Aventures de Lyderic

Chapitre 7

 

Lyderic marcha ainsi huit jours, précédé de son rossignol, suivide Peters et causant avec les deux femmes du roi Alberic, quiaimaient bien mieux le ciel du Seigneur avec son soleil le jour etses étoiles la nuit, et la terre du Seigneur avec ses plantesparfumées, que leur ciel de cristal, qui était toujours terne etfroid, et leurs fleurs de diamants, dont la plus belle et la plusriche n’avait pas l’odeur de la plus pauvre violette se cachantsous l’herbe Aussi, chaque jour et chaque soir, quand le soleil selevait à l’orient et se couchait à l’occident, elles remerciaientLyderic de les avoir arrachées à leur prison, d’où la jalousie deleur maître ne leur avait jamais permis de sortir, et où ellespassaient leur temps, l’une à dormir dans son hamac, et l’autre àéventer avec une queue de paon cet horrible nain qui leur étaitodieux.

Au bout de huit jours, ils parvinrent au bord de la mer, ils latraversèrent en trois autres jours, et, vers le matin du quatrième,ils arrivèrent dans la capitale des Higlands, où il y avait degrandes fêtes en ce moment pour l’anniversaire de la naissance duroi.

Ces fêtes se composaient d’un tournoi entre les chevaliers, d’untir à l’oiseau entre les archers, et d’une course entre les jeunesfilles. Elles devaient être terminées par un combat entre desanimaux féroces, que venait d’envoyer au roi des Higlandsl’empereur de Constantinople, en échange de quatre faucons deNorvège, dont Gunther lui avait fait don.

Non seulement Chrimhilde devait présider au tournoi et assisterau tir de l’oiseau, mais elle devait encore prendre part à lacourse, car c’était un usage, dans la capitale du pays desHiglands, que toute jeune fille, sans en excepter les princesses,concourût, arrivée à l’âge de dix-huit ans, au prix de la rose ceprix était appelé ainsi, parce qu’un simple rosier était le but etle prix de la course, mais aussi une splendide promesse était faiteà celle qui, arrivée la première, cueillait la rose unique queportait le rosier elle devait épouser, dans l’année, le plusvaillant chevalier de la terre.

Lyderic avait donc trois occasions pour une de voir la princessedes Higlands, puisque les fêtes devaient commencer le lendemain,mais il n’eut point la patience d’attendre jusque-là, et, ayant misle casque qui rend invisible, il s’achemina vers le palais. Iltraversa d’abord trois magnifiques appartements : le premierplein de valets, le second plein de courtisans, et le troisièmeplein de ministres ; mais il ne s’arrêta ni dans le salon desvalets, ni dans le salon des courtisans, ni dans le salon desministres. Puis il passa dans la salle du trône, où le roi étaitassis sous un dais de pourpre brodé d’or, ayant la couronne en têteet le sceptre à la main, mais il ne s’arrêta point encore dans lasalle du trône. Enfin, il parvint dans un petit cabinet, tout degazon et de fleurs, au milieu duquel était un bassin plein d’eaujaillissante et limpide ; et, sur ce gazon, au bord de cetteeau, il vit une jeune fille couchée et effeuillant distraitementune marguerite sans lui rien demander, car elle n’aimait pointencore, et ignorait qu’elle fût déjà aimée. Cette jeune fille étaitla princesse Chrimhilde.

Elle était plus belle que Lyderic n’avait pu se l’imaginer, mêmedans ses rêves les plus insensés ; aussi résolut-il plus quejamais de l’obtenir pour femme à quelque prix que ce fût, dût-il,comme Jacob, se faire dix ans berger.

En attendant, Lyderic serait resté à regarder Chrimhilde ainsijusqu’au soir, si Gunther n’avait envoyé chercher la princesse. Lajeune fille se leva avec la douce obéissance d’une colombe et serendit aux ordres de son frère. Lyderic la suivit, toujours sansêtre vu ; il s’agissait des préparatifs du tournoi dulendemain, où elle devait couronner le vainqueur.

Dès que Lyderic sut que la couronne devait être donnée parChrimhilde, il résolut de la gagner ; et, comme il n’avait pasde temps à perdre de son côté s’il voulait être prêt le lendemain,il retourna à son auberge.

Comme il avait oublié d’ôter son casque, il entra sans être vu,et il trouva les deux femmes du roi Alberic, qui, voulant faire uncadeau à leur libérateur, avaient ramassé tout le long de la routedes fils de la sainte Vierge, si bien que l’une les filait plus finque les cheveux d’un enfant, tandis que l’autre en tissait uneétoffe plus blanche que la neige et plus douce que la soie, plusfine que la toile d’araignée. Les pauvres petites travailleuses sedépêchaient de toute leur âme, car elles voulaient avoir fini pourle lendemain, cette étoffe étant destinée à faire la tunique aveclaquelle le chevalier devait paraître au tournoi.

Lyderic devina leur intention, et se retira chez lui sans leurfaire connaître qu’elles étaient découvertes ; et les deuxpetites ouvrières travaillèrent si bien, que le lendemain au matinil trouva sa tunique prête. De plus, elle était si magnifiquementbrodée de perles, de saphirs, d’escarboucles et de diamants, qu’iln’aurait jamais cru qu’il fût possible qu’avec des pierres onimitât si exactement des fleurs s’il n’avait vu le parterresouterrain et artificiel du roi Alberic.

