Sodome et Gomorrhe

Sodome et Gomorrhe

de Marcel Proust

Partie 1

Première apparition des hommes-femmes, descendants de ceux des habitants de Sodome qui furent épargnés par le feu du ciel.
« La femme aura Gomorrhe

et l’homme aura Sodome. »

Alfred de Vigny.

On sait que bien avant d’aller ce jour-là (le jour où avait lieu la soirée de la princesse de Guermantes) rendre au duc et à la duchesse la visite que je viens de raconter, j’avais épié leur retour et fait, pendant la durée de mon guet, une découverte,concernant particulièrement M. de Charlus, mais si importante en elle-même que j’ai jusqu’ici, jusqu’au moment de pouvoir lui donner la place et l’étendue voulues, différé de la rapporter. J’avais,comme je l’ai dit, délaissé le point de vue merveilleux, si confortablement aménagé au haut de la maison, d’où l’on embrasse les pentes accidentées par où l’on monte jusqu’à l’hôtel de Bréquigny, et qui sont gaiement décorées à l’italienne par le rose campanile de la remise appartenant au marquis de Frécourt. J’avais trouvé plus pratique, quand j’avais pensé que le duc et la duchesse étaient sur le point de revenir, de me poster sur l’escalier. Je regrettais un peu mon séjour d’altitude. Mais à cette heure-là, qui était celle d’après le déjeuner, j’avais moins à regretter, car je n’aurais pas vu, comme le matin, les minuscules personnages de tableaux, que devenaient à distance les valets de pied de l’hôtel de Bréquigny et de Tresmes, faire la lente ascension de la côte abrupte, un plumeau à la main, entre les larges feuilles de mica transparentes qui se détachaient si plaisamment sur les contre forts rouges. À défaut de la contemplation du géologue, j’avais du moins celle du botaniste et regardais par les volets de l’escalier le petit arbuste de la duchesse et la plante précieuse exposés dans la cour avec cette insistance qu’on met à faire sortir les jeunes gens à marier, et je me demandais si l’insecte improbable viendrait, par un hasard providentiel, visiter le pistil offert et délaissé. Lacuriosité m’enhardissant peu à peu, je descendis jusqu’à la fenêtredu rez-de-chaussée, ouverte elle aussi, et dont les voletsn’étaient qu’à moitié clos. J’entendais distinctement, se préparantà partir, Jupien qui ne pouvait me découvrir derrière mon store oùje restai immobile jusqu’au moment où je me rejetai brusquement decôté par peur d’être vu de M. de Charlus, lequel, allant chezMme de Villeparisis, traversait lentement la cour,bedonnant, vieilli par le plein jour, grisonnant. Il avait falluune indisposition de Mme de Villeparisis (conséquence dela maladie du marquis de Fierbois avec lequel il étaitpersonnellement brouillé à mort) pour que M. de Charlus fît unevisite, peut-être la première fois de son existence, à cetteheure-là. Car avec cette singularité des Guermantes qui, au lieu dese conformer à la vie mondaine, la modifiaient d’après leurshabitudes personnelles (non mondaines, croyaient-ils, et dignes parconséquent qu’on humiliât devant elles cette chose sans valeur, lamondanité – c’est ainsi que Mme de Marsantes n’avait pasde jour, mais recevait tous les matins ses amies, de 10 heures àmidi) – le baron, gardant ce temps pour la lecture, la recherchedes vieux bibelots, etc… ne faisait jamais une visite qu’entre 4 et6 heures du soir. À 6 heures il allait au Jockey ou se promener auBois. Au bout d’un instant je fis un nouveau mouvement de reculpour ne pas être vu par Jupien ; c’était bientôt son heure departir au bureau, d’où il ne revenait que pour le dîner, et mêmepas toujours depuis une semaine que sa nièce était allée avec sesapprenties à la campagne chez une cliente finir une robe. Puis merendant compte que personne ne pouvait me voir, je résolus de neplus me déranger de peur de manquer, si le miracle devait seproduire, l’arrivée presque impossible à espérer (à travers tantd’obstacles, de distance, de risques contraires, de dangers) del’insecte envoyé de si loin en ambassadeur à la vierge qui depuislongtemps prolongeait son attente. Je savais que cette attenten’était pas plus passive que chez la fleur mâle, dont les étaminess’étaient spontanément tournées pour que l’insecte pût plusfacilement la recevoir ; de même la fleur-femme qui était ici,si l’insecte venait, arquerait coquettement ses« styles », et pour être mieux pénétrée par lui feraitimperceptiblement, comme une jouvencelle hypocrite mais ardente, lamoitié du chemin. Les lois du monde végétal sont gouvernéeselles-mêmes par des lois de plus en plus hautes. Si la visite d’uninsecte, c’est-à-dire l’apport de la semence d’une autre fleur, esthabituellement nécessaire pour féconder une fleur, c’est quel’autofécondation, la fécondation de la fleur par elle-même, commeles mariages répétés dans une même famille, amènerait ladégénérescence et la stérilité, tandis que le croisement opéré parles insectes donne aux générations suivantes de la même espèce unevigueur inconnue de leurs aînées. Cependant cet essor peut êtreexcessif, l’espèce se développer démesurément ; alors, commeune antitoxine défend contre la maladie, comme le corps thyroïderègle notre embonpoint, comme la défaite vient punir l’orgueil, lafatigue le plaisir, et comme le sommeil repose à son tour de lafatigue, ainsi un acte exceptionnel d’autofécondation vient à pointnommé donner son tour de vis, son coup de frein, fait rentrer dansla norme la fleur qui en était exagérément sortie. Mes réflexionsavaient suivi une pente que je décrirai plus tard et j’avais déjàtiré de la ruse apparente des fleurs une conséquence sur toute unepartie inconsciente de l’œuvre littéraire, quand je vis M. deCharlus qui ressortait de chez la marquise. Il ne s’était passé quequelques minutes depuis son entrée. Peut-être avait-il appris de savieille parente elle-même, ou seulement par un domestique, le grandmieux ou plutôt la guérison complète de ce qui n’avait été chezMme de Villeparisis qu’un malaise. À ce moment, où il nese croyait regardé par personne, les paupières baissées contre lesoleil, M. de Charlus avait relâché dans son visage cette tension,amorti cette vitalité factice, qu’entretenaient chez luil’animation de la causerie et la force de la volonté. Pâle comme unmarbre, il avait le nez fort, ses traits fins ne recevaient plusd’un regard volontaire une signification différente qui altérât labeauté de leur modelé ; plus rien qu’un Guermantes, ilsemblait déjà sculpté, lui Palamède XV, dans la chapelle deCombray. Mais ces traits généraux de toute une famille prenaientpourtant, dans le visage de M. de Charlus, une finesse plusspiritualisée, plus douce surtout. Je regrettais pour lui qu’iladultérât habituellement de tant de violences, d’étrangetésdéplaisantes, de potinages, de dureté, de susceptibilité etd’arrogance, qu’il cachât sous une brutalité postiche l’aménité, labonté qu’au moment où il sortait de chez Mme deVilleparisis, je voyais s’étaler si naïvement sur son visage.Clignant des yeux contre le soleil, il semblait presque sourire, jetrouvai à sa figure vue ainsi au repos et comme au naturel quelquechose de si affectueux, de si désarmé, que je ne pus m’empêcher depenser combien M. de Charlus eût été fâché s’il avait pu se savoirregardé ; car ce à quoi me faisait penser cet homme, qui étaitsi épris, qui se piquait si fort de virilité, à qui tout le mondesemblait odieusement efféminé, ce à quoi il me faisait penser toutd’un coup, tant il en avait passagèrement les traits, l’expression,le sourire, c’était à une femme.

J’allais me déranger de nouveau pour qu’il ne pûtm’apercevoir ; je n’en eus ni le temps, ni le besoin. Quevis-je ! Face à face, dans cette cour où ils ne s’étaientcertainement jamais rencontrés (M. de Charlus ne venant à l’hôtelGuermantes que dans l’après-midi, aux heures où Jupien était à sonbureau), le baron, ayant soudain largement ouvert ses yeux mi-clos,regardait avec une attention extraordinaire l’ancien giletier surle seuil de sa boutique, cependant que celui-ci, cloué subitementsur place devant M. de Charlus, enraciné comme une plante,contemplait d’un air émerveillé l’embonpoint du baron vieillissant.Mais, chose plus étonnante encore, l’attitude de M. de Charlusayant changé, celle de Jupien se mit aussitôt, comme selon les loisd’un art secret, en harmonie avec elle. Le baron, qui cherchaitmaintenant à dissimuler l’impression qu’il avait ressentie, maisqui, malgré son indifférence affectée, semblait ne s’éloigner qu’àregret, allait, venait, regardait dans le vague de la façon qu’ilpensait mettre le plus en valeur la beauté de ses prunelles,prenait un air fat, négligent, ridicule. Or Jupien, perdantaussitôt l’air humble et bon que je lui avais toujours connu, avait– en symétrie parfaite avec le baron – redressé la tête, donnait àsa taille un port avantageux, posait avec une impertinencegrotesque son poing sur la hanche, faisait saillir son derrière,prenait des poses avec la coquetterie qu’aurait pu avoir l’orchidéepour le bourdon providentiellement survenu. Je ne savais pas qu’ilpût avoir l’air si antipathique. Mais j’ignorais aussi qu’il fûtcapable de tenir à l’improviste sa partie dans cette sorte de scènedes deux muets, qui (bien qu’il se trouvât pour la première fois enprésence de M. de Charlus) semblait avoir été longuementrépétée ; – on n’arrive spontanément à cette perfection quequand on rencontre à l’étranger un compatriote, avec lequel alorsl’entente se fait d’elle-même, le truchement étant identique, etsans qu’on se soit pourtant jamais vu.

