Contes et nouvelles en vers – Tome I

Préface

Voici les derniers ouvrages de cette nature qui partiront des mains de l’auteur, et par conséquent la dernière occasion de justifier ses hardiesses et les licences qu’il s’est données. Nous ne parlons point des mauvaises rimes, des vers qui enjambent, des deux voyelles sans élision, ni en général de ces sortes de négligences qu’il ne se pardonnerait pas lui-même en un autre genre de poésie, mais qui sont inséparables, pour ainsi dire, de celui-ci. Le trop grand soin de les éviter jetterait un faiseur de contes en de longs détours, en des récits aussi froids que beaux, en des contraintes fort inutiles, et lui ferait négliger le plaisir du cœur pour travailler à la satisfaction de l’oreille. Il faut laisser les narrations étudiées pour les grands sujets, et ne pas faire un poème épique des aventures de Renaud d’Ast. Quand celui qui a rimé ces nouvelles y aurait apporté tout le soin et l’exactitude qu’on lui demande, outre que ce soin s’y remarquerait d’autant plus qu’il y est moins nécessaire, et que cela contrevient aux préceptes de Quintilien, encore l’auteur n’aurait-il pas satisfait au principal point, qui est d’attacher le lecteur, de le réjouir, d’attirer malgré lui son attention, de lui plaire enfin : car, comme l’on sait, le secret de plaire ne consiste pas toujours en l’ajustement, ni même en la régularité ; il faut du piquant et de l’agréable, si l’on veut toucher. Combien voyons-nous de ces beautés régulières qui ne touchent point, et dont personne n’est amoureux ? Nous ne voulons pas ôter aux modernes la louange qu’ils ont méritée. Le beau tour de vers, le beau langage, la justesse, les bonnes rimes, sont des perfections en un poète ; cependant, que l’on considère quelques-unes de nos épigrammes où tout cela se rencontre, peut-être y trouvera-t-on beaucoup moins de sel, j’oserais dire encore bien moins de grâces, qu’en celles de Marot et de Saint-Gelais ; quoique les ouvrages de ces derniers soient presque tout pleins de ces mêmes fautes qu’on nous impute. On dira que ce n’étaient pas des fautes en leur siècle et que c’en sont de très grandes au nôtre. À cela nous répondons par un même raisonnement, et disons, comme nous avons déjà dit, que c’en serait en effet dans un autre genre de poésie, mais que ce n’en sont point dans celui-ci. Feu M. de Voiture en est le garant : il ne faut que lire ceux de ses ouvrages où il fait revivre le caractère de Marot. Car notre auteur ne prétend pas que la gloire lui en soit due, ni qu’il ait mérité non plus de grands applaudissements du public pour avoir rimé quelques contes. Il s’est véritablement engagé dans une carrière toute nouvelle, et l’a fournie le mieux qu’il a pu, prenant tantôt un chemin, tantôt l’autre, et marchant toujours plus assurément quand il a suivi la manière de nos vieux poètes, quorum in hac re imitari neglegentiam exoptat potius quam istorum dili gentiam. Mais, en disant que nous voulions passer ce point-là, nous nous sommes insensiblement engagés à l’examiner. Et possible n’a-ce pas été inutilement ; car il n’y a rien qui ressemble mieux à des fautes que ces licences.

Venons à la liberté que l’auteur se donne de tailler dans le bien d’autrui ainsi que dans le sien propre, sans qu’il en excepte les nouvelles même les plus connues, ne s’en trouvant point d’inviolable pour lui. Il retranche, il amplifie, il change les incidents et les circonstances, quelquefois le principal événement et la suite ; enfin, ce n’est plus la même chose, c’est proprement une nouvelle nouvelle ; et celui qui l’a inventée aurait bien de la peine à reconnaître son propre ouvrage. Non sic decet contaminari fabulas, diront les critiques. Et comment ne le diraient-ils pas ? ils ont bien fait le même reproche à Térence ; mais Térence s’est moqué d’eux, et a prétendu avoir droit d’en user ainsi. Il a mêlé du sien parmi les sujets qu’il a tirés de Ménandre, comme Sophocle et Euripide ont mêlé du leur parmi ceux qu’ils ont tirés des écrivains qui les précédaient, n’épargnant histoire ni fable où il s’agissait de la bienséance et des règles du dramatique. Ce privilège cessera-t-il à l’égard des contes faits à plaisir ? et faudra-t-il avoir dorénavant plus de respect et plus de religion, s’il est permis d’ainsi dire, pour le mensonge, que les anciens n’en ont eu pour la vérité ? Jamais ce qu’on appelle un bon conte ne passe d’une main à l’autre sans recevoir quelque nouvel embellissement.

D’où vient donc, nous pourra-t-on dire, qu’en beaucoup d’endroits l’auteur retranche au lieu d’enchérir ? Nous en demeurons d’accord ; et il le fait pour éviter la longueur et l’obscurité, deux défauts intolérables dans ces matières, le dernier surtout : car, si la clarté est recommandable en tous les ouvrages de l’esprit, on peut dire qu’elle est nécessaire dans les récits où une chose, la plupart du temps, est la suite et la dépendance d’une autre, où le moindre fonde quelquefois le plus important ; en sorte que si le fil vient une fois à se rompre, il est impossible au lecteur de le renouer. D’ailleurs, comme les narrations en vers sont très malaisées, il se faut charger de circonstances le moins qu’on peut ; par ce moyen vous vous soulagez vous même, et vous soulagez aussi le lecteur, à qui l’on ne saurait manquer d’apprêter des plaisirs sans peine. Que si l’auteur a changé quelques incidents et même quelque catastrophe, ce qui préparait cette catastrophe et la nécessité de la rendre heureuse l’y ont contraint. Il a cru que dans ces sortes de contes chacun devait être content à la fin : cela plaît toujours au lecteur, à moins qu’on ne lui ait rendu les personnes trop odieuses. Mais il n’en faut point venir là, si l’on peut, ni faire rire et pleurer dans une même nouvelle. Cette bigarrure déplaît à Horace sur toutes choses ; il ne veut pas que nos compositions ressemblent aux grotesques, et que nous fassions un ouvrage moitié femme, moitié poisson. Ce sont les raisons générales que l’auteur a eues. On en pourrait encore alléguer de particulières, et défendre chaque endroit ; mais il faut laisser quelque chose à faire à l’habileté et à l’indulgence des lecteurs. lls se contenteront donc de ces raisons-ci. Nous les aurions mises un peu plus en jour et fait valoir davantage, si l’étendue des préfaces l’avait permis.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer