Contes et nouvelles en vers – Tome I

La Gageure des trois commères

Après bon vin, trois commères un jour

S’entretenaient de leurs tours et prouesses.

Toutes avaient un ami par amour

Et deux étaient au logis les maîtresses.

L’une disait : « J’ai le roi des maris :

Il n’en est point de meilleur dans Paris.

Sans son congé je vas partout m’ébattre.

Avec ce tronc j’en ferais un plus fin.

Il ne faut pas se lever trop matin

Pour lui prouver que trois et deux font quatre.

– Par mon serment, dit une autre aussitôt

Si je l’avais j’en ferais une étrenne ;

Car quant à moi, du plaisir ne me chaut,

À moins qu’il soit mêlé d’un peu de peine.

Votre époux va tout ainsi qu’on le mène :

Le mien n’est tel. J’en rends grâces à Dieu.

Bien saurait prendre et le temps et le lieu,

Qui tromperait à son aise un tel homme.

Pour tout cela ne croyez que je chomme.

Le passe-temps en est d’autant plus doux :

Plus grand en est l’amour des deux parties.

Je ne voudrais contre aucune de vous,

Qui vous vantez d’être si bien-loties,

Avoir troqué de galant ni époux. »

Sur ce débat la troisième commère

Les mit d’accord ; car elle fut d’avis

Qu’Amour se plaît avec les bons maris,

Et veut aussi quelque peine légère.

Ce point vuidé, le propos s’échauffant,

Et d’en conter toutes trois triomphant,

Celle-ci dit : « Pourquoi tant de paroles ?

Voulez-vous voir qui l’emporte de nous ?

Laissons à part les disputes frivoles :

Sur nouveaux frais attrapons nos époux.

Le moins bon tour payera quelque amende.

– Nous le voulons, c’est ce que l’on demande,

Dirent les deux. Il faut faire serment,

Que toutes trois, sans nul déguisement,

Rapporterons, l’affaire étant passée,

Le cas au vrai ; puis pour le jugement

On en croira la commère Macée. »

Ainsi fut dit, ainsi l’on l’accorda.

Voici comment chacune y procéda.

Celle des trois qui plus était contrainte,

Aimait alors un beau jeune garçon,

Frais, délicat, et sans poil au menton :

Ce qui leur fit mettre en jeu cette feinte.

Les pauvres gens n’avaient de leurs amours

Encor joui, sinon par échappées :

Toujours fallait forger de nouveaux tours,

Toujours chercher des maisons empruntées

Pour plus à l’aise ensemble se jouer.

La bonne dame habille en chambrière

Le jouvenceau, qui vient pour se louer,

D’un air modeste, et baissant la paupière.

Du coin de l’œil époux le regardait,

Et dans son cœur déjà se proposait

De rehausser le linge de la fille.

Bien lui semblait, en la considérant,

N’en avoir vu jamais de si gentille.

On la retient ; avec peine pourtant :

Belle servante, et mari vert galant,

C’était matière à feindre du scrupule.

Les premiers jours le mari dissimule,

Détourne l’œil, et ne fait pas semblant

De regarder sa servante nouvelle ;

Mais tôt après il tourna tant la belle,

Tant lui donna, tant encor lui promit,

Qu’elle feignit à la fin de se rendre ;

Et de jeu fait, à dessein de le prendre,

Un certain soir la galande lui dit :

« Madame est mal, et seule elle veut être

Pour cette nuit » : incontinent le maître

Et la servante ayant fait leur marché

S’en vont au lit, et le drôle couché,

Elle en cornette, et dégrafant sa jupe,

Madame vient : qui fut bien empêché,

Ce fut époux cette fois pris pour dupe.

« Oh, oh, lui dit la commère en riant,

Votre ordinaire est donc trop peu friand

À votre goût ; et par saint Jean, beau sire,

Un peu plus tôt vous me le deviez dire :

J’aurais chez moi toujours eu des tendrons.

De celui-ci pour certaines raisons

Vous faut passer ; cherchez autre aventure.

