Aventures de Lyderic

Chapitre 6

 

Le premier soin de Lyderic fut de faire avec sa mère un voyagepar tous ses domaines anciens et nouveaux, afin d’y établir desdélégués qui, en son absence, pussent rendre la justice comme s’ileût été toujours là. Pendant trois mois que dura le voyage, ce nefurent que fêtes ; car Ermengarde était fort aimée de sessujets, et, pendant son absence, les mères avaient parlé d’elle àleurs filles, et les pères à leurs fils, et il ne s’était pointpassé de dimanche que l’on n’eût prié dans chaque église pour sonretour. La joie était donc grande de voir ces longues prièresexaucées au moment où on y comptait le moins.

De retour au château de Buck, Ermengarde demanda à son fils si,pendant toute la tournée qu’ils venaient de faire, il n’avait pasvu quelque noble jeune fille qu’il jugeât digne de son amour. MaisLyderic répondit que non, et que, jusqu’alors, ni dans ses voyages,ni dans la cour du roi Dagobert, ni dans ses propres domaines, iln’avait vu encore femme qu’il se sentît disposé à aimer. Cetteréponse fit grande peine à la bonne dame, car elle commençait à sefaire vieille, et, avant de mourir, elle aurait bien vouluembrasser ses petits-enfants.

Le soir, Lyderic descendit au jardin, et il y resta plus tardqu’à l’ordinaire, car la demande de sa mère l’avait rendu toutpensif. Il était donc assis sur un banc, le front appuyé entre sesmains, lorsqu’un rossignol vint se percher sur sa tête et se mit àchanter :

« Il y a dans un pays lointain une jeune fille plus blancheque la neige, plus fraîche que l’aurore et plus pure que l’eau dulac Sandhy, au fond duquel on voit se former les perles ; ellen’a jamais aimé encore, car elle ne doit aimer que celui qui auraconquis le grand trésor des Niebelungen et le casque qui rendinvisible. Cette jeune fille, plus blanche que la neige, plusfraîche que l’aurore et plus pure que l’eau du lac Sandhy, au fondduquel on voit les perles se former, est la belle Chrimhilde, lasœur de Gunther, roi des Higlands. »

Le lendemain Lyderic dit à sa mère que la seule femme qu’ilépouserait jamais serait la belle Chrimhilde, sœur de Gunther, roides Higlands. Ermengarde demanda quelle était cette belleChrimhilde et où était situé le royaume des Higlands. Lydericrépondit qu’il n’en savait rien, mais que le soir même il semettrait à la recherche de l’un et de l’autre.

En effet, le soir même Lyderic, ayant laissé le gouvernement deses États à sa mère, ceignit son épée Balmung, monta sur le chevalque lui avait donné le roi Dagobert, et, suivi de Peters, sonécuyer, se mit à la recherche de la belle Chrimhilde.

Lyderic fit plusieurs centaines de lieues, marchant par monts etvaux, mais sûr de ne pas se tromper, car le rossignol voletaitdevant lui, s’arrêtant le soir sur l’arbre sous lequel il étaitcouché, et se posant sur le mât de sa barque ou de son navirelorsqu’il traversait des fleuves ou des bras de mer. Enfin ilarriva un soir dans un pays qui lui parut magnifique, et, commed’habitude, il se coucha avec Peters sous un arbre ; lerossignol se percha dessus, et les chevaux se mirent à paître àl’entour.

Le lendemain, au point du jour, il se fit un tel bruit, qu’il seréveilla. Il voulut regarder ce qui le causait ; mais,lorsqu’il essaya de se lever, la chose lui était impossible :il était attaché à la terre non seulement par le corps, mais encorepar les bras, par les mains, par les jambes et par les cheveux.Alors il entendit autour de lui de grands éclats de rire, et enmême temps une voix menaçante retentit à son oreille, et luidit :

– Qui es-tu ? que veux-tu ? où vas-tu ?

