les rayons de la lune inondaient la chapellede leurs blanches clartés, et une femme voilée priait à genouxdevant un tombeau ; l’étranger, revêtu de la robe des moines,promenait ses regards inquiets sur tout l’édifice ; soudain, àla vue de cette femme voilée, il tressaillit, retint uneexclamation, un cri de bonheur prêt à lui échapper, traversa lanef, et s’approcha d’elle les mains jointes. Au bruit des pas del’inconnu, la femme releva la tête et le regarda, agitée d’unecrainte ou frissonnante d’un espoir.

– Christabel ! murmura doucement lemoine.

La jeune fille se redressa, une rougeurprofonde envahit ses joues, et, s’élançant dans les bras tendus dujeune homme, elle s’écria d’un ton de joie inexprimable :

– Allan ! Allan ! mon cherAllan !

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