Et vous, la belle au dessein si gaillard,

Merci de moi, chambrière d’un liard,

Je vous rendrai plus noire qu’une mûre.

Il vous faut donc du même pain qu’à moi :

J’en suis d’avis ; non pourtant qu’il m’en chaille,

Ni qu’on ne puisse en trouver qui le vaille :

Grâces à Dieu, je crois avoir de quoi

Donner encore à quelqu’un dans la vue

Je ne suis pas à jeter dans la rue.

Laissons ce point ; je sais un bon moyen :

Vous n’aurez plus d’autre lit que le mien.

Voyez un peu ; dirait-on qu’elle y touche ?

Vite, marchons, que du lit où je couche

Sans marchander on prenne le chemin :

Vous chercherez vos besognes demain.

Si ce n’était le scandale et la honte,

Je vous mettrais dehors en cet état.

Mais je suis bonne, et ne veux point d’éclat :

Puis je rendrai de vous un très bon compte

À l’avenir, et vous jure ma foi

Que nuit et jour vous serez près de moi.

Qu’ai-je besoins de me mettre en alarmes,

Puisque je puis empêcher tous vos tours ? »

La chambrière écoutant ce discours

Fait la honteuse, et jette une ou deux larmes ;

Prend son paquet, et sort sans consulter

Ne se le fait pas deux fois répéter ;

S’en va jouer un autre personnage ;

Fait au logis deux métiers tour à tour ;

Galant de nuit, chambrière de jour,

En deux façons elle a soin du ménage.

Le pauvre époux se trouve tout heureux

Qu’à si bon compte il en ait été quitte.

Lui couche seul, notre couple amoureux

D’un temps si doux à son aise profite.

Rien ne s’en perd ; et des moindres moments

Bons ménagers furent nos deux amants,

Sachant très bien que l’on n’y revient guères.

Voilà le tour de l’une des commères.

L’autre de qui le mari croyait tout,

Avecque lui sous un poirier assise,

De son dessein vint aisément à bout.

En peu de mots j’en vas conter la guise.

Leur grand valet près d’eux était debout,

Garçon bien fait, beau parleur, et de mise,

Et qui faisait les servantes trotter.

La dame dit : « Je voudrais bien goûter

De ce fruit-là : Guillot, monte, et secoue

Notre poirier. » Guillot monte à l’instant.

Grimpé qu’il est, le drôle fait semblant

Qu’il lui paraît que le mari se joue

Avec la femme ; aussitôt le valet

Frottant ses yeux comme étonné du fait :

« Vraiment, Monsieur, commence-t-il à dire,

Si vous vouliez Madame caresser,

Un peu plus loin vous pouviez aller rire,

Et moi présent du moins vous en passer.

Ceci me cause une surprise extrême.

Devant les gens prendre ainsi vos ébats !

Si d’un valet vous ne faites nul cas,

Vous vous devez du respect à vous-même.

Quel taon vous point ? attendez à tantôt :

Ces privautés en seront plus friandes ;

Tout aussi bien, pour le temps qu’il vous faut

Les nuits d’été sont encore assez grandes.

Pourquoi ce lieu ? vous avez pour cela

Tant de bons lits, tant de chambres si belles. »

La dame dit : « Que conte celui- là ?

Je crois qu’il rêve : ou prend-il ces nouvelles ?

Qu’entend ce fol avecque ses ébats ?

Descends, descends, mon ami, tu verras. »

Guillot descend. « Hé bien, lui dit son maître,

Nous jouons-nous ?

GUILLOT

Non pas pour le présent.

LE MARI

Pour le présent ?

GUILLOT

Oui Monsieur, je veux être

Écorché vif, si tout incontinent

Vous ne baisiez Madame sur l’herbette.

LA FEMME

Mieux te vaudrait laisser cette sornette ;

Je te le dis ; car elle sent les coups.

LE MARI

Non non, m’amie, il faut qu’avec les fous

Tout de ce pas par mon ordre on le mette.

GUILLOT

Est-ce être fou que de voir ce qu’on voit ?

LA FEMME

Et qu’as-tu vu ?

GUILLOT

J’ai vu, je le répète,

Vous et Monsieur qui dans ce même endroit

Jouiez tous deux au doux jeu d’amourette :

Si ce poirier n’est peut- être charmé.

LA FEMME

Voire, charmé ; tu nous fais un beau conte.

LE MARI

Je le veux voir ; vraiment faut que j’y monte :

Vous en saurez bientôt la vérité.

Le maître à peine est sur l’arbre monté,

Que le valet embrasse la maîtresse.

L’époux qui voit comme l’on se caresse

Crie, et descend en grand’hâte aussitôt.

Il se rompit le col, ou peu s’en faut,

Pour empêcher la suite de l’affaire :

Et toutefois il ne put si bien faire

Que son honneur ne reçût quelque échec.

« Comment, dit-il, quoi même à mon aspect ?

Devant mon nez ? à mes yeux ? Sainte Dame,

Que vous faut-il ? qu’avez-vous ? dit la femme.

LE MARI

Oses-tu bien le demander encor ?

LA FEMME

Et pourquoi non ?

LE MARI

Pourquoi ? n’ai-je pas tort

De t’accuser de cette effronterie ?

LA FEMME

Ah ! C’en est trop, parlez mieux, je vous prie.

LE MARI

Quoi, ce coquin ne te caressait pas ?

LA FEMME

Moi ? vous rêvez.

LE MARI

D’où viendrait donc ce cas ?

Ai-je perdu la raison ou la vue ?

LA FEMME

Me croyez-vous de sens si dépourvue

Que devant vous je commisse un tel tour ?

Ne trouverais-je assez d’heures au jour

Pour m’égayer, si j’en avais envie ?

LE MARI

Je ne sais plus ce qu’il faut que j’y die.

Notre poirier m’abuse assurément.

Voyons encor. Dans le même moment

L’époux remonte, et Guillot recommence.

Pour cette fois le mari voit la danse

Sans se fâcher, et descend doucement.

« Ne cherchez plus, leur dit-il, d’autres causes

C’est ce poirier, il est ensorcelé.

– Puisqu’il fait voir de si vilaines choses

Reprit la femme, il faut qu’il soit brûlé.

Cours au logis ; dis qu’on le vienne abattre.

Je ne veux plus que cet arbre maudit

Trompe les gens. » Le valet obéit.

Sur le pauvre arbre ils se mettent à quatre

Se demandant l’un l’autre sourdement

Quel si grand crime a ce poirier pu faire ?

La dame dit : « Abattez seulement. »

Quant au surplus, ce n’est pas votre affaire.

Par ce moyen la seconde commère

Vint au-dessus de ce qu’elle entreprit.

Passons au tour que la troisième fit.

Les rendez-vous chez quelque bonne amie

Ne lui manquaient non plus que l’eau du puits.

Là tous les jours étaient nouveaux déduits.

Notre donzelle y tenait sa partie.

Un sien amant étant lors de quartier,

Ne croyant pas qu’un plaisir fut entier

S’il n’était libre, à la dame propose

De se trouver seuls ensemble une nuit.

« Deux, lui dit-elle, et pour si peu de chose

Vous ne serez nullement éconduit.

Jà de par moi ne manquera l’affaire.

De mon mari je saurai me défaire

Pendant ce temps. » Aussitôt fait que dit.

Bon besoin eut d’être femme d’esprit

Car pour époux elle avait pris un homme

Qui ne faisait en voyages grands frais ;

Il n’allait pas quérir pardons à Rome

Quand il pouvait en rencontrer plus près.

Tout au rebours de la bonne donzelle,

Qui pour montrer sa ferveur et son zèle,

Toujours allait au plus loin s’en pourvoir.

Pèlerinage avait fait son devoir

Plus d’une fois ; mais c’était le vieux style :

Il lui fallait, pour se faire valoir,

Chose qui fut plus rare et moins facile.

