Un cas de pratique médicale

II

Douze jours passèrent.

Un matin, le juge d’instruction, assis à sonbureau, feuilletait « l’affaire de Klâouzovo ». Dukôvski,tel un ours en cage, allait, inquiet, d’un coin à un autre de lapièce.

– Vous êtes assuré de la culpabilité deNicolâchka et de Psèkov, disait-il en tortillant nerveusement sajeune barbe ; pourquoi donc ne voulez-vous pas vous convaincrede celle de Maria Ivânovna ? Les preuves vousmanquent-elles ?

– Je ne dis pas que je n’en sois pasconvaincu ; je le suis…, mais, en même temps, je n’y croispas… Il n’y a pas de véritables preuves ; rien qu’une sorte dephilosophie… le fanatisme, ceci, cela…

– Il faut absolument vous montrer lahache et des draps ensanglantés ?… Ah ! juristes !…Je vous le prouverai donc ! Vous cesserez d’en prendre si à lalégère avec moi qui me place au point de vue psychique. Votre MariaIvânovna ira en Sibérie ! Je vous le prouverai. Si laphilosophie ne vous suffit pas, j’ai quelque chose de plus probant.Cela vous montrera combien ma philosophie est juste !Laissez-moi seulement aller faire une tournée…

– Qu’avez-vous donc en vue ?

– L’allumette suédoise, monsieur… Vousl’avez oubliée ? Moi, pas ! Je saurai qui l’a alluméedans la chambre du tué ! Ce n’est ni Nicolâchka, ni Psèkov quin’avaient pas d’allumettes au moment de la perquisition ;c’est donc une troisième personne : Maria Ivânovna. Et je leprouverai. Laissez-moi seulement me rendre au district etm’enquérir.

– Allons, ça va bien, asseyez-vous…Procédons à l’interrogatoire.

Dukôvski s’assit à sa petite table et plongeason long nez dans le dossier.

– Faites entrer Nicolaï Tiétiôkhov !cria le juge d’instruction.

On fit entrer Nicolâchka. Il était pâle,maigre comme une latte ; il tremblait.

– Tiétiôkhov, commença Tchoûbikov, vousavez été jugé en 1879 par le juge de paix de la 1èrecirconscription pour vol, et condamné à la prison. En 1882, vousavez encore été jugé pour vol et vous avez encore fait de laprison… Nous savons tout cela…

Le visage de Nicolâchka exprima l’étonnement.Le savoir du juge d’instruction le stupéfia ; mais, bientôt, àl’étonnement succéda sur sa figure l’expression de l’affliction laplus profonde. Il se mit à sangloter et demanda la permissiond’aller se laver et se calmer. On l’emmena.

– Introduisez Psèkov ! ordonna lejuge.

On introduisit Psèkov. Le jeune homme avait,les derniers jours, beaucoup changé. Il avait maigri, pâli, s’étaittassé. L’indifférence se lisait dans ses yeux.

– Asseyez-vous, Psèkov, lui ditTchoûbikov. J’espère que vous allez être plus raisonnable que ladernière fois et ne mentirez pas comme les fois précédentes. Tousces jours-ci, vous avez nié notre participation au meurtre deKlâouzov malgré la masse des preuves qui parlent contre vous. Cen’est pas raisonnable. L’aveu diminue la faute ; demain ilsera trop tard ; allons, racontez…

– Je ne sais rien… et ne connais pas vospreuves, murmura Psèkov.

