Aventures de Lyderic

Chapitre 2

 

Aussi, dès qu’il put courir, l’enfant se fit-il une fronde et unarc ; et bientôt son adresse fut telle, que, si éloigné et sipetit que fût le but, il était sûr de l’atteindre avec sa flèche etavec sa pierre.

Ses forces croissaient en proportion de son adresse. À huit ansil était fort comme un homme ordinaire, et à dix, comme il sepromenait un jour, ainsi que c’était son habitude, avec sa bonnenourrice, qui commençait à se faire vieille, un loup affamé se jetasur elle ; mais lui se jeta sur le loup et il l’étouffa entreses bras. Puis de sa peau il se fit un vêtement, comme il avait vu,dans les gravures byzantines de la Bible du vieil ermite, queSamson s’en était fait un de la dépouille du lion.

Comme il ne se servait de sa fronde et de son arc que contre lesoiseaux de proie ou les animaux de carnage, tout ce qui étaitfaible l’aimait et lui faisait fête : les lapins couraientdevant lui, les chevreuils le suivaient comme s’il eût été leberger de leur troupeau sauvage, et les oiseaux volaient au-dessusde sa tête en lui chantant leurs plus mélodieuses chansons ;et, parmi les oiseaux, les rossignols surtout, dont il y avait tousles ans un nid sur le buisson où il avait été trouvé, si bien queleur langage, inintelligible pour les autres, était compréhensiblepour lui, et qu’il entendait tout ce qu’ils disaient.

Le vieil ermite voyait cela en pleurant de joie et en disant quele jeune homme était béni de Dieu.

Le premier chagrin qu’eut Lyderic fut causé par la mort de sabonne biche : l’enfant ne savait point ce que c’était que lamort. Le vieillard le lui expliqua ; mais l’explication, aulieu de le consoler, le rendit plus triste encore. Il creusa unefosse pour elle, la recouvrit de terre et de gazon, puis il s’assiten pleurant près de la tombe.

Alors un rossignol se mit à chanter au-dessus de satête :

« Tout vient de Dieu, tout retourne à Dieu, l’éphémère enune seconde, l’insecte en une heure, la rose en un jour, lepapillon en six mois, le rossignol en un lustre, la biche en quinzeans et l’homme en un siècle, et depuis l’éphémère qui a vécu uneseconde jusqu’à l’homme qui a vécu un siècle, une fois mort, ilsemblera à l’éphémère, à l’insecte, au rossignol, à la biche et àl’homme, qu’ils auront vécu le même temps, car ils n’auront plusd’autre horloge que celle de l’éternité, dont un battementdit : jamais, et l’autre battement : toujours.

« Dieu est immortel, louons Dieu. »

Et le rossignol se mit alors à chanter, toujours dans sonlangage, un cantique si plein de foi, que Lyderic leva son regardau ciel, et qu’un rayon de soleil sécha les larmes qui coulaient deses yeux : l’enfant était consolé.

Cependant la consolation n’est pas l’oubli : l’une est lafille de la foi, l’autre est le fils de l’égoïsme. Tous les joursLyderic venait rendre visite à la tombe de la biche, sur laquellepoussaient des fleurs, et autour de laquelle chantaient lesoiseaux. Peu à peu le gazon qui la couvrait se confondit avec legazon voisin : à la fin de l’année, à peine s’il pouvaitreconnaître la place. L’hiver vint, la terre se couvrit deneige ; puis le printemps reparut à son tour, étendant sur laterre son tapis d’herbe tout brodé de fleurs ; la nature étaitplus belle que jamais ; mais tout vestige du tombeau de lapauvre biche avait disparu, et il fut impossible à Lyderic deretrouver même sa place.

Tandis qu’il la cherchait, courbé vers la terre, le rossignolchanta :

« Cherche, Lyderic, cherche ; mais tu chercherasvainement. Le monde n’est formé que de débris humains ; chaqueatome de poussière a appartenu à un être animé : si toutefosse ne s’affaissait d’elle-même, la terre aurait plus de vaguesque l’Océan, et l’homme ne trouverait pas de place pour sa tombeentre la tombe de ses pères et celle de ses fils. »