Elle s’attache à l’orteil dès ce soir

Un brin de fil, qui rendait à la porte

De la maison ; et puis se va coucher

Droit au côté d’Henriet Berlinguier

(On appelait son mari de la sorte.)

Elle fit tant qu’Henriet se tournant

Sentit le fil. Aussitôt il soupçonne

Quelque dessein, et sans faire semblant

D’être éveillé, sur ce fait il raisonne ;

Se lève enfin, et sort tout doucement,

De bonne foi son épouse dormant,

Ce lui semblait ; suit le fil dans la rue ;

Conclut de là que l’on le trahissait :

Que quelque amant que la donzelle avait,

Avec ce fil par le pied la tirait,

L’avertissant ainsi de sa venue :

Que la galande aussitôt descendait,

Tandis que lui pauvre mari dormait.

Car autrement pourquoi ce badinage ?

Il fallait bien que Messer Cocuage

Le visitât ; honneur dont à son sens

Il se serait passé le mieux du monde.

Dans ce penser il s’arme jusqu’aux dents ;

Hors la maison fait le guet et la ronde,

Pour attraper quiconque tirera

Le brin de fil. Or le lecteur saura

Que ce logis avait sur le derrière

De quoi pouvoir introduire l’ami :

Il le fut donc par une chambrière.

Tout domestique en trompant un mari

Pense gagner indulgence plénière.

Tandis qu’ainsi Berlinguier fait le guet,

La bonne dame, et le jeune muguet

En sont aux mains, et Dieu sait la manière.

En grand soulas cette nuit se passa.

Dans leurs plaisirs rien ne les traversa.

Tout fut des mieux grâces à la servante,

Qui fit si bien devoir de surveillante,

Que le galant tout à temps délogea.

Époux revint quand le jour approcha

Reprit sa place, et dit que la migraine

L’avait contraint d’aller coucher en haut

Deux jours après la commère ne faut

De mettre un fil ; Berlinguier aussitôt

L’ayant senti, rentre en la même peine

Court à son poste, et notre amant au sien.

Renfort de joie : on s’en trouva si bien,

Qu’encore un coup on pratiqua la ruse ;

Et Berlinguier prenant la même excuse

Sortit encore, et fit place à l’amant.

Autre renfort de tout contentement.

On s’en tint là. Leur ardeur refroidie,

Il en fallut venir au dénouement ;

Trois actes eut sans plus la comédie

Sur le minuit l’amant s’étant sauvé,

Le brin de fil aussitôt fut tiré

Par un des siens sur qui époux se rue,

Et le contraint en occupant la rue

D’entrer chez lui. Le tenant au collet,

Et ne sachant que ce fût un valet

Bien à propos lui fut donné le change

Dans le logis est un vacarme étrange

La femme accourt au bruit que fait l’époux.

Le compagnon se jette à leurs genoux ;

Dit qu’il venait trouver la chambrière ;

Qu’avec ce fil il la tirait à soi

Pour faire ouvrir ; et que depuis naguère

Tous deux s’étaient entre-donné la foi.

« C’est donc cela, poursuivit la commère

En s’adressant à la fille, en colère,

Que l’autre jour je vous vis à l’orteil

Un brin de fil : je m’en mis un pareil,

Pour attraper avec ce stratagème

Votre galant. Or bien, c’est votre époux :

À la bonne heure : il faut cette nuit même

Sortir d’ici. » Berlinguier fut plus doux ;

Dit qu’il fallait au lendemain attendre.

On les dota l’un et l’autre amplement ;

L’époux, la fille ; et le valet l’amant

Puis au moutier le couple s’alla rendre ;

Se connaissant tous deux de plus d’un jour.

Ce fut la fin qu’eut le troisième tour.

Lequel vaut mieux ? Pour moi, je m’en rapporte

Macée ayant pouvoir de décider,

Ne sut à qui la victoire accorder

Tant cette affaire à résoudre était forte.

Toutes avaient eu raison de gager.

Le procès pend, et pendra de la sorte

Encor longtemps, comme l’on peut juger.

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