– Vous niez en vain ! Alors,permettez-moi de vous raconter comment la chose s’est passée. Lesamedi soir, assis dans la chambre à coucher de Klâouzov, vousbuviez avec lui de la vodka et de la bière. (Dukôvski plongea sonregard dans la face de Psèkov et ne l’en retira pas durant tout sonmonologue.) Nicolaï vous servait. Vers une heure, Marc Ivânytchvous exprima le désir de se coucher. Il se couchait toujours versune heure. Tandis qu’il quittait ses bottes et vous donnait sesordres pour les travaux, Nicolâchka et vous, à un signal donné,vous avez empoigné votre maître, qui était ivre, et l’avez culbutésur son lit. L’un de vous s’assit sur ses pieds, l’autre sur satête. À ce moment, entra, venant du vestibule, une femme en robenoire, connue de vous, qui avait concerté auparavant avec vous sonrôle dans cette affaire criminelle. Elle saisit l’oreiller et semit à étouffer avec M. Klâouzov. Pendant la lutte, la bougies’éteignit. La femme tira de sa poche une boîte d’allumettessuédoises et ralluma. Est-ce cela ? Je vois à votre figure queje dis la vérité. Mais allons plus loin… L’homme étouffé, etassurés qu’il ne respirait plus, Nicolaï et vous, l’avez sorti parla fenêtre, et l’avez posé près du chardon. Craignant qu’il nerevienne, vous l’avez frappé avec quelque chose de tranchant. Puisvous l’avez emporté et posé quelques instants sous le lilas. Ayantsoufflé et réfléchi, vous l’emportâtes… Vous passâtes la claie…Puis vous marchâtes sur la route… Plus loin se trouve la digue…Près d’elle, un moujik vous fit peur. Mais qu’avez-vous ?

Psèkov, pâle comme un linge, se leva etchancela.

– J’étouffe ! dit-il. Bien…soit !… Seulement… permettez-moi de sortir !

On emmena Psèkov.

– Enfin, il a avoué ! dit Tchoûbikoven s’étirant avec douceur. Il s’est livré. Ce que je l’aiadroitement cuisiné ! Je l’ai harcelé…

– Il ne nie même plus la participation dela femme en noir, dit Dukôvski en souriant. Et pourtant l’allumettesuédoise me tourmente affreusement. Je ne peux plus y tenir. Jepars !

Dukôvski mit sa casquette et partit.Tchoûbikov commença à interroger Akoûlka. Akoûlka déclara qu’ellene savait rien…

– Je n’ai connu que vous et personned’autre, dit-elle, roulant ses petits yeux huileux.

Dukôvski revint sur les six heures, ému commeil ne l’avait jamais été. Ses mains tremblaient au point qu’il nepouvait pas déboutonner son pardessus. Ses joues brûlaient. Onvoyait qu’il rapportait une grosse nouvelle.

– Veni, vidi, vici !dit-il, en se précipitant dans le bureau de Tchoûbikov et selaissant tomber dans un fauteuil. Je jure, sur mon honneur, que jecommence à croire à mon génie. Écoutez, le diable vousemporte ! Écoutez et soyez étonné, mon vieux. C’est drôle ettriste ! Nous en tenions déjà trois, n’est-ce pas ? Ehbien, j’en ai trouvé un quatrième – ou plutôt une quatrième, – carc’est une femme ! Rien que pour toucher ses épaules, j’auraisdonné dix ans de ma vie ; mais… Écoutez… Je me suis faitconduire à Klâoûzovka et me suis mis à décrire tout autour unespirale. Je suis entré, en route, dans les moindres boutiques,auberges et débits, demandant partout des allumettes suédoises.Partout on me répondait : « Il n’y en a pas. » J’airoulé jusqu’à l’heure présente. Vingt fois j’ai perdu l’espoir, etvingt fois je l’ai retrouvé. Toute la journée je me suis trimbaléet ne viens qu’il y a une heure de découvrir ce que jecherchais ; à trois verstes d’ici, on me présente un paquet dedix boîtes : il en manquait une… Je demande tout desuite : « Qui a acheté cette boîte ? »« Une telle, me répond-on. Il lui a plu que… ces allumettescraquent ! » Nicolâï Iermolâïtch, mon chéri !… Quepeut faire parfois un garçon chassé du séminaire et qui a luGaboriau ? L’esprit ne peut le concevoir !… Aujourd’huiseulement je commence à avoir de l’estime pour moi. Ouff !…Alors, partons.

– Où donc cela ?

– Chez elle. Chez la quatrième… Il fautse hâter, sans quoi… Sans quoi je brûlerai d’impatience !Savez-vous qui c’est ? Vous ne le devinez pas !… C’est lajeune femme de notre vieux commissaire rural… d’EvgrapheKouzmitch : Olga Pétrôvna ! Voilà qui c’est ! C’estelle qui a acheté cette boîte d’allumettes !

– Vous… tu… vous… tu es fou ?