Lyderic fit un si grand effort pour se tourner du côté d’oùvenait la voix, qu’il arracha les liens qui tenaient sa tête, desorte qu’il put voir celui qui lui parlait ainsi. C’était un petithomme de deux pieds de haut, avec une longue barbe blanche et unecouronne d’or sur la tête ; il tenait à la main un fouet d’orà quatre chaînes d’acier, et au bout de chaque chaîne il y avait undiamant brut dont chaque angle était plus effilé qu’un rasoir, desorte que, lorsqu’il frappait avec ce fouet, il faisait d’un coupsept blessures. Comme il ne doutait pas que ce ne fût ce nain quilui eût adressé la parole, il répondit :

– Je suis Lyderic, premier comte de Flandre ; je veuxconquérir le trésor des Niebelungen et le casque qui rendinvisible, et je vais à la recherche de la princesse Chrimhilde,sœur de Gunther, roi des Higlands.

– Eh bien ! dit le nain à la barbe blanche, ton voyageest fini, car tu es dans le pays des Niebelungen ; seulement,au lieu de conquérir leur trésor et le casque qui rend invisible,tu travailleras le reste de ta vie aux mines de Sauten. Ton écuyersera gardien de mes pourceaux, tes deux chevaux tourneront la meulede mes moulins à huile, ton rossignol chantera dans une cageattachée à ma fenêtre, et la princesse Chrimhilde, lassée det’attendre, en épousera un autre ou mourra vierge comme la fille deJephté ; et, afin que tu ne puisses douter de la vérité de ceque je te dis, sache que je suis le puissant Alberic, roi desNiebelungen.

À ces paroles menaçantes, auxquelles les oreilles du jeune comteavaient été si peu habituées jusqu’alors, il fit un si terriblemouvement, qu’il dégagea sa main droite des liens qui laretenaient, et, du même coup, saisit le roi Alberic par la barbe,mais celui-ci, brandissant son fouet d’or, en porta au comte deFlandre un coup si violent, que l’un des diamants ayant justementfrappé à l’endroit où il n’était pas invulnérable, la douleur luifit lâcher prise.

Aussitôt le roi appela à lui toute son armée, et Lyderic sentaitqu’on le frappait de tous côtés avec toutes sortes d’armes, et, aumilieu de tous les coups qu’il recevait et qui s’émoussaient surlui, il sentait les coups du fouet d’or rapides et redoublés commeceux d’un fléau qui bat le gram dans une grange Alors Lyderic vitbien qu’il n’y avait pas de temps à perdre, il fit un effort pareilà ceux qu’il avait déjà faits, et parvint à dégager son bras gaucheet à s’asseoir En cette position, il put voir toute la plainecouverte, à un quart de lieue autour de lui, de l’armée desNiebelungen, qui formait bien huit à dix mille hommes, les uns àcheval et armés de haches et de sabres, les autres à pied et armésde lances et de hallebardes. À leur tête était le roi Alberic, àqui on venait d’amener son coursier de bataille, et quis’empressait de le monter, jugeant le cas où il se trouvait plusgrave qu’il ne l’avait cru d’abord En outre, un groupe d’unecentaine de personnes emmenait Peters prisonnier avec les deuxchevaux, et une espèce de nain tout noir emportait, tout en dansantet en grimaçant, le rossignol dans sa cage.

Cette vue donna à Lyderic une plus grande douleur que n’auraitpu le faire son propre danger. Il dégagea donc aussitôt ses cuisseset ses jambes, et, se dressant sur ses pieds, il tira Balmung, et,s’élançant sur ceux qui emmenaient Peters, ses chevaux et lerossignol, il se mit à frapper sur eux comme s’il avait affaire àdes géants, de sorte qu’on vit à l’instant voler les bras et lestêtes d’une si rude façon, que chacun lâcha ce qu’il tenait et semit à fuir il n’y eut que le nègre qui ne voulût pas lâcher lerossignol, mais Lyderic fit trois pas dans sa direction, le saisitpar le milieu du corps, lui arracha la cage des mains, et, comme lenain se tordait entre ses doigts, avec de grands cris et enessayant de le mordre au lieu de demander grâce, il le jetarudement à terre et l’écrasa avec son talon, comme on fait d’unebête malfaisante.

