Robin Hood, le prince des voleurs – Tome I

Chapitre 2

 

Quinze ans se sont écoulés depuis cetévénement ; le calme et le bonheur n’ont pas cessé de régnersous le toit du garde forestier, et l’orphelin croit toujours êtrele fils bien-aimé de Marguerite et de Gilbert Head.

Par une belle matinée de juin, un homme auretour de l’âge, vêtu comme un paysan aisé et monté sur un poneyvigoureux, suivait la route qui conduit par la forêt de Sherwood aujoli village de Mansfeldwoohaus.

Le ciel était pur ; le soleil levantilluminait ces grandes solitudes ; la bise passant à traversles taillis entraînait dans l’atmosphère les senteurs âcres etpénétrantes du feuillage des chênes et les mille parfums des fleurssauvages ; sur les mousses, sur les herbes, les gouttes derosée brillaient comme des semis de diamants ; aux coins desfutaies chantaient et voltigeaient les oiseaux ; les daimsbramaient dans les fourrés ; partout enfin la natures’éveillait, et les derniers brouillards de la nuit fuyaient auloin.

La physionomie de notre voyageurs’épanouissait sous l’influence d’un si beau jour ; sapoitrine se dilatait, il respirait à pleins poumons, et d’une voixforte et sonore il jetait aux échos les refrains d’un vieil hymnesaxon, d’un hymne à la mort des tyrans.

Soudain une flèche passa en sifflant à sonoreille et alla se planter dans la branche d’un chêne au bord de laroute.

Le paysan, plus surpris qu’effrayé, sauta enbas de son cheval, se cacha derrière un arbre, banda son arc et setint sur la défensive. Mais il eut beau surveiller le sentier danstoute sa longueur, scruter du regard les taillis environnants etprêter l’oreille aux moindres bruits de la forêt, il ne vit rien,n’entendit rien et ne sut que penser de cette attaque imprévue.

Peut-être l’inoffensif voyageur a-t-il faillitomber sous le trait d’un chasseur maladroit ; mais alors ilentendrait le bruit des pas du chasseur, les aboiements des chiens,mais alors il verrait le daim en fuite traversant lesentier ?

Peut-être est-ce un outlaw, un proscrit commeil y en a tant dans le comté, gens ne vivant que de meurtres et derapines, et passant leurs journées à l’affût des voyageurs ?Mais tous ces vagabonds le connaissent ; ils savent qu’iln’est pas riche, et que jamais il ne leur refuse un morceau de painet un verre d’ale quand ils frappent à sa porte.

A-t-il outragé quelqu’un qui cherche à sevenger ? Non, il ne se connaît pas d’ennemis à vingt milles àla ronde.

Quelle main invisible a donc voulu le blesserà mort ?

À mort ! car la flèche a rasé si prèsl’une de ses tempes qu’elle a fait voltiger ses cheveux.

Tout en réfléchissant sur sa position, notrehomme se disait :

– Le danger n’est pas imminent, puisquel’instinct de mon cheval ne le pressent pas. Au contraire, ildemeure là tranquille comme dans son écurie, et allonge le col versla feuillée comme vers son râtelier. Mais s’il reste ici, ilindiquera à celui qui me poursuit l’endroit où je me cache.Holà ! poney, au trot !

Ce commandement fut donné par un coup desifflet en sourdine, et le docile animal, habitué depuis longtempsà cette manœuvre de chasseur qui veut s’isoler en embuscade, dressases oreilles, roula de grands yeux flamboyants vers l’arbre quiprotégeait son maître, lui répondit par un petit hennissement ets’éloigna au trot. Vainement, pendant un grand quart d’heure, lepaysan attendit, l’œil au guet, une nouvelle attaque.

– Voyons, dit-il, puisque la patiencen’aboutit à rien, essayons de la ruse.

Et, calculant, d’après la direction du pennagede la flèche, l’endroit où son ennemi pouvait stationner, ildécocha un trait de ce côté avec l’espoir d’effrayer le malfaiteurou de le provoquer à force de mouvement. Le trait fendit l’espace,alla s’implanter dans l’écorce d’un arbre, et personne ne répondità cette provocation. Un second trait réussira peut-être ? Cesecond trait partit, mais il fut arrêté dans son vol. Une flèche,lancée par un arc invisible, le rencontra presque à angle droitau-dessus du sentier, et le fit tomber en pirouettant sur le sol.Ce coup avait été si rapide, si inattendu, il annonçait tantd’adresse et une si grande habileté de la main et de l’œil, que lepaysan émerveillé, oublieux de tout danger, bondit de sacachette.

