Contes et nouvelles en vers – Tome I

Préface

J’avais résolu de ne consentir à l’impression de ces contes, qu’après que j’y pourrais joindre ceux de Boccace, qui sont le plus à mon goût ; mais quelques personnes m’ont conseillé de donner dès à présent ; ce qui me reste de ces bagatelles ; afin de ne pas laisser refroidir la curiosité de les voir qui est encore en son premier feu. Je me suis rendu à cet avis sans beaucoup de peine ; et j’ai cru pouvoir profiter de l’occasion. Non seulement cela m’est permis mais ce serait vanité à moi de mépriser un tel avantage. Il me suffit de ne pas vouloir qu’on impose en ma faveur à qui que ce soit ; et de suivre un chemin contraire à celui de certaines gens qui ne s’acquièrent des amis que pour s’acquérir des suffrages par leur moyen ; créatures de la cabale, bien différents de cet Espagnol qui se piquait d’être fils de ses propres œuvres. Quoique j’aie autant de besoin de ces artifices que pas un autre, je ne saurais me résoudre à les employer : seulement, je m’accommoderai, s’il m’est possible, au goût de mon siècle, instruit que je suis par ma propre expérience, qu’il n’y a rien de plus nécessaire. En effet on ne peut pas dire que toutes saisons soient favorables pour toutes sortes de livres. Nous avons vu les Rondeaux, les Métamorphoses, les Bouts-rimés régner tour à tour : maintenant ces galanteries sont hors de mode, et personne ne s’en soucie : tant il est certain que ce qui plaît en un temps peut ne pas plaire en un autre.

Il n’appartient qu’aux ouvrages vraiment solides, et d’une souveraine beauté, d’être bien reçus de tous les esprits, et dans tous les siècles, sans avoir d’autre passeport que le seul mérite dont ils sont pleins. Comme les miens sont fort éloignes d’un si haut degré de perfection, la prudence veut que je les garde en mon cabinet, à moins que de bien prendre mon temps pour les en tirer. C’est ce que j’ai fait, ou que j’ai cru faire dans cette seconde édition, ou je n’ai ajouté de nouveaux contes, que parce qu’il m’a semblé qu’on était en train d’y prendre plaisir. Il y en a que j’ai étendus, et d’autres que j’ai accourcis ; seulement pour diversifier, et me rendre moins ennuyeux. On en trouvera même quelques- uns que j’ai prétendu mettre en épigrammes. Tout cela n’a fait qu’un petit recueil, aussi peu considérable par sa grosseur, que par la qualité des ouvrages qui le composent. Pour le grossir j’ai tiré de mes papiers je ne sais quelle Imitation des Arrêts d’amour, avec un fragment où l’on me raconte le tour que Vulcan fit à Mars et à Vénus, et celui que Mars et Vénus lui avaient fait. Il est vrai que ces deux pièces n’ont ni le sujet ni le caractère du tout semblables au reste du livre mais à mon sens elles n’en sont pas entièrement éloignées. Quoi que c’en soit, elles passeront : je ne sais même si la variété n’était point plus à rechercher en cette rencontre qu’un assortissement si exact.

Mais je m’amuse à des choses auxquelles on ne prendra peut-être pas garde, tandis que j’ai lieu d’appréhender des objections bien plus importantes. On m’en peut faire deux principales : l’une que ce livre est licencieux ; l’autre qu’il n’épargne pas assez le beau sexe ! Quant à la première, je dis hardiment que la nature du conte le voulait ainsi ; étant une loi indispensable selon Horace, ou plutôt selon la raison et le sens commun, de se conformer aux choses dont on écrit. Or qu’il ne m’ait pas été permis d’écrire de celles-ci, comme tant d’autres l’ont fait, et avec succès, je ne crois pas qu’on le mette en doute : et l’on ne me saurait condamner que l’on ne condamne aussi l’Arioste devant moi, et les anciens devant l’Arioste. On me dira que j’eusse mieux fait de supprimer quelques circonstances, ou tout au moins de les déguiser. Il n’y avait rien de plus facile ; mais cela aurait affaibli le conte, et lui aurait ôté de sa grâce. Tant de circonspection n’est nécessaire que dans les ouvrages qui promettent beaucoup de retenue dès l’abord, ou par leur sujet, ou par la manière dont on les traite. Je confesse qu’il faut garder en cela des bornes, et que les plus étroites sont les meilleures : aussi faut-il m’avouer que trop de scrupule gâterait tout. Qui voudrait réduire Boccace à la même pudeur que Virgile, ne ferait assurément rien qui vaille, et pécherait contre les lois de la bienséance en prenant à tache de les observer. Car afin que l’on ne s’y trompe pas, en matière de vers et de prose, l’extrême pudeur et la bienséance sont deux choses bien différentes. Cicéron fait consister la dernière à dire ce qu’il est à propos qu’on die, eu égard au lieu, au temps, et aux personnes qu’on entretient. Ce principe une fois posé ce n’est pas une faute de jugement que d’entretenir les gens d’aujourd’hui de contes un peu libres. Je ne pèche pas non plus en cela contre la morale. S’il y a quelque chose dans nos écrits qui puisse faire impression sur les âmes, ce n’est nullement la gaieté de ces contes ; elle passe légèrement : je craindrais plutôt une douce mélancolie, ou les romans les plus chastes et les plus modestes sont très capables de nous plonger, et qui est une grande préparation pour l’amour. Quant à la seconde objection, par laquelle on me reproche que ce livre fait tort aux femmes ; on aurait raison si je parlais sérieusement ; mais qui ne voit que ceci est jeu, et par conséquent ne peut porter coup ? il ne faut pas avoir peur que les mariages en soient à l’avenir moins fréquents, et les maris plus fort sur leurs gardes. On me peut encore objecter que ces contes ne sont pas fondés, ou qu’ils ont partout un fondement aisé à détruire, enfin qu’il y a des absurdités, et pas la moindre teinture de vraisemblance. Je réponds en peu de mots que j’ai mes garants : et puis ce n’est ni le vrai ni le vraisemblable qui font la beauté et la grâce de ces choses-ci ; c’est seulement la manière de les conter.

Voilà les principaux points sur quoi j’ai cru être obligé de me défendre. J’abandonne le reste aux censeurs : aussi bien serait-ce une entreprise infinie que de prétendre répondre à tout. Jamais la critique ne demeure court, ni ne manque de sujets de s’exercer : quand ceux que je puis prévoir lui seraient ôtés, elle en aurait bientôt trouvé d’autres.

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