Aussitôt il détacha les liens de Peters, coupa les entraves deschevaux et ouvrit la cage du rossignol, de sorte que chacun seretrouva en liberté.

Mais Lyderic comprit, au bruit qui se faisait autour de lui, querien n’était fait encore, et qu’au contraire l’affaire ne faisaitque de s’engager En effet, en se retournant, il vit que le roiavait fait ses dispositions pour une attaque générale ayant diviséson armée en trois corps, deux d’infanterie et un de cavalerie, quidevaient l’attaquer en face et sur les flancs, tandis qu’unrégiment tout entier filait de l’autre côté d’une montagne, avecl’intention de le venir surprendre par-derrière.

Lyderic songea un instant s’il ne monterait pas à cheval pourcharger tous ces myrmidons, mais, réfléchissant que son cheval,n’étant point invulnérable comme lui, lui serait plutôt un embarrasqu’un secours, il fit placer Peters et les deux coursiers àl’arrière-garde, avec ordre positif de ne pas bouger, et se résolutde combattre à pied Quant au rossignol, il était sur son arbre, et,joyeux de se retrouver libre, il chantait que c’étaitmerveille.

Alors la bataille commença Attaqué en face par le roi et sacavalerie, attaqué sur les deux flancs par l’infanterie, et menacésur ses derrières par un régiment, Lyderic commença à faire lemoulinet avec Balmung, de façon à répondre à la fois à tous lesassaillants Heureusement, si les Niebelungen étaient nombreux, lecomte de Flandre était infatigable, et un moissonneur eût été lasséqui eût abattu autant d’épis dans sa journée qu’au bout d’une heureil avait abattu d’hommes.

Alors Lyderic vit bien qu’il fallait procéder par méthode. Ils’attacha donc à l’aile gauche, qu’il détruisit entièrement, puisil se retourna vers l’aile droite, qu’il mit en fuite, de sortequ’il n’eut plus affaire qu’au roi et à sa cavalerie, quant aurégiment qui devait le venir prendre par-derrière, il avait ététenu en respect par Peters, et n’avait point osé s’approcher.

Il ne lui restait donc plus à combattre que le roi et sacavalerie, mais Alberic était tellement acharné contre lui, quec’était le plus fort de la besogne. Il y avait dans ce petit corpsl’âme et la force d’un géant, de sorte que Lyderic, sanss’inquiéter du reste de la cavalerie, ne s’occupa plus que du roi,qui évitait avec une merveilleuse agilité les coups de Balmung, etsanglait Lyderic de si rudes coups avec son fouet d’or, que toutautre que lui en eût eu le corps en lambeaux, enfin Lyderic, d’uncoup de Balmung, finit par couper les deux jambes de devant aucheval du roi, qui s’abattit et le prit sous lui Aussitôt Lydericmit la pointe de Balmung sur la poitrine du roi, qui lâcha sonfouet d’or en criant merci, et promettant, si le comte de Flandrevoulait lui laisser la vie, de lui livrer le grand trésor desNiebelungen et le casque qui rend invisible Quant au reste de lacavalerie, voyant le roi abattu, elle avait pris la fuite.

Lyderic remit Balmung au fourreau, tira le roi Alberic dedessous son cheval, et, lui ayant lié les deux mains avec sa barbe,ramassa le fouet d’or, et ordonna au roi de marcher devant lui pourle conduire à l’endroit où était caché le grand trésor desNiebelungen Peters, les deux chevaux et le rossignol suivirentLyderic.

Après avoir marché une demi-heure à peu près, on arriva à unendroit tellement fermé par des rochers, qu’il semblait qu’on nepût pas aller plus loin. Alors Alberic dit au comte de toucher lapierre avec son fouet d’or, et la pierre s’ouvrit aussitôt, formantune entrée assez grande pour que le roi, le comte, Peters et lesdeux chevaux pussent passer ; quant au rossignol, il restadehors, tant il avait peur que cette entrée ne fût celle d’uneénorme cage.