– Quel coup ! quel merveilleuxcoup ! s’écria-t-il en gambadant sur la lisière des fourréspour y découvrir le mystérieux archer.

Un rire joyeux répondit à ces acclamations, etnon loin de là une voix argentine et suave comme la voix d’unefemme chanta :

« Il y a des daims dans la forêt, il y a des fleurs sur lalisière des grands bois ;

« Mais laisse le daim à sa vie sauvage, laisse la fleur sur satige flexible,

« Et viens avec moi, mon amour, mon cher Robin Hood ;

« Je sais que tu aimes le daim dans les clairières, les fleurspour couronner mon front ;

« Mais abandonne aujourd’hui chasse et fraîche récolte,

« Et viens avec moi, mon amour, mon cher RobinHood. »

– Oh ! c’est Robin, l’effronté Robin Hoodqui chante. Viens ici, garçon. Quoi ? tu oses tirer à l’arcsur ton père ? Par saint Dunstan, j’ai cru que les outlaws envoulaient à ma peau ! Oh ! le méchant enfant qui prendpour but ma tête grisonnante ! Ah ! le voici, ajouta lebon vieillard, le voici, l’espiègle ! il chante la chanson queje composais pour les amours de mon frère Robin… alors que jefaisais des chansons et que le pauvre ami courtisait la jolie May,sa fiancée.

– Eh quoi ! bon père, eh quoi ! maflèche vous a blessé en chatouillant votre oreille, répondit del’autre côté d’un fourré un jeune garçon qui recommença àchanter.

« Il n’y a ni nuage sur l’or pâle de la lune, ni bruit dans lavallée,

« Il n’y a d’autre voix dans l’air que la douce cloche ducouvent.

« Viens avec moi, mon amour, viens avec moi, mon cher RobinHood,

« Viens avec moi dans la joyeuse forêt de Sherwood,

« Viens avec moi sous l’arbre témoin de notre premierserment,

« Viens avec moi, mon amour, mon cher Robin Hood. »

Les échos de la forêt répétaient encore cetendre refrain quand un jeune homme, paraissant avoir vingt ans,quoique en réalité il n’en eût que seize, s’arrêta devant le vieuxpaysan, que vous reconnaissez sans doute pour être le brave GilbertHead du premier chapitre de notre histoire.

Ce jeune homme souriait au vieillard et tenaitrespectueusement à la main son bonnet vert, orné d’une plume dehéron. Une masse de cheveux noirs légèrement bouclés couronnait unfront plus blanc que l’ivoire et largement développé. Lespaupières, repliées sur elles-mêmes, laissaient jaillir au-dehorsles fulgurances de deux prunelles d’un bleu sombre, dont l’éclat seveloutait sous la frange des longs cils qui projetaient leur ombrejusque sur les pommettes rosées des joues. Son regard nageait dansun fluide transparent comme un émail liquide ; les pensées,les croyances, les sentiments d’une adolescence candide s’yreflétaient comme dans un miroir ; l’expression des traits duvisage de Robin annonçait le courage et l’énergie ; sonexquise beauté n’avait rien d’efféminé, et son sourire étaitpresque le sourire d’un homme maître de lui-même, lorsque seslèvres, margées de corail et réunies par une courbe gracieuse à sonnez droit et fin, aux narines mobiles et transparentes,s’entr’ouvraient sur une dentition éburnéenne.

Le hâle avait bruni cette noble physionomie,mais la blancheur satinée de la carnation reparaissait à lanaissance du col et au-dessus des poignets.

Un bonnet avec plume de héron pour aigrette,un pourpoint de drap vert de Lincoln serré à la taille, deshauts-de-chausses en peau de daim, une paire de unhegesceo (brodequins saxons) attachés au-dessus des chevilles parde fortes courroies, un baudrier clouté d’acier brillant etsupportant un carquois garni de flèches, le petit cor et le couteaude chasse à la ceinture, et l’arc en main, telles étaient lespièces de l’habillement et de l’équipement de Robin Hood, et leurensemble plein d’originalité était loin de nuire à la beauté del’adolescent.