– C’est très compréhensible !Primo, elle fume… secundo, elle était coifféejusqu’aux oreilles de Klâouzov ; et il rejette son amour pourune sorte d’Akoûlka !… Vengeance ! Je me souviensmaintenant de les avoir surpris, une fois, dans la cuisine,derrière le paravent. Elle lui faisait des serments, et luifumait…, et lui envoyait de la fumée dans la figure… Mais cependantpartons ! Vite ; il fait déjà sombre… Partons !

– Je ne suis pas encore devenu fou aupoint de déranger, de nuit, une femme comme il faut, honnête, àcause d’une sorte de blanc-bec.

– Une femme comme il faut !…honnête !… Vous êtes une chiffe, après cela, et pas un juged’instruction ! Je n’ai jamais eu la hardiesse de vous juger,mais, à présent, vous m’y forcez : chiffe ! robe dechambre !… Allons, mon cher Nicolaï Iermolâïtch !… Jevous en prie !

Le juge d’instruction fit un geste découragéet cracha à terre.

– Je vous en prie !… Je vous enprie, non pas pour moi, mais dans l’intérêt de la justice !…Je vous en supplie enfin ! Faites-moi un plaisir une fois dansla vie ! (Dukôvski s’agenouilla devant lui). NicolaïIermolâïtch, ayez cette bonté !… Appelez-moi gredin,misérable, si je me fourvoie au sujet de cette femme. C’en est uneaffaire ! Quelle affaire ! C’est un roman ! Le bruits’en répandra dans toute la Russie ! On vous nommera juged’instruction pour des affaires ultra-sérieuses ! Comprenezcela, déraisonnable vieillard !

Le juge d’instruction se refrogna et avança,en hésitant, la main vers son chapeau.

– Allons, dit-il, que le diablet’emporte, partons !

Il faisait déjà noir quand le cabriolet dujuge d’instruction arriva à l’avant-porte du commissaire rural.

– Quels fous nous sommes ! ditTchoûbikov prenant le cordon de sonnette ; nous dérangeons lesgens !

– Allez-y, allez-y… Ne mollissezpas !… Nous dirons qu’un des ressorts de notre voiture vientde se casser.

Tchoûbikov et Dukôvski furent reçus sur leseuil par une grande jeune femme de vingt-trois ans, en bellechair, aux sourcils noirs comme le jais, aux lèvres rouges etgrasses. C’était Olga Pétrôvna en personne.

– Ah !… dit-elle en souriant detoute sa figure, fort agréable !… vous arrivez juste pour lesouper. Evgraphe Kouzmitch n’est pas à la maison… Il s’est attardéchez le pope… Mais nous nous passerons de lui… Asseyez-vous !Vous venez d’une enquête ?

– Oui, justement… Et, figurez-vous,commença Tchoûbikov, entrant dans le salon et s’asseyant dans unfauteuil, un de nos ressorts vient de casser…

– Étourdissez-la d’un coup ! luichuchota Dukôvski. Étourdissez-la !

– Oui… un ressort… Nous nous sommesdécidés à entrer.

– Étourdissez-la, on vous dit ! Sivous lambinez, elle devinera.

– Alors, fais à ta guise, à ta façon, etépargne-moi ça ! murmura Tchoûbikov en se levant et allantvers la fenêtre. Moi, je ne peux pas ! C’est toi qui as lancéla chose ; débrouille-t’en !

– Oui, un ressort… commença Dukôvski,s’approchant de la femme du commissaire, et plissant son long nez.Nous ne sommes pas venus pour… hé, hé… pour souper, ni pour voirEvgraphe Kouzmitch : nous venons, honorée madame, pour vousdemander où se trouve Marc Ivânytch, que vous avez tué ?

– Quoi ? Quel Marc Ivânytch ?se mit à balbutier la femme du commissaire. (Et sur-le-champ, en unclin d’œil, sa large figure se couvrit d’un rouge vif.) Je… je necomprends pas.

– Je vous demande, au nom de la loi, oùest Klâouzov ? Nous savons tout !

– Qui vous l’a dit ? demandatranquillement la femme du commissaire, évitant le regard deDukôvski.

– Veuillez nous indiquer où ilest !

– Mais d’où tenez-vous cela ? Quivous l’a raconté ?

– Nous savons tout ! Au nom de laloi, j’exige…

Tchoûbikov, réconforté par le trouble de lafemme du commissaire, s’approcha d’elle, et dit :

– Montrez-le-nous, et nous partirons…,sans quoi…

– Quel besoin en avez-vous ?