Cette scène n’était, du reste, pas positivement comique, elleétait empreinte d’une étrangeté, ou si l’on veut d’un naturel, dontla beauté allait croissant. M. de Charlus avait beau prendre un airdétaché, baisser distraitement les paupières, par moments il lesrelevait et jetait alors sur Jupien un regard attentif. Mais (sansdoute parce qu’il pensait qu’une pareille scène ne pouvait seprolonger indéfiniment dans cet endroit, soit pour des raisonsqu’on comprendra plus tard, soit enfin par ce sentiment de labrièveté de toutes choses qui fait qu’on veut que chaque coup portejuste, et qui rend si émouvant le spectacle de tout amour), chaquefois que M. de Charlus regardait Jupien, il s’arrangeait pour queson regard fût accompagné d’une parole, ce qui le rendaitinfiniment dissemblable des regards habituellement dirigés sur unepersonne qu’on connaît ou qu’on ne connaît pas ; il regardaitJupien avec la fixité particulière de quelqu’un qui va vousdire : « Pardonnez-moi mon indiscrétion, mais vous avezun long fil blanc qui pend dans votre dos », ou bien :« Je ne dois pas me tromper, vous devez être aussi de Zurich,il me semble bien vous avoir rencontré souvent chez le marchandd’antiquités. » Telle, toutes les deux minutes, la mêmequestion semblait intensément posée à Jupien dans l’œillade de M.de Charlus, comme ces phrases interrogatives de Beethoven, répétéesindéfiniment, à intervalles égaux, et destinées – avec un luxeexagéré de préparations – à amener un nouveau motif, un changementde ton, une « rentrée ». Mais justement la beauté desregards de M. de Charlus et de Jupien venait, au contraire, de ceque, provisoirement du moins, ces regards ne semblaient pas avoirpour but de conduire à quelque chose. Cette beauté, c’était lapremière fois que je voyais le baron et Jupien la manifester. Dansles yeux de l’un et de l’autre, c’était le ciel, non pas de Zurich,mais de quelque cité orientale dont je n’avais pas encore deviné lenom, qui venait de se lever. Quel que fût le point qui pût retenirM. de Charlus et le giletier, leur accord semblait conclu et cesinutiles regards n’être que des préludes rituels, pareils aux fêtesqu’on donne avant un mariage décidé. Plus près de la nature encore– et la multiplicité de ces comparaisons est elle-même d’autantplus naturelle qu’un même homme, si on l’examine pendant quelquesminutes, semble successivement un homme, un homme-oiseau ou unhomme-insecte, etc. – on eût dit deux oiseaux, le mâle et lafemelle, le mâle cherchant à s’avancer, la femelle – Jupien – nerépondant plus par aucun signe à ce manège, mais regardant sonnouvel ami sans étonnement, avec une fixité inattentive, jugée sansdoute plus troublante et seule utile, du moment que le mâle avaitfait les premiers pas, et se contentant de lisser ses plumes. Enfinl’indifférence de Jupien ne parut plus lui suffire ; de cettecertitude d’avoir conquis à se faire poursuivre et désirer, il n’yavait qu’un pas et Jupien, se décidant à partir pour son travail,sortit par la porte cochère. Ce ne fut pourtant qu’après avoirretourné deux ou trois fois la tête, qu’il s’échappa dans la rue oùle baron, tremblant de perdre sa piste (sifflotant d’un airfanfaron, non sans crier un « au revoir » au conciergequi, à demi saoul et traitant des invités dans son arrière-cuisine,ne l’entendit même pas), s’élança vivement pour le rattraper. Aumême instant où M. de Charlus avait passé la porte en sifflantcomme un gros bourdon, un autre, un vrai celui-là, entrait dans lacour. Qui sait si ce n’était pas celui attendu depuis si longtempspar l’orchidée, et qui venait lui apporter le pollen si rare sanslequel elle resterait vierge ? Mais je fus distrait de suivreles ébats de l’insecte, car au bout de quelques minutes,sollicitant davantage mon attention, Jupien (peut-être afin deprendre un paquet qu’il emporta plus tard et que, dans l’émotionque lui avait causée l’apparition de M. de Charlus, il avaitoublié, peut-être tout simplement pour une raison plus naturelle),Jupien revint, suivi par le baron. Celui-ci, décidé à brusquer leschoses, demanda du feu au giletier, mais observa aussitôt :« Je vous demande du feu, mais je vois que j’ai oublié mescigares. » Les lois de l’hospitalité l’emportèrent sur lesrègles de la coquetterie : « Entrez, on vous donnera toutce que vous voudrez », dit le giletier, sur la figure de quile dédain fit place à la joie. La porte de la boutique se refermasur eux et je ne pus plus rien entendre. J’avais perdu de vue lebourdon, je ne savais pas s’il était l’insecte qu’il fallait àl’orchidée, mais je ne doutais plus, pour un insecte très rare etune fleur captive, de la possibilité miraculeuse de se conjoindre,alors que M. de Charlus (simple comparaison pour les providentielshasards, quels qu’ils soient, et sans la moindre prétentionscientifique de rapprocher certaines lois de la botanique et cequ’on appelle parfois fort mal l’homosexualité), qui, depuis desannées, ne venait dans cette maison qu’aux heures où Jupien n’yétait pas, par le hasard d’une indisposition de Mme deVilleparisis, avait rencontré le giletier et avec lui la bonnefortune réservée aux hommes du genre du baron par un de ces êtresqui peuvent même être, on le verra, infiniment plus jeunes queJupien et plus beaux, l’homme prédestiné pour que ceux-ci aientleur part de volupté sur cette terre : l’homme qui n’aime queles vieux messieurs.

Ce que je viens de dire d’ailleurs ici est ce que je ne devaiscomprendre que quelques minutes plus tard, tant adhèrent à laréalité ces propriétés d’être invisible, jusqu’à ce qu’unecirconstance l’ait dépouillée d’elles. En tout cas, pour le momentj’étais fort ennuyé de ne plus entendre la conversation de l’anciengiletier et du baron. J’avisai alors la boutique à louer, séparéeseulement de celle de Jupien par une cloison extrêmement mince. Jen’avais pour m’y rendre qu’à remonter à notre appartement, aller àla cuisine, descendre l’escalier de service jusqu’aux caves, lessuivre intérieurement pendant toute la largeur de la cour, et,arrivé à l’endroit du sous-sol où l’ébéniste, il y a quelques moisencore, serrait ses boiseries, où Jupien comptait mettre soncharbon, monter les quelques marches qui accédaient à l’intérieurde la boutique. Ainsi toute ma route se ferait à couvert, je neserais vu de personne. C’était le moyen le plus prudent. Ce ne futpas celui que j’adoptai, mais, longeant les murs, je contournai àl’air libre la cour en tâchant de ne pas être vu. Si je ne le fuspas, je pense que je le dois plus au hasard qu’à ma sagesse. Et aufait que j’aie pris un parti si imprudent, quand le cheminementdans la cave était si sûr, je vois trois raisons possibles, àsupposer qu’il y en ait une. Mon impatience d’abord. Puis peut-êtreun obscur ressouvenir de la scène de Montjouvain, caché devant lafenêtre de Mlle Vinteuil. De fait, les choses de cegenre auxquelles j’assistai eurent toujours, dans la mise en scène,le caractère le plus imprudent et le moins vraisemblable, comme side telles révélations ne devaient être la récompense que d’un acteplein de risques, quoique en partie clandestin. Enfin j’ose àpeine, à cause de son caractère d’enfantillage, avouer la troisièmeraison, qui fut, je crois bien, inconsciemment déterminante. Depuisque pour suivre – et voir se démentir – les principes militaires deSaint-Loup, j’avais suivi avec grand détail la guerre des Boërs,j’avais été conduit à relire d’anciens récits d’explorations, devoyages. Ces récits m’avaient passionné et j’en faisaisl’application dans la vie courante pour me donner plus de courage.Quand des crises m’avaient forcé à rester plusieurs jours etplusieurs nuits de suite non seulement sans dormir, mais sansm’étendre, sans boire et sans manger, au moment où l’épuisement etla souffrance devenaient tels que je pensais n’en sortir jamais, jepensais à tel voyageur jeté sur la grève, empoisonné par des herbesmalsaines, grelottant de fièvre dans ses vêtements trempés parl’eau de la mer, et qui pourtant se sentait mieux au bout de deuxjours, reprenait au hasard sa route, à la recherche d’habitantsquelconques, qui seraient peut-être des anthropophages. Leurexemple me tonifiait, me rendait l’espoir, et j’avais honte d’avoireu un moment de découragement. Pensant aux Boërs qui, ayant en faced’eux des armées anglaises, ne craignaient pas de s’exposer aumoment où il fallait traverser, avant de retrouver un fourré, desparties de rase campagne : « Il ferait beau voir,pensai-je, que je fusse plus pusillanime, quand le théâtred’opérations est simplement notre propre cour, et quand, moi qui mesuis battu plusieurs fois en duel sans aucune crainte, au moment del’affaire Dreyfus, le seul fer que j’aie à craindre est celui duregard des voisins qui ont autre chose à faire qu’à regarder dansla cour. »

Mais quand je fus dans la boutique, évitant de faire craquer lemoins du monde le plancher, en me rendant compte que le moindrecraquement dans la boutique de Jupien s’entendait de la mienne, jesongeai combien Jupien et M. de Charlus avaient été imprudents etcombien la chance les avait servis.