– Et si tu m’avais transpercé le crâne au lieude me chatouiller l’oreille ? dit le bon vieillard en répétantles dernières paroles de son fils d’un ton de sévérité affectée.Méfiez-vous de ce chatouillement-là, sir Robin, il tuerait plussouvent qu’il ne ferait rire.

– Pardonnez-moi, bon père. Je n’avaisnullement l’intention de vous blesser.

– Je le crois parbleu bien ! cher enfant,mais cela pouvait arriver ; un changement dans l’allure de moncheval, un pas à gauche ou à droite de la ligne que je suivais, unmouvement de ma tête, un tremblement de ta main, une erreur de toncoup d’œil, un rien enfin, et le jeu que tu jouais étaitmortel.

– Mais ma main n’a pas tremblé, et mon coupd’œil est toujours sûr. Ne me faites donc pas de reproches, bonpère, et pardonnez-moi mon espièglerie.

– Je te la pardonne de grand cœur ; mais,ainsi que le dit Ésope, dont le chapelain t’apprit les fables,est-ce un divertissement pour un homme que le jeu qui peut tuer unautre homme ?

– C’est vrai, répondit Robin d’un ton plein derepentir. Je vous en conjure, oubliez mon étourderie, ma faute,veux-je dire, c’est l’orgueil qui me l’a fait commettre.

– L’orgueil ?

– Oui, l’orgueil ; ne m’avez-vous pas dithier soir, à la veillée, que je n’étais pas encore assez bon archerpour effleurer le poil de l’oreille d’un chevreuil afin del’effrayer sans le blesser ? et… j’ai voulu vous prouver lecontraire.

– Jolie manière d’exercer son talent !Mais brisons là, mon garçon ; je te pardonne, c’est entendu,et je ne te garde pas rancune, seulement je t’engage à ne jamais metraiter comme un cerf.

– Ne crains rien, père, s’écria l’enfant avectendresse, ne crains rien ; aussi espiègle, aussi étourdi,aussi grand joueur de tours que je puisse être, je n’oublieraijamais le respect et l’affection que tu mérites, et, pour lapossession de la forêt de Sherwood tout entière, je ne voudrais pasfaire tomber un cheveu de ta tête.

Le vieillard saisit affectueusement la mainque lui tendait le jeune homme, et la pressa en disant :

– Dieu bénisse ton excellent cœur et te donnela sagesse ! Puis il ajouta avec un naïf sentiment d’orgueilqu’il avait sans doute réprimé jusqu’alors afin de morigénerl’imprudent archer : Et dire que c’est mon élève ! Oui,c’est moi, Gilbert Head, qui le premier lui ai appris à bander unarc et à décocher une flèche ! L’élève est digne du maître,et, s’il continue, il n’y aura pas de plus adroit tireur dans toutle comté, dans toute l’Angleterre même.

– Que mon bras droit perde sa force, et quepas une de mes flèches n’atteigne le but si jamais j’oublie votreamour, mon père !

– Enfant, tu sais déjà que je ne suis ton pèreque par le cœur.

– Oh ! ne me parlez pas des droits quivous manquent sur moi, car si la nature vous les a refusés, vousles avez acquis par une sollicitude, par un dévouement de quinzeannées.

– Parlons-en, au contraire, dit Gilbert,reprenant sa route à pied et traînant par la bride le poney qu’unvigoureux coup de sifflet avait rappelé à l’ordre, un secretpressentiment m’avertit que des malheurs prochains nousmenacent.

– Quelle folle idée, mon père !

– Tu es déjà grand, tu es fort, tu es remplid’énergie, grâce à Dieu ; mais l’avenir qui s’ouvre devant toin’est plus celui que j’entrevoyais lorsque petit et faible enfant,tantôt boudeur, tantôt joyeux, tu grandissais sur les genoux deMarguerite.

– Qu’importe ! je ne fais qu’un vœu,c’est que l’avenir ressemble au passé et au présent.

– Nous vieillirions désormais sans regret sile mystère qui couvre ta naissance se dévoilait.

– Vous n’avez donc jamais revu le brave soldatqui m’a confié à vos soins ?

– Je ne l’ai jamais revu, et je n’ai reçuqu’une fois de ses nouvelles.

– Peut-être est-il mort à la guerre ?