Le comte de Flandre et Alberic s’avancèrent à travers unecolonnade magnifique, car chaque colonne était de jaspe, deporphyre ou de lapis-lazuli, jusque dans une grande salle carrée,toute en malachite, qui avait une porte à chacune de sesfaces ; chacune de ces portes donnait dans une chambre toutepleine de pierres précieuses, et s’appelait du nom du trésorqu’elle renfermait : il y avait la porte des perles, la portedes rubis, la porte des escarboucles et la porte des diamants.Alberic lui ouvrit les quatre portes et lui dit de prendre ce qu’ilvoudrait.

Comme il aurait fallu plus de cinq cents voitures pour emportertout ce qu’il y avait là de pierres précieuses, Lyderic se contentade remplir quatre paniers que lui apporta le roi, le premier deperles, le second de rubis, le troisième d’escarboucles et lequatrième de diamants, et fit charger par Peters les quatre panierssur ses deux chevaux ; puis il dit au roi Alberic, qui lepressait d’en prendre davantage, que ce qu’il en avait luisuffisait pour le moment, et que quand il n’en aurait plus il enreviendrait chercher.

Alors Alberic demanda au comte de Flandre qu’il voulût bien,puisqu’il l’avait loyalement conduit à son trésor, lui délier lesmains et lui rendre son fouet d’or, et qu’alors il le mènerait avecla même fidélité à la caverne où était le casque qui rendinvisible ; il se fondait sur ce que le casque étant gardé parun géant que l’on nommait Taffner, le géant ne lui obéirait pass’il le voyait désarmé. Lyderic répondit que, si le géantn’obéissait pas, c’était son affaire à lui de le faire obéir, etqu’il en viendrait bien à bout ; mais à ceci Alberic répondità son tour que le géant n’aurait qu’à mettre le casque sur sa tête,et qu’alors il disparaîtrait, sans que ni l’un ni l’autre sussentoù le retrouver. Cette raison parut si plausible au comte deFlandre, qu’il délia les mains du roi et qu’il lui rendit son fouetd’or. Le nain parut très sensible à cette marque de confiance, et,étant sorti avec Lyderic, Peters et les deux chevaux chargés de laroche précieuse, il s’achemina vers une autre partie du royaume desNiebelungen, où l’on voyait s’élever un rocher si sombre, qu’on eûtdit qu’il était de fer. Pendant qu’ils marchaient ainsi, lerossignol voletait d’arbre en arbre et chantait :

« Prends garde à toi, Lyderic, prends garde : latrahison a des yeux de gazelle et une peau d’hermine, et ce n’estque tombé dans le piège que l’on sent ses griffes de tigre et sondard de serpent. Prends garde à toi, Lyderic, prendsgarde ! »

Et Lyderic, sans perdre de vue le roi des Niebelungen, faisaitsigne de la tête au rossignol qu’il l’entendait, et continuait sonchemin ; mais, au fond du cœur, il pensait que le rossignoln’était pas un oiseau très courageux, et qu’il voyait le dangerplus grand qu’il n’était.

À mesure que l’on avançait vers la montagne noire, le chemindevenait de plus en plus difficile ; mais Alberic marchaitdevant, frappant avec son fouet d’or et écartant tous lesobstacles. Enfin, ils arrivèrent à un endroit où la route tournaittout à coup, et ils se trouvèrent en face d’une grande caverne. Aumême instant, Alberic fit un bond de côté, cria : À moi,Taffner ! et, frappant la terre du talon, disparut parune trappe comme un fantôme qui serait rentré dans sa tombe.

Le comte de Flandre cherchait déjà l’entrée de la trappe, afinde le poursuivre jusque dans les entrailles de la terre, lorsqu’ilentendit des pas lourds et retentissants qui s’approchaient de lui.Il se retourna alors vivement du côté d’où venait le bruit ;mais il ne vit absolument rien, ce qui lui fit croire qu’il allaitavoir affaire au géant Taffner, et que celui-ci le venait combattreayant sur sa tête le casque qui rend invisible. En effet, à peineavait-il eu le temps de tirer son épée pour se mettre à tout hasarden défense, qu’il lui sembla que la montagne lui tombait sur latête : c’était le géant Taffner qui venait de lui donner uncoup de massue.

