Contes et nouvelles en vers – Tome I

C’est de tout temps qu’à Naples on a vu

Régner l’amour et la galanterie :

De beaux objets cet état est pourvu,

Mieux que pas un qui soit en Italie.

Femmes y sont, qui font venir l’envie

D’être amoureux, quand on ne voudrait pas.

Une surtout ayant beaucoup d’appas

Eut pour amant un jeune gentilhomme,

Qu’on appelait Richard Minutolo :

Il n’était lors de Paris jusqu’à Rome

Galant qui sut si bien le numéro.

Force lui fut ; d’autant que cette belle

(Dont sous le nom de madame Catelle

Il est parlé dans le Décaméron)

Fut un long temps si dure et si rebelle,

Que Minutol n’en sut tirer raison.

Que fait-il donc ? comme il voit que son zèle

Ne produit rien, il feint d’être guéri ;

Il ne va plus chez madame Catelle ;

Il se déclare amant d’une autre belle ;

Il fait semblant d’en être favori.

Catelle en rit ; pas grain de jalousie.

Sa concurrente était sa bonne amie :

Si bien qu’un jour qu’ils étaient en devis,

Minutolo pour lors de la partie,

Comme en passant mit dessus le tapis

Certains propos de certaines coquettes,

Certain mari, certaines amourettes,

Qu’il controuva sans personne nommer ;

Et fit si bien que madame Catelle

De son époux commence à s’alarmer,

Entre en soupçon, prend le morceau pour elle.

Tant en fut dit, que la pauvre femelle,

Ne pouvant plus durer en tel tourment,

Voulut savoir de son défunt amant,

Qu’elle tira dedans une ruelle,

De quelles gens il entendait parler :

Qui, quoi, comment, et ce qu’il voulait dire.

« Vous avez eu, lui dit-il, trop d’empire

Sur mon esprit pour vous dissimuler.

Votre mari voit Madame Simone :

Vous connaissez la galande que c’est :

Je ne le dis pour offenser personne ;

Mais il y va tant de votre intérêt,

Que je n’ai pu me taire davantage.

Si je vivais dessous votre servage,

Comme autrefois, je me garderais bien

De vous tenir un semblable langage,

Qui de ma part ne serait bon à rien.

De ses amants toujours on se méfie.

Vous penseriez que par supercherie

Je vous dirais du mal de votre époux ;

Mais grâce à Dieu je ne veux rien de vous.

Ce qui me meut n’est du tout que bon zèle.

Depuis un jour j’ai certaine nouvelle,

Que votre époux chez Janot le baigneur

Doit se trouver avec que sa donzelle.

Comme Janot n’est pas fort grand seigneur,

Pour cent ducats vous lui ferez tout dire ;

Pour cent ducats il fera tout aussi.

Vous pouvez donc tellement vous conduire,

Qu’au rendez-vous trouvant votre mari,

Il sera pris sans s’en pouvoir dédire.

Voici comment. La dame a stipulé

Qu’en une chambre, ou tout sera fermé,

L’on les mettra ; soit craignant qu’on ait vue

Sur le baigneur ; soit que sentant son cas,

Simone encor n’ait toute honte bue.

Prenez sa place, et ne marchandez pas :

Gagnez Janot ; donnez-lui cent ducats ;

Il vous mettra dedans la chambre noire ;

Non pour jeûner, comme vous pouvez croire :

Trop bien ferez tout ce qu’il vous plaira.

Ne parlez point, vous gâteriez l’histoire,

Et vous verrez comme tout en ira. »

L’expédient plus très fort à Catelle.

De grand dépit Richard elle interrompt :

« Je vous entends, c’est assez, lui dit-elle,

Laissez-moi faire ; et le drôle et sa belle

Verront beau jeu si la corde ne rompt.

Pensent-ils donc que je sois quelque buse ? »

Lors pour sortir elle prend une excuse,

Et tout d’un pas s’en va trouver Janot,

À qui Richard avait donné le mot.

L’argent fait tout : si l’on en prend en France

Pour obliger en de semblables cas,

On peut juger avec grande apparence,

Qu’en Italie on n’en refuse pas.

Pour tout carquois, d’une large escarcelle

En ce pays le dieu d’amour se sert.

Janot en prend de Richard, de Catelle ;

Il en eut pris du grand diable d’enfer.

Pour abréger, la chose s’exécute

Comme Richard s’était imaginé.

Sa maîtresse eut d’abord quelque dispute

Avec Janot qui fit le réservé :

Mais en voyant bel argent bien compté,

Il promet plus que l’on ne lui demande.

Le temps venu d’aller au rendez- vous,

Minutolo s’y rend seul de sa bande ;

Entre en la chambre ; et n’y trouve aucuns trous

Par où le jour puisse nuire à sa flamme.

Guère n’attend : il tardait à la dame

D’y rencontrer son perfide époux,

Bien préparée à lui chanter sa gamme.

Pas n’y manqua, l’on peut s’en assurer.

Dans le lieu dit Janot la fit entrer,

Là ne trouva ce qu’elle allait chercher :

Point de mari, point de Dame Simone

Mais au lieu d’eux Minutol en personne,

Qui sans parler se mit à l’embrasser.

Quant au surplus je le laisse à penser :

Chacun s’en doute assez sans qu’on le die.

De grand plaisir notre amant s’extasie.