– Pourquoi cette question, madame ?Nous vous prions de nous le faire voir ! Vous tremblez toute,vous êtes troublée… Oui, il a été tué, et si vous le voulez, tuépar vous ! Vos complices vous ont livrée.

La femme du commissaire devint pâle.

– Venez, dit-elle doucement, en setordant les mains. Je le tiens caché dans le pavillon de bain.Seulement, au nom de Dieu, n’en dites rien à mon mari ! Jevous en supplie ! Il n’en supporterait pas le coup.

La femme du commissaire prit au mur une grandeclé, et, leur faisant traverser la cuisine et l’entrée, emmena seshôtes dans la cour. Dehors il faisait noir. Il tombait une pluiefine. Tchoûbikov et Dukôvski suivaient la femme du commissaire,marchant dans l’herbe haute, humant l’odeur du chanvre sauvage etdes eaux grasses qui giclaient sous leurs pas. La cour étaitgrande. Les lavures cessèrent et l’on sentit sous les pieds de laterre labourée. Des silhouettes d’arbres apparurent dansl’obscurité et, entre elles, une petite maisonnette avec un tuyaupenché.

– Voici le bain, dit la femme ducommissaire ; mais, je vous en prie, ne le dites àpersonne !

S’étant approchés, Tchoûbikov et Dukôvskivirent à la porte un énorme cadenas.

– Préparez le bout de bougie et lesallumettes ! souffla le juge d’instruction à son aide.

La femme du commissaire ouvrit le cadenas etfit entrer ses hôtes. Dukôvski frotta une allumette et éclairal’avant-bain. Au milieu se trouvait une table. Sur la table, auprèsd’un samovar ventru, était une soupière avec un reste de soupe auxchoux, et un plat avec un reste de sauce.

– Avancez !

On entra dans la chambre suivante. Là aussi ily avait une table ; sur la table un grand plat avec un jambon,un carafon de vodka, des assiettes, des couteaux et desfourchettes.

– Mais où est donc… celui ?… où estle tué ? demanda le juge d’instruction.

– Il est sur le gradin d’en haut !murmura la femme du commissaire, toujours pâle et tremblante.

Dukôvski prit la bougie et monta au derniergradin. Là, il vit un long corps humain, étendu, immobile, sur ungrand lit de plumes. Le corps émettait un léger ronflement.

– On nous dupe, le diablem’emporte ! cria Dukôvski. Ce n’est pas lui ! Ici estcouché quelque grand escogriffe vivant. Eh ! quiêtes-vous ? Le diable vous emporte !

Le corps huma l’air avec un sifflement etremua. Dukôvski le poussa du coude. Le corps étendit les bras enl’air, s’étira et dressa la tête.

– Qui est-ce qui grimpe ici ?demanda une grosse voix enrouée et lourde. Que tefaut-il ?

Dukôvski approcha la bougie de la figure del’inconnu et poussa une exclamation. À son nez cramoisi, à sescheveux ébouriffés, à ses moustaches noires comme la poix, dontl’une hardiment retroussée pointait avec effronterie vers leplafond, il reconnut le cornette Klâouzov.

– Vous… Marc… Ivânytch !… Paspossible ! Le juge d’instruction leva les yeux et restaéberlué.

– C’est moi, oui… Ah ! c’est vous,Dukôvski ! Que diable avez-vous à faire ici ? Et là, enbas, quelle est encore cette binette ? Mon Dieu ! le juged’instruction ! Par quels hasards ?

Klâouzov descendit vivement et étreignitTchoûbikov. Ôlga Pétrôvna se défila, prestement, par la porte.

– Quels chemins vous amènent ?Buvons vite, que diable ! Tra-ta-ti-to-tom… Buvons !

Tout de même, qui vous a amené ici ? D’oùavez-vous su que j’y étais ? D’ailleurs, qu’importe !Buvons !

Klâouzov alluma une lampe et versa troisverres de vodka.

– C’est-à-dire, fit le juge d’instructionouvrant les bras : je ne te comprends pas ! Est-ce toi oun’est-ce pas toi ?

– Suffit, hein ?… Veux-tu me fairede la morale ? N’en prends pas la peine ! Jeune Dukôvski,vide ton verre (Il chante) : « Allons, amis, passons,cette… » Qu’avez-vous à regarder ? Buvez !