Je n’osais bouger. Le palefrenier des Guermantes, profitant sansdoute de leur absence, avait bien transféré dans la boutique où jeme trouvais une échelle serrée jusque-là dans la remise. Et si j’yétais monté j’aurais pu ouvrir le vasistas et entendre comme sij’avais été chez Jupien même. Mais je craignais de faire du bruit.Du reste c’était inutile. Je n’eus même pas à regretter de n’êtrearrivé qu’au bout de quelques minutes dans ma boutique. Car d’aprèsce que j’entendis les premiers temps dans celle de Jupien et qui nefurent que des sons inarticulés, je suppose que peu de parolesfurent prononcées. Il est vrai que ces sons étaient si violentsque, s’ils n’avaient pas été toujours repris un octave plus hautpar une plainte parallèle, j’aurais pu croire qu’une personne enégorgeait une autre à côté de moi et qu’ensuite le meurtrier et savictime ressuscitée prenaient un bain pour effacer les traces ducrime. J’en conclus plus tard qu’il y a une chose aussi bruyanteque la souffrance, c’est le plaisir, surtout quand s’y ajoutent – àdéfaut de la peur d’avoir des enfants, ce qui ne pouvait être lecas ici, malgré l’exemple peu probant de la Légende dorée – dessoucis immédiats de propreté. Enfin au bout d’une demi-heureenviron (pendant laquelle je m’étais hissé à pas de loup sur monéchelle afin de voir par le vasistas que je n’ouvris pas), uneconversation s’engagea. Jupien refusait avec force l’argent que M.de Charlus voulait lui donner.

Au bout d’une demi-heure, M. de Charlus ressortit.« Pourquoi avez-vous votre menton rasé comme cela, dit-il aubaron d’un ton de câlinerie. C’est si beau une belle barbe. –Fi ! c’est dégoûtant », répondit le baron.

Cependant il s’attardait encore sur le pas de la porte etdemandait à Jupien des renseignements sur le quartier. « Vousne savez rien sur le marchand de marrons du coin, pas à gauche,c’est une horreur, mais du côté pair, un grand gaillard toutnoir ? Et le pharmacien d’en face, il a un cycliste trèsgentil qui porte ses médicaments. » Ces questions froissèrentsans doute Jupien car, se redressant avec le dépit d’une grandecoquette trahie, il répondit : « Je vois que vous avez uncœur d’artichaut. » Proféré d’un ton douloureux, glacial etmaniéré, ce reproche fut sans doute sensible à M. de Charlus qui,pour effacer la mauvaise impression que sa curiosité avaitproduite, adressa à Jupien, trop bas pour que je distinguasse bienles mots, une prière qui nécessiterait sans doute qu’ilsprolongeassent leur séjour dans la boutique et qui toucha assez legiletier pour effacer sa souffrance, car il considéra la figure dubaron, grasse et congestionnée sous les cheveux gris, de l’air noyéde bonheur de quelqu’un dont on vient de flatter profondémentl’amour-propre, et, se décidant à accorder à M. de Charlus ce quecelui-ci venait de lui demander, Jupien, après des remarquesdépourvues de distinction telles que : « Vous en avez ungros pétard ! », dit au baron d’un air souriant, ému,supérieur et reconnaissant : « Oui, va, grandgosse ! »

« Si je reviens sur la question du conducteur de tramway,reprit M. de Charlus avec ténacité, c’est qu’en dehors de tout,cela pourrait présenter quelque intérêt pour le retour. Il m’arriveen effet, comme le calife qui parcourait Bagdad pris pour un simplemarchand, de condescendre à suivre quelque curieuse petite personnedont la silhouette m’aura amusé. » Je fis ici la même remarqueque j’avais faite sur Bergotte. S’il avait jamais à répondre devantun tribunal, il userait non de phrases propres à convaincre lesjuges, mais de ces phrases bergottesques que son tempéramentlittéraire particulier lui suggérait naturellement et lui faisaittrouver plaisir à employer. Pareillement M. de Charlus se servait,avec le giletier, du même langage qu’il eût fait avec des gens dumonde de sa coterie, exagérant même ses tics, soit que la timiditécontre laquelle il s’efforçait de lutter le poussât à un excessiforgueil, soit que, l’empêchant de se dominer (car on est plustroublé devant quelqu’un qui n’est pas de votre milieu), elle leforçât de dévoiler, de mettre à nu sa nature, laquelle était eneffet orgueilleuse et un peu folle, comme disait Mme deGuermantes. « Pour ne pas perdre sa piste, continua-t-il, jesaute comme un petit professeur, comme un jeune et beau médecin,dans le même tramway que la petite personne, dont nous ne parlonsau féminin que pour suivre la règle (comme on dit en parlant d’unprince : Est-ce que Son Altesse est bien portante). Si ellechange de tramway, je prends, avec peut-être les microbes de lapeste, la chose incroyable appelée « correspondance », unnuméro, et qui, bien qu’on le remette à moi, n’est pastoujours le n° 1 ! Je change ainsi jusqu’à trois, quatrefois de « voiture ». Je m’échoue parfois à onze heures dusoir à la gare d’Orléans, et il faut revenir ! Si encore cen’était que de la gare d’Orléans ! Mais une fois, par exemple,n’ayant pu entamer la conversation avant, je suis allé jusqu’àOrléans même, dans un de ces affreux wagons où on a comme vue,entre des triangles d’ouvrages dits de « filet », laphotographie des principaux chefs-d’œuvre d’architecture du réseau.Il n’y avait qu’une place de libre, j’avais en face de moi, commemonument historique, une « vue » de la cathédraled’Orléans, qui est la plus laide de France, et aussi fatigante àregarder ainsi malgré moi que si on m’avait forcé d’en fixer lestours dans la boule de verre de ces porte-plume optiques quidonnent des ophtalmies. Je descendis aux Aubrais en même temps quema jeune personne qu’hélas, sa famille (alors que je lui supposaistous les défauts excepté celui d’avoir une famille) attendait surle quai ! Je n’eus pour consolation, en attendant le train quime ramènerait à Paris, que la maison de Diane de Poitiers. Elle aeu beau charmer un de mes ancêtres royaux, j’eusse préféré unebeauté plus vivante. C’est pour cela, pour remédier à l’ennui deces retours seul, que j’aimerais assez connaître un garçon deswagons-lits, un conducteur d’omnibus. Du reste ne soyez pas choqué,conclut le baron, tout cela est une question de genre. Pour lesjeunes gens du monde par exemple, je ne désire aucune possessionphysique, mais je ne suis tranquille qu’une fois que je les aitouchés, je ne veux pas dire matériellement, mais touché leur cordesensible. Une fois qu’au lieu de laisser mes lettres sans réponse,un jeune homme ne cesse plus de m’écrire, qu’il est à madisposition morale, je suis apaisé, ou du moins je le serais, si jen’étais bientôt saisi par le souci d’un autre. C’est assez curieux,n’est-ce pas ? À propos de jeunes gens du monde, parmi ceuxqui viennent ici, vous n’en connaissez pas ? – Non, mon bébé.Ah ! si, un brun, très grand, à monocle, qui rit toujours etse retourne. – Je ne vois pas qui vous voulez dire. » Jupiencompléta le portrait, M. de Charlus ne pouvait arriver à trouver dequi il s’agissait, parce qu’il ignorait que l’ancien giletier étaitune de ces personnes, plus nombreuses qu’on ne croit, qui ne serappellent pas la couleur des cheveux des gens qu’ils connaissentpeu. Mais pour moi, qui savais cette infirmité de Jupien et quiremplaçais brun par blond, le portrait me parut se rapporterexactement au duc de Châtellerault. « Pour revenir aux jeunesgens qui ne sont pas du peuple, reprit le baron, en ce moment j’aila tête tournée par un étrange petit bonhomme, un intelligent petitbourgeois, qui montre à mon égard une incivilité prodigieuse. Iln’a aucunement la notion du prodigieux personnage que je suis et dumicroscopique vibrion qu’il figure. Après tout qu’importe, ce petitâne peut braire autant qu’il lui plaît devant ma robe augusted’évêque. – Évêque ! s’écria Jupien qui n’avait rien comprisdes dernières phrases que venait de prononcer M. de Charlus, maisque le mot d’évêque stupéfia. Mais cela ne va guère avec lareligion, dit-il. – J’ai trois papes dans ma famille, répondit M.de Charlus, et le droit de draper en rouge à cause d’un titrecardinalice, la nièce du cardinal mon grand-oncle ayant apporté àmon grand-père le titre de duc qui fut substitué. Je vois que lesmétaphores vous laissent sourd et l’histoire de France indifférent.Du reste, ajouta-t-il, peut-être moins en manière de conclusion qued’avertissement, cet attrait qu’exercent sur moi les jeunespersonnes qui me fuient, par crainte, bien entendu, car seul lerespect leur ferme la bouche pour me crier qu’elles m’aiment,requiert-il d’elles un rang social éminent. Encore leur feinteindifférence peut-elle produire malgré cela l’effet directementcontraire. Sottement prolongée elle m’écœure. Pour prendre unexemple dans une classe qui vous sera plus familière, quand onrépara mon hôtel, pour ne pas faire de jalouses entre toutes lesduchesses qui se disputaient l’honneur de pouvoir me dire qu’ellesm’avaient logé, j’allai passer quelques jours àl’« hôtel », comme on dit. Un des garçons d’étage m’étaitconnu, je lui désignai un curieux petit « chasseur » quifermait les portières et qui resta réfractaire à mes propositions.À la fin exaspéré, pour lui prouver que mes intentions étaientpures, je lui fis offrir une somme ridiculement élevée pour monterseulement me parler cinq minutes dans ma chambre. Je l’attendisinutilement. Je le pris alors en un tel dégoût que je sortais parla porte de service pour ne pas apercevoir la frimousse de cevilain petit drôle. J’ai su depuis qu’il n’avait jamais eu aucunede mes lettres, qui avaient été interceptées, la première par legarçon d’étage qui était envieux, la seconde par le concierge dejour qui était vertueux, la troisième par le concierge de nuit quiaimait le jeune chasseur et couchait avec lui à l’heure où Diane selevait. Mais mon dégoût n’en a pas moins persisté, etm’apporterait-on le chasseur comme un simple gibier de chasse surun plat d’argent, je le repousserais avec un vomissement. Maisvoilà le malheur, nous avons parlé de choses sérieuses etmaintenant c’est fini entre nous pour ce que j’espérais. Mais vouspourriez me rendre de grands services, vous entremettre ; etpuis non, rien que cette idée me rend quelque gaillardise et jesens que rien n’est fini. »