Si fort que fût Lyderic, comme il ne s’attendait point à êtreattaqué ainsi, il plia le front et tomba sur un genou ; maisaussitôt, se relevant, il donna à tout hasard un grand coup deBalmung devant lui. Quoiqu’il eût l’air de frapper dans le vide, ilsentit cependant une résistance, ce qui lui fit croire qu’il avaittouché le géant, qui, pour être invisible, n’était pointimpalpable. En même temps, un rugissement de douleur poussé parTaffner, et suivi d’un second coup de massue, lui prouva qu’il nes’était point trompé ; mais cette fois il s’y attendait, desorte que, si bien appliqué que fût le coup, Lyderic le reçut sansplier le jarret, et y riposta par un coup d’estoc à fendre unrocher. Il parut que le coup eut son effet, car Taffner poussa unsecond rugissement, et Lyderic attendit en vain, pendant quelquessecondes, une troisième attaque.

Le comte de Flandre croyait déjà être débarrassé du géant, etque celui-ci avait fui, lorsqu’il vit venir à lui, avec la rapiditéde la foudre, une pierre aussi grosse qu’une maison, laquellesortait toute seule de la caverne, comme si elle eût été lancée parquelque catapulte invisible ; cette pierre fut suivie d’uneseconde, puis d’une troisième, et cela avec une telle rapidité,qu’en évitant l’une il ne pouvait éviter l’autre. Lyderic compritalors que c’était le géant qui avait changé de tactique, et qui,satisfait des deux coups qu’il avait reçus, voulait l’attaquer deloin sans s’exposer à en recevoir un troisième. Il résolut doncd’user de ruse à son tour ; et, voyant venir à lui une énormepierre, au lieu de l’éviter il se jeta au-devant, et, tombant à larenverse comme s’il était renversé du coup, il demeura aussiimmobile que s’il était mort.

Peters poussa de grands cris de douleur, le rossignol sifflatristement, et le géant accourut si vite, que Lyderic, à mesurequ’il s’approchait de lui, sentait la terre trembler sous sespas : bientôt Lyderic sentit un genou qui se posait sur sapoitrine, tandis qu’avec un poignard on essayait de le percer aucœur. Alors, calculant, par la position du genou et de la main, laposition où devait être le géant, il le frappa avec Balmung d’uncoup si ferme et si juste à la fois, qu’il lui détacha la tête dedessus les épaules.

La tête roula, et en roulant elle sortit du casque, de sortequ’à l’instant même casque, tête et tronc devinrent visibles, latête mordant la terre de rage, et le tronc décapité se relevanttout sanglant et battant l’air de ses bras, car il fallait le tempsà la mort d’aller de la tête au cœur ; mais, enfin, elle sefraya sa route glacée, et le corps tomba comme un arbre séculairedéraciné par la tempête.

Lyderic ramassa aussitôt le casque ; et, après s’êtreassuré que Taffner était bien mort, il chercha par quel cheminavait pu lui échapper Alberic, car il lui en coûtait de quitter lepays des Niebelungen sans se venger de la trahison de leur roi. Ence moment un des chevaux ayant frappé du pied la terre, une trappes’ouvrit, et Lyderic, ayant reconnu que c’était l’endroit même oùavait disparu le roi, ne douta point que l’escalier qui s’offrait àlui ne conduisît à quelque chambre souterraine où sans douteAlberic se croyait bien en sûreté, et il résolut de l’ypoursuivre.

Alors Peters, qui était encore tout tremblant du danger quevenait de courir son maître, fit tout ce qu’il put pour l’enempêcher ; mais il n’était pas facile de faire revenir Lydericsur une résolution prise ; de sorte que tout ce que le pauvreécuyer put obtenir de lui, c’est qu’il mettrait le casque qui rendinvisible. Le comte de Flandre, enchanté d’essayer à l’instant mêmele pouvoir du casque magique, remercia son écuyer de lui avoirdonné cette idée, l’autorisant à venir le rejoindre si dans uneheure il n’était pas de retour. Aussitôt il mit le casque sur sonfront ; et, étant devenu à l’instant même invisible aux yeuxde Peters, il descendit par l’escalier souterrain.

Aux premiers pas qu’il fit, Lyderic vit bien qu’il ne s’étaitpoint trompé et qu’il devait être dans un des palais du roiAlberic : en effet, les murs étaient resplendissants depierreries et le chemin tout sablé de poudre d’or. Après avoirtraversé quelques appartements déserts, mais parfaitement éclairéspar des lampes d’albâtre où brûlait une huile parfumée, il entradans un jardin tout plein de fleurs qui lui sembla éclairé par lesoleil lui-même ; mais, en levant la tête, il s’aperçut que cequ’il prenait pour le ciel était le fond d’un lac, mais si clair etsi limpide, qu’on le voyait à travers : cependant ils’étonnait, si transparent que fût ce lac, que les rayons dusoleil, en le traversant, eussent assez de force pour faire écloreles fleurs, lorsqu’en y regardant de plus près il s’aperçut que cesfleurs n’étaient point des fleurs véritables, mais bien des plantesartificielles si artistement travaillées, qu’il s’y était laisséprendre. Au reste, elles n’en étaient que plus précieuses, car lestiges étaient de corail, les feuilles d’émeraudes ; et, selonqu’on avait voulu imiter des œillets, des tubéreuses ou desviolettes, les fleurs étaient en rubis, en topazes et ensaphirs.

Au milieu de ce jardin étrange s’élevait un kiosque si élégant,que Lyderic jugea que, s’il devait trouver le roi quelque part,c’était sans doute là. Il s’avança donc doucement, et, protégé parson casque, il arriva sur le seuil sans avoir été vu. Le comte deFlandre ne s’était pas trompé : le roi Alberic était couchédans un hamac entre deux de ses femmes, dont l’une le balançait,tandis que l’autre lui faisait de l’air avec une queue depaon ; près de lui, sur un sofa, était déposé le fouetd’or.

La conversation était des plus intéressantes : Albericétait en train de raconter à ses deux femmes ses aventures de lajournée. Il leur disait l’arrivée de l’étranger dans le pays desNiebelungen ; comment lui Alberic l’avait trompé en luifaisant accroire qu’il allait lui donner le casque qui rendinvisible, et comment, au lieu de tenir sa promesse, il s’étaitenfoncé dans la terre en appelant à son aide le géant Taffner, qui,à cette heure, l’avait sans doute assommé.

Lyderic n’eut pas la patience d’écouter plus longtemps, etempoignant le roi par la barbe et le tirant de son hamac :

– Misérable nain, lui dit-il, tu vas payer d’un coup toutestes trahisons.

Alors, lui ayant lié les mains derrière le dos, il détacha lelustre qui pendait au milieu du kiosque, et, ayant fait un nœud àla barbe du roi, il le suspendit au crochet d’or.

– Et maintenant, lui dit-il, reste là jusqu’à ce que tabarbe se soit assez allongée pour que tes pieds touchent laterre.

Le petit nain se tordait comme un brochet pris à l’hameçon,criant merci et jurant à cette fois qu’il ferait hommage à Lydericet le reconnaîtrait pour son suzerain, si celui-ci voulait ledétacher ; mais Lyderic le laissa crier et se tordre, mit lesdeux femmes du roi, dont il comptait faire cadeau à la princesseChrimhilde, l’une dans sa poche droite et l’autre dans sa pochegauche, prit le fouet d’or avec lequel on ouvrait le trésor desNiebelungen, ôta son casque un instant pour que le roi ne doutâtpoint que c’était à lui qu’il avait affaire, cueillit, entraversant le jardin, la plus belle rose qu’il put trouver, remontal’escalier, et, ayant rencontré Peters qui venait au-devant de lui,il se mit en route pour le pays des Higlands, suivi de son écuyer,de ses deux chevaux et précédé du rossignol, qui ne faisait quechanter, tant il paraissait joyeux que les choses eussent si bientourné.

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