Que si le jeu plut beaucoup à Richard,

Catelle aussi, toute rancune à part,

Le laissa faire, et ne voulut mot dire

Il en profite, et se garde de rire ;

Mais toutefois ce n’est pas sans effort

De figurer le plaisir qu’a le sire,

Il me faudrait un esprit bien plus fort

Premièrement il jouit de sa belle ;

En second lieu il trompe une cruelle ;

Et croit gagner les pardons en cela.

Mais à la fin Catelle s’emporta :

« C’est trop souffrir, traître, ce lui dit-elle,

Je ne suis pas celle que tu prétends.

Laisse-moi là ; sinon à belles dents

Je te déchire, et te saute à la vue.

C’est donc cela que tu te tiens en mue,

Fais le malade et te plains tous les jours ;

Te réservant sans doute à tes amours.

Parle, méchant, dis-moi, suis-je pourvue

De moins d’appas ? ai-je moins d’agrément,

Moins de beauté que ta dame Simone ?

Le rare oiseau ! ô la belle friponne !

T’aimais-je moins ? je te hais à présent ;

Et plut à Dieu que je t’eusse vu pendre. »

Pendant cela Richard pour l’apaiser

La caressait, tâchait de la baiser ;

Mais il ne put ; elle s’en sut défendre.

« Laisse-moi là, se mit-elle à crier

Comme un enfant penses-tu me traiter ?

N’approche point, je ne suis plus ta femme :

Rends-moi mon bien, va-t’en trouver ta dame

Va déloyal, va-t’en, je te le dis.

Je suis bien sotte, et bien de mon pays

De te garder la foi de mariage :

À quoi tient-il, que pour te rendre sage,

Tout sur-le-champ, je t’envoie quérir

Minutolo qui m’a si fort chérie ?

Je le devrais afin de te punir ;

Et sur ma foi, j’en ai presque l’envie. »

À ce propos le galant éclata.

« Tu ris, dit-elle, ô dieux ! quelle insolence !

Rougira-t-il ? voyons sa contenance. »

Lors de ses bras la belle s’échappa ;

D’une fenêtre à tâtons approcha ;

L’ouvrit de force ; et fut bien étonnée

Quand elle vit Minutol son amant :

Elle tomba plus d’à demi pâmée.

« Ah ! qui t’eut cru, dit-elle, si méchant ?

Que dira-t-on ? me voilà diffamée.

– Qui le saura ? dit Richard à l’instant ;

Janot est sûr, j’en réponds sur ma vie.

Excusez donc si je vous ai trahie ;

Ne me sachez mauvais gré d’un tel tour :

Adresse, force, et ruse, et tromperie ;

Tout est permis en matière d’amour.

J’étais réduit avant ce stratagème

À vous servir sans plus pour vos beaux yeux :

Ai-je failli de me payer moi-même ?

L’eussiez-vous fait ? non sans doute ; et les dieux

En ce rencontre ont tout fait pour le mieux :

Je suis content ; vous n’êtes point coupable ;

Est-ce de quoi paraître inconsolable ?

Pourquoi gémir ? j’en connais, Dieu merci,

Qui voudraient bien qu’on les trompât ainsi. »

Tout ce discours n’apaisa point Catelle.

Elle se mit à pleurer tendrement.

En cet état elle parut si belle,

Que Minutol de nouveau s’enflammant

Lui prit la main. « Laisse-moi, lui dit-elle ;

Contente-toi, veux-tu donc que j’appelle

Tous les voisins, tous les gens de Janot ?

– Ne faites point, dit-il, cette folie ;

Votre plus court est de ne dire mot.

Pour de l’argent, et non par tromperie

(Comme le monde est à présent bâti)

L’on vous croirait venue en ce lieu-ci.

Que si d’ailleurs cette supercherie

Allait jamais jusqu’à votre mari,

Quel déplaisir ! songez-y je vous prie ;

En des combats n’engagez point sa vie ;

Je suis du moins aussi mauvais que lui. »

À ces raisons enfin Catelle cède.

« La chose étant, poursuit-il, sans remède,

Le mieux sera que vous vous consoliez.

N’y pensez plus. Si pourtant vous vouliez…

Mais bannissons bien loin toute espérance ;

Jamais mon zèle et ma persévérance

N’ont eu de vous que mauvais traitement.

Si vous vouliez, vous feriez aisément,

Que le plaisir de cette jouissance

Ne serait pas, comme il est, imparfait :

Que reste-t-il ? le plus fort en est fait. »

Tant bien sut dire, et prêcher, que la dame

Séchant ses yeux, rassérénant son âme,

Plus doux que miel à la fin l’écouta.

D’une faveur en une autre il passa,

Eut un souris, puis après autre chose,

Puis un baiser, puis autre chose encor ;

Tant que la belle, après un peu d’effort,

Vient à son point, et le drôle en dispose.

Heureux cent fois plus qu’il n’avait été !

Car quand l’Amour d’un et d’autre côté

Veut s’entremettre, et prend part à l’affaire,

Tout va bien mieux, comme m’ont assuré

Ceux que l’on tient savants en ce mystère.

Ainsi Richard jouit de ses amours,

Vécut content, et fit force bons tours,

Dont celui-ci peut passer à la montre.

Pas ne voudrais en faire un plus rusé :

Que plût à Dieu qu’en certaine rencontre

D’un pareil cas je me fusse avisé !

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