Dès le début de cette scène, une révolution, pour mes yeuxdessillés, s’était opérée en M. de Charlus, aussi complète, aussiimmédiate que s’il avait été touché par une baguette magique.Jusque-là, parce que je n’avais pas compris, je n’avais pas vu. Levice (on parle ainsi pour la commodité du langage), le vice dechacun l’accompagne à la façon de ce génie qui était invisible pourles hommes tant qu’ils ignoraient sa présence. La bonté, lafourberie, le nom, les relations mondaines, ne se laissent pasdécouvrir, et on les porte cachés. Ulysse lui-même ne reconnaissaitpas d’abord Athéné. Mais les dieux sont immédiatement perceptiblesaux dieux, le semblable aussi vite au semblable, ainsi encorel’avait été M. de Charlus à Jupien. Jusqu’ici je m’étais trouvé, enface de M. de Charlus, de la même façon qu’un homme distrait,lequel, devant une femme enceinte dont il n’a pas remarqué lataille alourdie, s’obstine, tandis qu’elle lui répète ensouriant : « Oui, je suis un peu fatiguée en cemoment », à lui demander indiscrètement :« Qu’avez-vous donc ? » Mais que quelqu’un luidise : « Elle est grosse », soudain il aperçoit leventre et ne verra plus que lui. C’est la raison qui ouvre lesyeux ; une erreur dissipée nous donne un sens de plus.

Les personnes qui n’aiment pas se reporter comme exemples decette loi aux messieurs de Charlus de leur connaissance, quependant bien longtemps elles n’avaient pas soupçonnés, jusqu’aujour où, sur la surface unie de l’individu pareil aux autres, sontvenus apparaître, tracés en une encre jusque-là invisible, lescaractères qui composent le mot cher aux anciens Grecs, n’ont, pourse persuader que le monde qui les entoure leur apparaît d’abord nu,dépouillé de mille ornements qu’il offre à de plus instruits, qu’àse souvenir combien de fois, dans la vie, il leur est arrivé d’êtresur le point de commettre une gaffe. Rien, sur le visage privé decaractères de tel ou tel homme, ne pouvait leur faire supposerqu’il était précisément le frère, ou le fiancé, ou l’amant d’unefemme dont elles allaient dire : « Quelchameau ! » Mais alors, par bonheur, un mot que leurchuchote un voisin arrête sur leurs lèvres le terme fatal. Aussitôtapparaissent, comme un Mane, Thecel, Phares, cesmots : il est le fiancé, ou : il est le frère, ou :il est l’amant de la femme qu’il ne convient pas d’appeler devantlui : « chameau ». Et cette seule notion nouvelleentraînera tout un regroupement, le retrait ou l’avance de lafraction des notions, désormais complétées, qu’on possédait sur lereste de la famille. En M. de Charlus un autre être avait beaus’accoupler, qui le différenciait des autres hommes, comme dans lecentaure le cheval, cet être avait beau faire corps avec le baron,je ne l’avais jamais aperçu. Maintenant l’abstrait s’étaitmatérialisé, l’être enfin compris avait aussitôt perdu son pouvoirde rester invisible, et la transmutation de M. de Charlus en unepersonne nouvelle était si complète, que non seulement lescontrastes de son visage, de sa voix, mais rétrospectivement leshauts et les bas eux-mêmes de ses relations avec moi, tout ce quiavait paru jusque-là incohérent à mon esprit, devenaientintelligibles, se montraient évidents, comme une phrase, n’offrantaucun sens tant qu’elle reste décomposée en lettres disposées auhasard, exprime, si les caractères se trouvent replacés dansl’ordre qu’il faut, une pensée que l’on ne pourra plus oublier.

De plus je comprenais maintenant pourquoi tout à l’heure, quandje l’avais vu sortir de chez Mme de Villeparisis,j’avais pu trouver que M. de Charlus avait l’air d’une femme :c’en était une ! Il appartenait à la race de ces êtres, moinscontradictoires qu’ils n’en ont l’air, dont l’idéal est viril,justement parce que leur tempérament est féminin, et qui sont dansla vie pareils, en apparence seulement, aux autres hommes ; làoù chacun porte, inscrite en ces yeux à travers lesquels il voittoutes choses dans l’univers, une silhouette installée dans lafacette de la prunelle, pour eux ce n’est pas celle d’une nymphe,mais d’un éphèbe. Race sur qui pèse une malédiction et qui doitvivre dans le mensonge et le parjure, puisqu’elle sait tenu pourpunissable et honteux, pour inavouable, son désir, ce qui fait pourtoute créature la plus grande douceur de vivre ; qui doitrenier son Dieu, puisque, même chrétiens, quand à la barre dutribunal ils comparaissent comme accusés, il leur faut, devant leChrist et en son nom, se défendre comme d’une calomnie de ce quiest leur vie même ; fils sans mère, à laquelle ils sontobligés de mentir toute la vie et même à l’heure de lui fermer lesyeux ; amis sans amitiés, malgré toutes celles que leur charmefréquemment reconnu inspire et que leur cœur souvent bonressentirait ; mais peut-on appeler amitiés ces relations quine végètent qu’à la faveur d’un mensonge et d’où le premier élan deconfiance et de sincérité qu’ils seraient tentés d’avoir les feraitrejeter avec dégoût, à moins qu’ils n’aient à faire à un espritimpartial, voire sympathique, mais qui alors, égaré à leur endroitpar une psychologie de convention, fera découler du vice confessél’affection même qui lui est la plus étrangère, de même quecertains juges supposent et excusent plus facilement l’assassinatchez les invertis et la trahison chez les Juifs pour des raisonstirées du péché originel et de la fatalité de la race. Enfin – dumoins selon la première théorie que j’en esquissais alors, qu’onverra se modifier par la suite, et en laquelle cela les eûtpar-dessus tout fâchés si cette contradiction n’avait été dérobée àleurs yeux par l’illusion même que les faisait voir et vivre –amants à qui est presque fermée la possibilité de cet amour dontl’espérance leur donne la force de supporter tant de risques et desolitudes, puisqu’ils sont justement épris d’un homme qui n’auraitrien d’une femme, d’un homme qui ne serait pas inverti et qui, parconséquent, ne peut les aimer ; de sorte que leur désir seraità jamais inassouvissable si l’argent ne leur livrait de vraishommes, et si l’imagination ne finissait par leur faire prendrepour de vrais hommes les invertis à qui ils se sont prostitués.Sans honneur que précaire, sans liberté que provisoire, jusqu’à ladécouverte du crime ; sans situation qu’instable, comme pourle poète la veille fêté dans tous les salons, applaudi dans tousles théâtres de Londres, chassé le lendemain de tous les garnissans pouvoir trouver un oreiller où reposer sa tête, tournant lameule comme Samson et disant comme lui : « Les deux sexesmourront chacun de son côté » ; exclus même, hors lesjours de grande infortune où le plus grand nombre se rallie autourde la victime, comme les Juifs autour de Dreyfus, de la sympathie –parfois de la société – de leurs semblables, auxquels ils donnentle dégoût de voir ce qu’ils sont, dépeint dans un miroir qui, neles flattant plus, accuse toutes les tares qu’ils n’avaient pasvoulu remarquer chez eux-mêmes et qui leur fait comprendre que cequ’ils appelaient leur amour (et à quoi, en jouant sur le mot, ilsavaient, par sens social, annexé tout ce que la poésie, lapeinture, la musique, la chevalerie, l’ascétisme, ont pu ajouter àl’amour) découle non d’un idéal de beauté qu’ils ont élu, maisd’une maladie inguérissable ; comme les Juifs encore (saufquelques-uns qui ne veulent fréquenter que ceux de leur race, onttoujours à la bouche les mots rituels et les plaisanteriesconsacrées) se fuyant les uns les autres, recherchant ceux qui leursont le plus opposés, qui ne veulent pas d’eux, pardonnant leursrebuffades, s’enivrant de leurs complaisances ; mais aussirassemblés à leurs pareils par l’ostracisme qui les frappe,l’opprobre où ils sont tombés, ayant fini par prendre, par unepersécution semblable à celle d’Israël, les caractères physiques etmoraux d’une race, parfois beaux, souvent affreux, trouvant (malgrétoutes les moqueries dont celui qui, plus mêlé, mieux assimilé à larace adverse, est relativement, en apparence, le moins inverti,accable qui l’est demeuré davantage) une détente dans lafréquentation de leurs semblables, et même un appui dans leurexistence, si bien que, tout en niant qu’ils soient une race (dontle nom est la plus grande injure), ceux qui parviennent à cacherqu’ils en sont, ils les démasquent volontiers, moins pour leurnuire, ce qu’ils ne détestent pas, que pour s’excuser, et allantchercher, comme un médecin l’appendicite, l’inversion jusque dansl’histoire, ayant plaisir à rappeler que Socrate était l’un d’eux,comme les Israélites disent de Jésus, sans songer qu’il n’y avaitpas d’anormaux quand l’homosexualité était la norme, pasd’antichrétiens avant le Christ, que l’opprobre seul fait le crime,parce qu’il n’a laissé subsister que ceux qui étaient réfractairesà toute prédication, à tout exemple, à tout châtiment, en vertud’une disposition innée tellement spéciale qu’elle répugne plus auxautres hommes (encore qu’elle puisse s’accompagner de hautesqualités morales) que de certains vices qui y contredisent, commele vol, la cruauté, la mauvaise foi, mieux compris, donc plusexcusés du commun des hommes ; formant une franc-maçonneriebien plus étendue, plus efficace et moins soupçonnée que celle desloges, car elle repose sur une identité de goûts, de besoins,d’habitudes, de dangers, d’apprentissage, de savoir, de trafic, deglossaire, et dans laquelle les membres mêmes qui souhaitent de nepas se connaître aussitôt se reconnaissent à des signes naturels oude convention, involontaires ou voulus, qui signalent un de sessemblables au mendiant dans le grand seigneur à qui il ferme laportière de sa voiture, au père dans le fiancé de sa fille, à celuiqui avait voulu se guérir, se confesser, qui avait à se défendre,dans le médecin, dans le prêtre, dans l’avocat qu’il est allétrouver ; tous obligés à protéger leur secret, mais ayant leurpart d’un secret des autres que le reste de l’humanité ne soupçonnepas et qui fait qu’à eux les romans d’aventure les plusinvraisemblables semblent vrais, car dans cette vie romanesque,anachronique, l’ambassadeur est ami du forçat ; le prince,avec une certaine liberté d’allures que donne l’éducationaristocratique et qu’un petit bourgeois tremblant n’aurait pas, ensortant de chez la duchesse s’en va conférer avec l’apache ;partie réprouvée de la collectivité humaine, mais partieimportante, soupçonnée là où elle n’est pas étalée, insolente,impunie là où elle n’est pas devinée ; comptant des adhérentspartout, dans le peuple, dans l’armée, dans le temple, au bagne,sur le trône ; vivant enfin, du moins un grand nombre, dansl’intimité caressante et dangereuse avec les hommes de l’autrerace, les provoquant, jouant avec eux à parler de son vice commes’il n’était pas sien, jeu qui est rendu facile par l’aveuglementou la fausseté des autres, jeu qui peut se prolonger des annéesjusqu’au jour du scandale où ces dompteurs sont dévorés ;jusque-là obligés de cacher leur vie, de détourner leurs regardsd’où ils voudraient se fixer, de les fixer sur ce dont ilsvoudraient se détourner, de changer le genre de bien des adjectifsdans leur vocabulaire, contrainte sociale légère auprès de lacontrainte intérieure que leur vice, ou ce qu’on nomme improprementainsi, leur impose non plus à l’égard des autres mais d’eux-mêmes,et de façon qu’à eux-mêmes il ne leur paraisse pas un vice. Maiscertains, plus pratiques, plus pressés, qui n’ont pas le tempsd’aller faire leur marché et de renoncer à la simplification de lavie et à ce gain de temps qui peut résulter de la coopération, sesont fait deux sociétés dont la seconde est composée exclusivementd’êtres pareils à eux.