– Tout de même, dit le juge d’instructionavalant machinalement la vodka, je ne comprends pas… pourquoi tu esici ?

– Pourquoi n’y serais-je pas si je m’ytrouve bien ?

Klâouzov vida son verre et se mit à manger dujambon.

– Je demeure, comme tu vois, chez lafemme du commissaire… dans un trou, dans un fourré, comme unfollet ! Bois ! J’ai eu pitié d’elle, l’ami ! J’enai eu pitié, et je demeure ici dans un bain abandonné, comme unermite. Je me laisse vivre. Mais je compte partir la semaineprochaine… ; j’en ai déjà assez…

– C’est inconcevable ! ditDukôvski.

– Qu’y a-t-il làd’inconcevable ?

– C’est inconcevable !… Au nom duciel, comment votre botte s’est-elle trouvée dans lejardin ?

– Quelle botte ?

– Nous avons trouvé une de vos bottesdans votre chambre, et l’autre dans le jardin.

– Et quel besoin avez-vous de savoirça ? Ce n’est pas votre affaire… Mais buvez donc, que lediable vous emporte ! Vous m’avez réveillé, donc buvez !Amis, c’est une histoire intéressante que celle de cette botte. Jene voulais pas venir chez Ôlia[12]. Jen’étais pas en humeur, savez-vous, j’étais un peu gris… Elle arrivesous ma fenêtre et se met à se fâcher… comme font les femmes engénéral, tu sais… Moi, ivre, je lui lance ma botte !…« Voyons !… voyons, ne te fâche pas ! » Mais lavoilà qui monte par la fenêtre, allume la lampe et se met àm’étriller, pauvre poivrot que j’étais. Elle m’a fichu une raclée,m’a entraîné ici et m’y a enfermé. Maintenant je me laisse vivre…amour, vodka et hors-d’œuvre !… Mais, où voulez-vous doncaller ? Tchoûbikov, où vas-tu ?

Le juge d’instruction, crachant de dépit,sortit du bain. Dukôvski, tête basse, le suivit. Tous deuxmontèrent en silence dans le cabriolet et partirent. Jamais, àaucun autre moment, la route ne leur avait paru si triste et silongue. Tous deux se taisaient. Tchoûbikov, tout le long du chemin,trembla de colère. Dukôvski se cachait la figure dans son col,comme s’il eût craint que l’obscurité et la bruine ne lussent lahonte sur son visage.

Arrivé chez lui, le juge d’instruction ytrouva le docteur Tioutioûév. Assis auprès de la table, le docteurfeuilletait la Nîva et soupirait profondément.

– Que de choses arrivent dans cemonde ! dit-il, avec un sourire triste, en voyant le juged’instruction… Encore l’Autriche qui recommence… Et Gladstoneaussi, en un certain sens…

Tchoûbikov lança son chapeau sous la table etse mit à trembler.

– Squelette du diable ! fit-il, net’approche pas. Je t’ai déjà dit mille fois de me laissertranquille avec ta politique ! Et toi – dit-il à Dukôvski ensecouant le poing, – je ne t’oublierai pas dans les siècles dessiècles !

– Mais, voyons… cette allumettesuédoise ! Pouvais-je savoir !

– Puisse-t-elle t’étrangler tonallumette ! Pars et ne m’énerve pas, ou je ferai de toi lediable sait quoi ! Que l’on ne te voie jamais plusici !

Dukôvski, poussant un soupir, prit son chapeauet sortit.

– Je vais aller boire ! décida-t-ilen passant la porte.

Et il s’achemina mélancoliquement vers lecabaret.

Quand elle rentra chez elle, la femme ducommissaire trouva son mari au salon.

– Pourquoi, lui demanda-t-il, le juged’instruction est-il venu ici ?

– Il est venu dire que l’on a retrouvéKlâouzov. On ne l’a pas du tout tué. Il est au contraire sain etsauf… Figure-toi, on l’a trouvé chez une femme mariée !

– Ah ! Marc Ivânytch ! MarcIvânytch ! soupira le commissaire rural, levant les yeux enl’air. Je te le disais que la débauche ne mène à rien de bon !Je te le disais, et tu ne m’écoutais pas !

1882.

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