Aussi, à peine Lyderic eut-il paru dans la lice, que tous lesregards, même ceux de la belle Chrimhilde, se fixèrent sur lui, etque chacun fit des vœux pour que le beau jeune homme à la tuniqueblanche fût victorieux. Ces vœux furent exaucés ; Lydericdésarçonna tous ses adversaires, et le chevalier à la tuniqueblanche fut proclamé vainqueur du tournoi, couronné par Chrimhildeelle-même et invité au dîner de la cour et au bal qui en devaitêtre la suite.

Le lendemain, Lyderic s’habilla en archer, et, du premier coup,abattit l’oiseau ; car on se rappelle que nous avons dit que,pendant ses exercices dans la forêt où il avait été élevé, il étaitdevenu un des plus habiles tireurs d’arc qui fussent au monde.Alors il ramassa le perroquet encore tout percé de sa flèche ;et, lui ayant mis un gros diamant dans le bec et deux magnifiques àla place des yeux, il appela Peters, et lui ordonna de le porter auroi, comme un don qu’il désirait lui faire en remerciement de lamanière courtoise dont il avait été reçu par lui.

Le lendemain devait avoir lieu la course à la rose : toutesles jeunes filles étaient réunies dans une lice, dont deuxcordonnets de soie fermaient les limites, et au bout de cette lice,longue de cinq cents pas à peu près, était le rosier à la roseunique.

Chrimhilde était au milieu d’elles, la plus belle, la plussvelte et la plus élancée ; et son visage, tout resplendissantdu désir de gagner le prix et de devenir la femme du plus bravecavalier de la terre, lui donnait un éclat qui la rendait plusbelle encore que la première fois que Lyderic l’avait vue.

Lyderic résolut alors de lui faire gagner le prix : ilrentra à son auberge, mit sur sa tête le casque qui rend invisible,emplit ses poches de pierreries, descendit dans la lice, et seplaça auprès d’elle.

Le roi donna le signal de la course, et toutes les jeunes fillespartirent rapides comme des gazelles.

Cependant, si légère que fût Chrimhilde, cinq ou six de sescompagnes la suivaient de si près, qu’on pouvait hésiter à direlaquelle arriverait la première au rosier.

Mais alors Lyderic, qui courait derrière elle, prit de chaquemain une poignée de pierreries, qu’il sema dans la lice.

Alors les jeunes filles, voyant briller à leurs pieds desperles, des rubis, des escarboucles et des diamants, ne purentrésister au désir de les ramasser ; pendant ce temps,Chrimhilde gagna du chemin, et comme plus ses compagnes avançaientdans la lice, plus la lice était semée de pierres précieuses,Chrimhilde, pour qui l’espoir d’épouser le plus vaillant chevalierde la terre était plus précieux que tous les diamants du monde,arriva la première au but et cueillit la rose.

Le lendemain était consacré aux combats d’animaux féroces :ils étaient dans un grand cirque creusé en terre, et, tout autour,on avait bâti des estrades.

Sur l’une d’elles, isolée et magnifiquement enrichie, était leroi Gunther, et sa sœur Chrimhilde, qui, radieuse du triomphequ’elle avait remporté la veille, tenait à la main la rose qui enavait été le prix.

Déjà plusieurs couples d’animaux avaient combattu l’un contrel’autre, lorsqu’on amena un lion de l’Atlas et un tigre deLahore ; c’étaient à la fois les deux plus magnifiques et lesdeux plus terribles animaux que l’on pût voir en face l’un del’autre.

Ils étaient au moment le plus acharné de leur lutte, lorsque laprincesse Chrimhilde poussa un cri : elle venait de laissertomber entre eux la rose qu’elle tenait à la main.

Ce cri fut suivi d’un second que poussèrent d’une seule voixtous les spectateurs : Lyderic était sauté dans la lice pouraller chercher la rose !

Aussitôt, d’un mouvement unanime, le lion et le tigre cessèrentleur combat et se retournèrent vers Lyderic, rugissant et sebattant les flancs avec leur queue.

Mais, lui, tira le fouet d’or de sa ceinture et leur en appliquade si rudes coups, qu’ils s’enfuirent en hurlant comme deschiens.

Alors Lyderic s’avança librement vers la fleur et laramassa ; mais, au lieu de rendre à la princesse Chrimhilde larose qu’elle avait laissée tomber, il lui donna celle qu’il avaitcueillie dans les jardins souterrains d’Alberic : Chrimhildeétait si troublée, que, sans s’apercevoir de la substitution, elleprit la rose que lui tendait le jeune homme, et se tournant vers leroi :

– Ah ! mon frère, dit-elle, entraînée sans doute parle désir qu’elle en avait, je crois bien que le seigneur Lydericest le plus brave chevalier de la terre.

Le lendemain, Lyderic envoya au roi Gunther les quatre panierspleins de perles, de rubis, d’escarboucles et de diamants, en luifaisant demander en échange la main de sa sœur.

Mais le roi Gunther répondit que la main de sa sœur ne seraitqu’à celui qui l’aiderait à conquérir le château de Ségard, quiétait tout entouré de flammes, et dans lequel la belle Brunehilde,reine d’Islande, était endormie depuis cinquante ans.

Lyderic répondit qu’il était prêt à conquérir le château deSégard, à réveiller la reine d’Islande et à la ramener dans le paysdes Higlands.

Mais Gunther ne voulut point permettre que Lyderic accomplîtseul une entreprise qui ne le regardait point : de sorte qu’ilfut convenu que les deux jeunes gens iraient ensemble à la conquêtedu château de Ségard, et que, s’ils réussissaient dans cetteentreprise, à son retour dans la capitale des Higlands, Lydericépouserait Chrimhilde.

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