Cela frappe chez ceux qui sont pauvres et venus de la province,sans relations, sans rien que l’ambition d’être un jour médecin ouavocat célèbre, ayant un esprit encore vide d’opinions, un corpsdénué de manières et qu’ils comptent rapidement orner, comme ilsachèteraient pour leur petite chambre du quartier latin des meublesd’après ce qu’ils remarqueraient et calqueraient chez ceux qui sontdéjà « arrivés » dans la profession utile et sérieuse oùils souhaitent de s’encadrer et de devenir illustres ; chezceux-là, leur goût spécial, hérité à leur insu, comme desdispositions pour le dessin, pour la musique, est peut-être, à lavérité, la seule originalité vivace, despotique – et qui tels soirsles force à manquer telle réunion utile à leur carrière avec desgens dont, pour le reste, ils adoptent les façons de parler, depenser, de s’habiller, de se coiffer. Dans leur quartier, où ils nefréquentent sans cela que des condisciples, des maîtres ou quelquecompatriote arrivé et protecteur, ils ont vite découvert d’autresjeunes gens que le même goût particulier rapproche d’eux, commedans une petite ville se lient le professeur de seconde et lenotaire qui aiment tous les deux la musique de chambre, les ivoiresdu moyen âge ; appliquant à l’objet de leur distraction lemême instinct utilitaire, le même esprit professionnel qui lesguide dans leur carrière, ils les retrouvent à des séances où nulprofane n’est admis, pas plus qu’à celles qui réunissent desamateurs de vieilles tabatières, d’estampes japonaises, de fleursrares, et où, à cause du plaisir de s’instruire, de l’utilité deséchanges et de la crainte des compétitions, règne à la fois, commedans une bourse aux timbres, l’entente étroite des spécialistes etles féroces rivalités des collectionneurs. Personne d’ailleurs,dans le café où ils ont leur table, ne sait quelle est cetteréunion, si c’est celle d’une société de pêche, des secrétaires derédaction, ou des enfants de l’Indre, tant leur tenue est correcte,leur air réservé et froid, et tant ils n’osent regarder qu’à ladérobée les jeunes gens à la mode, les jeunes « lions »qui, à quelques mètres plus loin, font grand bruit de leursmaîtresses, et parmi lesquels ceux qui les admirent sans oser leverles yeux apprendront seulement vingt ans plus tard, quand les unsseront à la veille d’entrer dans une académie et les autres devieux hommes de cercle, que le plus séduisant, maintenant un groset grisonnant Charlus, était en réalité pareil à eux, maisailleurs, dans un autre monde, sous d’autres symboles extérieurs,avec des signes étrangers, dont la différence les a induits enerreur. Mais les groupements sont plus ou moins avancés ; etcomme l’« Union des gauches » diffère de la« Fédération socialiste » et telle société de musiqueMendelssohnienne de la Schola Cantorum, certains soirs, à une autretable, il y a des extrémistes qui laissent passer un bracelet sousleur manchette, parfois un collier dans l’évasement de leur col,forcent par leurs regards insistants, leurs gloussements, leursrires, leurs caresses entre eux, une bande de collégiens à s’enfuirau plus vite, et sont servis, avec une politesse sous laquellecouve l’indignation, par un garçon qui, comme les soirs où il sertles dreyfusards, aurait plaisir à aller chercher la police s’iln’avait avantage à empocher les pourboires.