Lorsque Lyderic eut atteint l’âge de quinze ans, le vieilanachorète commença de lui apprendre l’histoire : c’était unancien clerc fort savant, tout à fait versé dans les languesanciennes, de sorte que les temps païens lui étaient familiers. Ilrésulta de ces connaissances qu’à ses trois héros bibliques Lydericne tarda point d’ajouter Alexandre, Annibal et César. Il lui appritensuite comment ce monde romain, si vaste qu’au-delà de sesfrontières on ne connaissait que déserts inhabités ou mersinnavigables, s’était un jour lézardé par le milieu, si bien que dechacun de ses deux morceaux on avait fait un empire. Il lui racontacomment les nations asiatiques, poussées par la voix de Dieu,s’étaient tout à coup répandues sur l’Europe pour rajeunir, de leursang barbare, le corps corrompu de la vieille civilisation, etcomment à cette heure même ils accomplissaient leur œuvrerégénératrice, les Visigoths en Espagne, les Lombards en Italie etles Francs dans les Gaules. Ces récits mêlés de combats et deguerre avaient pour Lyderic un tel charme qu’il était rare que levieillard eût besoin de répéter deux fois la même histoire pour quecette histoire se fixât dans son esprit. Il en résulta qu’à l’âgede dix-huit ans Lyderic, dont la double éducation physique etmorale était accomplie, était, quoiqu’il n’eût point quitté saforêt nourricière, un des hommes les plus forts et les plussavants, non seulement du royaume des Francs, mais encore du mondetout entier.

Alors, comme s’il n’eût attendu que ce moment pour terminer salongue et sainte carrière, le digne anachorète, qui venaitd’atteindre sa centième année, tomba malade ; et, sentant quesa fin approchait, après avoir raconté à Lyderic tout ce qu’ilsavait sur son compte, lui remit un chapelet auquel pendait unemédaille de la Vierge, et qui, étant roulé autour de son cou lejour où il l’avait trouvé, était le seul signe à l’aide duquel ilpût reconnaître ses parents ; puis il le laissa libre de vivredans la retraite comme il avait vécu jusqu’alors, ou d’entrer dansle monde, certain que, quelque voie que le pieux jeune hommesuivît, cette voie lui serait tracée par le doigt du Seigneur.

Puis, ce dernier soin accompli, il alla rendre compte à Dieud’un siècle tout entier consacré à son service.

Ce fut la seconde grande douleur de Lyderic : si certainqu’il fût que le digne vieillard était à cette heure au rang desélus, tout en glorifiant sa mémoire il n’en pleurait pas moins saperte. Pendant toute la journée et toute la nuit il pria près delui, afin qu’il veillât sur lui du haut du ciel, comme il avaitl’habitude de faire sur la terre ; et, le jour venu, il lecoucha dans la fosse que le vieil ermite s’était creusée lui-même,et sur la fosse il planta un jeune marronnier, afin que la tombe deson père ne fût point perdue comme celle de sa nourrice.

Puis, ces derniers devoirs accomplis, se croyant seul sur laterre, Lyderic s’assit au pied de l’arbre qu’il venait de planter,incertain s’il devait, comme l’ermite, passer sa vie dans ce petitcoin du monde, inconnu et priant, ou s’il devait, comme les autreshommes, se mettre à la poursuite de ces deux fantômes aux piedslégers, qu’on appelle la gloire et la fortune.

Comme son esprit flottait irrésolu d’un désir à l’autre, lerossignol vint se reposer sur l’arbre qu’avait planté Lyderic et semit à chanter :

« Il y a deux choses sacrées dans le monde entre les chosessacrées, c’est la tombe d’un père et la vieillesse d’une mère. Ilest un devoir à accomplir entre tous les devoirs, c’est celui quiprescrit à l’enfant de fermer les yeux qui ont vu s’ouvrir lessiens. »

Lyderic comprit le conseil que lui donnait le rossignol, et,ayant coupé un jeune chêne pour s’en faire un bâton de voyage, ilse mit en route sans inquiétude, certain qu’il trouverait partoutdes racines pour apaiser sa faim et une source pour étancher sasoif.

Lyderic marcha trois jours sans trouver la fin de la forêt,puis, vers le matin du quatrième jour, ayant entendu des coups demarteau, il se dirigea vers le bruit. Bientôt un nouveau guide vintà son secours, c’était la fumée qui s’élevait au-dessus des arbres.Lyderic doubla le pas, et, au bout d’un instant, il se trouva prèsd’une forge immense dans laquelle s’agitaient, comme dans un enfer,une douzaine de forgerons qui obéissaient aux ordres d’un homme quiparaissait leur chef. Au-dessus de la porte de la forge était uneenseigne avec ces mots : Maître Mimer, armurier.

Lyderic s’arrêta un instant derrière un arbre : c’était lapremière fois qu’il allait se trouver en contact avec les hommes,et il était défiant comme un jeune daim. Pendant qu’il était là, ilvit un beau chevalier qui arrivait à cheval, vêtu d’une armurecomplète, moins une épée. Parvenu devant la porte de maître Mimer,il descendit de son cheval, en jeta la bride aux mains de sonécuyer et entra dans la forge. Maître Mimer ouvrit alors unearmoire et présenta au chevalier une magnifique épée :celui-ci la lui paya en pièces d’or, puis, s’étant remis en selle,il continua son chemin et disparut.

À la vue de cette épée, l’envie prit à Lyderic d’en avoir unepareille.

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