– Peut-être. Un an après ton arrivée chez moi,je reçus par un messager inconnu un sac d’argent et un parcheminscellé de cire, mais dont le cachet n’avait pas d’armes. Je donnaice parchemin à mon confesseur, qui l’ouvrit et m’en révéla lecontenu que voici, mot pour mot : « Gilbert Head, j’aiplacé depuis douze mois un enfant sous ta protection, et j’ai prisvis-à-vis de toi l’engagement de te payer pour ta peine une renteannuelle ; je te l’envoie ; je quitte l’Angleterre etj’ignore l’époque de mon retour. En conséquence, j’ai pris desarrangements pour que tu touches tous les ans la somme due. Tun’auras donc à l’époque des échéances qu’à te présenter dans lecabinet du shérif de Nottingham, et tu seras payé. Élève le garçoncomme s’il était ton propre fils, à mon retour, je viendrai te leréclamer. » Pas de signature, pas de date ; et d’oùvenait ce message ? je l’ignore. Le messager partit sansvouloir satisfaire ma curiosité. Je t’ai souvent répété ce que legentilhomme inconnu nous avait raconté à propos de ta naissance etde la mort de tes parents. Je ne sais donc rien de plus sur tonorigine, et le shérif qui me paye ta pension répond invariablement,lorsque je l’interroge, qu’il ne connaît ni le nom ni la demeure decelui qui lui a donné mandat de me compter tant de guinées par an.Si maintenant ton protecteur te rappelait à lui, ma douceMarguerite et moi nous nous consolerions de ton départ en pensantque tu retrouves des richesses et des honneurs qui t’appartiennentpar droit de naissance ; mais si nous devons mourir avant quele gentilhomme inconnu reparaisse, un grand chagrin empoisonneranotre dernière heure.

– Quel grand chagrin, père ?

– Le chagrin de te savoir seul et abandonné àtoi-même, et livré à tes passions au moment de devenir homme.

– Ma mère et vous avez encore de longs jours àvivre.

– Dieu le sait !

– Dieu le permettra.

– Que sa volonté soit faite ! En toutcas, si une mort prochaine nous sépare, sache, mon enfant, que tues notre seul héritier ; la chaumière où tu as grandi esttienne, les défrichements qui l’entourent sont ta propriété, et,avec l’argent de ta pension, accumulé depuis quinze années, tun’auras pas à redouter la misère et tu pourras être heureux si tues sage. Le malheur t’a frappé dès ta naissance, et tes parentsadoptifs se sont efforcés de réparer ce malheur ; tu penserassouvent à eux, ils n’ambitionnent pas d’autre récompense.

L’adolescent s’attendrissait ; de grosseslarmes commençaient à sourdre entre ses paupières : mais ilcontint son émotion pour ne pas augmenter celle du vieillard,détourna la tête, essuya ses yeux d’un revers de main, et s’écriad’un ton de voix presque joyeux :

– Ne touchez plus jamais à un aussi tristesujet, mon père ; la pensée d’une séparation, quelque éloignéequ’elle soit, me rend faible comme une femme, et la faiblesse neconvient pas à un homme (il se croyait déjà homme). Sans nul douteje saurai un jour qui je suis, mais ne le saurais-je pas que cetteignorance ne m’empêcherait jamais de dormir tranquille ni de meréveiller gaiement. Parbleu ! si j’ignore mon véritable nom,noble ou roturier, je n’ignore pas ce que je veux être… le plushabile archer qui ait jamais tiré une flèche sur les daims de laforêt de Sherwood.

– Et vous l’êtes déjà, sir Robin, répliquaGilbert avec fierté ; ne suis-je pas votre instituteur ?En route, Gip, mon gentil poney, ajouta le vieillard enremontant en selle, il faut que je me hâte d’aller àMansfeldwoohaus et de revenir, sans quoi Maggie ferait une mineplus longue que la plus longue de mes flèches. En attendant, cherenfant, exerce ton adresse, et elle ne tardera pas à égaler cellede Gilbert Head dans ses plus beaux jours… Au revoir.

Robin s’amusa pendant quelques instants àdéchiqueter à coups de flèches les feuilles qu’il choisissait del’œil à la cime des plus grands arbres ; puis, las de ce jeu,il s’étendit sur l’herbe à l’ombre d’une clairière, et récapitulaune à une dans sa pensée les paroles qu’il venait d’échanger avecson père adoptif. Avec son ignorance du monde, Robin ne désiraitrien en dehors de la félicité dont il jouissait sous le toit dugarde forestier, et le suprême bonheur pour lui consistait àpouvoir chasser en liberté dans les solitudes giboyeuses de laforêt de Sherwood ; que lui importait donc alors un avenir denoble ou de vilain ?

Un froissement prolongé du feuillage et lescraquements précipités des broussailles voisines troublèrentbientôt les rêveries de notre jeune archer ; il leva la têteet aperçut un daim effrayé qui trouait le fourré, s’élançait àtravers la clairière et disparaissait aussitôt dans les profondeursde la forêt.

Bander son arc et poursuivre l’animal, tel futle projet instantané de Robin ; mais ayant par hasard ou parinstinct de chasseur examiné l’endroit du débouché avant d’entreren campagne, il aperçut à quelques toises de distance un hommeaccroupi derrière un tertre dominant la route ; ainsi caché,cet homme pouvait voir sans être vu tout ce qui passerait sur laroute, et, l’œil au guet, la flèche en corde, il attendait.

Certes il ressemblait par ses vêtements à unhonnête forestier, connaissant de longue main les allures du gibieret se donnant le loisir d’une paisible chasse à l’affût. Mais s’ileût été réellement chasseur, et chasseur de daims surtout, il n’eûtpas hésité à suivre en toute hâte la piste de l’animal. Pourquoicette embuscade alors ? Peut-être était-ce un meurtrier àl’affût des voyageurs ?

Robin pressentit un crime, et, espérant ymettre obstacle, il se cacha derrière un bouquet de hêtres etsurveilla attentivement les mouvements de l’inconnu. Celui-ci,toujours accroupi derrière le tertre, tournait le dos à Robin, etpar conséquent se trouvait placé entre lui et le sentier.

Tout à coup le brigand ou le chasseur décochaune flèche dans la direction du sentier, et se releva à moitiécomme pour bondir vers le but visé ; mais il s’arrêta, proféraun jurement énergique, et se remit à l’affût avec une flèche à sonarc.

Cette nouvelle flèche fut suivie comme lapremière d’un odieux blasphème.

– À qui donc en veut-il ? se demandaitRobin. Essaye-t-il de donner à un de ses amis un coup de peignecomme celui que j’ai donné ce matin au vieux Gilbert ? Le jeun’est pas des plus faciles. Mais je ne vois rien là-bas du côté oùil vise ; il voit cependant quelque chose, lui, puisqu’ilprépare une troisième flèche.

Robin allait quitter sa cachette pour faireconnaissance avec le tireur inconnu et maladroit, lorsqu’enécartant sans dessein quelques branches d’un hêtre il aperçut,arrêtés au bout du sentier et à l’endroit où le chemin deMansfeldwoohaus forme un coude, un gentleman et une jeune dame quisemblaient éprouver beaucoup d’inquiétude et se demander s’ilfallait tourner bride, ou braver le danger. Les chevauxs’ébrouaient, et le gentleman promenait ses regards de tous côtéspour découvrir l’ennemi et lui tenir tête, puis il s’efforçait enmême temps de calmer les terreurs de sa compagne.

Soudain la jeune femme poussa un crid’angoisse et tomba presque évanouie : une flèche venait des’implanter dans le pommeau de sa selle.

Plus de doute, l’homme en embuscade était unlâche assassin.

Saisi d’une généreuse indignation, Robinchoisit dans son carquois une flèche des plus aiguës, banda son arcet visa. La main gauche de l’assassin demeura clouée sur le bois del’arc qui menaçait de nouveau le cavalier et sa compagne.

Rugissant de colère et de douleur, le banditdétourna la tête et chercha à découvrir d’où venait cette attaqueimprévue ; mais la taille svelte de notre jeune archer lecachait derrière le tronc du hêtre, et les nuances de son pourpointse confondaient avec celles du feuillage.

Robin aurait pu tuer le bandit, il se contentade l’effrayer après l’avoir puni, et lui décocha une nouvelleflèche qui emporta son bonnet à vingt pas.

Saisi de vertige et d’épouvante, le blessé seredressa, et, soutenant de sa main solide sa main ensanglantée,hurla, trépigna, tournoya pendant quelques instants sur lui-même,promena des yeux hagards sur les taillis environnants, et s’enfuiten criant :

– C’est le démon ! le démon ! ledémon !

Robin salua le départ du bandit par un rirejoyeux, sacrifia une dernière flèche qui, après l’avoir éperonnépendant sa course, devait l’empêcher de longtemps de s’asseoir enrepos.

Le danger passé, Robin sortit de sa cachetteet vint s’adosser nonchalamment au tronc d’un chêne sur le bord dusentier ; il se préparait ainsi à souhaiter la bienvenue auxvoyageurs ; mais à peine ceux-ci, qui s’avançaient au trot,l’eurent-il aperçu que la jeune femme poussa un grand cri et que lecavalier s’élança vers lui l’épée à la main.

– Holà ! messire chevalier, s’écriaRobin, retiens ton bras et modère ta fureur. Les flèches lancéesvers vous ne sortaient pas de mon carquois.

– Te voilà donc, misérable ! te voilàdonc ! répéta le cavalier en proie à la plus violentecolère.

– Je ne suis pas un assassin, bien aucontraire, c’est moi qui vous ai sauvé la vie.

– L’assassin, où est-il alors ? Parle, ouje te fends la tête.

– Écoutez et vous le saurez, réponditfroidement Robin. Quant à me fendre la tête, n’y songez pas, etpermettez-moi de vous faire observer, messire, que cette flèche,dont la pointe est dirigée sur vous, traversera votre cœur avantque votre épée n’effleure ma peau. Tenez-vous donc pour averti, etécoutez en paix : je dirai la vérité.

– J’écoute, reprit le cavalier presque fascinépar le sang-froid de Robin.

– J’étais là tranquillement couché sur l’herbederrière ces hêtres ; un daim passa, je voulus le poursuivre,mais, au moment de prendre sa piste, j’ai vu un homme qui lançaitdes flèches vers un but d’abord invisible pour moi. J’oubliai alorsle daim ; je me plaçai en observation afin de veiller sur cethomme qui m’était suspect, et je ne tardai pas à découvrir qu’ilprenait cette gracieuse dame pour point de mire. On dit que je suisle plus habile archer de la forêt de Sherwood ; j’ai vouluprofiter de l’occasion pour me prouver à moi-même qu’on dit vrai.Du premier coup, la main et l’arc du bandit ont été chevillésensemble par une de mes flèches, du second je lui ai enlevé sonbonnet, qu’il nous est facile de retrouver, enfin du troisième,j’ai mis le bandit en fuite, et il court encore… Voilà.

Le cavalier tenait toujours l’épéehaute ; il doutait encore.

– Allons, messire, reprit Robin, regardez-moien face, et vous avouerez que je n’ai pas l’air d’un brigand.

– Oui, oui, mon enfant, je l’avoue, tu n’aspas l’air d’un brigand, dit enfin l’étranger après avoirattentivement considéré Robin. Le front radieux, la physionomiepleine de franchise, les yeux où pétillait le feu du courage, leslèvres qu’entr’ouvrait le sourire d’un légitime orgueil, tout en cenoble adolescent inspirait, commandait la confiance ;

– Dis-moi qui tu es, et conduis-nous,je te prie, dans un lieu où nos montures puissent se repaître et sereposer, ajouta le cavalier.

– Avec plaisir ; suivez-moi.

– Mais d’abord accepte ma bourse, en attendantque Dieu te récompense.

– Gardez votre or, messire chevalier ;l’or m’est inutile, je n’ai pas besoin d’or. Je me nomme RobinHood, et je demeure avec mon père et ma mère à deux milles d’ici,sur la lisière de la forêt ; venez, vous trouverez dans notremaisonnette une cordiale hospitalité.

La jeune femme, qui s’était jusqu’alors tenueà l’écart, se rapprocha de son cavalier, et Robin vit resplendirl’éclat de deux grands yeux noirs sous le capuchon de soie quipréservait sa tête de la fraîcheur du matin ; il remarquaaussi sa divine beauté, et la dévora du regard en s’inclinantpoliment devant elle.

– Devons-nous croire à la parole de ce jeunehomme, demanda la dame à son cavalier.

Robin releva fièrement la tête, et, sansdonner au chevalier le temps de répondre, il s’écria :

– Il n’y aurait plus alors de bonne foi sur laterre.

Les deux étrangers sourirent ; ils nedoutaient plus.

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