C’est à ces organisations professionnelles que l’esprit opposele goût des solitaires, et sans trop d’artifices d’une part,puisqu’il ne fait en cela qu’imiter les solitaires eux-mêmes quicroient que rien ne diffère plus du vice organisé que ce qui leurparaît à eux un amour incompris, avec quelque artifice toutefois,car ces différentes classes répondent, tout autant qu’à des typesphysiologiques divers, à des moments successifs d’une évolutionpathologique ou seulement sociale. Et il est bien rare en effetqu’un jour ou l’autre, ce ne soit pas dans de telles organisationsque les solitaires viennent se fondre, quelquefois par simplelassitude, par commodité (comme finissent ceux qui en ont été leplus adversaires par faire poser chez eux le téléphone, parrecevoir les Iéna, ou par acheter chez Potin). Ils y sontd’ailleurs généralement assez mal reçus, car, dans leur vierelativement pure, le défaut d’expérience, la saturation par larêverie où ils sont réduits, ont marqué plus fortement en eux cescaractères particuliers d’efféminement que les professionnels ontcherché à effacer. Et il faut avouer que chez certains de cesnouveaux venus, la femme n’est pas seulement intérieurement unie àl’homme, mais hideusement visible, agités qu’ils sont dans unspasme d’hystérique, par un rire aigu qui convulse leurs genoux etleurs mains, ne ressemblant pas plus au commun des hommes que cessinges à l’œil mélancolique et cerné, aux pieds prenants, quirevêtent le smoking et portent une cravate noire ; de sorteque ces nouvelles recrues sont jugées, par de moins chastespourtant, d’une fréquentation compromettante, et leur admissiondifficile ; on les accepte cependant et ils bénéficient alorsde ces facilités par lesquelles le commerce, les grandesentreprises, ont transformé la vie des individus, leur ont renduaccessibles des denrées jusque-là trop dispendieuses à acquérir etmême difficiles à trouver, et qui maintenant les submergent par lapléthore de ce que seuls ils n’avaient pu arriver à découvrir dansles plus grandes foules. Mais, même avec ces exutoiresinnombrables, la contrainte sociale est trop lourde encore pourcertains, qui se recrutent surtout parmi ceux chez qui lacontrainte mentale ne s’est pas exercée et qui tiennent encore pourplus rare qu’il n’est leur genre d’amour. Laissons pour le momentde côté ceux qui, le caractère exceptionnel de leur penchant lesfaisant se croire supérieurs à elles, méprisent les femmes, font del’homosexualité le privilège des grands génies et des époquesglorieuses, et quand ils cherchent à faire partager leur goût, lefont moins à ceux qui leur semblent y être prédisposés, comme lemorphinomane fait pour la morphine, qu’à ceux qui leur en semblentdignes, par zèle d’apostolat, comme d’autres prêchent le sionisme,le refus du service militaire, le saint-simonisme, le végétarismeet l’anarchie. Quelques-uns, si on les surprend le matin encorecouchés, montrent une admirable tête de femme, tant l’expressionest générale et symbolise tout le sexe ; les cheveux eux-mêmesl’affirment, leur inflexion est si féminine, déroulés, ils tombentsi naturellement en tresses sur la joue, qu’on s’émerveille que lajeune femme, la jeune fille, Galathée qui s’éveille à peine dansl’inconscient de ce corps d’homme où elle est enfermée, ait su siingénieusement, de soi-même, sans l’avoir appris de personne,profiter des moindres issues de sa prison, trouver ce qui étaitnécessaire à sa vie. Sans doute le jeune homme qui a cette têtedélicieuse ne dit pas : « Je suis une femme. » Mêmesi – pour tant de raisons possibles – il vit avec une femme, ilpeut lui nier que lui en soit une, lui jurer qu’il n’a jamais eu derelations avec des hommes. Qu’elle le regarde comme nous venons dele montrer, couché dans un lit, en pyjama, les bras nus, le cou nusous les cheveux noirs. Le pyjama est devenu une camisole de femme,la tête celle d’une jolie Espagnole. La maîtresse s’épouvante deces confidences faites à ses regards, plus vraies que ne pourraientêtre des paroles, des actes mêmes, et que les actes mêmes, s’ils nel’ont déjà fait, ne pourront manquer de confirmer, car tout êtresuit son plaisir, et si cet être n’est pas trop vicieux, il lecherche dans un sexe opposé au sien. Et pour l’inverti le vicecommence, non pas quand il noue des relations (car trop de raisonspeuvent les commander), mais quand il prend son plaisir avec desfemmes. Le jeune homme que nous venons d’essayer de peindre étaitsi évidemment une femme, que les femmes qui le regardaient avecdésir étaient vouées (à moins d’un goût particulier) au mêmedésappointement que celles qui, dans les comédies de Shakespeare,sont déçues par une jeune fille déguisée qui se fait passer pour unadolescent. La tromperie est égale, l’inverti même le sait, ildevine la désillusion que, le travestissement ôté, la femmeéprouvera, et sent combien cette erreur sur le sexe est une sourcede fantaisiste poésie. Du reste, même à son exigeante maîtresse, ila beau ne pas avouer (si elle n’est pas gomorrhéenne) :« Je suis une femme », pourtant en lui, avec quellesruses, quelle agilité, quelle obstination de plante grimpante, lafemme inconsciente et visible cherche-t-elle l’organe masculin. Onn’a qu’à regarder cette chevelure bouclée sur l’oreiller blanc pourcomprendre que le soir, si ce jeune homme glisse hors des doigts deses parents, malgré eux, malgré lui ce ne sera par pour allerretrouver des femmes. Sa maîtresse peut le châtier, l’enfermer, lelendemain l’homme-femme aura trouvé le moyen de s’attacher à unhomme, comme le volubilis jette ses vrilles là où se trouve unepioche ou un râteau. Pourquoi, admirant dans le visage de cet hommedes délicatesses qui nous touchent, une grâce, un naturel dansl’amabilité comme les hommes n’en ont point, serions-nous désolésd’apprendre que ce jeune homme recherche les boxeurs ? Ce sontdes aspects différents d’une même réalité. Et même, celui qui nousrépugne est le plus touchant, plus touchant que toutes lesdélicatesses, car il représente un admirable effort inconscient dela nature : la reconnaissance du sexe par lui-même ;malgré les duperies du sexe, apparaît la tentative inavouée pours’évader vers ce qu’une erreur initiale de la société a placé loinde lui. Pour les uns, ceux qui ont eu l’enfance la plus timide sansdoute, ils ne se préoccupent guère de la sorte matérielle deplaisir qu’ils reçoivent, pourvu qu’ils puissent le rapporter à unvisage masculin. Tandis que d’autres, ayant des sens plus violentssans doute, donnent à leur plaisir matériel d’impérieuseslocalisations. Ceux-là choqueraient peut-être par leurs aveux lamoyenne du monde. Ils vivent peut-être moins exclusivement sous lesatellite de Saturne, car pour eux les femmes ne sont pasentièrement exclues comme pour les premiers, à l’égard desquelselles n’existeraient pas sans la conversation, la coquetterie, lesamours de tête. Mais les seconds recherchent celles qui aiment lesfemmes, elles peuvent leur procurer un jeune homme, accroître leplaisir qu’ils ont à se trouver avec lui ; bien plus, ilspeuvent, de la même manière, prendre avec elles le même plaisirqu’avec un homme. De là vient que la jalousie n’est excitée, pourceux qui aiment les premiers, que par le plaisir qu’ils pourraientprendre avec un homme et qui seul leur semble une trahison,puisqu’ils ne participent pas à l’amour des femmes, ne l’ontpratiqué que comme habitude et pour se réserver la possibilité dumariage, se représentant si peu le plaisir qu’il peut donner,qu’ils ne peuvent souffrir que celui qu’ils aiment le goûte ;tandis que les seconds inspirent souvent de la jalousie par leursamours avec des femmes. Car dans les rapports qu’ils ont avecelles, ils jouent pour la femme qui aime les femmes le rôle d’uneautre femme, et la femme leur offre en même temps à peu près cequ’ils trouvent chez l’homme, si bien que l’ami jaloux souffre desentir celui qu’il aime rivé à celle qui est pour lui presque unhomme, en même temps qu’il le sent presque lui échapper, parce que,pour ces femmes, il est quelque chose qu’il ne connaît pas, uneespèce de femme. Ne parlons pas non plus de ces jeunes fous qui,par une sorte d’enfantillage, pour taquiner leurs amis, choquerleurs parents, mettent une sorte d’acharnement à choisir desvêtements qui ressemblent à des robes, à rougir leurs lèvres etnoircir leurs yeux ; laissons-les de côté, car ce sont euxqu’on retrouvera, quand ils auront trop cruellement porté la peinede leur affectation, passant toute une vie à essayer vainement deréparer, par une tenue sévère, protestante, le tort qu’ils se sontfait quand ils étaient emportés par le même démon qui pousse desjeunes femmes du faubourg Saint-Germain à vivre d’une façonscandaleuse, à rompre avec tous les usages, à bafouer leur famille,jusqu’au jour où elles se mettent avec persévérance et sans succèsà remonter la pente qu’il leur avait paru si amusant de descendre,qu’elles avaient trouvé si amusant, ou plutôt qu’elles n’avaientpas pu s’empêcher de descendre. Laissons enfin pour plus tard ceuxqui ont conclu un pacte avec Gomorrhe. Nous en parlerons quand M.de Charlus les connaîtra. Laissons tous ceux, d’une variété oud’une autre, qui apparaîtront à leur tour, et pour finir ce premierexposé, ne disons un mot que de ceux dont nous avions commencé deparler tout à l’heure, des solitaires. Tenant leur vice pour plusexceptionnel qu’il n’est, ils sont allés vivre seuls du jour qu’ilsl’ont découvert, après l’avoir porté longtemps sans le connaître,plus longtemps seulement que d’autres. Car personne ne sait toutd’abord qu’il est inverti, ou poète, ou snob, ou méchant. Telcollégien qui apprenait des vers d’amour ou regardait des imagesobscènes, s’il se serrait alors contre un camarade, s’imaginaitseulement communier avec lui dans un même désir de la femme.Comment croirait-il n’être pas pareil à tous, quand ce qu’iléprouve il en reconnaît la substance en lisant Mme deLafayette, Racine, Baudelaire, Walter Scott, alors qu’il est encoretrop peu capable de s’observer soi-même pour se rendre compte de cequ’il ajoute de son cru, et que si le sentiment est le même,l’objet diffère, que ce qu’il désire c’est Rob Roy et non DianaVernon ? Chez beaucoup, par une prudence défensive del’instinct qui précède la vue plus claire de l’intelligence, laglace et les murs de leur chambre disparaissaient sous des chromosreprésentant des actrices ; ils font des vers tels que :« Je n’aime que Chloé au monde, elle est divine, elle estblonde, et d’amour mon cœur s’inonde. » Faut-il pour celamettre au commencement de ces vies un goût qu’on ne devait pointretrouver chez elles dans la suite, comme ces boucles blondes desenfants qui doivent ensuite devenir les plus bruns ? Qui saitsi les photographies de femmes ne sont pas un commencementd’hypocrisie, un commencement aussi d’horreur pour les autresinvertis ? Mais les solitaires sont précisément ceux à quil’hypocrisie est douloureuse. Peut-être l’exemple des Juifs, d’unecolonie différente, n’est-il même pas assez fort pour expliquercombien l’éducation a peu de prise sur eux, et avec quel art ilsarrivent à revenir, peut-être pas à quelque chose d’aussisimplement atroce que le suicide où les fous, quelque précautionqu’on prenne, reviennent et, sauvés de la rivière où ils se sontjetés, s’empoisonnent, se procurent un revolver, etc., mais à unevie dont les hommes de l’autre race non seulement ne comprennentpas, n’imaginent pas, haïssent les plaisirs nécessaires, maisencore dont le danger fréquent et la honte permanente leur feraienthorreur. Peut-être, pour les peindre, faut-il penser sinon auxanimaux qui ne se domestiquent pas, aux lionceaux prétendusapprivoisés mais restés lions, du moins aux noirs, que l’existenceconfortable des blancs désespère et qui préfèrent les risques de lavie sauvage et ses incompréhensibles joies. Quand le jour est venuoù ils se sont découverts incapables à la fois de mentir aux autreset de se mentir à soi-même, ils partent vivre à la campagne, fuyantleurs pareils (qu’ils croient peu nombreux) par horreur de lamonstruosité ou crainte de la tentation, et le reste de l’humanitépar honte. N’étant jamais parvenus à la véritable maturité, tombésdans la mélancolie, de temps à autre, un dimanche sans lune, ilsvont faire une promenade sur un chemin jusqu’à un carrefour, où,sans qu’ils se soient dit un mot, est venu les attendre un de leursamis d’enfance qui habite un château voisin. Et ils recommencentles jeux d’autrefois, sur l’herbe, dans la nuit, sans échanger uneparole. En semaine, ils se voient l’un chez l’autre, causent den’importe quoi, sans une allusion à ce qui s’est passé, exactementcomme s’ils n’avaient rien fait et ne devaient rien refaire, sauf,dans leurs rapports, un peu de froideur, d’ironie, d’irritabilitéet de rancune, parfois de la haine. Puis le voisin part pour un durvoyage à cheval, et, à mulet, ascensionne des pics, couche dans laneige ; son ami, qui identifie son propre vice avec unefaiblesse de tempérament, la vie casanière et timide, comprend quele vice ne pourra plus vivre en son ami émancipé, à tant demilliers de mètres au-dessus du niveau de la mer. Et en effet,l’autre se marie. Le délaissé pourtant ne guérit pas (malgré lescas où l’on verra que l’inversion est guérissable). Il exige derecevoir lui-même le matin, dans sa cuisine, la crème fraîche desmains du garçon laitier et, les soirs où des désirs l’agitent trop,il s’égare jusqu’à remettre dans son chemin un ivrogne, jusqu’àarranger la blouse de l’aveugle. Sans doute la vie de certainsinvertis paraît quelquefois changer, leur vice (comme on dit)n’apparaît plus dans leurs habitudes ; mais rien ne seperd : un bijou caché se retrouve ; quand la quantité desurines d’un malade diminue, c’est bien qu’il transpire davantage,mais il faut toujours que l’excrétion se fasse. Un jour cethomosexuel perd un jeune cousin et, à son inconsolable douleur,vous comprenez que c’était dans cet amour, chaste peut-être et quitenait plus à garder l’estime qu’à obtenir la possession, que lesdésirs avaient passé par virement, comme dans un budget, sans rienchanger au total, certaines dépenses sont portées à un autreexercice. Comme il en est pour ces malades chez qui une crised’urticaire fait disparaître pour un temps leurs indispositionshabituelles, l’amour pur à l’égard d’un jeune parent semble, chezl’inverti, avoir momentanément remplacé, par métastase, deshabitudes qui reprendront un jour ou l’autre la place du malvicariant et guéri.

Cependant le voisin marié du solitaire est revenu ; devantla beauté de la jeune épouse et la tendresse que son mari luitémoigne, le jour où l’ami est forcé de les inviter à dîner, il ahonte du passé. Déjà dans une position intéressante, elle doitrentrer de bonne heure, laissant son mari ; celui-ci, quandl’heure est venue de rentrer, demande un bout de conduite à sonami, que d’abord aucune suspicion n’effleure, mais qui, aucarrefour, se voit renversé sur l’herbe, sans une parole, parl’alpiniste bientôt père. Et les rencontres recommencent jusqu’aujour où vient s’installer non loin de là un cousin de la jeunefemme, avec qui se promène maintenant toujours le mari. Etcelui-ci, si le délaissé vient le voir et cherche à s’approcher delui, furibond, le repousse avec l’indignation que l’autre n’ait paseu le tact de pressentir le dégoût qu’il inspire désormais. Unefois pourtant se présente un inconnu envoyé par le voisininfidèle ; mais, trop affairé, le délaissé ne peut le recevoiret ne comprend que plus tard dans quel but l’étranger étaitvenu.

Alors le solitaire languit seul. Il n’a d’autre plaisir qued’aller à la station de bain de mer voisine demander unrenseignement à un certain employé de chemin de fer. Mais celui-cia reçu de l’avancement, est nommé à l’autre bout de laFrance ; le solitaire ne pourra plus aller lui demanderl’heure des trains, le prix des premières, et avant de rentrerrêver dans sa tour, comme Grisélidis, il s’attarde sur la plage,telle une étrange Andromède qu’aucun Argonaute ne viendra délivrer,comme une méduse stérile qui périra sur le sable, ou bien il resteparesseusement, avant le départ du train, sur le quai, à jeter surla foule des voyageurs un regard qui semblera indifférent,dédaigneux ou distrait, à ceux d’une autre race, mais qui, commel’éclat lumineux dont se parent certains insectes pour attirer ceuxde la même espèce, ou comme le nectar qu’offrent certaines fleurspour attirer les insectes qui les féconderont, ne tromperait pasl’amateur presque introuvable d’un plaisir trop singulier, tropdifficile à placer, qui lui est offert, le confrère avec qui notrespécialiste pourrait parler la langue insolite ; tout au plus,à celle-ci quelque loqueteux du quai fera-t-il semblant des’intéresser, mais pour un bénéfice matériel seulement, comme ceuxqui au Collège de France, dans la salle où le professeur desanscrit parle sans auditeur, vont suivre le cours, mais seulementpour se chauffer. Méduse ! Orchidée ! quand je ne suivaisque mon instinct, la méduse me répugnait à Balbec ; mais si jesavais la regarder, comme Michelet, du point de vue de l’histoirenaturelle et de l’esthétique, je voyais une délicieuse girandoled’azur. Ne sont-elles pas, avec le velours transparent de leurspétales, comme les mauves orchidées de la mer ? Comme tant decréatures du règne animal et du règne végétal, comme la plante quiproduirait la vanille, mais qui, parce que, chez elle, l’organemâle est séparé par une cloison de l’organe femelle, demeurestérile si les oiseaux-mouches ou certaines petites abeilles netransportent le pollen des unes aux autres ou si l’homme ne lesféconde artificiellement, M. de Charlus (et ici le mot fécondationdoit être pris au sens moral, puisqu’au sens physique l’union dumâle avec le mâle est stérile, mais il n’est pas indifférent qu’unindividu puisse rencontrer le seul plaisir qu’il est susceptible degoûter, et « qu’ici-bas tout être » puisse donner àquelqu’un « sa musique, sa flamme ou son parfum »), M. deCharlus était de ces hommes qui peuvent être appelés exceptionnels,parce que, si nombreux soient-ils, la satisfaction, si facile chezd’autres de leurs besoins sexuels, dépend de la coïncidence de tropde conditions, et trop difficiles à rencontrer. Pour des hommescomme M. de Charlus, et sous la réserve des accommodements quiparaîtront peu à peu et qu’on a pu déjà pressentir, exigés par lebesoin de plaisir, qui se résignent à de demi-consentements,l’amour mutuel, en dehors des difficultés si grandes, parfoisinsurmontables, qu’il rencontre chez le commun des êtres, leur enajoute de si spéciales, que ce qui est toujours très rare pour toutle monde devient à leur égard à peu près impossible, et que, si seproduit pour eux une rencontre vraiment heureuse ou que la natureleur fait paraître telle, leur bonheur, bien plus encore que celuide l’amoureux normal, a quelque chose d’extraordinaire, desélectionné, de profondément nécessaire. La haine des Capulet etdes Montaigu n’était rien auprès des empêchements de tout genre quiont été vaincus, des éliminations spéciales que la nature a dûfaire subir aux hasards déjà peu communs qui amènent l’amour, avantqu’un ancien giletier, qui comptait partir sagement pour sonbureau, titube, ébloui, devant un quinquagénaire bedonnant ;ce Roméo et cette Juliette peuvent croire à bon droit que leuramour n’est pas le caprice d’un instant, mais une véritableprédestination préparée par les harmonies de leur tempérament, nonpas seulement par leur tempérament propre, mais par celui de leursascendants, par leur plus lointaine hérédité, si bien que l’êtrequi se conjoint à eux leur appartient avant la naissance, les aattirés par une force comparable à celle qui dirige les mondes oùnous avons passé nos vies antérieures. M. de Charlus m’avaitdistrait de regarder si le bourdon apportait à l’orchidée le pollenqu’elle attendait depuis si longtemps, qu’elle n’avait chance derecevoir que grâce à un hasard si improbable qu’on le pouvaitappeler une espèce de miracle. Mais c’était un miracle aussi auquelje venais d’assister, presque du même genre, et non moinsmerveilleux. Dès que j’eus considéré cette rencontre de ce point devue, tout m’y sembla empreint de beauté. Les ruses les plusextraordinaires que la nature a inventées pour forcer les insectesà assurer la fécondation des fleurs, qui, sans eux, ne pourraientpas l’être parce que la fleur mâle y est trop éloignée de la fleurfemelle, ou qui, si c’est le vent qui doit assurer le transport dupollen, le rend bien plus facile à détacher de la fleur mâle, bienplus aisé à attraper au passage de la fleur femelle, en supprimantla sécrétion du nectar, qui n’est plus utile puisqu’il n’y a pasd’insectes à attirer, et même l’éclat des corolles qui lesattirent, et, pour que la fleur soit réservée au pollen qu’il faut,qui ne peut fructifier qu’en elle, lui fait sécréter une liqueurqui l’immunise contre les autres pollens – ne me semblaient pasplus merveilleuses que l’existence de la sous-variété d’invertisdestinée à assurer les plaisirs de l’amour à l’inverti devenantvieux : les hommes qui sont attirés non par tous les hommes,mais – par un phénomène de correspondance et d’harmonie comparableà ceux qui règlent la fécondation des fleurs hétérostyléestrimorphes, comme le Lythrum salicoria – seulement par leshommes beaucoup plus âgés qu’eux. De cette sous-variété, Jupienvenait de m’offrir un exemple, moins saisissant pourtant qued’autres que tout herborisateur humain, tout botaniste moral,pourra observer, malgré leur rareté, et qui leur présentera unfrêle jeune homme qui attendait les avances d’un robuste etbedonnant quinquagénaire, restant aussi indifférent aux avances desautres jeunes gens que restent stériles les fleurs hermaphrodites àcourt style de la Primula veris tant qu’elles ne sontfécondées que par d’autres Primula veris à court styleaussi, tandis qu’elles accueillent avec joie le pollen desPrimula veris à long style. Quant à ce qui était de M. deCharlus, du reste, je me rendis compte dans la suite qu’il y avaitpour lui divers genres de conjonctions et desquelles certaines, parleur multiplicité, leur instantanéité à peine visible, et surtoutle manque de contact entre les deux acteurs, rappelaient plusencore ces fleurs qui dans un jardin sont fécondées par le pollend’une fleur voisine qu’elles ne toucheront jamais. Il y avait eneffet certains êtres qu’il lui suffisait de faire venir chez lui,de tenir pendant quelques heures sous la domination de sa parole,pour que son désir, allumé dans quelque rencontre, fût apaisé. Parsimples paroles la conjonction était faite aussi simplement qu’ellepeut se produire chez les infusoires. Parfois, ainsi que cela luiétait sans doute arrivé pour moi le soir où j’avais été mandé parlui après le dîner Guermantes, l’assouvissement avait lieu grâce àune violente semonce que le baron jetait à la figure du visiteur,comme certaines fleurs, grâce à un ressort, aspergent à distancel’insecte inconsciemment complice et décontenancé. M. de Charlus,de dominé devenu dominateur, se sentait purgé de son inquiétude etcalmé, renvoyait le visiteur, qui avait aussitôt cessé de luiparaître désirable. Enfin, l’inversion elle-même, venant de ce quel’inverti se rapproche trop de la femme pour pouvoir avoir desrapports utiles avec elle, se rattache par là à une loi plus hautequi fait que tant de fleurs hermaphrodites restent infécondes,c’est-à-dire à la stérilité de l’auto-fécondation. Il est vrai queles invertis à la recherche d’un mâle se contentent souvent d’uninverti aussi efféminé qu’eux. Mais il suffit qu’ilsn’appartiennent pas au sexe féminin, dont ils ont en eux un embryondont ils ne peuvent se servir, ce qui arrive à tant de fleurshermaphrodites et même à certains animaux hermaphrodites, commel’escargot, qui ne peuvent être fécondés par eux-mêmes, maispeuvent l’être par d’autres hermaphrodites. Par là les invertis,qui se rattachent volontiers à l’antique Orient ou à l’âge d’or dela Grèce, remonteraient plus haut encore, à ces époques d’essai oùn’existaient ni les fleurs dioïques, ni les animaux unisexués, àcet hermaphrodisme initial dont quelques rudiments d’organes mâlesdans l’anatomie de la femme et d’organes femelles dans l’anatomiede l’homme semblent conserver la trace. Je trouvais la mimique,d’abord incompréhensible pour moi, de Jupien et de M. de Charlusaussi curieuse que ces gestes tentateurs adressés aux insectes,selon Darwin, non seulement par les fleurs dites composées,haussant les demi-fleurons de leurs capitules pour être vues deplus loin, comme certaine hétérostylée qui retourne ses étamines etles courbe pour frayer le chemin aux insectes, ou qui leur offreune ablution, et tout simplement même aux parfums de nectar, àl’éclat des corolles qui attiraient en ce moment des insectes dansla cour. À partir de ce jour, M. de Charlus devait changer l’heurede ses visites à Mme de Villeparisis, non qu’il ne pûtvoir Jupien ailleurs et plus commodément, mais parce qu’aussi bienqu’ils l’étaient pour moi, le soleil de l’après-midi et les fleursde l’arbuste étaient sans doute liés à son souvenir. D’ailleurs, ilne se contenta pas de recommander les Jupien à Mme deVilleparisis, à la duchesse de Guermantes, à toute une brillanteclientèle, qui fut d’autant plus assidue auprès de la jeunebrodeuse que les quelques dames qui avaient résisté ou seulementtardé furent de la part du baron l’objet de terribles représailles,soit afin qu’elles servissent d’exemple, soit parce qu’ellesavaient éveillé sa fureur et s’étaient dressées contre sesentreprises de domination ; il rendit la place de Jupien deplus en plus lucrative jusqu’à ce qu’il le prît définitivementcomme secrétaire et l’établît dans les conditions que nous verronsplus tard. « Ah ! en voilà un homme heureux que ceJupien », disait Françoise qui avait une tendance à diminuerou à exagérer les bontés selon qu’on les avait pour elle ou pourles autres. D’ailleurs là, elle n’avait pas besoin d’exagération nin’éprouvait d’ailleurs d’envie, aimant sincèrement Jupien.« Ah ! c’est un si bon homme que le baron, ajoutait-elle,si bien, si dévot, si comme il faut ! Si j’avais une fille àmarier et que j’étais du monde riche, je la donnerais au baron lesyeux fermés. – Mais, Françoise, disait doucement ma mère, elleaurait bien des maris cette fille. Rappelez-vous que vous l’avezdéjà promise à Jupien. – Ah ! dame, répondait Françoise, c’estque c’est encore quelqu’un qui rendrait une femme bien heureuse. Ily a beau avoir des riches et des pauvres misérables, ça ne faitrien pour la nature. Le baron et Jupien, c’est bien le même genrede personnes. »

Au reste j’exagérais beaucoup alors, devant cette révélationpremière, le caractère électif d’une conjonction si sélectionnée.Certes, chacun des hommes pareils à M. de Charlus est une créatureextraordinaire, puisque, s’il ne fait pas de concessions auxpossibilités de la vie, il recherche essentiellement l’amour d’unhomme de l’autre race, c’est-à-dire d’un homme aimant les femmes(et qui par conséquent ne pourra pas l’aimer) ; contrairementà ce que je croyais dans la cour, où je venais de voir Jupientourner autour de M. de Charlus comme l’orchidée faire des avancesau bourdon, ces êtres d’exception que l’on plaint sont une foule,ainsi qu’on le verra au cours de cet ouvrage, pour une raison quine sera dévoilée qu’à la fin, et se plaignent eux-mêmes d’êtreplutôt trop nombreux que trop peu. Car les deux anges qui avaientété placés aux portes de Sodome pour savoir si ses habitants, ditla Genèse, avaient entièrement fait toutes ces choses dont le criétait monté jusqu’à l’Éternel, avaient été, on ne peut que s’enréjouir, très mal choisis par le Seigneur, lequel n’eût dû confierla tâche qu’à un Sodomiste. Celui-là, les excuses :« Père de six enfants, j’ai deux maîtresses, etc. » nelui eussent pas fait abaisser bénévolement l’épée flamboyante etadoucir les sanctions ; il aurait répondu : « Oui,et ta femme souffre les tortures de la jalousie. Mais même quandces femmes n’ont pas été choisies par toi à Gomorrhe, tu passes tesnuits avec un gardeur de troupeaux de l’Hébron. » Et ill’aurait immédiatement fait rebrousser chemin vers la villequ’allait détruire la pluie de feu et de soufre. Au contraire, onlaissa s’enfuir tous les Sodomistes honteux, même si, apercevant unjeune garçon, ils détournaient la tête, comme la femme de Loth,sans être pour cela changés comme elle en statues de sel. De sortequ’ils eurent une nombreuse postérité chez qui ce geste est restéhabituel, pareil à celui des femmes débauchées qui, en ayant l’airde regarder un étalage de chaussures placées derrière une vitrine,retournent la tête vers un étudiant. Ces descendants desSodomistes, si nombreux qu’on peut leur appliquer l’autre verset dela Genèse : « Si quelqu’un peut compter la poussière dela terre, il pourra aussi compter cette postérité », se sontfixés sur toute la terre, ils ont eu accès à toutes lesprofessions, et entrent si bien dans les clubs les plus fermés que,quand un sodomiste n’y est pas admis, les boules noires y sont enmajorité celles de sodomistes, mais qui ont soin d’incriminer lasodomie, ayant hérité le mensonge qui permit à leurs ancêtres dequitter la ville maudite. Il est possible qu’ils y retournent unjour. Certes ils forment dans tous les pays une colonie orientale,cultivée, musicienne, médisante, qui a des qualités charmantes etd’insupportables défauts. On les verra d’une façon plus approfondieau cours des pages qui suivront ; mais on a vouluprovisoirement prévenir l’erreur funeste qui consisterait, de mêmequ’on a encouragé un mouvement sioniste, à créer un mouvementsodomiste et à rebâtir Sodome. Or, à peine arrivés, les sodomistesquitteraient la ville pour ne pas avoir l’air d’en être,prendraient femme, entretiendraient des maîtresses dans d’autrescités, où ils trouveraient d’ailleurs toutes les distractionsconvenables. Ils n’iraient à Sodome que les jours de suprêmenécessité, quand leur ville serait vide, par ces temps où la faimfait sortir le loup du bois, c’est-à-dire que tout se passerait ensomme comme à Londres, à Berlin, à Rome, à Pétrograd ou àParis.

En tout cas, ce jour-là, avant ma visite à la duchesse, je nesongeais pas si loin et j’étais désolé d’avoir, par attention à laconjonction Jupien-Charlus, manqué peut-être de voir la fécondationde la fleur par le bourdon.

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